Soupçonner du meilleur

Je ne suis évidemment pas le seul à me laisser aller, par moment, à une forme de désespérance en lisant la presse. Ce coin de trottoir photographié hier à la Croix-Rousse a nourri chez moi un cheminement anti-déprime que j’ai eu envie de partager.

Soupçonner du meilleur
photo HCD-trottoir de Lyon

La lecture du Monde hier matin a une fois de plus suscité mon interrogation. Vers quel monde nous dirigeons-nous ? Suivant que je lisais l’article sur les incendies de l’Alberta ou sur le falé du Sénégal, je ne voyais pas le même avenir. En Alberta, les habitants interrogés refusaient obstinément d’envisager un lien quelconque entre l’exploitation des schistes bitumineux et les feux de forêts. Le lien schistes-incendies n’est bien sûr pas direct, mais le nier par principe montre à quel point renoncer aux revenus d’une ressource abondante est quasi-impossible, même si on est confronté très directement aux dégâts du bouleversement climatique. Le cours de choses semble devoir rester inchangé, dans une indifférence désespérante. Tendance inverse près du Siné Saloum au sud-est de Dakar, où on assiste très, très modestement, au refus enthousiasmant d’une histoire déjà écrite : celle de la disparition du tissage du coton. Un tissu traditionnel, le falé, et les communautés de femmes qui en vivent pourraient être sauvées par une jeune designer franco-sénégalaise.

On sait très bien que ces deux histoires pourraient être contredites l’une et l’autre par des exemples opposés, dans les mêmes pays : il y a bien sûr des militants écologiques en Alberta qui tentent de s’opposer à la poursuite de l’exploitation du pétrole ; il y a au Sénégal, des fabricants de tissu qui ignorent complètement les techniques traditionnelles et s’approvisionnent en Asie. Les exemples, dans un sens ou dans un autre, ne donnent à imaginer que des mondes possibles, sans certitude sur ce qui l’emportera des conservatismes mortifères ou des renouveaux forcément fragiles. Mais force est de reconnaître que l’actualité récente nous abreuve essentiellement d’histoires accablantes qui laissent peu d’espoir pour l’avenir : les cancers des doigts provoqués par le recours aux UV pour faire sécher des vernis à ongle que l’on renouvèle constamment sous la pression des réseaux sociaux ; les files d’attente monstrueuses à l’ouverture d’un nouveau magasin de fast-fashion chinoise dans l’illusion terrible de faire de bonnes affaires. Deux exemples de ce « monde-impasse » qui détruit lui-même ses conditions d’existence. Mais est-ce le monde à venir ? Est-ce utile de s’y appesantir avec une forme de Schadenfreude, cette joie mauvaise, qui nous place du « bon » côté tout en nous désespérant de l’inconscience « des autres » ? Continuer la lecture de « Soupçonner du meilleur »

Là où on se parle !

Il est plus que temps de mettre en avant notre capacité à converser dans une société démocratique. Quand tout dialogue semble bloqué, il est urgent d’aller voir la réalité avec d’autres lunettes. Rejoignez Iségoria 2023, pour explorer « là où on se parle » !

Là où on se parle !
Etude Isegoria_visuel

Chacun s’irrite, s’affole ou se désespère de la dégradation du débat public. Le non-débat sur les retraites, les conflits violents sur les usages de l’eau montrent notre incapacité toujours plus grande à construire des compromis. Et les tensions ne peuvent que monter à l’avenir face aux révisions drastiques de nos modes de vie qu’imposeront le dépassement des limites planétaires. Nous commençons seulement à percevoir qu’il va falloir débattre de tout ce qui constitue la trame de nos vies : notre consommation et notre niveau de vie, notre alimentation, notre santé, nos déplacements,… et que nous n’y sommes absolument pas préparés !

Alors, c’est plié ? La guerre civile est notre avenir ? Il n’y a plus qu’à se résigner ? Et si, comme souvent, on ne voyait qu’une part de la réalité, la plus sombre ? Et si, en ne voyant que cet aspect de la réalité on se condamnait à ce qu’il prenne toute la place ? J’aime beaucoup la fable amérindienne des deux loups. Nous avons tous deux loups en nous, un féroce et un paisible. Celui qui gagne à la fin est celui qu’on nourrit. Arrêtons de nourrir notre loup féroce ! Et nourrissons notre loup paisible.

