obsidional

Ceux qui me lisent régulièrement savent que j’aime les mots. Il y avait longtemps que je ne m’étais penché sur un mot rare dans ce blog. Un mésusage d’un éditorialiste du Monde m’a ramené au mot obsidional. Un mot d’actualité… mais sans rapport avec obsessionnel avec lequel il était confondu. Je vous laisse découvrir…

Pourquoi notre démocratie, censée être le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple, semble si loin du peuple ? Les explications habituelles tournent autour d’un éloignement réciproque du peuple et des élites, plus subi que voulu, une pente naturelle des démocraties matures en quelque sorte. L’ennui est que cette vision conduit à l’inaction ou aux sempiternelles rengaines sur la crise de la représentativité sans autre solutions que des appels à la vertu ou à une énième réforme des institutions. Un petit test (dont le résultat m’a sidéré quand je l’ai fait). Combien avons-nous eu de réformes de la Constitution de la Vème République ? Pas moins de 24 !

Il est temps de forcer le trait, de dire nettement ce qui pose problème si l’on veut trouver des solutions à la hauteur de l’enjeu. L’éloignement des élites est volontaire, il est une manière de protéger la chose publique du peuple vu de plus en plus comme une menace dont il faudrait se prémunir pour agir alors que la solution est à l’exact opposé : faire confiance aux ressources dont fait preuve la société pour retrouver des marges d’action. C’est ce qu’on appelle un syndrome obsidional.

Face à l’impuissance et à l’ingouvernabilité, le syndrome obsidional

On parle de syndrome obsidional pour désigner la sensation d’être assiégé de toute part. Lorsque j’écoute nos dirigeants, j’ai l’impression qu’ils sont toujours sur la défensive, à la fois méfiants et inquiets. Ils ne cessent ainsi de nous dire que faire de la politique n’est pas un métier facile, que la moindre décision est un parcours d’obstacle, une guerre d’usure. Il s’agit pour eux de « faire face ». L’attitude requise est bien celle du lutteur prêt à endurer les coups. Combien de fois n’a-t-on pas entendu la formule : « en politique, il faut se blinder », ou, à l’inverse : « il (elle) ne va pas durer, il (elle) est trop tendre ! » A la fin il ne reste que les vieux crocodiles !

Cette approche défensive de la politique se note déjà dans le vocabulaire employé : la politique n’est plus qu’une longue lutte contre toutes sortes d’ennemis externes et internes. La lutte est ainsi engagée contre le terrorisme, les déficits, l’insécurité, le chômage, le réchauffement climatique, le SIDA, l’illettrisme, l’échec scolaire, le stress au travail, les discriminations, la faim dans le monde,… La liste semble infinie de ces combats sans cesse menés et jamais terminés car jamais gagnés… ni perdus. La politique est donc vécue de plus en plus comme une guerre sans fin. C’est le Désert des Tartares, une mobilisation de tous les instants face à un ennemi d’autant plus effrayant qu’il reste invisible. La politique n’est donc plus un combat positif en faveur d’un progrès mais une lutte pied à pied pour maintenir l’existant. Nous avons toujours quelque chose à sauver : notre régime des retraites, notre modèle social, notre exception culturelle. Le seul chantier positif qui me vienne à l’esprit est un chantier … européen : la construction de l’économie de la connaissance engagée à Lisbonne il y a plus de dix ans… et laissé en plan depuis longtemps !

Plus fondamentalement les responsables politiques voient bien que leur capacité d’action s’est réduite avec la montée de l’individualisme, les relations complexes aux médias dans une démocratie d’opinion, la place prise par les acteurs économiques et financiers dans la marche du monde. Notre hypothèse est que, centrés sur ces luttes pour exister, ils ne peuvent en même temps remettre en cause leur mode de faire habituel. D’abord « faire face », se battre pied à pied pour « sauver » la politique des attaques qu’elle subit. Ensuite on verra comment répondre aux attentes des gens. Ce faisant, ils s’enferment dans une défense et illustration de la politique à l’ancienne sans voir que cette approche renforce encore l’impuissance du politique.

