la vérité de Fillon, une fiction ?

 

Incroyable moment politique ! c’est comme si nous regardions une fiction à la télé dont on connait le dénouement mais que les protagonistes évidemment ignorent. On se trouve en position de surplomb, attendant la chute inéluctable. Toutes les paroles dites semblent des répliques. Elles sont d’ailleurs répliquées d’un acteur à l’autre. Et tous récitent le même texte avec si peu de variantes (et de conviction) que l’artifice est encore plus patent. « Nous n’avons qu’un candidat dont l’honnêteté ne saurait être mise en cause ». « Nous irons jusqu’au bout ». « il n’y a pas de plan B »…
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Téléréalité politique

Alain Juppé hier, le président de la République il y a quelques jours. La télé met « des Français » face aux politiques. Une dérive ? ou une recomposition inaboutie ?

Je lis depuis quelques temps une nouvelle publication en ligne The conversation, un ovni médiatique qui cherche à traiter l’actualité en faisant travailler ensemble journalistes et universitaires. Les papiers sont en règle générale plutôt courts pour des universitaires et plutôt longs pour des journalistes, ce qui est bon signe dans les deux cas ! Cette aventure éditoriale est née en Australie face à la faiblesse de la presse et se développe dans plusieurs pays dont la France sous la responsabilité de Didier Pourquery ancien du Monde.

J’y ai trouvé ces derniers jours une cartographie plutôt bien faite des enjeux de l’économie du partage, plusieurs papiers sur les suites de la COP 21, une proposition d’alternative au vote assez convaincante,…

C’est donc avec confiance que je me suis tourné vers un papier intitulé : La téléréalité a exporté ses méthodes et sa vision de la société dans les émissions politiques

Evidemment intéressé par ce sujet au carrefour de la politique et de la communication, j’y trouve hélas, au travers de la critique classique de la personnalisation du débat politique, un refus très « républicain » de toute expression personnelle. Dans l’espace public seuls les citoyens seraient admis, les citoyens étant ceux qui laissent de côté toute dimension personnelle ou professionnelle pour ne plus proférer que des propos dictés par l’intérêt général. Je caricature ?

Voici quelques extraits qui montrent bien la vision de l’auteur :

Le problème de l’identité comme mode représentationnel est qu’il est morcelé et excluant, ante ou antipolitique, du moins anti républicain, puisque dans res publica, il y a la chose commune et l’intérêt général. Mais pour qu’intérêt général il y ait encore faut-il réaffirmer la césure certes non étanche entre « personne » et « citoyen ».

(on notera juste la concession sur la non-étanchéité de la « césure ».)

Une personne répond à une autre personne. Un individu qui aurait le pouvoir répond à celui qui n’en aurait pas et vient soumettre ses doléances très personnelles, étendues à la limite à ses semblables sociologiques, qui peut-être se reconnaîtront en lui, peut-être pas : aucun mandat ne lui a été donné.

Il n’y a plus de fonction mais des hommes, il n’y a plus de citoyens, mais des personnes, il n’y a plus de pensée, mais de l’affect, il n’y a plus d’institutions et de séparation des espaces, mais des spectacles où tout est confondu.

Je ne défends pas la manière dont se passent aujourd’hui ces émissions. J’ai déjà dit ici combien l’exercice était impossible https://www.persopolitique.fr/677/le-president-face-aux-francais-et-si-on-essayait-avec/. Je proposais qu’on sorte du face à face pour tenter, de temps en temps, le pas de côté. La politique devrait aussi pouvoir être une manière de regarder un problème ensemble, citoyens et responsables politiques. Je me le disais encore en regardant Alain Juppé sur Canal+, incapable de rebondir sur la parole de personnes venues échangées avec lui. Il se contentait de « répondre » par les mesures qu’il allait prendre s’il était élu (ce qui ne semblait plus faire beaucoup de doute dans son esprit). A aucun moment, il n’en est venu à « échanger » pour tenter d’imaginer en situation quelque chose de neuf. Questions (des citoyens) / Réponses (des politiques), pas d’alternatives au jeu de la représentation politique.

