Et si la pop démocratie réussissait à redonner le goût de la démocratie à la population française ?

Frank Escoubès, cofondateur de Bluenove, vient de publier « Pop démocratie » aux éditions de l’Aube. Il inaugure la série de micro-fictions d’anticipation que persopolitique proposera au cours de l’année avec des auteurs qui cherchent des voies d’avenir originales… et qui acceptent de se projeter dans trente ans, en 2053 pour imaginer les conséquences possibles de leurs propositions. Frank Escoubès parle des transformations démocratiques amorcées avec la mise en place de « corners démocratiques » là où on ne les attend pas.

Et si la pop démocratie réussissait à redonner le goût de la démocratie à la population française ?
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J’imagine… Nous sommes en 2053 et je sors de ma retraite paisible pour répondre à une interview, à l’occasion des 25 ans de la « révolution des corners ».

Frank, vous êtes l’inventeur du terme de pop démocratie qui vous avait valu, il y a trente ans déjà, l’incompréhension de beaucoup d’observateurs de la vie publique. En deux mots on vous accusait de manquer de respect à l’égard de l’idée républicaine et de vouloir faire de la démocratie un jeu de téléréalité populaire, voire populiste. Vous comprenez ces critiques aujourd’hui ?

Encore moins aujourd’hui qu’hier puisque nous avons réussi avec le mouvement des pop démocrates à redonner goût à la chose publique à beaucoup de jeunes, ce dont je suis très fier. J’ai retrouvé une tribune en préparant notre entretien que j’avais écrite avec Aurélien Taché en 2022. Nous y relevions le paradoxe que les responsables politiques ne voulaient pas voir : « Les solutions institutionnelles appellent à plus de représentation dans un monde où le citoyen n’a plus confiance dans ses représentants ». Nous écrivions que ce paradoxe était intenable et nous avions raison, hélas. C’était avant les élections de 2027 de triste mémoire. Ce qu’on avait prédit et redouté pendant des années s’était enfin produit. La droite populiste avait gagné les élections. J’avais écrit un petit livre en 2023 avec des pistes pour redonner de la force à l’idée démocratique, pour la sortir du piège où on s’obstinait à l’enfermer en ne prenant pas en compte la capacité des citoyens à s’intéresser à la démocratie. Ce petit livre appelait à s’y intéresser autrement que par la seule voie de l’élection ou du référendum. Il a fallu le choc de 2027 pour qu’enfin un mouvement d’ampleur émerge dans la société civile. Ce que j’avais préconisé dans mon livre, on a été très nombreux à s’en saisir pour installer partout des corners démocratiques qui ont préfiguré nos « places publiques » d’aujourd’hui.

N’allez pas trop vite, Frank ! J’aimerais que vous nous rappeliez ce qu’a été la « révolution des corners ». Ça commence à dater, un quart de siècle exactement. Et les plus jeunes n’ont pas connu cette effervescence de la fin des années 20.

Vous avez raison ! En 2027, après la sidération des premiers mois et l’échec des grandes marches de protestation, on s’est rendu compte avec effroi que les gens s’habituaient progressivement à vivre avec un gouvernement populiste qui voulait tout faire pour gagner en respectabilité. On était dans la dynamique du « Soumission » de Houellebecq. Il fallait de toute urgence proposer un ressaisissement de la démocratie par les citoyens eux-mêmes. Il fallait qu’ils découvrent que la démocratie pouvait entrer dans leur quotidien. Qu’elle ne pouvait pas se confondre avec une pratique institutionnelle désincarnée, froide et lointaine, laquelle avait conduit au désastre électoral que l’on sait. Il fallait des assemblées, des agoras, des célébrations, des déjeuners-débats, des agapes politiques, des festivals civiques, des projections de films engagés, des conversations citoyennes, des nuits de la démocratie et des micro-actions de proximité. Bref, une effervescence proche de celle des radios pirates de la fin du siècle dernier. Continuer la lecture de « Et si la pop démocratie réussissait à redonner le goût de la démocratie à la population française ? »

Appel à développer un fitness citoyen !

Nous avons besoin de lieux pour muscler la parole démocratique, face à la montée de l’abstention et aux tensions complotistes ou populistes. Et si nous décidions de les créer ?

Dans une société d’individus, la politique finit par perdre son sens surtout quand on n’a plus l’impression d’être écouté. De plus, avec une information toujours davantage sous l’influence des chaînes info et des réseaux sociaux, les citoyens deviennent des proies possibles pour le complotisme, la post-vérité. Certains en concluent que nous entrons dans une ère post-démocratique, avec la montée de l’abstention, du dégagisme ou du populisme.