La « société des individus » est apparemment ingouvernable. C’est vrai si on regarde la politique comme le moyen d’entraîner les foules derrière soi. Le « ralliez-vous à mon panache blanc !» d’Henri IV semble toujours d’actualité pour nos gouvernants… mais pas pour les citoyens qui ne se laissent pas embrigader si facilement. Les partis, les idéologies, les appartenances de toutes sortes étaient les alliés objectifs de cette politique de la mobilisation. On sait aujourd’hui la faiblesse des adhésions et la relativité des identités. Les politiques dénoncent l’émiettement de la société, son anomie.

la société n’existe que si « on se mêle de tout »

Pourtant la société que décrivent bien des sociologues est fort différente. Arrêtons-nous un instant sur la manière dont Bruno Latour revisitant Gabriel Tarde[1] nous invite à la voir. C’est a priori déroutant mais c’est très utile pour comprendre comment le politique peut retrouver une utilité profonde, très loin des enrôlements fantasmés. « Qu’est-ce que la société ? la possession réciproque, sous des formes extrêmement variées, de tous par chacun ». Voilà comment Gabriel Tarde, le grand oublié de la sociologie, définissait la société. Latour nous prend par la main pour nous faire comprendre cette affirmation d’ une société définie comme une « possession mutuelle » plutôt que comme ce grand tout qui surplombe les individus dont parle la vulgate sociologique et dont s’accommodaient les politiques.

Le champ que je possède est bien « à moi » mais « sous une forme extrêmement variée » il est aussi, en un certain sens, « à lui », mon voisin, puisque demain je vais dépendre de lui pour y déplacer une moissonneuse batteuse, curer un fossé ou livrer des bêtes au foirail.

Latour poursuit :

On ne peut obtenir de société et même tout simplement d’action organisée qu’à la seule condition que chacun « se mêle de tout » mais « sous des formes extrêmement variées ».

On n’est pas très loin de la logique des « parties prenantes » du développement durable. En effet la possession de tous par chacun relativise beaucoup l’absolu de la propriété auquel nous sommes habitués (le « droit inviolable et sacré » dont parle la déclaration des droits de l’Homme).

L’harmonie n’émerge que parce que [la société] n’est justement jamais un tout supérieur aux parties, mais ce par quoi les parties, chacune prises comme un tout, parviennent à se laisser posséder, pour une fraction d’elles-mêmes et seulement pour un temps « sous des formes extrêmement variées ».

La politique reprend donc toute sa place dans cette sociologie : les « possessions » ne sont pas réparties d’en haut, une fois pour toutes, mais elles s’inter-organisent par des ajustements toujours dynamiques et toujours provisoires.

Il est certes difficile de faire de la politique avec des individus composites et changeants mais on n’a pas non plus à faire avec des individus sans appartenance. Aujourd’hui le passage en force ou l’agrégation de majorités par la séduction de larges catégories de la population n’est plus possible. Il faut savoir composer. Nous voyons régulièrement dans ce blog que les citoyens disposent des ressources pour cette composition grâce à leur aptitude à piloter leur vie de manière avisée, à leur propension à l’empathie et à la coopération. Il appartient aux politiques de tirer parti de ces capacités pour éviter que notre goût du conflit de tous contre tous, toujours vivace, ne reprenne le dessus.

 Composer : le rôle majeur du politique

Composer, tel est sans doute le mot le plus juste aujourd’hui pour décrire le rôle du politique. Il suppose de la créativité et de la confiance. On est très loin des solutions institutionnelles habituellement promues. Mais on voit aussi quelle révolution des pratiques politiques cela nécessite. Il n’y a qu’à voir par exemple la seconde saison de la série Les hommes de l’ombre sur France 2, beaucoup plus subtile que la première, mais toujours désespérante, pour se dire que le chemin sera long. Pour moi, néanmoins, la description la plus clinique de ce syndrome obsidional du pouvoir reste l’impressionnant Exercice de l’Etat, le film de Pierre Schoeller avec Olivier Gourmet et Michel Blanc, sorti en 2011.

