Giscard, ou pourquoi j’ai toujours fait de la politique… sans en faire

Le décès de Valéry Giscard d’Estaing m’a replongé dans mon éveil à la politique. Une occasion de (re)dire ce que j’ai toujours cherché dans la politique sans l’y trouver mais sans jamais renoncer non plus à introduire, là où je suis, les germes d’un autre imaginaire…

Pourquoi écrire à propos de Giscard dans ce blog ? Il n’y a évidemment aucun intérêt à produire un énième portrait d’un président que l’on se plait à découvrir plus modernisateur qu’on ne l’a vu à l’époque. Inutile aussi de proposer un nouveau parallèle entre la présidence de Giscard et celle de Macron. Faussement décalé de se focaliser sur notre manie de trouver les hommes politiques plus intéressants morts que vivants.

Si j’ai malgré tout envie de parler de Giscard c’est parce que je lui dois mon entrée en politique ou plus exactement mon maintien permanent à l’entrée de la politique, à la fois passionné de politique et toujours en marge. Spectateur engagé pour reprendre la formule de Raymond Aron ou plutôt « praticien réflexif » d’une approche sociétale de la politique. Pascale Puechavy, avec qui je travaillais quelques années au moment des Ateliers de la Citoyenneté m’avait dit sur le chemin du café de la Guillotière où nous commencions nos journées (c’est très précis dans ma mémoire) : « Au fait Hervé, ce week-end, des amis me demandaient ce que je faisais en ce moment, et j’ai répondu spontanément : « je travaille avec un homme politique ». Ça m’est venu comme ça, j’espère que ça ne te gêne pas ?! ». La réponse que Pascale avait faite à ses amis m’avait d’abord paru incongrue mais à la réflexion, je l’avais trouvée assez juste. En fait oui, je pouvais assumer d’être une forme bizarre d’homme politique. Et cette position à l’orée de la politique, je la dois clairement à ma première rencontre avec la chose publique, en 1974.

Je n’avais pas encore 14 ans mais j’étais déjà sensibilisé par un père très attentif à l’actualité. Je me souviens que la mort de Pompidou m’avait touché. Le pays perdait son « père », bourru et chaleureux, successeur naturel de notre premier monarque républicain. Tout à coup, il n’y avait plus d’évidence. J’ai trouvé à ce propos que, dans les hommages convenus à VGE, on a un peu trop oublié qu’au départ il y avait deux voies de succession possible. Chaban avait spontanément ma préférence : plus de panache, plus de désir de dépasser les limites du conservatisme. Mon père était pour Giscard, son libéralisme et sa jeunesse lui correspondaient bien. Un autre grand oublié des médias a aussi beaucoup compté pour moi pendant les trois longues dernières années du septennat giscardien : Jean-François Deniau que l’on évoquait régulièrement pour Matignon sans que jamais Barre ne soit finalement remercié. Il avait été navigateur, il fut académicien, j’aurais aimé qu’il donne du souffle à une politique qui s’ensablait dans la gestion des crises (déjà !).

Malgré ces envies de chemins de traverse, comment aurais-je pu échapper à une forme de séduction pour le Président alors que pendant toutes ces années je n’ai cessé d’entendre les gens autour de moi comparer mon père à Giscard : « c’est fou ce qu’il lui ressemble, tu ne trouves pas ?! ». À quoi je répondais invariablement que je trouvais que mon père ressemblait bien davantage au Piccoli de Vincent, François, Paul et les autres… Giscard, forcément, pour moi, c’est un peu une figure paternelle. L’intelligence et la séduction.  Sciences Po m’a donc très tôt paru plus désirable que la reprise de l’entreprise familiale, sans que j’ai l’impression de trahir mon père puisque nous avions la politique en partage.

Alors pourquoi n’ai-je pas franchi le pas et choisi la « carrière politique » ? Sans doute parce que dès cette époque, je n’ai pas trouvé mon compte dans la politique telle qu’on la pratiquait. Il y manquait de la vision, un idéal que je ne voyais pas à gauche non plus. Le programme commun me semblait bêtement étatiste et à contrecourant de mes aspirations à l’émancipation (je ne connaissais pas encore le mot d’empowerment mais c’était ça que je recherchais). Ni la gauche ni la droite ne répondaient vraiment à mes aspirations, j’étais donc centriste par défaut.

Plus tard j’ai compris aussi ce que je n’aimais pas dans les tentatives empruntées et gênantes de Giscard pour se rapprocher du peuple : il rompait avec le nécessaire symbolisme du pouvoir. J’ai déjà eu l’occasion de partager ce point.

