Convention citoyenne pour le climat : une autre !!

Le bilan de la Convention citoyenne pour le climat que je propose amène à dire qu’il faut dès maintenant prévoir une nouvelle convention !

Adepte de longue date du tirage au sort pour renouveler la démocratie et co-rédacteur de la lettre ouverte qui a incité le président de la République à créer la Convention citoyenne, je me suis bien sûr réjoui que cette pratique démocratique trouve enfin une reconnaissance au plus haut niveau. Il faut souligner la responsabilité avec laquelle les citoyens se sont acquittés de leur tâche montrant cette fois de manière largement médiatisé ce que tous ceux qui ont animé des jurys citoyens savent : la compétence initiale n’est pas nécessaire à la qualité de la délibération démocratique. Cette reconnaissance est la vraie nouveauté et devrait faire des jurys tirés au sort une des formes habituelles de la démocratie, si le président confirme bien son souhait de créer de nouvelles conventions sur d’autres sujets. Même si je suis convaincu de l’effet positif que peut avoir la démarche sur nos pratiques démocratiques et même sur la lutte contre le dérèglement climatique, il me semble important de voir les limites de l’exercice dans sa forme actuelle pour tenter de l’améliorer afin qu’il devienne pleinement légitime aux yeux du plus grand nombre. Il est donc intéressant de repartir des critiques qui ont été formulées pour voir ce qui peut servir à avancer.

Sans prétendre être exhaustif, voici une liste de critiques qui ont été formulées sur la production de la convention et donc les 149 propositions. Il y a en effet des critiques sur le principe même du recours à la Convention mais ce ne sont pas celles qui m’intéressent ici puisque je cherche à voir comment améliorer le processus d’implication des citoyens dans l’action publique.

  • 1/ La convention n’a fait que reprendre des propositions faites depuis longtemps par les experts de l’écologie, c’est une perte de temps
  • 2/ Elle propose des mesures sans qu’on sache si elles répondent à la commande de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici à 2030 faute d’évaluation de l’impact des mesures proposées
  • 3/ Elle fait un usage punitif du droit en multipliant les interdictions
  • 4/ Elle ajoute de nouveaux outils juridiques alors que le souci est plutôt d’appliquer ceux qui existent déjà
  • 5/ Elle limite ses propositions à des actions qui impactent la vie des gens sans introduire les transformations structurelles nécessaires
  • 6/ Elle ne remet pas en cause la commande initiale en en relevant les impasses

Ces six critiques ne peuvent pas être balayées d’un revers de main comme un refus de voir les citoyens entrer dans le jeu politique autrement que par l’élection de leurs représentants. Beaucoup de ceux qui les ont formulées reconnaissent l’utilité de la Convention, je pense particulièrement à François Gemenne mais aussi à Arnaud Gossement qui, après avoir été un peu abruptement critique sur les ondes a produit une analyse plus nuancée dans AOC qui mérite d’être lue.

1/ La première critique – le déjà-vu – serait vraie dans un monde purement rationnel mais on sait qu’il ne suffit pas de dire les choses pour qu’elles se fassent. Oui, les écologistes proposent depuis longtemps de modifier les pratiques agricoles ou nos modes de déplacement mais on sait que ça ne devient possible que si un effort d’appropriation des enjeux et des mesures pour y répondre est fait par ceux qui seront directement affectés. C’est justement l’intérêt des dispositifs participatifs que de permettre de se confronter aux problèmes en sortant des yakas que l’on a l’habitude de proférer dans les discussions entre amis. Le premier mérite de la convention est d’être un exercice de responsabilité où l’on ne peut pas dire n’importe quoi. Le second est de permettre la réduction des désaccords par le dialogue. Cette maturation prend du temps. Ce temps n’est jamais perdu puisqu’il est indispensable pour que l’action se concrétise. Des bonnets rouges aux gilets jaunes, on a bien vu qu’on ne pouvait pas passer en force.

