Comme une série Netflix dont nous serions les héros

Certains ont ouvertement évoqué la folie pour parler du geste du Président. Et si c’était en fait cette « mise en récit » que les politiques cherchent à construire quand ils peinent à peser sur le réel qui avait dérapé ? Quand la fiction l’emporte sur la réalité, le retour au réel doit peut-être se faire en prolongeant la fiction pour voir tout le potentiel qu’elle ouvre. Fictionnons les épisodes 3 et 4 !

Comme une série Netflix dont nous serions les héros
La-nouvelle-serie-politique-a-ne-pas-manquer-sur-Netflix-scaled

 

J’entendais dimanche soir Raphaël Llorca exposer une thèse brillante sur la dissolution[1]. Pour lui Emmanuel Macron a imaginé et réalisé un coup politique pour se redonner des marges de manœuvre à la manière d’un scénariste de série politique comme on en voit sur Netflix. Un coup spectaculaire qui rebat les cartes, prend tout le monde de court et montre à quel point lui seul est « le maître des horloges », lui seul a une parole performatrice. Elle tient en quatre petits mots – je dissous l’Assemblée nationale – aux conséquences immédiates et sidérantes.

Mais dès le deuxième épisode les personnages échappent à leur créateur. La réalité surpasse la fiction et des choses impensables jusque-là se produisent : création d’un bloc populiste sous l’impulsion du président d’un parti de gouvernement, mise en place inespéré d’un Front populaire qui réussit à ne pas être assimilable à une NUPES2, évidence immédiate de la défaite annoncée du camp présidentiel qui devient subitement inaudible. Tout cela en une semaine !

Les épisodes suivants ne sont pas écrits et nous avons tous la possibilité de prendre part au récit qui s’invente. Le président qui pensait avoir un scénario disruptif et puissant se trouve dépossédé de la conduite des événements. Nous passons du scénario d’un Prince et de ses conseillers de l’ombre à un récit pluriel forcément polyphonique sans doute en partie dissonant puisque sans chef d’orchestre ( les plus critiques diront cacophonique).

Le scénario de la suite, tel que je l’imagine, part de ce que je vois émerger ici et là : une partie créative de la société qui décide de se mobiliser plus pour proposer que pour dénoncer. On est loin – et heureusement – de la posture morale de 2002 face à Le Pen père. La morale en politique, c’est se placer en surplomb et distribuer des brevets de républicanisme, et ça la presse adore car ça fait des tribunes et des petites phrases bien clivantes. Aujourd’hui ce qui se joue à bas bruit pour l’instant, c’est que l’on peut partir d’expériences vécues et montrer que la métamorphose de la société a déjà commencé, qu’elle doit éclairer la politique, la nourrir et éviter qu’elle ne s’enferre dans des « solutions » qui laisseraient croire que tout viendra d’en haut.

Voici donc les épisodes dont j’ai envie d’être un des multiples scénaristes et acteurs !

Rappel des deux premiers épisodes : 1/ le Prince dissous, sidération et incrédulité 2/ la clarification se fait en accéléré … et ne va pas du tout dans le sens attendu par le Prince : droite démembrée, gauche recomposée, majorité présidentielle sonnée.

Episode 3 : une campagne qui voit la politique revivre

Les médias ont déjà enterré le camp présidentiel, reste une campagne facile à mettre en scène, Front contre Front. Mais, là encore, tout ne se passe pas comme attendu : le Rassemblement National continue sur sa lancée avec force selfies et publications sur TikTok mais sa quête de « gouvernabilité » est rendue difficile par les béances mises à jour dans son programme. La crispation qui en résulte chez les dirigeants du RN montre les grimaces derrière les sourires. Et ça donne soudain moins envie. Pendant ce temps-là, l’incroyable se produit : Mélenchon est out. Plusieurs figures s’affirment : Ruffin, Autain et Glucksmann remis de son amertume des débuts. On voit aussi percer une Aurore Lalucq, proche de Glucksmann et Manon Aubry débarrassée de la tutelle de Mélenchon. Les Verts, Marine Tondelier en tête se démènent pour remettre en avant la question de la transition écologique : on entend parler de sujets qui avaient totalement disparu et ça fait du bien à une partie de la jeunesse. « Une nouvelle gauche plurielle » affirme un Lionel Jospin rajeuni par ce rôle inattendu de garant du réalisme. Il éclipse Hollande qui aurait bien aimé jouer ce rôle et doit se contenter de tenter de redevenir député de Corrèze.