Notre monde semble s’enfermer dans l’incommunicabilité ? Allons voir « là où on se parle » ! Notre société est sans doute beaucoup plus dialogique, conversationnelle, que nous ne le voyons au quotidien. Un exemple tout simple : qui avait entendu parler de la justice restaurative avant que Jeanne Herry ne la mette en lumière dans son film ? Et pourtant elle existait mais nous ne le savions tout simplement pas. Même quand la parole et l’écoute sont difficiles comme entre une victime et un coupable, il existe des lieux et des méthodes pour qu’elles adviennent. Notre monde complexe sait engendrer un peu partout dans la société des lieux et des temps d’intelligence collective pour faire face à cette complexité. Il y a bien sûr les Conventions citoyennes et celle sur la fin de vie a été exemplaire sur un sujet ô combien propice aux conflits de valeurs. Mais plus modestement et à bas bruit, des « dialogue entre parties prenantes » s’instaurent entre l’entreprise et la société en matière de responsabilité sociale, des comités d’éthique se créent dans les hôpitaux donnant la parole aux patients, des copropriétés apprennent à gérer en commun des espaces partagés… C’est la société elle-même qui se démocratise par des pratiques de dialogue jamais simples, jamais pleinement satisfaisantes mais néanmoins constructives. La démocratie, avant d’être un mode de gouvernement est en effet un cadre pour que des paroles puissent s’échanger.

Nous commençons ainsi à comprendre que la complexité du monde à construire demande une approche de la démocratie fondée sur le dialogue dans tous les lieux qui nous permettent de vivre en société. Pourtant cette parole partagée est beaucoup trop peu mise en valeur et promue. On préfère mettre l’accent sur la rhétorique et l’éloquence. L’usage de la parole pour construire un monde commun est encore largement laissée de côté. Et pourtant, là aussi, des initiatives existent ici ou là mais elles manquent considérablement de visibilité. La conversation n’est pas une pratique vraiment définie, les lieux où on s’y entraîne ne sont pas repérés en tant que tels.

Un travail de recensement des formes de conversation qui se pratiquent et des lieux où on s’y entraîne est plus que nécessaire.

C’est dans ce sens que nous lançons avec la Maison de la Conversation  une étude pour voir comment on use de la conversation dans tous les lieux de la société (les entreprises, l’hôpital, la justice, les ehpads, les services publics… ) et comment on pourrait aider à développer localement une « culture de la conversation » : pour que les lieux où l’on se parle partagent leurs savoir-faire, se renforcent mutuellement, se maillent avec des lieux d’éducation populaire pour donner l’envie de converser…

Si vous êtes intéressés, si vous avez des pratiques et des lieux à signaler, n’hésitez pas à prendre contact ! etude@maisondelaconversation.org

 

 

 

 

 

 

Parler encore du Covid ?!

Si tout le monde s’interroge sur la guerre à l’occasion de l’anniversaire de l’offensive russe en Ukraine, le troisième anniversaire du confinement de mars 2020 risque d’être vite zappé. Il nous appartient de faire preuve de mémoire et d’anticipation.

Parler encore du Covid ?!
© Jacek Poblocki / Unsplash

Loin, loin en arrière, il fut un temps où l’on parlait de « guerre » en évoquant un virus inconnu. On lui avait donné un nom bizarre, constitué d’un acronyme anglosaxon et d’un millésime. Ce virus a monopolisé notre actualité, et chaque soir on comptait les morts, ici et ailleurs. Nous avons tous été touchés d’une manière ou d’une autre mais progressivement, nous nous sommes habitués. On n’a plus compté les morts, ni les hospitalisations en soin intensif. Nous avons d’abord suivi avec angoisse l’arrivée de nouveaux variants (alpha, delta…) jusqu’à la lettre omicron. Et puis on s’est arrêté là. On a laissé l’épidémie poursuivre sa vie sans plus s’occuper d’elle, sans même savoir dire si elle était finie ou non. Qui s’est intéressé aux innombrables petit frères, petits-cousins d’Omicron ? J’avais découvert à la fin de l’année sur un blog du Monde un tableau entier avec la désignation des sous-variants qu’on avait renoncé à mémoriser moi le premier (BA.4, BA.5, XBB.1.5…). Les scientifiques s’étaient « amusés » à leur donner le nom de créatures mythologiques : Sphynx, Python, Cerbère, Chiron,… Après avoir révisé l’alphabet grec, nous n’avons pas révisé la mythologie !

Je suis allé récemment à l’hôpital pour un rendez-vous médical et je me maudissais en entrant d’avoir oublié de prendre un masque, voyant les gens sortir avec le rectangle bleu pâle sur le nez. La personne à l’accueil, auprès de qui je m’excusais platement, m’a annoncé comme une évidence que « le masque n’est plus obligatoire pour les patients ». Information manifestement pas partagée puisque tout le monde autour de moi portait le masque et regardait mon visage nu comme une obscénité. Rare survivance d’une pression sociale qui n’a jamais réussi à revenir cet hiver dans les wagons pourtant bondés de nos transports en commun.

Fini, pas fini ? Obligatoire, facultatif ? Plus rien n’est clair. Et finalement tout le monde s’en moque. On a même fini par oublier le nombre des victimes qui est devenu une statistique, une parmi d’autres. Continuer la lecture de « Parler encore du Covid ?! »