2/ La seconde critique concerne l’efficacité des mesures proposées. Alors que le gouvernement a demandé des mesures permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici à 2030, on ne sait pas si en faisant tout ce qui est demandé on atteint ou non l’objectif faute d’une évaluation réelle (on a simplement une gradation des mesures avec une, deux ou trois étoiles). Alors qu’on s’est beaucoup arrêté sur le fait de savoir si les mesures étaient juridiquement applicables, on s’est finalement peu posé la question de leur efficacité. C’était pourtant le bon moment pour se rendre compte de l’impact sur les modes de vie des engagements pris en 2015 (il y a déjà 5 ans !). Que faut-il changer pour être à la hauteur du défi ? Avec la convention, on n’a toujours pas la réponse, d’autant plus que l’objectif fixé par le premier ministre n’évoquait pas le seul objectif réellement pertinent, la neutralité carbone à l’horizon 2050  (division des émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à six entre 1990 et 2050) qui figure pourtant dans la loi (article L.100-4 du code de l’énergie). L’objectif de réduction à 2030 peut même être contreproductif s’il n’installe pas notre système productif dans une trajectoire de neutralité. Nous y reviendrons car ce point est clé.

3/ La troisième critique est celle sur laquelle on a le plus insisté dans les médias : la multiplication des interdictions. Interdiction de la vente des véhicules les plus polluants, de certaines publicités, des enseignes lumineuses, des terrasses chauffées dans les bars et restaurants et bien sûr la limitation de la vitesse sur autoroute à 110 km/h qui a servi de chiffon rouge pour les éditorialistes et à laquelle le président a prestement décidé de ne pas donner suite alors que son efficacité serait pourtant réelle. Mathilde Imer, sur le plateau de Karim Rissouli, avait raison d’insister sur le fait que les interdictions prévues étaient en règle générale accompagnées de mesures facilitant leur acceptation mais l’impression d’ensemble a bien été celle de contraintes nouvelles sans mise en perspective. C’est le risque couru avec l’accumulation de mesures qui finit par créer un effet catalogue.

4/ La quatrième critique pointe un problème corrélé au précédent : notre droit est déjà encombré de mesures inappliquées (on en est même venu à inventer le concept sidérant de « droit opposable » en matière de logement tant le droit « ordinaire » reste lettre morte). Dans le domaine environnemental, les règles inappliquées et/ou très récentes sont nombreuses en matière d’alimentation, de mobilité, d’énergie, d’économie circulaire… Arnaud Gossement a raison de dire : « L’urgence aujourd’hui est d’appliquer ces normes, de lever les blocages et d’y consacrer les moyens matériels et humains nécessaires. En d’autres termes, l’urgence n’est plus à notre sens de remplir la boite à outils mais de s’en servir. ». Sur certains points, la convention a bien pris acte des textes existants en cherchant à voir comment les rendre plus opérants. C’est le cas par exemple avec la loi Egalim de 2018 sur les négociations avec la grande distribution. On propose d’impliquer la direction de la concurrence (la DGCCRF), d’organiser des tables rondes semestrielles et de renforcer les règles de transparence. Au droit on rajoute du droit ! Pas sûr que ce surplus de réglementation soit pleinement efficace et pas sûr non plus que les citoyens ne se perdent pas dans ce niveau de technicité.

5/ Avec la cinquième critique, on arrive au cœur du problème : les gens ordinaires prendraient les problèmes de leur point de vue de citoyen et peineraient à s’intéresser aux logiques systémiques. C’est l’argument de François Gemenne dans Le Monde : « Les citoyens se sont surtout demandé ce qu’ils pouvaient faire, plutôt que ce que l’Etat pouvait faire. Ainsi, les conclusions sont muettes ou très évasives sur le mix énergétique, le commerce international, la finance et les investissements, ou encore la taxe carbone. Une réduction efficace des émissions de gaz à effet de serre ne pourra pourtant s’opérer qu’au prix de transformations structurelles de l’économie : des changements de comportements individuels, si radicaux et nécessaires soient-ils, n’y suffiront pas. » S’il est vrai que les citoyens ont laissé de côté certaines questions comme celle du mix énergétique ou la taxe carbone, ils ne se sont pas limités aux seules actions qu’ils pouvaient faire eux-mêmes. Ils ont réfléchi aux enjeux agricoles et alimentaires de manière assez poussée en prenant en compte les logiques systémiques en travaillant à la fois sur la demande (et donc leur propre consommation) et sur l’offre (en prenant en compte les enjeux de filière et l’interaction production/distribution). On est donc bien au-delà des « écogestes » auxquels on cantonnait régulièrement l’implication des citoyens il y a peu. Pour autant, François Gemenne a raison sur le fait que l’on n’a pas réussi à prendre en compte pleinement les transformations structurelles à conduire. Ça nous conduit à la dernière critique.