Pour ne pas terminer sur ce qui pourrait ressembler à un réquisitoire contre les responsables politiques, je veux réaffirmer que la fonction politique reste pour moi indispensable. C’est en effet bien à elle que revient l’organisation de ce travail de composition dont j’ai parlé. Je reviendrai dans un prochain texte sur une prodigieuse défense et illustration de la parole politique… encore une fois de Bruno Latour. Il explique pourquoi la parole politique est nécessairement décevante pour produire ce qu’elle a à produire : du commun. Pour ceux qui ne voudraient pas attendre voici où trouver le propos de Latour : « Si l’on parlait un peu politique ? »

 

[1] Bruno Latour, « La Société comme possession – la preuve par l’orchestre », In Philosophie des possessions, Didier Debaise, Presses du réel, 2011. J’avais déjà fait mention de ce texte dans un billet précédent Etre ou avoir

Passation de pouvoir

Après les passations de pouvoir entre ministres, à quand la passation DU pouvoir ? Réflexion printanière sur la démocratie 😉

Les dernières passations de pouvoir ont eu lieu. Le jeu de chaises musicales est terminé. Les promus comme Ségolène Royal et Benoît Hamon ont profité de la défection des Verts pour avancer de deux cases. Le seul nouveau venu est le maire de Dijon, 61 ans ! Le pouvoir est censé passer… mais en fait il reste ! Et personne n’est dupe. Les sondages montrent que Manuel Valls n’aura pas la confiance des Français. Tout ça pour ça.

Il fait beau ce dimanche, les glycines embaument, la lumière sur Lyon vibre en contrebas de la Croix-Rousse d’où j’écris … et j’aimerais tant que le printemps concerne aussi notre vie politique ! J’entendais tout à l’heure Elio di Rupo le premier ministre belge, il était vif et drôle. Pourquoi Valls oublie-t-il la liberté de ton que nous lui connaissions quand il était maire d’Evry ? La République, ses ors et ses pompes, nous plombent !

Il est temps que le pouvoir passe vraiment ! C’est pour moi le principal enseignement des municipales. Alors qu’on disait que les maires bénéficiaient d’une cote de proximité et pouvaient cumuler dans le temps 3 ou 4 mandats sans souci, les Français ont démenti cette affirmation par un vote qui renouvèle largement le personnel municipal. Ils ont même  évité quand ils le pouvaient de mettre en avant les étiquettes politiques. L’UDI, les Verts alliés au Front de gauche, les divers droite en ont profité… et pas seulement le Front National comme on pourrait le croire avec la focalisation des médias sur la tentative de Marine Le Pen de sortir son parti de la marge. Même artificielle, sa volonté de s’inscrire dans une logique ni gauche ni droite correspond à une tendance qu’on retrouve élection après élection depuis des années. Bayrou avant elle, Chevènement encore avant ont cherché à sortir de la bipolarisation.  Eux l’ont tenté sans succès en voulant s’insérer dans le jeu classique par la réunion des bonnes volontés de gauche et de droite au-delà du clivage partisan. Peut-être que demain la stratégie de Marine Le Pen trouvera plus d’écho car, elle, ne cherche pas l’union mais « l’alternative à l’UMPS ». Elle ne dit plus, comme Bayrou, dépassons nos fausses rivalités mais chassons les sortants, tous les sortants. En cela elle ne remet pas en cause la bipolarisation de la Vème République, elle invente un nouveau découpage bipolaire dont elle incarne un pôle, tous les autres faisant parti du deuxième pôle. On est loin des raisonnements byzantins du centriste Bayrou, c’est sûr ! Et le moment venu efficace, car conforme au mode de fonctionnement des institutions. Le danger est là.

Alors oui, la question de la « passation du pouvoir » devrait nous occuper tous avant que la vague bleu marine ne submerge la République ! Que peut être ce « passage DU pouvoir » ? D’abord la reconnaissance d’une migration : le pouvoir n’est plus seulement dans les palais de la République ! L’impuissance du politique tient largement au fait qu’il ne reconnait pas ses limites et ne modifie pas en conséquence ses modes d’action. On dit « la finance voilà l’ennemi » pour conquérir le pouvoir mais ensuite on se garde d’y toucher. On veut un pacte de responsabilité avec des contreparties et on renonce à les exiger. On fait comme si… mais personne n’est dupe, simplement un peu plus désabusé jour après jour.

Oui, il y a des pouvoirs qui échappent largement au pouvoir politique tel qu’il est organisé : pouvoir économique, pouvoir financier, pouvoir médiatique,… Doivent-ils pour autant être « hors champ » par rapport à la démocratie ? Pour moi, il va de soi que non. La démocratie doit investir tous les pouvoirs. Doit-elle le faire en passant par le pouvoir politique et par ses modes d’action : ma réponse, provocante pour beaucoup, contestable bien évidemment, est non. Il est urgent de trouver des règles du jeu qui donnent aux citoyens les moyens d’agie sur et avec les pouvoirs médiatique, économique,… Le développement du « pouvoir d’agir » est à ce prix. Il faut réussir à développer des alliances avec les pouvoirs existants pour redonner aux citoyens le moyen de maîtriser leur vie… sans tout attendre du pouvoir politique qui n’a plus les bons leviers.

