Mycélium n°2

Même si souvent les textes de Persopolitique « s’inspirent de faits réels », il est rare que je relate en détail une expérience personnelle. Si je le fais aujourd’hui, c’est que cette expérience est pour moi très symptomatique d’un autre rapport au politique possible… et souhaitable !

Olivier Frérot ne m’avait donné que quelques bribes d’explication. Même s’il ne l’avait pas dit exactement comme ça, ça ressemblait un peu à l’appel des disciples par le Christ dans l’Evangile : « Viens, laisse tes affaires en plan et suis-moi » ! C’était à la fois flatteur et inquiétant d’être ainsi « élu ». Et puis il y avait ce nom énigmatique de Mycélium[1]… Dans quoi je m’embarquais ?!

J’avais failli renoncer à venir quand Olivier m’avait informé que les personnes que je connaissais au moins de nom avaient finalement déclaré forfait. La curiosité et le souhait de ne pas ajouter à la déception d’Olivier m’ont conduit jusqu’à cette maison de l’Yonne où nous accueillait ce « jardinier punk » et j’y ai passé quatre jours décoiffants.

J’ai su que j’allais vivre un événement marquant quand je me suis aperçu de la facilité avec laquelle j’avais mémorisé les prénoms des 10 personnes avec qui je m’étais embarqué pour l’aventure sans savoir réellement ce que j’allais faire.

Si vous m’avez lu jusque-là, vous devez commencer à vous demander si je vais enfin dire ce que j’ai vécu de si extraordinaire pour mobiliser un billet de blog d’habitude plus politique que perso même s’il est toujours persopolitique ! Continuer la lecture de « Mycélium n°2 »

Déconfinons le débat !

Je ne parle pas ici du confinement face au Covid mais de la nécessité de sortir du confinement de notre débat à l’égard de l’islamisme que je trouve particulièrement étouffant alors que nous avons des enjeux autrement lourds, j’ose le dire même si ça heurte certains …

Si nos corps sont à nouveau confinés, nos esprits n’ont malheureusement pas attendu l’annonce présidentielle pour se confiner dans un débat stérile et obsessionnel. Depuis l’assassinat de cet enseignant dont on a bien vite fait un héros comme pour se rassurer, j’assiste, silencieux, à ces tempêtes véhémentes autour de principes tellement assénés qu’ils en perdent toute réalité concrète. Chacun cherche à enfermer l’autre dans des catégories définitives et vaines : islamogauchistes, islamophobes, laïcards, naïfs aveugles, idiots utiles de l’internationale djihadiste … Et ces qualificatifs ne sont pas échangés seulement sur les réseaux sociaux, je les ai retrouvés tels quels sur une liste de débat entre intellectuels a priori de bonne volonté.

La décapitation d’un enseignant d’histoire par un tchétchène fanatisé a ouvert un nouveau cycle de violences atroces, mais limitées. Le risque pour chacun d’être égorgé est infime et pourtant la psychose collective finit par nous faire croire que nous risquons personnellement notre vie… alors que statistiquement c’est évidemment infondé. Comme à chaque vague d’attentat, la rationalité est balayée. Comme à chaque fois, la rhétorique guerrière des chaînes d’info et des politiques me semble incroyablement disproportionnée en raison de l’effroyable caisse de résonnance qu’on offre systématiquement aux barbares. Ce qui donne automatiquement la victoire au « djihadisme d’atmosphère » selon la juste formule de Gilles Kepel.

Je ne peux ni ne veux me résoudre à réduire notre vision du monde à ce combat contre le « séparatisme ».  Des combats autrement importants pour notre survie sont à mener, même s’ils ne sont même plus mentionnés par le président quand il nous rappelle dans sa dernière allocution que « très peu de génération auront eu comme la nôtre autant de défis ensemble ». Il cite : « Cette pandémie historique, les crises internationales, le terrorisme, les divisions de la société et une crise économique et sociale sans précédent liée à la première vague » mais pas un mot sur la crise écologique et le combat pour le maintien de l’habitabilité de la terre ! Cet oubli me paraît plus gravement significatif que l’absence du mot « culture » qui lui a été reproché.

Comme toujours je refuse de me laisser emporter dans la vague de ressentiment qui peine à séparer terrorisme, islamisme et Islam ou bien dans le raidissement des républicains trop sûrs de la pureté de principes magnifiques mais que nous faisons si mal vivre au quotidien. Où est l’aveuglement, où est la naïveté ? On reproche aux « naïfs » des années de complaisance à l’égard des dérives islamiques qui déferleraient aujourd’hui mais n’est-il pas naïf ou insensé de penser pouvoir faire adhérer à un pacte républicain des jeunes qu’on laisse aux marges de la société ? Le social et le religieux sont bien sûr deux sphères distinctes mais qui peut nier qu’elles interagissent ? Oui le djihadisme international se nourrit de l’absence d’idéal d’un monde où la croissance de la consommation semble le seul horizon, quels que soient les pays. Et la France n’a pas le monopole des terreaux fertiles pour le fanatisme.

