Une lettre de … 2064

Un peu de politique-fiction en cette rentrée morose ! Pour changer d’atmosphère, je vous propose de lire une lettre qui donne une vision positive de la démocratie … sans doute parce qu’elle n’a pas été écrite cette année mais en … 2064 !! Prenez 50 ans d’avance grâce à Persopolitique 😉

« La crise du système politique français impose un big bang institutionnel ». Ce titre d’une tribune publiée dans Le Monde daté du 10 septembre me laissait espérer une proposition décapante pour faire face aux impasses démocratiques dans lesquelles nous nous enfermons. Hélas, l’auteur, Thomas Clay, professeur de droit à Versailles, ne parlait que de réduire le nombre de députés, rendre le président pénalement responsable  ou réformer le conseil constitutionnel ! Des solutions parfaitement connues et conventionnelles. Pas en mesure de répondre aux enjeux par ailleurs bien pointés.

Pour avancer, nous ne pouvons nous contenter d’améliorations utiles mais à la marge, nous avons besoin d’un « saut créatif », comme disent les publicitaires ! En guise de texte de rentrée je vous propose donc ce texte d’anticipation qui donne à voir ce que pourrait être un système politique refondé sur le tirage au sort des députés. Les plus anciens lecteurs de ce blog savent que je réfléchis à ce sujet depuis longtemps ;au début, je me faisais rire au nez… mais depuis, nous sommes de plus en plus nombreux à nous intéresser à la capacité transformatrice du tirage au sort : Gil Delannoi, Yves Sintomer, Dominique Rousseau et bien d’autres ont écrit sur le sujet.

Le texte que je vous propose permet, je l’espère, de sortir du seul registre de la science politique en esquissant un nouvel imaginaire démocratique… (je reviendrai sur cette question de l’imaginaire démocratique dans un prochain billet)

Cher prédécesseur,

Nous sommes en 2064. J’ai le privilège de pouvoir m’adresser à  toi, lecteur qui vit en 2014, 50 ans avant que ces lignes aient été écrites. Ce courrier diachronique est un peu une bouteille à la mer mais certaines de ces bouteilles sont ouvertes et leur contenu compris… Nous avons en effet jugé important que ceux qui auront à vivre les grandes crises du début du XXIème siècle aient une vision de l’avenir… pour qu’ils soient en mesure de le construire !  Voici donc en quelques mots ce qu’il faut que tu saches pour que tu oses imaginer et bâtir une démocratie renouvelée.

Où en est-on aujourd’hui ? Le tirage au sort des députés est devenu la règle depuis maintenant seize ans. On a ainsi un gouvernement dirigé par un président élu (avec son équipe de quinze ministres) et un parlement dont une chambre est désignée par le sort. Ne hausse pas les épaules ! Ça marche bien et c’est parfaitement démocratique. N’oublie pas que les Athéniens ont pratiqué le tirage au sort pendant leur siècle d’or. Vos jurés d’assises qui décident de la liberté de leurs contemporains sont bien, eux aussi, tirés au sort.

Les mérites de ce mode de désignation des députés sont simples : l’assemblée est à l’image de la société, autant de femmes que d’hommes ; les professions, les origines sont diverses… les capacités aussi. J’entends déjà ta principale objection : tu te dis que tu n’aurais pas envie d’être député, que la politique n’est pas ton truc, que vous avez des élus dont c’est le boulot… Puis-je simplement te rappeler que ce sont justement ces élus et leurs successeurs immédiats qui ont laissé advenir les catastrophes dans lesquels vous vous êtes débattus pendant un quart de siècle : ça ne te fait pas réfléchir ?

Une chose est sûre, c’est que, nous, nous y avons réfléchi. Le tirage au sort a été retenu après un long débat qui a mobilisé toute la population. Chacun sentait qu’il fallait donner des bases nouvelles à la démocratie au sortir des catastrophes que nous avions vécues, qu’on ne pouvait plus se désintéresser de l’avenir commun. Au début, certains voulaient instaurer le referendum sur tous les sujets importants, d’autres voulaient une cyberdémocratie directe. Nous avons fini par comprendre que ces solutions séduisantes étaient trompeuses. La démocratie ne consiste pas seulement à décider chacun par oui ou par non, mais à poser avant tout les bonnes questions. Pour cela, rien ne remplace la délibération collective.