L’imaginaire démocratique perd assurément de sa puissance évocatrice et de son attrait. Et pourtant, la soif d’expression révélée sur des registres très différents lors de la crise des Gilets jaunes  ou avec la prise de parole des jeunes générations sur l’urgence de la transition, est bien le signe que l’esprit démocratique est toujours vivace et qu’il cherche d’autres modes d’expression.

Soit qu’on se détourne de la politique, soit qu’on en refuse les formes actuelles,  la capacité à « s’opposer sans se massacrer » (selon la formule des Convivialistes reprise de Marcel Mauss) ne va plus de soi.

N’avons-nous pas dès lors la responsabilité collective d’accompagner et de soutenir toutes les démarches qui se font jour pour revitaliser la parole démocratique, à un moment où l’éducation populaire et le militantisme politique ont déserté l’horizon de la plupart de nos concitoyens ? 

Inventons le fitness citoyen !

Notre intuition est qu’il faut inventer de nouveaux lieux, de nouvelles occasions pour « muscler » cette parole démocratique. A la fois pour qu’elle se fortifie et « s’assouplisse » dans son expression et pour qu’elle s’étende à davantage de publics. Notre pays a vu se développer en quelques années un réseau dense de salles de fitness où on développe sa condition physique. Ne devrait-on pas avoir accès à des salles de fitness citoyen[1] (dans le double sens de fitness, aptitude et bien-être) ? Il s’agit bien de trouver en proximité des lieux d’entraînement où cultiver une souplesse d’esprit, une endurance argumentaire, un plaisir d’échanger des points de vue…

Concrètement comment faire ? Incitons les différents lieux de socialisation existants (bibliothèques, centres sociaux, mais aussi des cafés, des tiers lieux,…) à proposer directement ou via des mouvements citoyens amis des moments de « tissage de paroles » où l’on viendra retrouver le goût de la parole et de la réflexion politique. Des lieux où l’on pourra développer sa capacité à se construire une opinion personnelle raisonnée, à l’argumenter et à la défendre par une prise de parole publique… mais aussi des lieux où on viendra échanger simplement pour refaire le plein d’énergie en partageant ses raisons d’espérer, ses derniers coups de cœur, ses rencontres inspirantes…

Contrairement à ce qu’on dit souvent, ce n’est pas tellement d’action que l’on manque, c’est plutôt d’une parole qui fait sens, une parole qui politise et donne à voir un « futur désirable ».

Partons des personnes, explorons la voie « persopolitique »

Dans une société d’individus, on ne peut redonner du souffle à la démocratie qu’en partant des personnes et de leur capacité d’expression. Associer Perso et Politique peut surprendre ou agacer. Ne souffre-t-on pas justement d’un repli individualiste ? La politique ne doit-elle pas avant tout redonner le sens du collectif ? Le point de vue défendu ici est qu’il faut davantage politiser les personnes que personnaliser la politique comme on l’a tenté sans succès depuis des années.

Cette politisation des personnes passe par l’expression et l’échange sur tout ce qui est aujourd’hui considéré à tort comme infra-politique : les initiatives du quotidien pour améliorer la vie et qui souvent dépassent l’action purement individuelle : rien qu’autour du jardin, de l’alimentation et de la santé, on a une richesse trop négligée !

Les trois registres de l’individuation, de la socialisation et du politique ne sont pas reliés, pire, ils s’excluent souvent mutuellement ! Les « trames » à tisser sont donc bien « persopolitiques » au sens où elles doivent créer des liens entre ces différents registres de la pratique démocratique : développer son discernement de citoyen, agir avec les autres sur ce qui nous concerne, développer des stratégies d’alliance pour changer l’ordre des choses quand il dysfonctionne.

Accompagnons cette « conversation démocratique »

Il est nécessaire de disposer sur le territoire de suffisamment de lieux de proximité où pourra s’animer cette conversation démocratique permanente.

Les lieux, inutile de les créer. En revanche il faut repérer des personnes aptes à devenir des « entraîneurs de la parole », ou plutôt des « trameurs de paroles », des personnes qui savent créer du lien, aider à l’expression et au rebond de l’un à l’autre. Et ensuite les rendre visibles, leur donner des modes de faire (simples !) et les aider à « garder la foi » par des échanges réguliers entre pairs.

C’est ce que nous voudrions initier en constituant un premier réseau de « trameurs de parole » volontaires pour expérimenter ce fitness citoyen.