La reconnaissance de la réalité DES pouvoirs et de leur nécessaire démocratisation par des moyens donnés aux citoyens d’interagir directement avec eux, voilà un chantier essentiel auquel le Laboratoire de la Transition Démocratique entend s’atteler. Pour cela il est tout aussi nécessaire de sortir d’une vision univoque de la question du pouvoir. Penser uniquement le pouvoir en termes de séparation, de « checks and balances » comme disent les anglo-saxons, laisse dans l’ombre l’égale nécessité de coopération des pouvoirs. Face à l’impuissance publique, ne doit-on pas aussi chercher à rendre le pouvoir plus efficace ? Une manière de le faire, comme y invite Patrick Viveret,  consiste à distinguer ses deux aspects, le « pouvoir sur » qui est une domination et le « pouvoir de » qui est une capacité à faire. Notre souci légitime de limiter le pouvoir de domination nous a trop souvent empêchés de réfléchir aux conditions d’émergence d’une véritable capacité d’action politique.

Pierre Rosanvallon dans un article du Monde du 17 juin 2011[1] affirmait avec justesse qu’il fallait revoir notre conception de la séparation des pouvoirs :

Plus que d’une séparation ou d’une balance de ceux-ci, c’est en termes de complication, de démultiplication et de distinction des fonctions et des formes démocratiques qu’il faut raisonner. Il lui parait ainsi utile de démultiplier les voies d’expression de l’intérêt général.

Rosanvallon en conclut qu’il faut « compliquer » la démocratie, une proposition à contrecourant des poncifs habituels sur la nécessaire simplification de l’action publique. Il écrit ainsi :

L’objectif est dorénavant de compliquer la démocratie pour l’accomplir, plus que de séparer des pouvoirs. Compliquer ne signifie pas affaiblir, condamner à l’impuissance, mais contraindre en permanence à l’explication, à la reddition de compte, à l’évaluation et au contrôle. Compliquer veut aussi dire donner son congé à l’idée d’une démocratie simple et immédiate.

La passation DU pouvoir c’est  aussi ce que Daniel Mothé, dans la revue Esprit[2] , appelait très justement la « petite démocratie », les rencontres de voisinage, les syndics de copropriété, l’organisation d’un atelier… :

Bien des pratiques collectives relèvent d’une démocratie informelle que l’on pourrait appeler la petite démocratie par opposition à la grande démocratie qui organise la vie politique représentative.

La démocratie des pratiques quotidiennes ouvre des lieux de délibération sur des thématiques très diverses, en tant qu’habitant mais aussi, quand l’univers professionnel n’est pas trop normé, en tant que professionnel. Daniel Mothé imagine la manière dont on passe de cette « petite démocratie » à la grande dans l’espace local, grâce à des

petits groupes qui peuvent régler eux-mêmes certains problèmes collectivement sans avoir recours aux autorités municipales, à la police et aux bailleurs. Ce qui nécessite que les assemblées s’effectuent sur des découpages plus fins que le quartier. Les réunions par entrée d’immeubles semblent une bonne solution car les participants se connaissent ou ont envie de se connaître davantage, et la proximité du lieu de réunion facilite la présence du plus grand nombre.

OUI, il est temps d’organiser la passation DU pouvoir ! Heureusement, c’est déjà en train de se produire silencieusement comme le note Pascale d’Erm à propos d’écologie urbaine dans « Ils l’ont fait et ça marche ».

J’aime aussi cette image de la ville comme un cerveau qui se réinvente et s’adapte de lui-même. Confrontées à des problématiques nouvelles ou à des situations complexes, voire à des dangers, les synapses créent d’elles-mêmes des nouvelles connexions entre les neurones pour trouver des solutions ou des échappatoires. Les villes, confrontées à de nombreux défis, doivent réduire leurs émissions de gaz à effets de serre, trouver des solutions à la raréfaction des ressources fossiles, ou encore favoriser l’intégration sociale et intergénérationnelle. Face à l’urgence de ces enjeux, les habitants sont autant de millions de petits neurones qui tissent de nouveaux liens, et forme une « plasticité synaptique » urbaine qui se traduit par un foisonnement d’initiatives. Ces minorités actives à l’œuvre aujourd’hui forment autant de laboratoires qui peu à peu changent le système de l’intérieur. Cela prend du temps, mais l’évolution de la société dépend d’eux.