Pierre Legendre[1], dans un entretien paru dans Le Monde[2], disait fortement : « Maintenant, le pouvoir revendique sa propre disparition. On voit un ancien président de la République [Valéry Giscard d’Estaing] écrire qu’il a souffert d’être séparé de ses concitoyens. C’est-à-dire qu’il ne supportait pas sa fonction. Ce même président avait pris la manie de s’adresser, à la télévision, à ceux qu’il gouvernait au singulier… « Madame, Mademoiselle, Monsieur « , pour moi, c’est le comble. […] Il laisse entendre qu’il est mon président, à moi qui l’écoute. Il n’est pas mon président, il n’est le président de personne en particulier, il est le président de la République française, de la nation française. En détruisant la mise à distance symbolique du pouvoir, il commettait une faute grave contre le véritable fondement de la démocratie, qui repose sur la représentation, sur une mise en scène. ». Il poursuivait : « La mise en scène est une mise à distance, et une mise en miroir qui permet la respiration, qui permet aux individus et aux groupes de se trouver, de se constituer en se séparant de leur propre image. Alors que la prétendue convivialité, déthéâtralisée, déritualisée, casse l’humain, détruit les individus en les laissant seuls face au néant. Démerde-toi, drogue-toi, suicide-toi, c’est ton affaire, il y aura des garagistes qui répareront si c’est réparable, et des flics si besoin est. »

Ces derniers jours, je n’ai vu aucun éditorialiste reprendre ce point de la dé-symbolisation de la politique introduit en France par Giscard, sauf pour s’amuser de sa « campagne à l’américaine » ou de ses dîners avec les éboueurs de Paris. Il est pourtant fondamental. Et bien sûr paradoxal pour moi qui ai consacré beaucoup de temps à la nécessaire reconnaissance de l’initiative citoyenne. Comment peut-on être à la fois pour une forme de mise à distance du politique et pour une participation plus intense des citoyens à l’exercice du pouvoir ? Peut-on vouloir à la fois des responsables politiques plus visionnaires que gestionnaires – d’où mon goût pour inventer les discours qu’ils pourraient tenir – et des citoyens plus entreprenants et plus écoutés ? Pour moi il faut démultiplier le pouvoir plutôt que chercher à le transférer. « Tout le pouvoir aux Soviets », on sait ce qu’il est advenu des gens sous le régime mis en place par ceux qui ont inventé ce slogan. Certains zélateurs de la démocratie directe d’aujourd’hui perdent de vue l’utile complémentarité conflictuelle des pouvoirs. Rosanvallon l’avait bien dit quand il prônait une « démultiplication des  voies d’expression de l’intérêt général ».

Giscard, premier énarque au pouvoir, a bien été un modernisateur mais d’un modernisme technocratique. Il est significatif pour moi qu’il n’ait jamais réussi à engager la France dans la décentralisation, malgré le rapport Guichard (autre grand oublié des hommages) qui préfigurait avec cinq ans d’avance la décentralisation que mènerait Defferre. La suite de l’histoire est connue : la gauche rocardienne qui était la plus apte à changer notre rapport au pouvoir n’a jamais réellement eu les mains libres et notre pays est resté cette monarchie que tous critiquent pour prendre le pouvoir et dont chacun des présidents s’est accommodé, Mitterrand plus encore que les autres.

Inlassablement je continue d’être un « homme politique » au service de pouvoirs émergents, d’une puissance d’agir plus partagée. Assistance à maîtrise d’usage pour aider les habitants à inventer des modes de vie plus conviviaux, living lab pour développer le pouvoir d’agir alimentaire des citoyens-consommateurs, écriture de récits alternatifs au grand récit de la métropolisation, travail sur la raison d’être d’une entreprise qui cherche une voie vers l’économie régénératrice  : les dossiers sur lesquels je travaille en ce moment sont pleinement politiques, tout en restant aux marges de la politique. Et si, en réalité, ils étaient au cœur de la politique quand trop de responsables politiques ne sont finalement que des gestionnaires de crise, reléguant sans cesse l’ambition politique à des jours meilleurs sans se rendre compte que, ce faisant, ils rendent toujours plus nécessaires – et toujours moins probables – les transformations profondes qu’exigent les tempêtes devant nous ? Nous sommes nombreux à écrire d’autres récits politiques, sous les radars. Nous tramons jours après jours d’autres imaginaires, d’autres mondes possibles.

Je dois au Giscard de 1974 l’énergie et la croyance naïve que l’on peut toujours réinventer la politique ; je le fais sur des chemins de traverse, bien loin de la trajectoire Sciences Po-ENA sur laquelle je m’orientais en ce milieu des années 70 mais avec un enthousiasme qui ne se dément pas au seuil de la soixantaine. Merci Giscard d’avoir rendu brillante  et attractive  la politique à mes yeux d’adolescent, merci tout autant de ne pas m’avoir suffisamment séduit pour que j’ai à inventer ma propre « carrière » politique !

 

[1] Pierre Legendre, Leçons VII, Éd. Fayard, 1998. De la Société comme Texte. Linéaments d’une anthropologie dogmatique, Éd. Fayard, 2001

[2] in « L’humanité a besoin de l’ombre pour échapper à la folie », Le Monde, 22 avril 1997

Convention citoyenne pour le climat : une autre !!