Pour être à la hauteur de l’enjeu, nous devrons rechercher le soutien de municipalités, d’entreprises travaillant au service du bien commun (mutuelles, entreprises délégatrices de services publics, fondations…) pour que l’initiative ait une réelle force et une réelle ampleur.

Nous pourrons ainsi :

  • Repérer un premier réseau de « trameurs de parole », au-delà des initiateurs
  • Identifier des lieux et réseaux de lieux pouvant accueillir la conversation démocratique et ce tramage de la parole du personnel au politique
  • Proposer des formats comme les ateliers d’argumentation, les stations-services[2], …
  • Mettre en place un site collaboratif où chacun va pouvoir
    • découvrir le lieu le plus commode en termes de proximité et d’horaires de rencontres,
    • se proposer pour devenir « trameur de parole »,
    • inscrire un nouveau lieu sur la carte,…
  • Développer la visibilité auprès des acteurs locaux et des citoyens grâce à une campagne presse et réseaux sociaux et par un lobbying citoyen auprès des réseaux de lieux potentiellement intéressés (centres sociaux, bibliothèques,…)
  • Animer des rencontres de formation mutuelle et de ressourcement des « trameurs » on et off line.

Avec la brusque massification de l’abstention, il est temps de donner à chacun l’occasion de retrouver le goût de la politique. Et aucune campagne d’appel au vote, même massive, n’y suffira. Le fitness citoyen est une voie à explorer. Et si nous le faisions ensemble ? 

Le projet est volontairement limité pour pouvoir le mener sur tout le territoire avec un déploiement rapide. Je parle de ce projet depuis plusieurs mois et il rencontre un écho favorable auprès de beaucoup de mes interlocuteurs. Il est temps de voir si un nombre suffisant de « co-porteurs » peut émerger.

Nous sommes déjà plus d’une dizaine de personnes à être intéressées pour être parties prenantes du projet et cinq d’entre nous ont pris le temps de se réunir pour un premier partage aujourd’hui, 14 juillet. Laissez un commentaire si vous souhaitez entrer dans l’aventure d’une manière ou d’une autre. Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues !!

 

[1] Des interlocuteurs se sont étonnés que j’utilise un terme anglo-saxon. Si je parle de fitness citoyen, c’est que je pense qu’il faut s’adresser à celles et ceux à qui ce terme parle et non à ceux (comme moi !) qui préféreraient des termes français ! Et puis fitness a un double sens qui relie aptitude et forme/bien-être et c’est intéressant.

[2] Les « stations-services » sont un « format » de rencontre que nous nous proposons d’expérimenter : il s’agit de permettre à ceux qui y viennent de faire le plein d’énergie en partageant, le temps d’un tour de table convivial, ce qui leur a donné des raisons d’espérer dans les jours/semaines précédentes. De ce partage elles peuvent repartir en se sentant renforcées, reboostées pour mener leurs propres activités.

Des pistes pour une pratique imaginative de la participation

Les élections municipales ont placé à la tête des communes des élus souvent favorables à la participation des citoyens. Le passage à l’action est un art périlleux ! quelques pistes pour ne pas choisir entre URGENCE et IMPORTANCE !

Les élus nouvellement installés sont confrontés au dilemme classique entre urgence et importance. On le sait d’avance, c’est l’urgence qui gagne à chaque fois ! Or l’urgence conduit à faire avec les moyens du bord sans rien changer aux pratiques, même lorsqu’elles ne sont pas jugées satisfaisantes. On tombe alors dans le cycle bien connu de la défiance réciproque : les démarches mises en œuvre souffrent des mêmes défauts qu’avant et sont donc déceptives ; les citoyens qui espéraient des changements contestent ou se rétractent, les agents et les élus face à ces réactions vont vite perdre leur enthousiasme. Beaucoup d’énergie aura été déployée en pure perte ou presque.

Comment sortir de ce cercle vicieux ? En transformant l’importance en urgences ! Urgence-s au pluriel parce que l’importance est toujours trop énorme trop protéiforme pour s’insérer telle quelle dans les logiques de l’urgence.

Pour cela il faut démontrer que ces « urgences de l’importance » sont autant de raccourcis créatifs pour aller plus vite dans l’établissement d’un nouveau contrat démocratique, d’une nouvelle relation entre élus, services, citoyens, acteurs sociaux… La définition du contrat démocratique ne doit pas être vue comme un préalable en raison de son importance mais comme une succession de rendez-vous qui vont à chaque fois rendre plus fluide la mise en œuvre de tous les chantiers urgents grâce à une montée en puissance de la qualité de la relation (vision partagée, confiance dans l’organisation mise en place…). Continuer la lecture de « Des pistes pour une pratique imaginative de la participation »