L’énergie or

Des pistes pour prolonger l’été olympique et bénéficier durablement de cette « énergie or ».

L’énergie or
photo La Nouvelle République

La leçon de notre été olympique, tout le monde ou presque l’a tirée : nous savons nous enthousiasmer, nous réunir autour d’un événement fédérateur, être tout simplement heureux de vivre plus intensément. Mais nous l’avons vécu comme une parenthèse enchantée, un moment de grâce coupé de notre actualité morose. Nous ne parvenions pas à oublier que nous allions retomber rapidement dans les affres d’une politique incapable de se renouveler. Nul doute que le succès des jeux paralympiques tient en partie à ce besoin de garder encore un moment cette flamme allumée.

Il nous faut considérer en même temps deux aspects de cette réalité que nous avons pourtant tendance à dissocier, les uns privilégiant le démenti du pessimisme, les autres prédisant l’exceptionnalité du moment olympique. Prenons les deux en même temps : il n’y a pas de fatalité puisque notre rapport au monde est réversible du jour au lendemain, il nous faut donc sortir de la croyance mortifère à l’inéluctabilité du déclin ; il n’y a pas non plus de permanence dans les changements d’humeur et il nous faut également apprendre à entretenir nos états émotionnels quand ils sont positifs. Le problème vient du fait que nous nous résignons vite à notre malheur et que nous croyons que notre bonheur est nécessairement éphémère. Si nous voulons sortir de notre marasme politique, il nous appartient de bouger sur ces deux registres : croire que la réalité dépend de notre regard collectif ; apprendre à cultiver notre capacité d’enthousiasme.

Il y a bien eu une forme d’énergie qui a circulé entre nous, qui nous a en quelque sorte irradiés ! Oui, nous étions radieux, rayonnants. Et l’on voit bien sur les terrains de sport, réinstallés dans la capitale, que nous brûlons de la faire vibrer encore, cette fabuleuse énergie. Je propose d’appeler cette énergie « l’énergie or », bien sûr en référence à l’or olympique qui a fait briller bien des yeux. Energie or, cette capacité d’enthousiasme, cette communion autour de la beauté, de l’effort et de l’aléa, cette compétition par dépassement de ses limites propres plutôt que par volonté d’abattre l’adversaire… Alain Caillé, fondateur du mouvement des Convivialistes, a très bien décrit ce moment dans un texte à retrouver ici. En voici la conclusion : « Au terme de cette quinzaine on se prend à rêver que le monde entier fonctionne en permanence dans le registre des Olympiades, autrement dit que chacun, dans son domaine ou son registre propre, rivalise pour accomplir au mieux ce qu’il a à faire (à supposer, bien sûr, qu’il le sache et l’ait trouvé) dans l’espoir de faire advenir le plus de commune humanité, de commune socialité et de vie (de beauté et de grâce) possible. Propos bien idéaliste ?  Peut-être.  Prenons-le en tout cas comme un idéal régulateur. Ces Jeux Olympiques nous en auront fait entrevoir la possibilité. »

Cette énergie or m’a naturellement rappelé une autre énergie citoyenne, celle du  « moment gilets jaunes », dont j’ai largement parlé ici. Je l’appellerai « énergie noire », non qu’elle fût en soi négative mais parce qu’elle portait des passions tristes, du ressentiment, avec une violence toujours sur le point d’éclater. Thomas Legrand, bien inspiré, avait parlé d’énergie brute qui devait être raffinée. Un « or noir » en quelque sorte ! Même potentiellement dangereuse, l’énergie reste de l’énergie et contribue à nous mettre en mouvement. Je continue à regretter qu’on n’ait pas su trouver de débouché à l’énergie noire des gilets jaunes.

L’énergie noire a été crainte et gâchée, l’énergie or a été célébrée … et risque de s’évaporer. Nous avons manqué de raffinerie il y a six ans pour transformer les colères en solutions, nous manquons aujourd’hui d’alambic pour recueillir l’esprit volatil de l’énergie or !