Comment se fait-il que nous nous enfermions à ce point dans un débat sans fin ?  Ce qui me frappe c’est que ces argumentations contradictoires ne laissent pas prise au doute ni à la falsification empirique. Elles ne sont ni vraies ni fausses : elles racontent des peurs et des espoirs. Peur pour les uns que l’islamisme détruise notre modèle social et espoir qu’une laïcité de combat réussisse à vaincre l’hydre terroriste. Peur pour les autres que la logique de guerre détourne une partie de la jeunesse du pacte national et espoir qu’une laïcité apaisée réduise l’attractivité du salafisme chez les moins intégrés.

Quand je cherche ce que nous avons en commun, par delà nos oppositions, je trouve le refus du déchirement de la communauté nationale. Nous ne sommes pas d’accord sur ce qui la met en cause mais nous voulons les uns et les autres une société plus soudée. Partons de là pour essayer d’avancer ! Je n’ai pas trouvé fausse la formule de Macron (à propos de son autre guerre, contre le virus) : « nous nous étions habitués à être une société d’individus libres, nous devons apprendre à devenir une nation de citoyens solidaires ». Il n’est sans doute pas très pertinent de sembler opposer liberté et solidarité mais il est clair que des individus libres peuvent oublier leurs interdépendances et la nécessaire solidarité que la citoyenneté rend possible. Ce n’est pas la liberté que le président stigmatisait mais l’individualisme délié et indifférent au bien commun. Revenons donc à cette idée de « cohésion nationale ». Là on peut passer de l’opposition stérile à la tension féconde. Les uns voient la cohésion comme un préalable qui passe par la reconnaissance d’un héritage commun et l’exclusion de ceux qui ne s’y rallient pas. Les autres voient possiblement la cohésion comme un projet qui se réalise dans la construction d’un avenir commun en tendant la main à ceux qui peinent à se reconnaître dans un pacte dont ils considèrent que nous les excluons par avance. La cohésion des uns est contractuelle, la cohésion des autres serait davantage expérientielle. Autrement dit encore : avoir ensemble un patrimoine ou faire œuvre ensemble. Mais pour « faire ensemble » on a besoin de se reconnaître légitime à participer à une œuvre commune et pour « avoir ensemble » c’est plus simple de se le prouver mutuellement en agissant ensemble. L’écart, comme dit François Jullien, est une ressource ! Travaillons donc A LA FOIS à recréer de la cohésion par l’accueil d’un héritage et par la construction d’un futur. Ne vouloir agir que sur la transmission des valeurs risque sans doute de rester vain.

Nous aurons d’autant plus de cohésion nationale que nous prendrons des orientations ambitieuses pour dessiner un avenir commun. Or nous le savons, nous avons à mener une métamorphose écologique et démocratique sans précédent dans les dix ans à venir. Détournons les jeunes de la tentation islamiste en offrant résolument une place à chacun dans le projet national de refaire le monde et châtions sans fléchir ceux qui bafouent sciemment la concorde. Il ne faut pas opposer les deux dimensions de la cohésion nationale, celle qui suppose l’attachement à un pays et celle qui relie des citoyens mus par un même dessein, elles sont nécessaires l’une et l’autre. Pour une fois la formule « en même temps » prend tout son sens. Mais pour que ce « en même temps » ait un sens, nous devons urgemment retrouver « le goût de l’avenir » selon la belle expression qu’avait proposée Jean-Claude Guillebaud !

Nous avons devant nous un chantier gigantesque, inventer le monde habitable de demain, il doit pouvoir être source de cohésion à condition d’en faire notre obsession commune. Des mots, des images, sont à trouver d’urgence pour convier les ouvriers ! Ce n’est certainement pas en ressassant nos peurs que nous y parviendrons. Nos corps sont aujourd’hui hélas confinés mais il nous appartient de déconfiner nos esprits ! Même si les réflexions du printemps sur le « monde d’après » étaient souvent à trop courte vue, réduites le plus souvent à la manière de restaurer le monde d’avant, elles avaient le mérite de nous projeter dans un futur à construire. Si nous ne regardons que le pire, le pire devient notre seul horizon. Détournons-nous de cette fascination morbide à laquelle les terroristes cherchent à nous assigner. Il ne s’agit pas de « regarder ailleurs » pour se distraire et oublier, il s’agit bien de construire résolument un monde commun. Raphaël Glucksmann en proposait une première étape concrète – dans le texte le plus équilibré que j’ai lu ces derniers jours – avec la mise en place d’un « service civique universel et obligatoire, mixant toute une classe d’âge en la mettant au service du commun, de la transformation écologique, de la solidarité sociale. Pas quelques jours en uniforme de policier pour faire trois photos et rassurer un électorat déboussolé en quête d’autorité, non : une longue sortie de nos meubles et de nos certitudes, de nos quartiers et de nos préjugés ».

