Face aux larmes

Un peu particulier pour un texte de rentrée où l’on est censé être plein d’allant, ressourcé, optimiste… Je le suis, et pourtant j’ai eu besoin de partager cette alerte que je sens monter fortement. Comme sur la larme de pierre de cette photo, je crains que les larmes qui montent ne sèchent pas d’un revers de main

Face aux larmes
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Un mercredi après-midi sous les platanes d’une place d’Arles pendant le festival Agir pour le Vivant. La canicule est poisseuse, épuisante et pourtant nous sommes une dizaine à nous être réunis pour « faire le plein » à la station-service dont je suis le pompiste bénévole. Pas de pompes à essence, pas non plus de bornes de recharges, simplement 8 femmes et deux hommes réunis par l’envie de découvrir une manière de recharger ses propres batteries … en énergie citoyenne. Le principe est simplissime : nous avons tous quelque chose à partager qui peut aider ceux qui l’entendent à repartir renforcés de quelques idées, pratiques, expériences, lectures… de tout ce que les unes et les autres auront accepté de confier au cours d’un tour de parole.

Chacun.e se lance à son tour. On hésite un peu : « Je ne sais pas si c’est bien le sujet… ». J’essaie de rassurer en disant qu’on ne peut pas être hors sujet quand on évoque sincèrement un vécu personnel régénérateur. Les vacances sont encore proches, des expériences se partagent spontanément : woofing dans plusieurs fermes pour multiplier les découvertes, activités joyeuses de l’Espace des possibles, bains dans les eaux glaciales d’un lac de montagne… Nous faisons aussi notre moisson de lectures inspirantes ou de rencontres décalées. Certaines partagent simplement, et ça fait du bien, leur enthousiasme, l’une pour un chihuahua ( !), l’autre pour les athlètes du championnat du monde sans une once de chauvinisme ! Continuer la lecture de « Face aux larmes »

Soupçonner du meilleur

Je ne suis évidemment pas le seul à me laisser aller, par moment, à une forme de désespérance en lisant la presse. Ce coin de trottoir photographié hier à la Croix-Rousse a nourri chez moi un cheminement anti-déprime que j’ai eu envie de partager.

Soupçonner du meilleur
photo HCD-trottoir de Lyon

La lecture du Monde hier matin a une fois de plus suscité mon interrogation. Vers quel monde nous dirigeons-nous ? Suivant que je lisais l’article sur les incendies de l’Alberta ou sur le falé du Sénégal, je ne voyais pas le même avenir. En Alberta, les habitants interrogés refusaient obstinément d’envisager un lien quelconque entre l’exploitation des schistes bitumineux et les feux de forêts. Le lien schistes-incendies n’est bien sûr pas direct, mais le nier par principe montre à quel point renoncer aux revenus d’une ressource abondante est quasi-impossible, même si on est confronté très directement aux dégâts du bouleversement climatique. Le cours de choses semble devoir rester inchangé, dans une indifférence désespérante. Tendance inverse près du Siné Saloum au sud-est de Dakar, où on assiste très, très modestement, au refus enthousiasmant d’une histoire déjà écrite : celle de la disparition du tissage du coton. Un tissu traditionnel, le falé, et les communautés de femmes qui en vivent pourraient être sauvées par une jeune designer franco-sénégalaise.

On sait très bien que ces deux histoires pourraient être contredites l’une et l’autre par des exemples opposés, dans les mêmes pays : il y a bien sûr des militants écologiques en Alberta qui tentent de s’opposer à la poursuite de l’exploitation du pétrole ; il y a au Sénégal, des fabricants de tissu qui ignorent complètement les techniques traditionnelles et s’approvisionnent en Asie. Les exemples, dans un sens ou dans un autre, ne donnent à imaginer que des mondes possibles, sans certitude sur ce qui l’emportera des conservatismes mortifères ou des renouveaux forcément fragiles. Mais force est de reconnaître que l’actualité récente nous abreuve essentiellement d’histoires accablantes qui laissent peu d’espoir pour l’avenir : les cancers des doigts provoqués par le recours aux UV pour faire sécher des vernis à ongle que l’on renouvèle constamment sous la pression des réseaux sociaux ; les files d’attente monstrueuses à l’ouverture d’un nouveau magasin de fast-fashion chinoise dans l’illusion terrible de faire de bonnes affaires. Deux exemples de ce « monde-impasse » qui détruit lui-même ses conditions d’existence. Mais est-ce le monde à venir ? Est-ce utile de s’y appesantir avec une forme de Schadenfreude, cette joie mauvaise, qui nous place du « bon » côté tout en nous désespérant de l’inconscience « des autres » ? Continuer la lecture de « Soupçonner du meilleur »

Là où on se parle !

