Trump et Bayrou, deux discours, deux mondes

J’entends ici défendre « l’inefficacité » de la politique à l’ancienne, celle que pratique Bayrou. Il faut le faire face au désir de performativité immédiate des gestionnaires qui veulent des programmes et des mesures et plus encore des populistes qui choisissent délibérément le registre de la croyance infantile qui nie tout besoin de politique.

Trump et Bayrou, deux discours, deux mondes
@Julien Muguet pour Le Monde

J’ai en tête depuis quelques jours un article sur le discours de politique générale de Bayrou. Mais entretemps, je me suis imposé l’épreuve d’écouter le discours d’investiture de Trump. Ils ont été prononcés dans le même monde à quelques jours d’écart. J’ai du mal à le croire. Sans doute une faille spatiotemporelle s’est-elle ouverte entre le 14 et le 20 janvier. Je crains que cette faille ne fasse que s’élargir  et qu’hélas nous soyons irrésistiblement entraîné du côté obscur de la force musko-trumpienne.

Je ne veux pas ici me lancer dans une analyse comparée des contenus programmatiques des deux discours, ça n’aurait pas beaucoup de sens ! Je vais plutôt essayer de comprendre ce que montre de la politique leur réception différente. On s’est beaucoup moqué du discours de Bayrou qui n’avait rien à annoncer de tangible ; inversement, même si c’était souvent pour en dénoncer les menaces, les commentateurs se sont longuement étendus sur l’annonce puis la mise en scène des executive orders de Trump, signes tangibles – selon eux – de sa préparation et de son efficacité.

Bayrou a fait un discours politique entaché de tout le discrédit qui entoure la politique. Trump a fait un prêche religieux ovationné par des fidèles et des convertis. Trump a célébré un culte égotique en prenant des décrets providentiels à effet immédiat quand Bayrou proposait une méthode pour construire des compromis en prenant le temps de la négociation. Deux mondes décidément ! Continuer la lecture de « Trump et Bayrou, deux discours, deux mondes »

Vœux, défi et jubilé

Dommage que le Président n’ait pas proposé, à l’occasion de ses vœux, un nouveau défi pour faire suite à ceux, réussis, de Notre-Dame et des Jeux Olympiques. Et si nous réussissions collectivement à nous fixer un défi à la hauteur des enjeux écologiques qui sont devant nous. Un jubilé ?

Vœux, défi et jubilé
sur le chemin de Compostelle

Emmanuel Macron dans ses vœux a affirmé que chacun d’entre nous était nécessaire « pour bâtir une Nation et une République plus belles encore » en référence aux grands chantiers dont nous venons de vivre l’aboutissement en 2024, Jeux Olympiques et Notre-Dame. C’est évidemment aussi la manière dont je vois la possibilité de construire l’avenir : nous rassembler pour porter ensemble les chantiers immenses qui sont devant nous. Malheureusement le projet qu’il dit avoir « rapidement brossé » au cours de ses vœux n’est absolument pas en mesure d’entraîner la mobilisation de tous qu’il espère. Sur le fond, il reste enfermé dans une vision de l’avenir où il faudrait « que s’inventent en France et en Europe les technologies et les entreprises qui façonneront le monde de demain, notre avenir, notre croissance : l’intelligence artificielle, les révolutions du quantique, de l’énergie, de la biologie ». Quand il évoque l’écologie, il n’en fait qu’un « réveil européen » parmi d’autres (réveil scientifique, intellectuel, technologique, industriel, réveil agricole, énergétique et écologique) alors que la question écologique devrait conditionner l’ensemble des réveils qu’il propose.

Ce qui a réussi avec Notre-Dame ou les Jeux Olympiques est absent des vœux du président : ni projet précis, ni échéance pour donner l’impulsion nécessaire. C’est d’autant moins explicable que c’est lui qui avait fixé le cap pour Notre-Dame en proposant cette « reconstruction en cinq  ans » qui semblait – à moi le premier – ni tenable ni même forcément souhaitable. Pourquoi ne nous fixe-t-il pas un cap équivalent qui pourrait nous mobiliser tous ? Certes, il n’a plus la main pour gouverner mais ce n’est pas nécessairement un handicap. Il s’agit en effet moins de gouverner que de présider, par le verbe et la mobilisation du symbolique (ce qui nous jette ensemble », selon l’étymologie). Il s’agit de permettre une convergence et une synchronisation des efforts de chacun, entreprises, collectivités, associations, citoyens… autour d’un défi suffisamment fort et suffisamment urgent pour être partagé par une grande partie de la population. Pour moi, le défi est tout trouvé : tenir les engagements pris à Paris en 2015, lors de la COP 21. Continuer la lecture de « Vœux, défi et jubilé »

Réconcilier souveraineté domestique et écologie

Comment parler des enjeux écologiques et des moyens d’y faire face quand toute initiative des pouvoirs publics est immédiatement rejetée comme liberticide ? Peut-être en prenant en compte le besoin de « souveraineté domestique » dont parle Destin Commun …

Réconcilier souveraineté domestique et écologie
Chris Barbalis @unsplash

Comme souvent l’émission C Politique, animée maintenant par Thomas Snégaroff, était passionnante sur une question pourtant rebattue : le rejet des élites. Une notion que je ne connaissais pas a été présentée par Laure de Nervaux directrice de Destin commun : la perte de souveraineté domestique. Lors des entretiens qu’elle a pu conduire sur de nombreux sujets touchant aux modes de vie, elle a été frappée que revenait régulièrement l’agacement de Français qui ne supportaient pas que le Gouvernement veuille régir leur alimentation (en demandant de consommer moins de viande), leur manière de se chauffer (avec la règle du 19°)… « Mon salon c’est le dernier endroit où je décide ce que je fais. »

Toute intrusion des pouvoirs publics dans la sphère domestique pour des personnes qui ne se sentent pas reconnues dans l’espace public est vécue comme une perte de souveraineté insupportable puisque l’organisation de leur vie privée est le seul pouvoir qui leur reste. L’écologie n’est pas seulement vue comme punitive, elle prive le citoyen de sa dernière liberté d’action, du dernier droit à vivre debout. On entend ainsi : Avec « votre » démocratie, le peuple n’est plus souverain, je suis forcé de m’en accommoder mais alors je vous interdis de toucher à mon royaume, ma maison (et son extension, ma voiture). Au lieu d’être émancipatrice, l’écologie, mal mise en œuvre, conduit à l’enfermement de chaque foyer dans son royaume, défendu derrière des murs qui montent et des portails qui se ferment. Plus besoin des vieilles pancartes « Attention, chien méchant », le franchissement des frontières des royaumes privés n’est plus imaginable sauf en étant dûment muni d’un visa délivré aux seuls proches. Continuer la lecture de « Réconcilier souveraineté domestique et écologie »