Je reprends sa conclusion à mon compte, entièrement :

Dans une société post-épique, ayant fait du bien-être des individus l’horizon de toute chose, la quête de transcendance n’a plus de débouché politique, mais elle n’a pas disparu pour autant. L’idéologie islamiste fournit une vision du monde totale, conciliant aventure collective et promesse de salut personnel. Face à elle, la République n’est plus qu’un faisceau d’institutions et de règles dont le sens n’est plus clair pour personne. Or, seule une vision du monde arrête une vision du monde. Seul un récit terrasse un récit. La répression policière du terrorisme est nécessaire. Elle n’est pas suffisante. Combattre l’idéologie qui le sous-tend est vital. Combler le vide qui la fait prospérer l’est aussi.

Dès maintenant, pendant ce confinement n°2 (en attendant très sûrement le n°3 au printemps), nous devrions nous livrer à une heure de déconfinement intellectuel par jour – et pas besoin d’attestation dérogatoire pour ça ! – en lisant ou mieux en écrivant sur le monde désirable que nous voulons construire. Imaginarium-s va proposer un exercice collectif en ce sens au cours de la semaines prochaine. La liberté d’expression ne passe pas seulement par des caricatures obscènes, elle peut aussi s’incarner dans des œuvres qui donneront le goût de l’avenir.

PS / Petite page de PUB personnelle : si vous voulez vous exercer à jouer avec les mots, n’hésitez pas à vous procurer « 40 mots persopolitiques ». Vous y retrouverez fortitude et ipséité, frugalité et succès mais aussi platane, candidat, bureau sans oublier tsimtsoum ou gyrovague ! De quoi nourrir les textes que vous allez écrire pendant le confinement n°2 ou n°3 ! (dans les ateliers d’écriture, on propose souvent en guise d’entraînement de composer un texte en y introduisant quelques mots improbables, je vous en propose quelques-uns !)

PS 2 / Alain Caillé vient de publier sur le site des Convivialistes une intéressante analyse de nos « guerres civiles larvées » en s’appuyant sur la théorie du don et celle de la reconnaissance. A lire ici.

Des pistes pour une pratique imaginative de la participation

Les élections municipales ont placé à la tête des communes des élus souvent favorables à la participation des citoyens. Le passage à l’action est un art périlleux ! quelques pistes pour ne pas choisir entre URGENCE et IMPORTANCE !

Les élus nouvellement installés sont confrontés au dilemme classique entre urgence et importance. On le sait d’avance, c’est l’urgence qui gagne à chaque fois ! Or l’urgence conduit à faire avec les moyens du bord sans rien changer aux pratiques, même lorsqu’elles ne sont pas jugées satisfaisantes. On tombe alors dans le cycle bien connu de la défiance réciproque : les démarches mises en œuvre souffrent des mêmes défauts qu’avant et sont donc déceptives ; les citoyens qui espéraient des changements contestent ou se rétractent, les agents et les élus face à ces réactions vont vite perdre leur enthousiasme. Beaucoup d’énergie aura été déployée en pure perte ou presque.

Comment sortir de ce cercle vicieux ? En transformant l’importance en urgences ! Urgence-s au pluriel parce que l’importance est toujours trop énorme trop protéiforme pour s’insérer telle quelle dans les logiques de l’urgence.

Pour cela il faut démontrer que ces « urgences de l’importance » sont autant de raccourcis créatifs pour aller plus vite dans l’établissement d’un nouveau contrat démocratique, d’une nouvelle relation entre élus, services, citoyens, acteurs sociaux… La définition du contrat démocratique ne doit pas être vue comme un préalable en raison de son importance mais comme une succession de rendez-vous qui vont à chaque fois rendre plus fluide la mise en œuvre de tous les chantiers urgents grâce à une montée en puissance de la qualité de la relation (vision partagée, confiance dans l’organisation mise en place…). Continuer la lecture de « Des pistes pour une pratique imaginative de la participation »