Quand nous serons redescendus de l’Olympe, quand nous aurons été repris par la grisaille d’un monde sans perspectives, il nous faudra nous souvenir que rien n’est inéluctable, que nous avons su nous enthousiasmer. Cette responsabilité est la nôtre, à chacun de nous : nous pouvons/devons « croire au monde » selon la belle expression proposée par Véronique Anger de Friberg pour le prochain Forum Changer d’ère.

Pour autant il serait bon que nos gouvernants apprennent à utiliser les énergies citoyennes, or ou noire. Créons par exemple les Olympiades de la Métamorphose, quatre années de défi pour mener collectivement les transitions que ni les pouvoirs publics ni les entreprises ne parviendront à mener seuls. Qu’ils/elles s’appuient sur cette soif d’idéal, ce désir d’intensité que nos concitoyens ont montré au cours de l’été. Nous ne serons pas tous des champions de la Métamorphose mais nous aurons eu le plaisir de participer à un défi collectif, comme tous ceux qui ont couru le « Marathon pour tous » dans les rues de Paris au cours de cet été pas comme les autres.

 

La Seine, la scène, la Cène

Un spectacle politique ? Oui mais au-delà de ce qu’en a dit son directeur artistique parlant « d’inclusion, de bienveillance, de générosité et de solidarité ». L’imaginaire religieux était convoqué, pas seulement par la provocation de la Cène queer. Il est allé cherché cette concorde dont je parlais ici récemment, celle des cœurs à l’unisson. Et ça a fait du bien.

La Seine, la scène, la Cène
AP Photo/Vadim Ghirda

Foisonnement des images qui se superposent, improbables. Chorégraphies, défilé de bateaux-mouches, chansons, vidéo, pyrotechnie. Qui se rappellera des Minions sous la Seine coulant dans une joie débridée leur propre sous-marin ? Qui aura retenu les battements de cœur et de pieds cadencés et rageurs de centaines de danseurs au chevet de Notre-Dame ? Et l’image de ces autres danseurs en drapé multicolore se balançant dans le ciel de Paris au sommet de longues perches flexibles ? Bien sûr tous les spectateurs se rappelleront de Paris illuminé sous les trombes d’une pluie obstinée, de Aya dansant avec la Garde Républicaine devant l’Académie Française, du sang des aristos qui gicle devant la Conciergerie au son du métal, du sourire des athlètes sur leurs petits ou grands bateaux, du défilé de drag queens monté.e.s sur la table du festin, de Katherine en schtroumpf (Bacchus bleu) jouant avec le rythme des danseurs, du cheval de l’Apocalypse remontant la Seine au galop ralenti, du défilé sans fin des porteurs de flamme, de la montgolfière en feu dans la ciel nocturne de Paris, de la diva de la pop à la fin ressuscitée.

On entend déjà l’agacement du tiers de la France qui ne supporte pas le métissage et la dérision. Il a été voulu et brillamment suscité par l’auteur du spectacle Thomas Jolly. Sans doute à l’excès, avec cette joie impulsive de gamins à qui on a confié les clés. Il y avait du pied de nez dans ce spectacle ! C’était à la fois réjouissant et agaçant par moment. On avait envie de dire : « C’est bon, Thomas, on a compris ! »

Mais en sous-texte ce qui frappait était bien au-delà du dérisoire et des paillettes. Sur la Seine, il y avait bien sûr la scène mais plus encore la Cène. Littéralement avec le banquet queer organisé comme le tableau sur lequel Léonard de Vinci représentait le dernier repas du Christ mais également avec toutes sortes de références religieuses : l’Apocalypse (la cavalcade de la femme drapée dans l’Olympisme, la Résurrection de la chanteuse, l’Ascension de la flamme.

