Vœux, défi et jubilé

Dommage que le Président n’ait pas proposé, à l’occasion de ses vœux, un nouveau défi pour faire suite à ceux, réussis, de Notre-Dame et des Jeux Olympiques. Et si nous réussissions collectivement à nous fixer un défi à la hauteur des enjeux écologiques qui sont devant nous. Un jubilé ?

sur le chemin de Compostelle

Emmanuel Macron dans ses vœux a affirmé que chacun d’entre nous était nécessaire « pour bâtir une Nation et une République plus belles encore » en référence aux grands chantiers dont nous venons de vivre l’aboutissement en 2024, Jeux Olympiques et Notre-Dame. C’est évidemment aussi la manière dont je vois la possibilité de construire l’avenir : nous rassembler pour porter ensemble les chantiers immenses qui sont devant nous. Malheureusement le projet qu’il dit avoir « rapidement brossé » au cours de ses vœux n’est absolument pas en mesure d’entraîner la mobilisation de tous qu’il espère. Sur le fond, il reste enfermé dans une vision de l’avenir où il faudrait « que s’inventent en France et en Europe les technologies et les entreprises qui façonneront le monde de demain, notre avenir, notre croissance : l’intelligence artificielle, les révolutions du quantique, de l’énergie, de la biologie ». Quand il évoque l’écologie, il n’en fait qu’un « réveil européen » parmi d’autres (réveil scientifique, intellectuel, technologique, industriel, réveil agricole, énergétique et écologique) alors que la question écologique devrait conditionner l’ensemble des réveils qu’il propose.

Ce qui a réussi avec Notre-Dame ou les Jeux Olympiques est absent des vœux du président : ni projet précis, ni échéance pour donner l’impulsion nécessaire. C’est d’autant moins explicable que c’est lui qui avait fixé le cap pour Notre-Dame en proposant cette « reconstruction en cinq  ans » qui semblait – à moi le premier – ni tenable ni même forcément souhaitable. Pourquoi ne nous fixe-t-il pas un cap équivalent qui pourrait nous mobiliser tous ? Certes, il n’a plus la main pour gouverner mais ce n’est pas nécessairement un handicap. Il s’agit en effet moins de gouverner que de présider, par le verbe et la mobilisation du symbolique (ce qui nous jette ensemble », selon l’étymologie). Il s’agit de permettre une convergence et une synchronisation des efforts de chacun, entreprises, collectivités, associations, citoyens… autour d’un défi suffisamment fort et suffisamment urgent pour être partagé par une grande partie de la population. Pour moi, le défi est tout trouvé : tenir les engagements pris à Paris en 2015, lors de la COP 21.

On sait qu’il ne s’agit pas d’une affaire gouvernementale. Aucun gouvernement ne peut réussir ce défi par les outils à disposition du gouvernement : la règlementation et le budget. C’est une affaire de modes de vie qui nous concerne tous ainsi que de modèle économique des entreprises. Plus fondamentalement, c’est un choix de société pour redéfinir ce qui compte pour nous, ce qui nous met en mouvement. Tant que ce sera le pouvoir d’achat, nous n’avancerons pas dans la bonne direction et tout progrès sera perdu dans les effets rebonds.

Le défi est immense mais pas hors de portée si nous trouvons le moyen de nous aligner. Si le Président ne nous y aide pas, saurons-nous trouver une manière de faire converger les forces qui travaillent déjà la société sans que ce soit toujours visible ? J’avais repris sur LinkedIn (avec un succès jamais égalé jusqu’ici), la phrase fameuse de Victor Hugo déjà citée ici : « Si étrange que semble le moment présent, quelque mauvaise apparence qu’il ait, aucune âme sérieuse ne doit désespérer. Les surfaces sont ce qu’elles sont, mais[…] les courants sous-marins existent. Pendant que le flot s’agite, eux, ils travaillent. On ne les voit pas, mais ce qu’ils font finit toujours par sortir tout à coup de l’ombre, l’inaperçu construit l’imprévu. »

Oui, les courants sous-marins existent ; le défi est qu’ils sortent de l’ombre à temps pour que nous évitions les effondrements qui menacent.