Dans une assemblée de 250 personnes tirées au sort, les débats sont passionnants et passionnés. Il faut voir la plupart des “tirés au sort” devenir en quelques semaines des pros de l’argumentation sur des sujets aussi divers que la refonte du système scolaire ou la mise en place d’un contrat d’activité en remplacement des anciens contrats de travail. Comment y parviennent-ils ? Pourquoi sont-ils en mesure de concevoir une législation réellement en phase avec les attentes des citoyens ? Rien de magique dans tout  cela. D’abord ils prennent le temps d’écouter une grande diversité de points de vue : des experts, mais aussi les multiples clubs et mouvements citoyens qui réfléchissent à ces questions. Ils ont également appris à débattre vraiment, sans hésiter à explorer des approches contradictoires, en pesant à chaque fois le pour et le contre. Quand les positions sont clarifiées, ils cherchent ensuite à construire des compromis innovants. Enfin, et surtout, la loi a repris une place plus limitée mais essentielle : fixer un cadre sans prétendre traiter toutes les situations possibles. La politique n’est plus surplombante, conçue d’en haut par des cabinets ministériels sans contact avec les réalités vécues ; elle est devenue modeste et surtout confiante. Confiante dans la capacité d’initiative des gens. La politique ne cherche plus à apporter toutes les solutions, elle donne aux personnes les moyens de trouver des réponses par eux-mêmes, à l’échelle micro-locale comme dans des réseaux mondiaux spécialisés.

Deux exemples : La sécurité est désormais gérée par des conseils locaux qui regroupent les entrepreneurs civiques, les services municipaux, la police et la justice ainsi que des citoyens, eux-mêmes tirés au sort. Ces conseils ont inventé des dispositifs de prévention active animés par des volontaires qui évitent de laisser pourrir les situations. Nul besoin de multiplier les lois dans une surenchère sécuritaire. Là l’action locale est privilégiée (d’ailleurs, rappelle-toi que « police » vient de Cité en grec !)

La question des retraites a été reprise à zéro par les députés mais pas uniquement sous l’angle financier comme à votre époque. Les députés tirés au sort ont d’abord réfléchi à l’utilité sociale des seniors et au passage progressif d’une activité professionnelle à une activité sociétale adaptée. Résultat, on est en train de se rendre compte que le maintien en activité des seniors dans des domaines où ils pouvaient à la fois réfléchir et agir physiquement constitue une prévention efficace des troubles du vieillissement. Cette mesure a été bien plus bénéfique à la sécurité sociale que les éternelles mesures d’économies auxquelles vous étiez habitués.

Ce ne sont que des exemples, simplement pour te faire toucher du doigt que les citoyens, localement et nationalement, ont trouvé une place réelle dans l’action publique… et pas seulement pour donner un avis consultatif comme dans votre démocratie dite un peu vite participative.

Nos présidents sont toujours élus au suffrage universel. Ils ne sont élus que pour un seul mandat suffisamment long pour avoir la possibilité d’agir. Nous sommes ainsi revenus au septennat. Les trois présidents que nous avons élus jusqu’ici étaient très différents mais, chacun à sa manière, ils portaient une vision… et acceptaient de la négocier avec une assemblée à l’image de la société civile, … ce qui n’était pas toujours simple.

Garde bien à l’esprit que cette situation politique n’est en effet pas idyllique, que les conflits ou les blocages peuvent continuer à exister mais que nous avons néanmoins trouvé un équilibre intéressant entre des politiciens « de carrière », qui se consacrent pleinement à la gestion de l’Etat et des collectivités, et des citoyens « tirés au sort » qui passent deux ans de leur vie au service du bien commun. Aujourd’hui, même s’il y a toujours des tirés au sort qui râlent au début de leur mandat, la quasi-totalité d’entre eux quittent leurs fonctions au service du bien commun à regret et transformés.

N’oublie pas non plus que cette réorganisation a été rendue possible parce que des hurluberlus, au début du siècle, avaient déjà commencé à réfléchir à de nouvelles formes de démocratie. Ils ont aidé à traverser les turbulences … et ouvert le champ des possibles !

J’espère que ma lettre, même si elle heurte des convictions légitimes, semblera digne d’intérêt et susceptible d’éclairer la réflexion qui s’amorce dans votre pays sur la nécessité de refonder la  démocratie.

Bien cordialement

 

Vite, des idées neuves !!