6/ Les citoyens sont restés dans la commande. Ce qui leur est sans doute apparu comme le moyen le plus sûr d’être pris en compte par les politiques a fait perdre une bonne part de l’intérêt de la démarche de participation citoyenne. Questionner la question est une nécessité absolue dès que l’on veut penser par soi-même. Entrer dans la commande sans la discuter c’est renoncer à avoir un point de vue propre pour adopter le point de vue de celui qui vous interroge. Un exemple fameux de question trop orientée dans le champ de la concertation concerne le projet de troisième aéroport parisien. La question était « où pensez-vous que doit se situer » cet aéroport. Les participants à la concertation avaient refusé de limiter leur réponse à ce sujet et ils s’étaient d’abord interrogés sur la pertinence d’un troisième aéroport. Dans le cadre de la Convention, les citoyens n’ont pas questionné l’horizon qui leur était proposé et se sont appliqués à trouver des mesures qui réduisent l’émission de GES. S’ils s’étaient projetés en 2050, s’ils avaient tenté de décrire des modes de vie avec 6 fois moins d’émission de GES, ils se seraient rendu compte que la logique de réduction des émissions ne tenait plus. On peut vivre sensiblement de la même façon en économisant 20 à 30 % d’à peu près tout, en luttant contre le gaspillage, en faisant attention. Mais on voit bien qu’on ne peut pas vivre en divisant par 6 la quantité de ce qu’on mange. Ce qu’on a à faire dans le champ de l’alimentation – comme pour tout le reste – ce n’est pas (seulement) manger moins, mais manger autre chose ! On doit donc passer du quantitatif sur lequel on raisonne habituellement au qualitatif sur lequel on manque sérieusement de représentation. La convention est pour moi restée à côté de ce pour quoi elle aurait été le plus utile : nous aider à tracer un chemin consensuel des transformations de nos modes de vie. Comme le dit Michèle Debonneuil depuis longtemps : «Il faut satisfaire nos besoins tout autrement plutôt que faire un peu moins de la même chose. » Hélas, on sait à quel point elle peine à faire comprendre les enjeux de l’économie quaternaire. On parle de changement d’état quand l’eau se transforme en glace. La glace n’est pas de l’eau un peu moins liquide, c’est de l’eau solide ! Nous n’avons pas encore inventé le changement d’état de notre économie.  En restant dans la commande les citoyens ne pouvaient pas imaginer la glace, l’eau reste liquide, on a simplement moins d’eau.

Se raconter des histoires au « futur présent »

A travers toutes ces critiques, ce qui transparait, c’est qu’on a privilégié un objectif qui a fait perdre de vue l’enjeu réel. Tout a été fait pour que les propositions puissent être reprises sans filtre. Et ce faisant on s’est coulé dans le moule de la technicité et du juridisme du système qu’on cherche à changer… sans que le « sans filtre » soit garanti malgré les déclarations d’Emmanuel Macron. Le dilemme n’était pas simple : avoir une « mauvaise » copie qui pouvait être reprise sans filtre ou avoir une « bonne » copie qui aurait été rejetée ? Je veux ici me concentrer sur la Convention citoyenne et ne pas anticiper sur ce que va dire le président de la République le 14 juillet mais je crains que son lapsus sur la pelouse de l’Elysée n’ait laissé surgir sa vérité profonde (vous pouvez la retrouver à la 55ème minute de la vidéo de la cérémonie du jardin de l’Elysée qu’on trouve sur le site de la présidence) : il a parlé de « l’économie au cœur du système productif » (au lieu de l’écologie) alors même qu’il venait de marteler que l’écologie devait être au cœur du modèle économique.