 

… mais il devient nécessaire de le rendre visible et explicite aux yeux de tous.

 

 

 

 



[1]In « Mieux contrôler l’exécutif, voilà la liberté des modernes », Le Monde, 17 juin 2011. Lire aussi du même auteur La légitimité démocratique : Impartialité, réflexivité, proximité, Le Seuil, 2008 qui offre des perspectives plus larges que la seule contre-démocratie décrite dans son précédent livre.

[2] Daniel Mothé, « La Grande démocratie et la petite démocratie », Esprit, juin 2006.

Pouvoir : changeons de représentation pour changer de pratique !

J’ai reçu à l’issue de la publication de mon papier sur DSK plusieurs réactions qui me poussent à poursuivre le questionnement sur le type de pouvoir dont nous avons besoin. Il y avait un accord large sur « la vanité de la posture de toute puissance des politiques » comme le reformulait Philippe Merlant.

Dominique Boullier, au-delà de la thèse du suicide politique qu’il développait sur son blog, insistait lui aussi sur la nature particulière du pouvoir exercé au FMI. C’était plus subtil et plus vrai que mon approche un peu « à la hache » mais nous aboutissions au même constat : le « métier » de président de la République est plus dur et plus ingrat que celui de directeur du FMI. J’avais déjà noté à propos de Sarkozy, lorsque la presse s’extasiait sur son bilan à la présidence de l’Union européenne, que c’était sans doute beaucoup plus facile de convaincre 26 collègues que de modifier les comportements de 60 millions de Français.

Guy Vandebrouck questionne lui aussi notre approche du pouvoir

  • Nos débats ne sont absolument pas assez techniques, bien trop idéalisés. La politique n’a d’attirant que l’exercice du pouvoir, sinon, c’est un domaine terriblement exigeant, technique, complexe, de fourmi, pas de lion.
  • Bien évidemment, ce problème est exacerbé en France par l’absence de réelle démocratie impliquante, la sur médiatisation des débats « nationaux » sur lesquels nous ne pesons quasiment pas. La décentralisation et l’implication des citoyens à la base de la vie de la société restent un immense champ de progrès : la décentralisation et la démocratisation prendront probablement deux ou trois générations, si nous nous décidons à nous y mettre réellement. Mais y-a-t-il une majorité qui le souhaite réellement en France ? Je n’en suis pas si sûr,

 

Hier je faisais passer des oraux d’entraînement aux concours d’écoles de commerce à des jeunes de 20 ans. J’étais frappé de la représentation qu’ils avaient du « pouvoir ». C’était uniquement une question de commandement. Lorsqu’on leur demandait ce qu’ils feraient de quelques millions gagnés au loto, la plupart n’imaginaient pas que ça pouvait leur donner du pouvoir d’agir. Ils ne raisonnaient que cadeaux aux proches, dons humanitaires et placements sûrs.  Comme le dit souvent Patrick Viveret, il est urgent de s’intéresser au pouvoir DE plutôt qu’au seul pouvoir SUR.

Résumons : le pouvoir de faire est moins attractif et beaucoup plus exigeant que le pouvoir sur les gens. Il ne peut s’exercer seul et demande du temps. Pas vendeur ! Pourquoi alors certains, sans être des saints, comprennent l’intérêt de cette forme de pouvoir et l’exercent avec des satisfactions intenses ? Comment faire découvrir plus largement les bénéfices personnels qu’on retire de cet exercice du pouvoir ?

Une piste : ne faudrait-il pas que dans le parcours éducatif de chaque enfant, des occasions soient données d’exercer ce pouvoir de faire ? Au primaire, au collège et au lycée, à ces trois étapes de la scolarité, tous les élèves devraient disposer d’un budget en temps personnel, en « droits de tirage » sur des temps d’adultes (qu’ils soient enseignants ou membres d’une communauté éducative élargie), en argent et moyens matériels pour monter un projet au service d’un groupe dont l’enfant fait partie (il ne s’agit pas de faire pour les autres mais de faire avec d’autres avec qui on est en relation).

Quel que soit le moyen retenu, il me semble essentiel de développer une culture du « pouvoir de faire ».