Jurys citoyens : la citoyenneté peut se … « dérouiller » !

Rolland, Marie-Paule, Frédéric, Vincent, Corinne, Clémence, Camille, Jean-Pascal, Alexandre, Alison, David, Laurence, Valérie, Patrick, Catherine, Olivia : ils étaient seize à participer au Jury citoyen[1] qui s’est réuni dans les locaux confortables et lumineux mis à notre disposition par le CJD, avenue Georges V. Ils venaient de l’Ile-de-France, de Touraine, d’Alsace ou du Nord. Livreur, employé dans la restauration, enseignante, femme au foyer, étudiant…ils étaient de milieux différents, simplement mis en présence par un même tirage au sort sur des listes téléphoniques.

La question qui les réunissait était loin d’être de celles qu’on se pose tous les jours : la gestion de la mobilité permise par le traçage des déplacements (vidéosurveillance, géolocalisation, billettique) est-elle compatible avec le respect de la vie privée ? Pourtant, pendant deux week-ends, ils ont examiné sous tous les angles les incidences possibles de ces technologies sur notre liberté d’aller et venir. D’abord avec l’appui d’experts de ces domaines, professionnels ou chercheurs, favorables et critiques. Ensuite entre eux pour tenter de voir à quelles conditions ces technologies pouvaient être utiles sans devenir trop intrusives dans nos vies.

Comme à chaque fois dans ces jurys citoyens, ce qui frappe, c’est l’effort de conciliation d’enjeux souvent contradictoires non pas par des compromis mous mais par la mise en avant forte de ce qui n’est pas acceptable (par exemple la géolocalisation des enfants comme moyen de surveillance de leurs déplacements) et par une demande tout aussi forte d’être informés de ce qui se fait souvent à notre insu (comme la transmission de nos coordonnées à des fins commerciales). Pas de conversion spectaculaire des technophiles en technophobes ou inversement. Simplement une vigilance plus grande de tous et une envie d’être associés aux décisions prises sur ces sujets.

Dimanche, à l’issue de ces deux week-ends studieux, les participants étaient unanimes pour s’étonner et se réjouir. Se réjouir d’avoir eu la chance de donner leur avis, s’étonner que ce genre de pratiques ne soient pas plus développées. Je ne doute pas que tous ceux qui ont déjà participé à un jury, une conférence, un atelier citoyen – peu importe la dénomination – retrouveront dans ce rapide témoignage des similitudes avec ce qu’ils ont vécu eux-mêmes. On peut en effet constater, jury après jury, que la capacité de délibération citoyenne, est bien une constante. Le repli sur la sphère privée et l’indifférence aux enjeux collectifs ne sont donc pas une fatalité !  Ils ne sont en fait que le produit d’un manque de sollicitation des capacités que nous avons tous et qui, finalement,  se « dérouillent » plutôt vite (au prix de quelques maux de tête, parfois, liés à l’attention soutenue que suppose l’exercice !).

Les chercheurs et experts qui ont accompagné le groupe sont tous repartis en se disant frappés de la maturité des débats, ravis d’avoir consacré leur samedi à cette expérience pour eux inédite. Trois d’entre eux, venus au départ pour une simple intervention, se sont pris au jeu et sont restés pour assister aux échanges. Un des intervenants en a parlé au sein d’une association professionnelle et a trouvé un tel écho qu’on lui a demandé un article sur le sujet !

Je suis sûr que c’est ainsi, de proche en proche, que ces pratiques démocratiques d’un nouveau type se développeront et seront prises en compte dans la décision publique. A ce propos, il serait intéressant de parvenir à recenser les initiatives prises. Elles se multiplient en ce moment, à toutes les échelles de territoire. Un signe encourageant pour la démocratie.

 


[1] Ce jury citoyen était organisé dans le cadre du Predit, programme national de recherche sur les transports piloté par le Ministère de l’Ecologie et du Développement durable. Il était mis en œuvre par une équipe de Synergence pilotée par Martin Vielajus et moi.

Education : sortir de l’impasse

 

Un débat sur l’éducation entre Marcel Gauchet et Philippe Meirieu qui sort de la querelle habituelle entre pédagogues et républicains, publié dans Le Monde il y a quelques semaines.  Sur l’autorité, sur la nécessaire réinstitutionnalisation de l’école, Meirieu rejoint Gauchet, très loin du pédagogisme dont il est si souvent taxé : « Si les lycées napoléoniens ont si bien fonctionné, c’est qu’à mi-chemin entre la caserne et le couvent, ils alliaient l’ordre et la méditation. Réinstitutionnaliser l’école, c’est y aménager des situations susceptibles de susciter les postures mentales du travail intellectuel ».

Mais l’intérêt est pour moi ailleurs, dans deux phrases dont il est urgent de construire les développements :

Marcel Gauchet : L’école est à réinventer, mais elle ne pourra pas le faire seule dans son coin. Ce n’est pas un domaine de spécialité comme un autre qu’il suffirait de confier aux experts pour qu’ils trouvent les solutions. C’est une affaire qui concerne au plus haut point la vie publique, qui engage l’avenir de nos sociétés et ne peut être traitée que comme une responsabilité collective qui nous concerne tous, et pas seulement les parents d’élèves.