Le dilemme du « sans filtre » a été tranché par les citoyens eux-mêmes. Leur choix est respectable et il est certain qu’il va faire progresser à la fois les pratiques démocratiques et l’agenda écologique. Pourtant il est essentiel de ne pas perdre l’enjeu de vue : rendre désirables des modes de vie renouvelés pour qu’on atteigne la neutralité carbone par des transformations profondes plutôt que par des restrictions toujours plus dures à accepter. Encore une fois se restreindre pas à pas jusqu’à diviser par 6 ses consommations d’énergie/matière ne me paraît pas une solution réaliste tant elle sera contraignante.

Que faire alors ? Convoquer d’urgence une nouvelle convention citoyenne et lui donner une mission complémentaire à ce que celle-ci vient de faire. Nous avons avec les 149 propositions ramenées à 146 une base pour nous mettre collectivement en mouvement et c’était essentiel après le sur-place des cinq années qui nous séparent de la COP 21. Nous devons maintenant, sans attendre la mise en place des mesures qui va nécessairement prendre du temps, enclencher la nouvelle étape : après avoir coché les cases de l’acceptabilité par une forme de soumission au juridisme classique, il est temps, avec une nouvelle assemblée citoyenne et avec des méthodes radicalement nouvelles, de se saisir du droit, de sa plasticité et de la créativité qu’il permet pour imaginer l’organisation du monde d’après. C’est un défi particulièrement stimulant. Nous devons réfléchir en termes de quotas d’énergie, de matière et sans doute d’alimentation afin d’avoir des règles justes, claires et efficaces ce qui ne peut être le cas avec une taxe carbone (Pierre Calame qui en est un fervent défenseur avait soumis ses propositions à la Convention mais n’a pas été entendu). Nous devons construire un droit de l’entreprise qui permette à toutes les parties de contribuer à la décision pour éviter que les actionnaires décident seuls de stratégies à rebours de ce qui est souhaitable. Nous devons reconnaitre que nous sommes des vivants participant à la vie d’une biosphère fragile et pour cela accorder des droits aux autres vivants, qu’ils soient des animaux, des arbres ou des fleuves. Nous devons surtout envisager tout autrement le droit de propriété pour qu’il évite l’accumulation des rentes avec un droit fondant dans le temps.

Sur tous ces sujets des propositions existent mais ne sont pas connues largement. Elles heurtent souvent le sens commun. Il faut donc découvrir ce que ces germes de changement peuvent amener comme renouvellement dans nos conditions d’existence et nos modes de vie. Il faut se raconter des histoires au futur présent. Se projeter en 2050 (une génération) et discuter avec celles et ceux qui y vivent comme si on avait été projeté dans le temps. Le futur quand il n’est pas incarné reste vaguement étrange et menaçant et toujours insaisissable. Une jeune étudiante ayant participé à un récit d’anticipation disait le mois dernier lors d’un exercice pour le T Camp du Campus de la transition : « j’ai eu l’impression de toucher le futur du doigt ». C’est ça que la nouvelle Convention doit pouvoir faire. Elle doit partir dans le futur et revenir au présent en nous disant le futur qu’elle propose de construire à partir de ce qu’elle aura découvert. Un futur qu’on puisse désirer. La nouvelle convention devra ainsi auditionner des juristes et des auteurs de science-fiction !

PS / J’ai rédigé un papier pour le blog de l’Imaginarium-s qui porte sur l’imaginaire, la science-fiction et le droit. N’hésitez pas à aller voir pour découvrir plus en détail comment le mariage de l’imaginaire et du droit pourrait être une des clés de la réussite de la transition écologique !

 

 

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Auteur/autrice : Hervé CHAYGNEAUD-DUPUY

Je continue à penser que l’écriture m’aide à comprendre et à imaginer.

 

Une réflexion sur « Convention citoyenne pour le climat : une autre !! »

  1. Voici un texte de Pierre Calame – avec qui je suis souvent en accord – qui exprime aussi son intérêt pour l’outil démocratique de la convention mais qui souhaite aller plus loin en mettant en place un référendum européen sur les quotas d’énergie.
    http://blog.pierre-calame.fr/post/2020/07/La-Convention-citoyenne-pour-le-climat%3A-quelles-le%C3%A7ons-pour-l-Union-europ%C3%A9enne-lettre-aux-d%C3%A9put%C3%A9s-europ%C3%A9ens

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