Communion et ferveur, tels étaient les messages que portaient les douze stations, comme un immense chemin de croix à travers la ville sur son fleuve-artère. Un écho au célèbre « N’ayez pas peur ! » prononcé aussi à Paris par le Pape venu de l’Est. Improbable message d’une France divisée qui désespère d’une union introuvable. Dire au monde la fraternité quand on peine tant à l’incarner, dire la joie sous la pluie. Ne pas se démonter. Tenir. L’honneur, cette valeur française si démodée était réinventée avec panache et bravade dans cette nuit illuminée de pluie précédée d’une nuit enténébrée par le sabotage.

Il faut la foi pour croire aux lendemains qui chantent. Je ne crois pas au sport rédempteur mais je crois à la communion des âmes. La France ne peut pas être réduite à ses rancœurs et à ses divisions. La Seine n’a pas transporté que des bateaux et des athlètes. Sous le pont Mirabeau coulait aussi un peu d’espoir. Merci aux milliers de personne qui ont contribué à allumer ce feu qui va brûler au-dessus de Paris, quelques jours. A nous de faire qu’il brûle plus longtemps. « Ça ira ! » Le titre du spectacle était bien choisi, comme un rappel de l’urgence et comme une espérance.

PS/ pour retrouver l’article sur CONCORDER, c’est ici

Lettre ouverte au Président de la République d’un citoyen choqué et inquiet

Une lettre comme une bouteille à la mer. Je sais naturellement qu’elle n’aura aucun résultat tangible mais au moment où nous sommes tentés de remettre à plus tard les questions politiques avec la parenthèse olympique et nos activités estivales, je ne savais pas rester silencieux. Voici donc mon message sans récepteur !

 

Monsieur le Président,

Je me permets de répondre à la lettre que vous m’avez adressée ainsi qu’à tous les Français le 10 juillet dernier. Je m’autorise à vous la faire parvenir publiquement, par simple  parallélisme des formes. J’avais rédigé une première version de cette lettre ouverte quelques jours seulement après votre message dans la PQR.

C’est la répétition presque mot pour mot de ce que vous y disiez, balayant d’un « ce n’est pas le sujet » la proposition bien tardive d’un nom de Premier ministre par le Nouveau Front Populaire qui me conduit à la publier malgré des circonstances personnelles (mon déménagement) et politiques (l’ouverture des jeux olympiques) qui rendent hélas mon exaspération et mon inquiétude presque hors de propos. Je retournerai à mes cartons dès cette missive envoyée et le pays s’oubliera quelques semaines aux jeux olympiques dans le mirage que provoque le calendrier insensé ou diabolique que vous avez provoqué et où vous dissolvez (le temps de cette belle et illusoire communion planétaire) les choix cruciaux de notre pays.

Votre lettre – et sa réaffirmation orale avec la désinvolture qui est désormais votre marque – m’a choqué : je pense qu’elle constitue un grave déni de vos responsabilités. Ce qui me choque, ce n’est pas votre refus un peu mesquin de reconnaitre que le Nouveau Front Populaire est arrivé en tête, vous avez factuellement raison : personne n’a de majorité pour agir. Ce qui est choquant c’est votre apparente magnanimité : vous laissez aux forces politiques républicaines le soin de bâtir des compromis entre elles. Vous ne donnez aucune indication sur la manière de faire hormis cette mention presque méprisante : « avec sérénité et respect de chacun ». En clair, et pardonnez la vulgarité de la formule, c’est « Démerdez-vous et je ne veux pas vous entendre tant que vous ne vous êtes pas mis d’accord ! ».

Bâtir un compromis de cette nature, dans ce contexte où les forces en présence ont rarement été aussi antagonistes est rigoureusement impossible avec cette méthode ou plus exactement cette absence de méthode… et vous le savez. On ne peut pas réussir à bâtir un compromis quand il n’y a pas de base de travail ni personne pour animer la construction du compromis. Si c’est la responsabilité de « toutes les forces politiques », c’est la responsabilité de personne.