Si je reviens au papier de The conversation, il ne semble y avoir d’autres remèdes à la dérive vers la télé-réalité que la réaffirmation de la césure entre « citoyen » et « personne ». Outre que c’est inenvisageable (et d’ailleurs pas envisagé mais seulement déploré par l’auteur – qui n’est autre que Mazarine Pingeot mais je ne voulais pas le dire d’emblée pour ne pas créer d’a priori sur  ce qui est dit), ce serait une régression.

Je suis en effet persuadé que l’irruption des « personnes » dans l’espace public est une bonne chose, même si c’est dérangeant. Les « personnes » ce sont en fait des citoyens incarnés. Les « républicains » voudraient des citoyens abstraits, sans affects. Mais ça n’existe pas ! Et heureusement ! Les citoyens sont pour autant capables de s’abstraire de leur cas personnel pourvu que le dispositif dans lequel ils parlent le permette. Les Ateliers de la Citoyenneté l’ont bien montré. Rien de plus pénible que les personnes qui veulent parler « en citoyens ». Souvent, ces personnes se contentent de véhiculer des opinions certes générales mais toutes faites (vision idéologique et partisane, vulgate médiatique construite d’une accumulation de JT mal digérés,…). A l’inverse, combien de fois des échanges, vrais, profonds et créatifs se sont développés autour d’une expérience personnelle relatée avec le bon mélange d’émotion et de raison ! (la personne tirant elle-même de son récit les premières pistes de progrès qu’elle proposait à une assemblée attentive et toujours sensible à ces moments de vérité et du coup extrêmement constructive dans l’échange qui s’enclenchait).

Il faut donc une télévision inventive pour accompagner la montée en généralité des propos. La vie, la vraie, est une intrication (et non une confusion) de « personnel » et de « citoyen ». Chacun d’entre nous devrait s’exercer à passer d’un registre à l’autre, à nourrir sa réflexion politique de ses expériences (pour avoir une parole plus vraie), à nourrir sa vie de ses débats politiques (pour construire des solutions concrètes). Et les politiques, plutôt que de succomber à une personnalisation/peoplisation, devraient eux aussi mieux naviguer entre logique de représentation (forcément à distance) et logique d’élaboration collective (nécessairement en empathie). Les plateaux télé ne sont sans doute pas les lieux les plus adaptés à ce dernier exercice mais il faut pourtant s’y risquer. Les autres approches sont des impasses : la distance républicaine passe pour de l’indifférence ; la connivence « people » ne fait plus illusion. Entre les deux, il peut sans doute y avoir une téléréalité politique mais elle reste à inventer ! Cette « réalité » sera forcément « construite » – et donc pour une part factice – mais n’oublions pas qu’il y a TOUJOURS une part de jeu, même dans la représentation politique. Ce n’est pas un hasard si le même mot de « représentation » est utilisé pour le théâtre et pour la politique. Alors inventons !

 

une architecture hors du commun

Le titre de ce billet peut laisser penser que je porte aux nues une réalisation architecturale… Vous comprendrez en lisant le texte qu’il n’en est rien. Hélas, j’utilise l’expression « hors du commun » au premier degré !

Je n’avais pas vu le pavillon France de l’exposition universelle de Milan. Je n’avais entendu que des bribes plutôt positives sur l’agence d’architecture très Développement Durable. Mon a priori était donc plutôt positif… même si je trouve quand même bizarre de consacrer 90 % du budget du pavillon français au contenant et 10 % seulement au contenu. Mais un bâtiment peut faire sens, je ne vais pas dire  le contraire, avec une femme qui travaille depuis des années sur le  bâtiment public comme média politique !

pavillon-france-expo-universelle-milan-2015Le-Cube-orange-a-la-ConfluenceDonc je n’avais pas vu ce bâtiment  quand je suis tombé sur une  photo dans l’Obs du 30 avril qui me pousse à écrire ce billet, moi qui n’ai aucune compétence en architecture. Je suis simplement  frappé par une évidence : j’ai déjà vu ce bâtiment ! on l’a décrit comme un bâtiment en bois  aux panneaux entrecroisés revisitant les principe des halles de Baltard… Ce  que je  vois est très différent. Je vois une vaste boîte, un  parallépipède sans toit ni portes et fenêtres, évidé de quelques trous comme un gros morceau de gruyère – ou plutôt d’emmental puisque le vrai gruyère n’a  pas de trous (photo de  gauche). Et cette forme, je l’ai vue déjà à plusieurs reprises dans le quartier branché de la Confluence à  Lyon. Notamment avec le Cube orange (photo de droite).