Mais ce qui est vraiment nouveau est ailleurs, dans la floraison d’initiatives prises par la société civile. Pas juste des prises de position comme celle des footballeurs bientôt suivis par les entrepreneurs engagés dans la RSE, des responsables de services publics de proximité… toute une série d’événements festifs envahissent les places publiques. On n’a pas autant parlé politique depuis … longtemps ! Ça prend des formes variées mais c’est toujours avec l’idée qu’il faut se réapproprier la politique et pas juste voter. On parle des coûts de l’alimentation et de sécurité sociale alimentaire, voiture électrique et alternatives à la voiture solo, travail et besoin d’en retrouver le sens avec des débats enflammés sur la pertinence de la réduction du temps de travail ! Assis sur des tabourets en carton ou sur les pelouses, debout pour des débats mouvants avec des lignes tracées à la craie sur le sol, on découvre, étonné, les myriades d’initiatives en tous genres qui donnent à espérer. Tout n’est pas aussi noir que le dit le RN et ça aussi ça fait du bien à beaucoup de gens.

Les médias finissent par se rendre compte qu’il se passe quelque chose, un peu aidés par les sondages qui, depuis que les candidats sont connus, montrent que le jeu n’est pas plié d’avance. Les reportages se multiplient « sur le terrain » comme ils disent. En fin de semaine, après le 20, on sent que l’espoir est en train de changer de camp, qu’une dynamique visible s’incarne sur les places des villes. Le RN qui s’appuie sur les passions tristes ne peut pas lutter à armes égales. On ne se réunit pas dans les lotissements du périurbain (et c’est bien une partie du problème que cet isolement chacun chez soi). La mobilisation réelle du RN se fait donc moins visible. Quelques excités, énervés par la tournure prise par les événements tentent la confrontation physique mais les médias présents montrent les images des affrontements qui éclairent crûment le contraste entre les deux Fronts. Les sondages baissent pour la première fois.

Episode 4 : reflux des passions tristes

C’est cet épisode 3 qui est déterminant. C’est celui qui s’écrit cette semaine et se jouera la semaine prochaine (oui, tout va encore plus vite que dans un feuilleton quotidien style Plus belle la vie !). L’épisode 4 serait, dans mon scénario, la suite logique du 3 avec une amplification du contraste entre passions tristes et passions joyeuses entre les deux tours. Le résultat électoral ne créerait pas de miracle : le RN serait au coude à coude avec le Front populaire, laissant au groupe du Président, même réduit à quelques dizaines de députés la responsabilité de trancher. Se rappelant alors de ce qu’était la macronisme à l’origine, les députés accepteraient de réinventer le « en même temps ». Un gouvernement au spectre large (de LFI à Renaissance) serait constitué.

Compte tenu de la forte mobilisation de la société civile au sein du Front populaire, la tentation de nommer au gouvernement plusieurs personnalités issues du monde socio-économique serait alors grande. J’imagine (avec beaucoup d’idéalisme j’en conviens) que sous l’impulsion de l’ancien secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, une autre voie serait ouverte : celle d’un contrat de gouvernement conclu avec les organisations réunies dans le Pacte du Pouvoir de vivre permettant une mobilisation d’ampleur de la société civile dans la transition socio-écologique.

L’occasion d’enclencher la Révolution dont je parlais et la mobilisation d’une ampleur inédite à laquelle j’appelais !!

 

[1] dans C Politique sur France 5, l’essayiste reprenait et complétait la thèse qu’il avait présentée dans une tribune du Monde Raphaël LLorca, essayiste : « Tout se passe comme si la dissolution avait psychiquement autorisé la liquidation de toutes les limites politiques » (lemonde.fr)

PS / Les prises de position et initiatives de la société civile qui vont dans le sens évoqué dans mon article sont nombreuses. Je citerai ici le Pacte du pouvoir de vivre qui dit sur son site : « Ces prochaines semaines, nous allons rendre visibles des initiatives, des rencontres, des rassemblements, des échanges, des espaces d’écoute organisés par la société civile organisée. Nous appelons toutes celles et tous ceux qui souhaitent débattre, partager leur vécu, leurs inquiétudes et leurs idées à y participer ».

J’ai entendu parler d’une initiative de Coopmédias qui va proposer un événement sur l’indépendance de la presse, Maxime de Beauchesne propose un média éphémère « 50 nuances de POUR le Front populaire« , les appels à mobilisation se multiplient comme celui d’ESS France qui a voté une résolution en ce sens …
N’hésitez pas à partager en commentaires vos propres initiatives. La société civile se montre créative et réactive !