Ce matin, coup de déprime en entendant l’annonce de la relance des « emplois-jeunes » ! Bien sûr c’était dans le programme de François Hollande, mais qu’on puisse, 15 ans après le gouvernement Jospin, utiliser exactement le même remède inefficace pour répondre au chômage des jeunes, c’est quand même déprimant. Innocemment je m’étais dit que c’était une promesse de campagne et qu’après la conférence sociale de juillet des pistes d’action plus créatives émergeraient. Au minimum, j’espérais qu’on aménagerait la formule. Eh bien non, si les Echos ont raison, ce sera la même chose : des jeunes dans des emplois publics sans avenir et des activités peu professionnalisantes. J’avais ainsi imaginé qu’on pourrait fusionner deux propositions de Hollande, ces emplois-jeunes et le contrat de génération, la grande idée du programme en mettant en place des « emplois-vieux »(sic) ! je m’explique : le défaut des emplois-jeunes de Martine Aubry était de mettre des jeunes sans expériences dans des fonctions émergentes, des métiers nouveaux demandant souvent beaucoup d’expertise de médiation qu’on acquière assez peu dans le cursus scolaire. C’étaient typiquement de possibles emplois de transition entre vie professionnelle et activité sociale bénévole pouvant valoriser des compétences liées à la maturité pas toujours reconnues dans l’entreprise. Bref, plutôt que des emplois-jeunes, on aurait dû en faire des « emplois-vieux », libérant ainsi, dans la logique de solidarité intergénérationnelle chère à Hollande, des postes « classiques » en entreprise pour des jeunes. Ça demandait sans doute un peu d’ingénierie financière pour permettre que les seniors laissant leur place y trouvent leur compte et un peu de souplesse pour que ce ne soient pas nécessairement directement les emplois libérés qui bénéficient aux jeunes mais qu’on combine embauche de jeunes et promotion interne pour reconstituer in fine les équipes de l’entreprise.  Avec les partenaires sociaux, nul doute qu’on pouvait inventer quelque chose. Mais non.

inventons les « plans de soutien à l’initiative sociétale »

Il y a  déjà plusieurs mois que le gouvernement est au travail et j’ai beau chercher, je ne vois pas émerger une seule idée neuve. Il est vrai que le programme socialiste était d’un conformisme étonnant après 10 ans d’opposition ! Pourtant les idées existent. La société civile en regorge mais pour les prendre en compte, il faut changer la manière de concevoir l’action publique. Même les concertations lancées ne sont pas suffisantes pour enclencher le mouvement. Il faut donner plus de place à l’initiative citoyenne et à l’expérimentation.

Ne devrait-on pas, pour tout chantier d’envergure, distinguer deux modes d’action publique complémentaires : la loi, recentrée sur l’édiction de règles durables, claires et accessibles à chacun, et le « plan de soutien à l’initiative sociétale » donnant des moyens réels aux programmes associant les personnes directement concernées à la construction des solutions  ?

L’idée des « plans de soutien à l’initiative  sociétale » reposent sur une idée simple : nous n’activons pas assez les de nombreuses possibilités d’impliquer la société civile dans la résolution directe des problèmes auxquels elle est confrontée. Que ce soit la prise en compte du vieillissement, le renforcement de la sécurité ou l’insertion professionnelle des jeunes, nos politiques échouent parce qu’ils ne savent pas mobiliser les acteurs sociaux et moins encore les citoyens.

Il est symptomatique que ceux qui « voient » le mieux ce qui pourrait être entrepris ne sont souvent pas eux-mêmes directement impliqués dans la politique, l’administration ou même ce qu’on appelle la société civile organisée ou les corps intermédiaires. Ce sont des imaginatifs et des pragmatiques, des « entrepreneurs civiques » comme les appelle Alain de Vulpian : un ancien journaliste comme Marc Ullmann fondateur du club des Vigilants, un médecin urgentiste comme Philippe Rodet à l’origine d’un club atypique « l’élan des citoyens », ou encore un écrivain populaire comme Alexandre Jardin qui a créé « lire et faire lire » ou mis en place dans les prisons l’opération « mille mots contre la violence ». Restons un instant sur ce dernier, même si les entrepreneurs civiques sont innombrables et œuvrent souvent dans l’ombre : après avoir recensé il y a quelques années de multiples initiatives porteuses de transformation dans son essai 1+1+1, Alexandre Jardin, avait recueilli pendant la campagne présidentielle de 2007 sur son site www.commentonfait.fr des milliers de suggestions concrètes sur la manière de faire les réformes attendues. Dans un billet sur la question cruciale de l’éducation il lançait un défi parfaitement en phase avec la démocratie sociétale que nous proposons. « Je ne rêve pas d’une « super éducation nationale » mais de vivre un jour dans une grande nation éducative où nos ressources les plus diverses – et les gens les plus divers – contribueraient à faire de ce pays l’endroit du monde où l’on formerait le mieux les gamins et les adultes. Jusqu’au bout de la vie. Si l’ensemble de notre société était capable de mobiliser sa créativité et ses potentiels les plus inattendus sur les questions éducatives, nous serions plus riches, sans doute moins cons et probablement plus gais ! […] Penser uniquement « éducation nationale » quand on s’inquiète d’« éducation », c’est limiter le champ de l’action. Toute la société doit basculer dans cette ambition : enseignants au premier rang (of course !), entreprises, flics inventifs, gardiens d’immeubles innovants, intermittents, énarques, associations d’éducation populaire, artisans, médecins, militaires futés, étudiants, ados en apprentissage, syndicats, etc. Tout le monde (sauf les casse-pieds dépressifs) ». Hélas il ne fut pas entendu par Sarkozy, je doute qu’il le soit plus aujourd’hui.