Il est plus que temps de mettre en avant notre capacité à converser dans une société démocratique. Quand tout dialogue semble bloqué, il est urgent d’aller voir la réalité avec d’autres lunettes. Rejoignez Iségoria 2023, pour explorer « là où on se parle » !

Là où on se parle !
Etude Isegoria_visuel

Chacun s’irrite, s’affole ou se désespère de la dégradation du débat public. Le non-débat sur les retraites, les conflits violents sur les usages de l’eau montrent notre incapacité toujours plus grande à construire des compromis. Et les tensions ne peuvent que monter à l’avenir face aux révisions drastiques de nos modes de vie qu’imposeront le dépassement des limites planétaires. Nous commençons seulement à percevoir qu’il va falloir débattre de tout ce qui constitue la trame de nos vies : notre consommation et notre niveau de vie, notre alimentation, notre santé, nos déplacements,… et que nous n’y sommes absolument pas préparés !

Alors, c’est plié ? La guerre civile est notre avenir ? Il n’y a plus qu’à se résigner ? Et si, comme souvent, on ne voyait qu’une part de la réalité, la plus sombre ? Et si, en ne voyant que cet aspect de la réalité on se condamnait à ce qu’il prenne toute la place ? J’aime beaucoup la fable amérindienne des deux loups. Nous avons tous deux loups en nous, un féroce et un paisible. Celui qui gagne à la fin est celui qu’on nourrit. Arrêtons de nourrir notre loup féroce ! Et nourrissons notre loup paisible.

Notre monde semble s’enfermer dans l’incommunicabilité ? Allons voir « là où on se parle » ! Notre société est sans doute beaucoup plus dialogique, conversationnelle, que nous ne le voyons au quotidien. Un exemple tout simple : qui avait entendu parler de la justice restaurative avant que Jeanne Herry ne la mette en lumière dans son film ? Et pourtant elle existait mais nous ne le savions tout simplement pas. Même quand la parole et l’écoute sont difficiles comme entre une victime et un coupable, il existe des lieux et des méthodes pour qu’elles adviennent. Notre monde complexe sait engendrer un peu partout dans la société des lieux et des temps d’intelligence collective pour faire face à cette complexité. Il y a bien sûr les Conventions citoyennes et celle sur la fin de vie a été exemplaire sur un sujet ô combien propice aux conflits de valeurs. Mais plus modestement et à bas bruit, des « dialogue entre parties prenantes » s’instaurent entre l’entreprise et la société en matière de responsabilité sociale, des comités d’éthique se créent dans les hôpitaux donnant la parole aux patients, des copropriétés apprennent à gérer en commun des espaces partagés… C’est la société elle-même qui se démocratise par des pratiques de dialogue jamais simples, jamais pleinement satisfaisantes mais néanmoins constructives. La démocratie, avant d’être un mode de gouvernement est en effet un cadre pour que des paroles puissent s’échanger.

Nous commençons ainsi à comprendre que la complexité du monde à construire demande une approche de la démocratie fondée sur le dialogue dans tous les lieux qui nous permettent de vivre en société. Pourtant cette parole partagée est beaucoup trop peu mise en valeur et promue. On préfère mettre l’accent sur la rhétorique et l’éloquence. L’usage de la parole pour construire un monde commun est encore largement laissée de côté. Et pourtant, là aussi, des initiatives existent ici ou là mais elles manquent considérablement de visibilité. La conversation n’est pas une pratique vraiment définie, les lieux où on s’y entraîne ne sont pas repérés en tant que tels.

Un travail de recensement des formes de conversation qui se pratiquent et des lieux où on s’y entraîne est plus que nécessaire.

C’est dans ce sens que nous lançons avec la Maison de la Conversation  une étude pour voir comment on use de la conversation dans tous les lieux de la société (les entreprises, l’hôpital, la justice, les ehpads, les services publics… ) et comment on pourrait aider à développer localement une « culture de la conversation » : pour que les lieux où l’on se parle partagent leurs savoir-faire, se renforcent mutuellement, se maillent avec des lieux d’éducation populaire pour donner l’envie de converser…

Si vous êtes intéressés, si vous avez des pratiques et des lieux à signaler, n’hésitez pas à prendre contact ! etude@maisondelaconversation.org