Des législatives peuvent créer la surprise.

Il est temps de refuser l’enfermement mortifère du « Tous unis contre le RN ! ». Il nie la priorité à donner à la crise du Vivant. J’actualise ci-dessous ce que j’écrivais avant les législatives de 2022. Quand la politique n’est plus réductible à deux camps, avec trois pôles clairement distincts, la victoire du pôle social-écologiste est envisageable. Pour cela il faut de l’enthousiasme POUR, pas seulement un réflexe de peur CONTRE !

Des législatives peuvent créer la surprise.
l'assemblée nationale

Et si le film n’était pas écrit ?  Et si d’autres histoires, vivantes, créatives, dynamisantes surgissaient au sein de la société pour donner un nouveau cours à la vie politique ? Tout ne tourne pas autour de l’immigration et du sentiment de déclassement ! Et d’abord, ne négligeons pas une donnée fondamentale, un peu oubliée depuis que les législatives suivent systématiquement les présidentielles : les législatives, ce sont 577 élections simultanées avec leur contexte local … et ce sera d’autant plus vrai qu’il n’y aura pas de campagne ou presque pour uniformiser le vote. Les trois pôles – libéral, identitaire, social-écologiste – vont se maintenir avec plus ou moins de capacité à agréger une majorité selon ce qui va se jouer dans les prochains jours.

Je reprends quelques extraits, légèrement revus, de ce que j’écrivais en 2022.

Quoi après le « moment Macron » ?

Il y a bien eu un « moment Macron » mais celui-ci n’avait de sens que dans l’hypothèse où la modernisation du pays était dynamisante et bénéfique à tous. Macron c’était en quelque sorte une résurgence du Giscardisme nourrie du fantasme que nous n’avions pas su nous défaire des vieilles pesanteurs d’un pays trop habitué à tout attendre de l’Etat-providence. On sait maintenant que la start-up nation était un rêve périmé, incapable de répondre aux défis actuels : crise écologique, crise sanitaire, crise géostratégique.

Le fantasme identitaire pas plus que le rêve macronien ne sont en phase avec l’époque. L’aspiration au repli, la peur de l’autre existent bien sûr mais ce sont des passions tristes qui ne créent aucun élan, aucun désir. Si Macron a pu donner envie de le rejoindre, si son pôle a su être un temps rayonnant et attractif pour une frange des deux autres pôles, j’ai l’intime conviction que Le Pen et Bardella ne réussiraient pas à avoir cet effet d’entraînement. Notre société est beaucoup plus rétive à l’embrigadement que ne l’imaginent les républicains inquiets. Sans certitude ni naïveté, je persiste à m’inscrire dans la filiation d’Alain de Vulpian, ô combien socioperceptif, et je veux croire à la vitalité d’une société profondément démocratique malgré tout.

Emergence du pôle social-écologiste aux Législatives ?

Revenons un instant à l’intuition féconde de Bruno Latour. Dans « Où atterrir ? », il disait que la ligne de front entre Global et Local qui avait caractérisé la modernité ne tenait plus et qu’il fallait la remplacer par Terrestre et Hors-sol. Le Terrestre c’est cette nouvelle composition entre du global nécessaire pour éviter l’enfermement identitaire et du local pour éviter l’hubris de la croissance infinie. Quand le clivage gauche-droite mettait le pôle libéral au centre du jeu, le clivage Terrestre-Hors-sol met désormais le pôle écologiste en avant, en charge de l’articulation du global et du local.

Ce pôle possiblement attractif est toujours handicapé par notre système politique centré sur la flamboyance présidentielle (qui convient très bien aux deux autres pôles). Il y a une forme d’humilité consubstantielle au pôle social-écologique. Les législatives pourraient donc être une chance pour ce pôle, puisqu’elles se joueront sur des alliances locales. Ni le PS, ni les Verts, ni la France insoumise ne peuvent dicter la loi. S’il sait dépasser ses divisions multiples, le troisième pôle est en mesure de se retrouver au centre du jeu.

Les élections législatives pourraient donc se jouer non pas sur le soutien à un sauveur mais sur la fidélité à une promesse, celle de 2015, celle de maintenir l’habitabilité de la Terre. Pas  besoin d’un programme détaillé en mesures sectorielles pour réunir une telle majorité. Sortons aussi de l’illusion de l’efficacité des majorités sans faille. Ce qu’il faut c’est une direction claire et une capacité à négocier forte.