En réfléchissant à ce texte et aux mots à employer, je me disais que le terme « défi » qui revient facilement sous ma plume pouvait poser problème. On l’utilise dans une logique souvent de compétition. Même collectif, le défi suppose de l’emporter face à d’autres. Plus embêtant pour quelqu’un qui se préoccupe du sens des mots et de ce qu’ils véhiculent même inconsciemment au travers de leur étymologie : défi et défiance sont parents. Défier, au sens premier, c’était une provocation, l’annonce que l’on renonçait à la foi jurée. Le défi est d’abord une mise en cause de la confiance mutuelle, en d’autres mots, une traitrise. Que peut-on construire sur un rejet aussi radical que celui d’une foi commune, d’une fidélité à la parole ?

Et si finalement, c’était pourtant bien sur ce registre du défi, dans ce qu’il a de plus radical, qu’il fallait se situer pour faire face à ce qui est devant nous ? Et si nous avions bien à abjurer la foi qui nous est commune ? Pas la foi religieuse qui désormais n’est plus le ciment de nos sociétés mais la foi dans le consumérisme, dans ce bien-être procuré par l’acquisition et l’accumulation de biens toujours plus nombreux ? Mais pourquoi renoncer à ce qui constitue notre confort et nos routines ? Ce sera impossible tant qu’on ne proposera pas un autre confort et d’autres routines aussi attractives. Le défi que nous devons concevoir, puisque le Président ne nous le propose pas, doit offrir une alternative crédible. Ce n’est pas hors de portée. De nombreux exemples locaux prouvent que des citoyens en tous lieux peuvent se mettre en mouvement : des urbains, comme ceux de la République des hyper-voisins du XIVème arrondissement de Paris, aussi bien que des ruraux, comme les habitants du village de Châtel-en Trièves.

2025 est une année jubilaire[1] pour les catholiques, une année où l’on est invité à remettre les pendules à l’heure en quelque sorte, à se remettre en marche. Le Pape a proposé d’être des « pèlerins d’espérance ». Le pèlerin c’est celui qui rompt avec ses habitudes et son confort pour marcher sur les chemins avec l’envie d’amorcer une nouvelle étape dans sa vie. Pas besoin d’être croyant pour partir, on le voit bien avec le renouveau des chemins de Compostelle. Mon chemin passe par Autun, je raconterai ici l’aventure que j’amorce.

2025, année de défi, année pérégrine, année de jubilation ?

[1] Un jubilé, c’est au départ chez les Juifs, l’issue de sept cycles de sept ans. C’est donc la cinquantième année, une année de jachère et de remise des dettes. Et jubiler aujourd’hui, c’est un verbe un peu vieilli mais si beau pour dire une joie intense.

 

PS / Sur l’horizon temporel qu’il nous donne, je rejoins le Président… : « Pour le quart de siècle qui vient, je veux que nous puissions décider et agir, avec 2050 en ligne de mire ». Il est vital de retrouver une perspective de long terme. Mais nos imaginaires du futur (et particulièrement celui du Président) sont bien trop pollués par les modes, sans mise en perspective : L’IA aujourd’hui, comme la voiture autonome ou le métavers hier ne sont que des « bulles d’obsession » sans lendemain tant leur modèle économique est strictement incompatible avec les limites planétaires (une simple recherche avec ChatGPT est 10 fois plus énergivore qu’une recherche internet « classique »). Avec Imaginarium-s, nous essayons de regarder au-delà de ces avenirs sans avenir. C’était par exemple très inspirant de la faire avec la Guilde des Plumes sur l’avenir du métier de « plume » au-delà de « l’horizon IA » qui semble pouvoir remplacer les travaux d’écriture par la génération automatique de textes. Ce n’est pas si simple, heureusement !

 

 

 

 

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Auteur/autrice : Hervé CHAYGNEAUD-DUPUY

Je continue à penser que l’écriture m’aide à comprendre et à imaginer.

Une réflexion sur « Vœux, défi et jubilé »

  1. Et si les catholiques (donc moi-même) se mettaient vraiment en marche afin de pratiquer l’Évangile pour tirer le monde, l’humanité vers plus de bonheur dans la sobriété ? Je place Hervé ta parole de ce jour dans la ligne de mes souhaits de Noël :
    https://www.enmanquedeglise.com/2024/12/suite-a-ce-noel-2024-les-voeux-d-une-nouvelle-annee-pleine-d-esperance.html

    Le pèlerin c’est celui qui rompt avec ses habitudes et son confort pour marcher sur les chemins avec l’envie d’amorcer une nouvelle étape dans sa vie.

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