Je ne dis pas que le compromis en soi est impossible, je crois même le contraire. Mais réaliser un compromis suppose qu’on s’en donne les moyens. En réalité en imposant cet exercice impossible aux élus de l’Assemblée, ne cherchez-vous pas simplement à montrer qu’ils sont des incapables pour pouvoir reprendre la main avec un gouvernement de techniciens qui, sous couvert de ne pas faire de politique, continuera en fait la même politique néo-libérale que vous menez depuis sept ans ? Plus les uns et les autres multiplient les conclaves et les échanges de tweets, plus ils semblent s’agiter en vain et plus vous apparaîtrez en sauveur.  Mais c’est jouer avec le feu à un moment de notre histoire où les passions s’enflamment vite avec des conséquences qui peuvent mener à l’irréversible. Nous venons d’en avoir la preuve avec la tentative d’assassinat de Donald Trump.

Votre responsabilité est de nommer un Premier ministre. La Constitution est claire au moins sur ce point. C’est au Premier ministre que vous prendrez le risque de choisir qu’il appartiendra ensuite de bâtir une coalition autour des éléments programmatiques qu’il mettra sur la table. Les règles du jeu seront plus simples : il y aura enfin quelqu’un en charge de bâtir le compromis avec la légitimité indispensable pour agir efficacement. Respectez la Constitution et nous sortirons de l’impasse. Le pourrissement de la situation (indolore puisque nous allons avoir la tête ailleurs) auquel votre non-choix conduit est pernicieux. Nous en serons au même point à la rentrée et les Français se réveilleront de leur trêve avec une exigence de solution immédiate  mais il n’y aura personne qui y aura travaillé patiemment et discrètement tout au long de l’été.

Si vous êtes convaincu que LFI est un parti incapable de faire le moindre compromis, vous pouvez très bien nommer un Premier ministre du NFP et le laisser faire la démonstration soit qu’il ne parvient pas à construire un gouvernement, soit que le gouvernement qu’il constitue ne parvient pas à obtenir de majorité (ou à éviter le vote d’une motion de censure). Si vous pensez préférable de passer directement à la phase à laquelle on devrait dans tous les cas parvenir à terme, celle d’une large coalition, choisissez alors celui qui vous semble le plus apte à mener à bien cette lourde tâche. A vous d’estimer quel est le barycentre le plus probable de cette coalition.

Une chose est sûre pour moi : vous n’avez pas le droit moral de faire comme si ce laborieux et indispensable dépassement des désaccords (ou d’une partie d’entre eux) ne vous concernait pas et n’était pas urgent. C’est vous qui êtes à l’origine du problème, et doublement : bien sûr par la dissolution impromptue mais aussi par la disruption originelle de votre « en même temps ».

Monsieur le Président, vous ne pouvez pas faire comme si le choix du gouvernement n’était pas votre affaire. Ce devrait au contraire être votre seule et unique préoccupation quand tant de crises sont à affronter en même temps. Il est effectivement nécessaire d’agir avec « sérénité et respect de chacun » mais cette recommandation, c’est à vous, Monsieur le Président qu’il faut l’adresser ! Il est plus que temps que vous désigniez un Premier ministre ! C’est votre compétence, c’est votre responsabilité, c’est désormais aussi une urgence pour éviter que nous n’entrions dans une crise de régime. Une fois désigné, votre futur Premier ministre pourra prendre plusieurs semaines, jusqu’à la rentrée, pour former son gouvernement et la coalition qui le soutiendra, laissant au premier ministre démissionnaire le soin de gérer les affaires courantes durant l’été. Nous sortirons ainsi de cette ambiance délétère d’impasse politique dans laquelle vous seul nous avez plongé et vous seul pouvez nous sortir. Monsieur Macron devenez enfin pleinement Président et cessez de vouloir gouverner.

Hervé Chaygneaud-Dupuy, citoyen engagé et inquiet

PS. Seule bonne nouvelle, que vous devez pourtant ignorer tant vous n’êtes plus hélas dans le monde commun, plusieurs initiatives sont prises dans la société civile pour imaginer une refonte globale de nos manières de faire de la politique. Un appel à la réunion d’Etats Généraux par Pierre Calame auquel je m’associe mais aussi des prises de position notamment de Loïc Blondiaux ou de David Djaïz.