Philippe Meirieu : Je suis entièrement d’accord avec Marcel Gauchet sur l’importance d’une mobilisation politique sur la question de l’éducation, qui dépasse d’ailleurs celle de l’école. Les programmes éducatifs des deux principaux partis politiques français ne proposent rien de plus que de nouvelles réformes scolaires : il n’y est nullement question de la famille, du rôle des médias, de la présence des adultes dans la ville, des relations transgénérationnelles…

C’est bien de cela dont il est question, du rapport de la société (dans toutes ses composantes) avec l’éducation, bien au-delà des réformes purement institutionnelles de l’école. Nous avions eu un début de débat sur cette question, d’abord aux Ateliers de la Citoyenneté et récemment à la rencontre organisée avec SoL en mai dernier. Nous devrons le reprendre, peut-être dans le cadre du groupe de travail que nous inaugurons avec Philippe Bernoux sur la question de l’empowerment. Nous réfléchissons aussi avec Etienne Collignon, le président de SoL à un voyage d’étude sur ce sujet à Mondragon au Pays Basque. J’en reparlerai.

Mais pour avancer, il faut sortir du paradoxe dans lequel nos auteurs enferment leur lecteur : l’indispensable vitalité sociale que suppose la possibilité de découvrir dans l’éducation cette jouissance[1], ce plaisir[2] et ce bonheur[3] dont ils parlent à juste titre ne peut tout simplement pas émerger si leur analyse de la société actuelle est entièrement juste. Ils font en effet un diagnostic qui ne laisse pas beaucoup d’espoir dans les capacités des hommes d’aujourd’hui à s’impliquer dans les enjeux éducatifs : « Le savoir et la culture […] sont réduits à un rôle utilitaire (ou distractif). L’idée d’humanité s’est dissociée de l’idée de culture. Nous n’avons pas besoin d’elle pour exister. Nous sommes submergés par une vague de privatisation qui nous enjoint de vivre pour nous-mêmes et, surtout, de ne pas perdre notre temps à chercher à comprendre ce qui nous environne » dit Gauchet. Philippe Meirieu parle quant à lui du « caprice mondialisé » qui sape toute forme d’autorité dans une société où « la pulsion d’achat devient la matrice du comportement humain ».

On arrive ainsi à une impasse : les politiques ne peuvent pas agir seuls pour mener les transformations nécessaires de l’éducation, la société doit y être associée ; nos sociétés contemporaines ont enfermé l’homme dans une logique consumériste qui le détourne des enjeux éducatifs. Ni les politiques, ni la société n’ont de capacité à agir

Que doit-on faire ? Changer la société pour qu’elle soit en mesure de changer l’éducation que les politiques ne peuvent pas réformer seuls ? Ou plus simplement faire émerger toutes les ressources qui sont DEJA là, dans nos sociétés, mais qu’on ne voit pas parce qu’on se focalise sur la marchandisation du monde, soit pour y succomber soit pour la dénoncer.

Il faut aujourd’hui repenser dans le même mouvement la manière de concevoir l’action publique et la manière d’envisager la nature humaine. C’est ce à quoi je me suis attelé cet été avec l’écriture de mon livre dont j’espère la publication en début d’année prochaine au plus tard.

 


[1] PM : Des élèves qui ne se doutent pas le moins de monde qu’apprendre peut être occasion de jouissance.

[2] PM : Nous devons ensuite, contre le savoir immédiat et utilitaire, contre toutes les dérives de la « pédagogie bancaire », reconquérir le plaisir de l’accès à l’œuvre.

[3] MG :  La fonction de l’école, c’est tout simplement d’apprendre à penser, d’introduire à ce bonheur qu’est la maîtrise par l’esprit des choses que l’on fait, quelles qu’elles soient.

 

Ecole et société civile : les écoles fenêtre des Pays-Bas

La question de l’éducation concluait mon précédent article, une éducation au « pouvoir de faire ». Cette question de l’éducation est depuis les origines des Ateliers de la Citoyenneté au cœur de ma réflexion. Guy Emerard, l’ancien directeur de la formation professionnelle du Conseil Régional, y est pour beaucoup. C’est lui qui nous a mis sur la voie de l’apprentissage mutuel, c’est lui qui a transposé l’idée canadienne de Cité éducatrice. Lors de la rencontre sur la gouvernance à SoL le 16 mai dernier, notre groupe a travaillé sur « éducation et société civile » et c’était très stimulant. Il y aura bientôt une synthèse accessible. On peut lire avec profit dans la veine de ce qu’écrivait Illich, la présentation du concept d’ « école de la société civile » dans le livre de Michel Laloux « La démocratie évolutive ».

Plus prosaïquement, mais déjà avec plusieurs ingrédients qui changent la nature de l’école, voici la pratique néerlandaise des « Écoles fenêtres ». C’est en naviguant sur le site de Territoires, la revue de l’ADELS, que je suis tombé sur ce texte de Jean-Yves Boulin (que je connaissais pour ses travaux sur le « temps des villes »). En voici pour moi le point-clé, l’inter-action entre éducation et vie sociale : « En rassemblant sous le même toit et en tissant des partenariats entre organisations dédiées à l’éducation, à la culture et aux soins, destinées non seulement aux enfants mais aussi aux parents et habitants du quartier, les vensterscholen initient une démarche d’intégration puissante entre éducation et vie sociale ».

Nous réfléchissons au lancement d’un groupe de travail sur la manière dont la société civile pourrait « investir » l’école dans la suite de ce que nous avons amorcé le 16 mai avec SoL. A suivre donc.

 

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