Un tel retournement reste improbable mais je suis un incorrigible explorateur de possibles même les plus improbables. Et admettez que n’avoir comme seul horizon le refus du pire stérilise la politique… au moment où nous avons l’impératif d’être immensément créatifs. Alors, cette alternative à la fois au pire et au moindre mal, il nous appartient de l’imaginer et de la construire.

Et si la pop démocratie réussissait à redonner le goût de la démocratie à la population française ?

Frank Escoubès, cofondateur de Bluenove, vient de publier « Pop démocratie » aux éditions de l’Aube. Il inaugure la série de micro-fictions d’anticipation que persopolitique proposera au cours de l’année avec des auteurs qui cherchent des voies d’avenir originales… et qui acceptent de se projeter dans trente ans, en 2053 pour imaginer les conséquences possibles de leurs propositions. Frank Escoubès parle des transformations démocratiques amorcées avec la mise en place de « corners démocratiques » là où on ne les attend pas.

Et si la pop démocratie réussissait à redonner le goût de la démocratie à la population française ?
melina-kiefer-5AEGWno3wVU-unsplash

 

J’imagine… Nous sommes en 2053 et je sors de ma retraite paisible pour répondre à une interview, à l’occasion des 25 ans de la « révolution des corners ».

Frank, vous êtes l’inventeur du terme de pop démocratie qui vous avait valu, il y a trente ans déjà, l’incompréhension de beaucoup d’observateurs de la vie publique. En deux mots on vous accusait de manquer de respect à l’égard de l’idée républicaine et de vouloir faire de la démocratie un jeu de téléréalité populaire, voire populiste. Vous comprenez ces critiques aujourd’hui ?

Encore moins aujourd’hui qu’hier puisque nous avons réussi avec le mouvement des pop démocrates à redonner goût à la chose publique à beaucoup de jeunes, ce dont je suis très fier. J’ai retrouvé une tribune en préparant notre entretien que j’avais écrite avec Aurélien Taché en 2022. Nous y relevions le paradoxe que les responsables politiques ne voulaient pas voir : « Les solutions institutionnelles appellent à plus de représentation dans un monde où le citoyen n’a plus confiance dans ses représentants ». Nous écrivions que ce paradoxe était intenable et nous avions raison, hélas. C’était avant les élections de 2027 de triste mémoire. Ce qu’on avait prédit et redouté pendant des années s’était enfin produit. La droite populiste avait gagné les élections. J’avais écrit un petit livre en 2023 avec des pistes pour redonner de la force à l’idée démocratique, pour la sortir du piège où on s’obstinait à l’enfermer en ne prenant pas en compte la capacité des citoyens à s’intéresser à la démocratie. Ce petit livre appelait à s’y intéresser autrement que par la seule voie de l’élection ou du référendum. Il a fallu le choc de 2027 pour qu’enfin un mouvement d’ampleur émerge dans la société civile. Ce que j’avais préconisé dans mon livre, on a été très nombreux à s’en saisir pour installer partout des corners démocratiques qui ont préfiguré nos « places publiques » d’aujourd’hui.

N’allez pas trop vite, Frank ! J’aimerais que vous nous rappeliez ce qu’a été la « révolution des corners ». Ça commence à dater, un quart de siècle exactement. Et les plus jeunes n’ont pas connu cette effervescence de la fin des années 20.

Vous avez raison ! En 2027, après la sidération des premiers mois et l’échec des grandes marches de protestation, on s’est rendu compte avec effroi que les gens s’habituaient progressivement à vivre avec un gouvernement populiste qui voulait tout faire pour gagner en respectabilité. On était dans la dynamique du « Soumission » de Houellebecq. Il fallait de toute urgence proposer un ressaisissement de la démocratie par les citoyens eux-mêmes. Il fallait qu’ils découvrent que la démocratie pouvait entrer dans leur quotidien. Qu’elle ne pouvait pas se confondre avec une pratique institutionnelle désincarnée, froide et lointaine, laquelle avait conduit au désastre électoral que l’on sait. Il fallait des assemblées, des agoras, des célébrations, des déjeuners-débats, des agapes politiques, des festivals civiques, des projections de films engagés, des conversations citoyennes, des nuits de la démocratie et des micro-actions de proximité. Bref, une effervescence proche de celle des radios pirates de la fin du siècle dernier. Continuer la lecture de « Et si la pop démocratie réussissait à redonner le goût de la démocratie à la population française ? »