 

Bâtiment_Confluence_Conseil_Régional_LyonUne variante de cette forme est fournie par le conseil régional de Rhône-Alpes dessiné par Portzemparc  qu’on connut mieux inspiré, toujours à la Confluence.  Là le fromage n’est pas troué, il est simplement évidé et vitré dans sa partie creuse. Le paralépipède  est intact. Variante encore, beaucoup plus belle celle là, c’est le « parallépipède emballé »,avec  le MuCEM de Marseille, la résille qui le recouvre mettant en scène  magnifiquement le paysage de la baie de Marseille.

Que nous dit cette architecture de hangars qui fait rentrer en centre-ville la forme pourtant honnie des grandes surfaces des zones commerciales ? Elle  est pour moi d’abord un refus du commun. Pas au sens du sans valeur, du vulgaire, mais au sens politique du partagé par tout un chacun. ??????????????????????????????????????????????????????????????????????Que dessinent les  enfants spontanément comme maison ? même  ceux qui habitent en immeuble, dessinent la plupart du temps une maison avec un toit, des fenêtres et une porte. Souvent cette porte est prolongée par un chemin d’accès qui montre que la maison est reliée au monde, que son accès est visible et important puisqu’on prend la peine de l’ajouter comme faisant partie naturellement de « la maison ». Cette architecture à la mode refuse ce commun-là : pas  de toit ni de de porte visibles et accueillants. Les « trous » ne marquent pas les portes, ce ne sont que des accidents dans la façade, des animations. Longtemps, on a animé sur les façades, les portes  et les toits, ces symboles essentiels de l’architecture, le toit comme abri, la porte comme seuil.

Beaucoup de critiques ont déjà été faites à l’architecture-star. Je ne suis pas ici sur ce registre. On sait que l’architecture starifiée conduit déjà à de graves dérives : le refus du contexte, l’absolutisation du geste architectural comme celui d’un artiste (cf. le combat que Jean Nouvel a lancé  contre la philharmonie de Paris qui ne respecterait  pas son œuvre). Je ne relève pas ici la  mégalomanie des architectes, elle est ancienne. Je veux pointer leur « désymbolisation » de l’architecture. Le symbole n’est pas  quelque chose dont on s’affranchit à la légère. C’est étymologiquement ce qui nous « jette ensemble » (syn bolein) opposé à ce qui nous divise, nous jette en tous sens (dia bolein). Eh oui, l’opposé du symbolique, c’est le diabolique, on l’oublie trop dans nos sociétés sécularisées !

Que nous dit la focalisation actuelle sur les façades, sur « la peau » des bâtiments ? Beaucoup d’archis nous disent que c’est la respiration du dedans et du dehors. C’est vrai que, comme la membrane d’une cellule, la façade protège du dehors et, de plus en plus, grâce aux transparences, aux porosités, communique avec l’extérieur. Symboliquement pourtant cette communication est la plupart du temps à sens unique, de l’intérieur vers l’extérieur et non de l’extérieur vers l’intérieur. Même sans ces horribles verres-miroir qui ont recouvert les  tours depuis  des décennies, la transparence du verre n’empêche pas les reflets !

Le Conseil Régional Rhône-Alpes  qui devait être ouvert sur la ville  grâce à ses grandes surfaces vitrées, ne l’est en fait pas vraiment. On voit plus la ville se refléter sur la façade que la rue intérieure du bâtiment. De même, la résille du MuCEM fait un superbe moucharabié de l’intérieur mais ressemble à une cotte de mailles à l’extérieur. L’idéologie du dedans-dehors masque en fait une aggravation de la séparation entre le dedans et le dehors, puisque la transparence et la porosité ne  sont en fait qu’au bénéfice de ceux qui sont dedans. Le principe affiché de communication et d’ouverture se traduit par une réalité bien différente, faite de fermeture et d’entre-soi.

J’avais fait il y a quelques années une comparaison entre la burqa et les vitres fumées des voitures, deux signes d’une même privatisation de l’espace public, de refus d’être avec les  autres alors même qu’on est de fait avec les autres dehors dans la ville.  Je trouve regrettable qu’une certaine mode en architecture contribue aussi à cette séparation, à ce refus de fait du commun.