Populisme, postfascisme, démocratie illibérale, technocapitalisme, les manières de nommer les régimes politiques qui s’installent aux quatre coins du monde ne sont pas satisfaisantes. Toutes font référence à des régimes existants pour souligner à la fois les continuités et les différences. On serait toujours en démocratie mais avec une remise en cause des droits humains ; ce ne serait pas le fascisme mais un régime avec des ingrédients importants du fascisme comme la « paranoïa civilisationnelle-raciale »[1] et l’obsession du déclin moral. Ces références sont utiles mais elles empêchent de pointer la radicale nouveauté du régime politique de Trump et de ses émules. Je me dis que la spécificité de ces régimes nécessite un mot nouveau sinon on court le risque de ne pas être crédible dans nos dénonciations. C’est bien un post-fascisme mais on ne fait ici que de la généalogie. Il faut un nom qui pointe la nouveauté du phénomène.
Dans un échange LinkedIn avec Loïc Blondiaux, j’ai proposé égocratisme ou égocratie. A la réflexion, je préfère le terme d’égocratisme pour pointer qu’il ne s’agit pas d’un régime politique ordinaire mais d’une idéologie, l’idéologie de l’ego au pouvoir, sans limites. Cette absence de limites, cette agitation permanente qui alimente en continu chaînes d’info et réseaux sociaux rendent l’idée même de « régime politique » obsolète. Plus rien n’est stable quand la parole politique, telle Pénélope, défait le soir ce qui a été tissé le matin. Or, faut-il le rappeler, « institutions » vient du verbe latin sto, stas stare, ce qui tient debout. L’égocratisme n’a que mépris pour la stabilité institutionnelle. Seul le mouvement compte.
Le fascisme cherchait à réunir autour d’un même ordre, d’une même nation, d’un même culte du chef. Aujourd’hui, aucun désir de rassemblement dans le Trumpisme, on cherche au contraire à magnifier l’égoïsme et le chacun pour soi comme symbole de réussite. Et la tech est l’alliée rêvée pour mettre en place ce programme, chacun étant sûr d’avoir raison tout seul hors de toute idée de monde commun, enfermé dans sa bulle de confirmation.
En parlant de « totalitarisme inversé », Alain Caillé met l’accent sur cette divinisation de l’individu. « Nous vivons dans un type de société radicalement nouveau, et nous fonctionnons exactement à l’envers des totalitarismes d’hier : tout ce qui est de l’ordre du collectif doit être déconstruit, et tous les collectifs sont donc illégitimes. » Il a proposé le terme de « parcellitarisme » pour décrire cette extrêmisation du néo-libéralisme. Si je trouve ce terme beaucoup plus juste que les différentes déclinaisons du mot fascisme, je trouve dommage qu’il soit construit sur ce à quoi il aboutit (l’émiettement des sociétés) plutôt que sur ce qui le fonde (l’hypertrophie de l’égo). Continuer la lecture de « Egocratisme plutôt que post-fascisme »