Le bilan de la Convention citoyenne pour le climat que je propose amène à dire qu’il faut dès maintenant prévoir une nouvelle convention !

Adepte de longue date du tirage au sort pour renouveler la démocratie et co-rédacteur de la lettre ouverte qui a incité le président de la République à créer la Convention citoyenne, je me suis bien sûr réjoui que cette pratique démocratique trouve enfin une reconnaissance au plus haut niveau. Il faut souligner la responsabilité avec laquelle les citoyens se sont acquittés de leur tâche montrant cette fois de manière largement médiatisé ce que tous ceux qui ont animé des jurys citoyens savent : la compétence initiale n’est pas nécessaire à la qualité de la délibération démocratique. Cette reconnaissance est la vraie nouveauté et devrait faire des jurys tirés au sort une des formes habituelles de la démocratie, si le président confirme bien son souhait de créer de nouvelles conventions sur d’autres sujets. Même si je suis convaincu de l’effet positif que peut avoir la démarche sur nos pratiques démocratiques et même sur la lutte contre le dérèglement climatique, il me semble important de voir les limites de l’exercice dans sa forme actuelle pour tenter de l’améliorer afin qu’il devienne pleinement légitime aux yeux du plus grand nombre. Il est donc intéressant de repartir des critiques qui ont été formulées pour voir ce qui peut servir à avancer.

Sans prétendre être exhaustif, voici une liste de critiques qui ont été formulées sur la production de la convention et donc les 149 propositions. Il y a en effet des critiques sur le principe même du recours à la Convention mais ce ne sont pas celles qui m’intéressent ici puisque je cherche à voir comment améliorer le processus d’implication des citoyens dans l’action publique.

  • 1/ La convention n’a fait que reprendre des propositions faites depuis longtemps par les experts de l’écologie, c’est une perte de temps
  • 2/ Elle propose des mesures sans qu’on sache si elles répondent à la commande de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici à 2030 faute d’évaluation de l’impact des mesures proposées
  • 3/ Elle fait un usage punitif du droit en multipliant les interdictions
  • 4/ Elle ajoute de nouveaux outils juridiques alors que le souci est plutôt d’appliquer ceux qui existent déjà
  • 5/ Elle limite ses propositions à des actions qui impactent la vie des gens sans introduire les transformations structurelles nécessaires
  • 6/ Elle ne remet pas en cause la commande initiale en en relevant les impasses

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2021-2031, retour sur le succès de l’Inode

Nous sommes en 2031. Le « Grand confinement » est déjà de l’histoire ancienne mais il n’est pas inutile de se rappeler comment on a réussi à s’en sortir en réinventant le monde rural. C’est bien sûr l’aventure de l’Inode… D’où cette interview d’E. Macron, l’ancien président français.

Une interview exclusive avec l’ancien président Emmanuel Macron

Amiens, 1er juin 2031

 

Monsieur Macron, vous avez quitté la présidence de la République il y a maintenant 4 ans vous avez accepté cette interview alors que vous avez strictement respecté votre engagement de ne plus participer à la vie politique depuis votre départ de l’Élysée en 27. Vous faites une exception pour les 10 ans du lancement de l’Inode. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?

Parler de l’Inode aujourd’hui, 10 ans après son lancement, c’est important pour que les plus jeunes mesurent bien à quel point nous sommes passés près de la catastrophe et que cette vigilance est toujours nécessaire. Rappelez-vous le grand confinement de 2020 ! le printemps où l’économie s’est arrêtée pour laisser la priorité à la vie, où toutes nos certitudes sur l’inéluctabilité de la marche du monde ont vacillé. Rappelez-vous aussi les mois qui ont suivi, les tentatives ratées de relance des fleurons de notre économie d’alors, l’automobile et l’aéronautique. C’est loin aujourd’hui ! Mais à l’époque on imaginait que tout allait repartir, non pas comme avant, mais avec un verdissement progressif de ces industries qu’on jugeait alors essentielles. Dès la fin de l’année pourtant, on a compris que la consommation ne repartait pas malgré les primes à l’achat et les milliards accordés. L’espoir du timide redémarrage de juin, lorsque les commerces et surtout les restos avaient rouverts, s’est vite envolé. Les annonces des plans de restructuration dès la fin mai, la fin du chômage partiel en juin ont poussé les français à mettre de l’argent de côté malgré les appels répétés à la relance de la consommation. L’épargne des ménages, pendant le confinement avait augmenté de 55 milliards d’euros. Non seulement ces sommes ne sont pas revenues dans la consommation mais des milliards supplémentaires se sont accumulés sur les livrets A des Français.

Comment en êtes-vous venu à proposer l’idée d’inode ? C’était plutôt en rupture avec tout ce que vous aviez engagé depuis votre élection, non ?! Continuer la lecture de « 2021-2031, retour sur le succès de l’Inode »