Des plans associant mobilisation médiatique, ingénierie sociale et financements atypiques

En première approche voici ce qu’on pourrait imaginer :

  • le choix de quelques priorités pour lesquelles l’Etat et les collectivités peinent à agir au bon niveau : les sujets ne manquent pas, mais il faudrait se limiter à lancer un ou deux plans par an
  • une recherche systématique des initiatives pouvant donner lieu à des expérimentations évaluables avec l’appui des médias ; cette recherche sera d’autant plus fructueuse qu’on aura dans le même temps créé un terreau d’initiatives prêtes à éclore grâce aux « incubateurs d’initiatives » au plan local.
  • le soutien à l’essaimage (pas à la reproduction à l’identique) des démarches les plus prometteuses grâce à une puissante ingénierie de projet et à la mobilisation des réseaux sociaux pour faciliter les mises en commun.

 

Les plans que les pouvoirs publics mettent aujourd’hui en place ne laissent que très peu de place à cette mobilisation des acteurs de la société civile même lorsqu’ils sont censés le permettre. On a vu ces dernières années se multiplier ce type de démarche : plans de déplacement urbain, plans climat-énergie territoriaux, plan national santé-environnement lui-même décliné en plans locaux… Ils peinent à sortir des logiques administratives classiques même si selon les responsables locaux en charge de les animer on voit poindre des pratiques innovantes : pratiques de concertation, tentatives de mobilisation citoyenne comme par exemple pour la question énergétique les concours « Familles à énergie positive ». il est urgent d’aller beaucoup plus loin.

Avec quel argent ?, dira-ton à juste titre, puisque l’Etat est sans ressources. Là encore nos dirigeants manquent singulièrement de créativité ! Il faut sortir de la vision étriquée de « l’argent public » et mobiliser les modes de financements les plus variés : implication des fondations existantes, recours plus  systématique à l’épargne de proximité comme dans le cadre des Cigales ou de Terre de liens, cette initiative intéressante pour le foncier agricole  Le principe pour nous est clair : l’argent existant doit être activé, et lorsqu’il n’y a pas d’argent mobilisable, des systèmes d’échange locaux appuyés par les collectivités locales doivent prendre le relais.

Enfin plutôt que de lancer un impôt confiscatoire à 75%, pourquoi n’explore-t-on pas une voie de financement plus positive : celle d’un impôt sur la fortune affecté aux expérimentations sociales, un système hybride entre la culture américaine des fondations et la culture française de l’impôt[1]

Que « fortune oblige »

Je suis toujours frappé de constater que les grands patrons français ont su se rapprocher des niveaux de rémunération des patrons anglo-saxons mais qu’ils n’ont pas dans le même temps adopté les mêmes principes éthiques qui « obligent » les Bill Gates, Warren Buffett  et consorts à consacrer une part significative de leur fortune à des œuvres d’intérêt social. En France, nos grands patrons se prennent plus volontiers pour des mécènes en constituant des collections d’art contemporain sans bénéfice manifeste pour la société française.

Ne pourrait-on pas imaginer un  « impôt » librement affecté à des fondations qui mèneraient les expérimentations sociales que l’Etat peine à financer sur son budget ? On ferait une triple opération positive :

  • les expérimentations seraient conduites avec l’appui de fondations à même de mobiliser des talents venant d’univers différents capables d’insuffler aux projets soutenus leur créativité et leur professionnalisme ;
  • les détenteurs de grandes fortunes retrouveraient aux yeux des citoyens une légitimité sociale qu’ils ont largement perdue, ils pourraient montrer par leur investissement personnel dans les projets financés qu’ils vivent bien encore dans la même société que leurs contemporains ;
  • l’Etat disposerait en permanence d’un laboratoire sociétal dans lequel il pourrait puiser en articulant au mieux le temps long de l’expérimentation qui ne serait pas à sa charge et le temps court de l’action politique qui nécessite réactivité dans la prise de décision et visibilité des mesures prises.

Ne gagnerait-on pas à voir la rivalité entre M. Arnault et M. Pinault s’exprimer au travers de la promotion sur les plateaux de télévision des dernières avancées de leurs fondations d’expérimentation sociale plutôt que par les traces architecturales qu’ils cherchent à laisser ?

 

 

 

 

 


[1] Martin Hirsch publiait un article dans Le Monde du 24 août 2011allant dans ce sens. Il appelait «  à un plus fort engagement de ceux qui ont bénéficié au cours des vingt dernières années de ces rémunérations astronomiques à l’égard des immenses problèmes sociaux. On a beaucoup parlé de la responsabilité sociale des entreprises. Il serait bon d’agir pour que s’exerce la responsabilité sociale des multimillionnaires ».