Le mal sans profondeur, espoir de la politique

Une citation d’Hannah Arendt avant tout, et un commentaire qui se tisse autour des points de vue d’une théologienne protestante, d’un paysagiste non-conformiste, d’une écrivaine sénégalo-française. Rien de trop pour parler du bien et du mal… et de la possibilité du politique !

A l’heure actuelle, mon avis est que le mal n’est jamais « radical », qu’il est seulement extrême, et qu’il ne possède ni profondeur ni dimension démoniaque. Il peut tout envahir et ravager le monde entier précisément parce qu’il se propage comme un champignon. Il « défie la pensée », comme je l’ai dit, parce que la pensée essaie d’atteindre à la profondeur, de toucher aux racines, et du moment qu’elle s’occupe du mal, elle est frustrée parce qu’elle ne trouve rien. C’est là sa « banalité ». Seul le bien a de la profondeur et peut être radical. »

Hannah Arendt, Correspondances croisée. (A Gershom Sholem).

Trouvée dans le livre de Marion Muller-Collard, Le Complexe d’Elie, cette citation d’Arendt me donne l’occasion d’un prolongement de mon précédent papier.

D’abord on comprend mieux l’expression si souvent reprise de « banalité du mal ». On s’arrête souvent à son refus d’héroïser le mal. Oui les nazis n’étaient pas des héros négatifs, des êtres hors du commun. Oui avoir cette approche du « Mal hors norme » risquait de nous exonérer de notre propre capacité à participer au Mal. Mais Arendt dit beaucoup plus que ça : elle distingue le bien et le mal par leur profondeur ou leur absence de profondeur. Le mal se propage en surface, comme un champignon dit-elle. Comme un incendie pourrait-on dire aussi. L’incendie brûle tout, on a l’impression de dévastation lorsque le feu est passé, tout semble calciné, ramené à l’état minéral, sans vie. Mais c’est une illusion. Gilles Clément, le paysagiste qui refuse de domestiquer la nature, disait récemment que les incendies pouvaient être bénéfiques. Ils lèvent la dormance de graines enfouies dans le sol. « Réveillées » par le choc thermique, elles contribuent au renouvèlement de la biodiversité. Le « mal » de l’incendie ne parvient pas à atteindre les racines de la vie que sont les graines (je sais, les graines racines de la vie, la métaphore n’est pas très conforme à la réalité biologique !).
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