Education : sortir de l’impasse

 

Un débat sur l’éducation entre Marcel Gauchet et Philippe Meirieu qui sort de la querelle habituelle entre pédagogues et républicains, publié dans Le Monde il y a quelques semaines.  Sur l’autorité, sur la nécessaire réinstitutionnalisation de l’école, Meirieu rejoint Gauchet, très loin du pédagogisme dont il est si souvent taxé : « Si les lycées napoléoniens ont si bien fonctionné, c’est qu’à mi-chemin entre la caserne et le couvent, ils alliaient l’ordre et la méditation. Réinstitutionnaliser l’école, c’est y aménager des situations susceptibles de susciter les postures mentales du travail intellectuel ».

Mais l’intérêt est pour moi ailleurs, dans deux phrases dont il est urgent de construire les développements :

Marcel Gauchet : L’école est à réinventer, mais elle ne pourra pas le faire seule dans son coin. Ce n’est pas un domaine de spécialité comme un autre qu’il suffirait de confier aux experts pour qu’ils trouvent les solutions. C’est une affaire qui concerne au plus haut point la vie publique, qui engage l’avenir de nos sociétés et ne peut être traitée que comme une responsabilité collective qui nous concerne tous, et pas seulement les parents d’élèves.

Philippe Meirieu : Je suis entièrement d’accord avec Marcel Gauchet sur l’importance d’une mobilisation politique sur la question de l’éducation, qui dépasse d’ailleurs celle de l’école. Les programmes éducatifs des deux principaux partis politiques français ne proposent rien de plus que de nouvelles réformes scolaires : il n’y est nullement question de la famille, du rôle des médias, de la présence des adultes dans la ville, des relations transgénérationnelles…

C’est bien de cela dont il est question, du rapport de la société (dans toutes ses composantes) avec l’éducation, bien au-delà des réformes purement institutionnelles de l’école. Nous avions eu un début de débat sur cette question, d’abord aux Ateliers de la Citoyenneté et récemment à la rencontre organisée avec SoL en mai dernier. Nous devrons le reprendre, peut-être dans le cadre du groupe de travail que nous inaugurons avec Philippe Bernoux sur la question de l’empowerment. Nous réfléchissons aussi avec Etienne Collignon, le président de SoL à un voyage d’étude sur ce sujet à Mondragon au Pays Basque. J’en reparlerai.

Mais pour avancer, il faut sortir du paradoxe dans lequel nos auteurs enferment leur lecteur : l’indispensable vitalité sociale que suppose la possibilité de découvrir dans l’éducation cette jouissance[1], ce plaisir[2] et ce bonheur[3] dont ils parlent à juste titre ne peut tout simplement pas émerger si leur analyse de la société actuelle est entièrement juste. Ils font en effet un diagnostic qui ne laisse pas beaucoup d’espoir dans les capacités des hommes d’aujourd’hui à s’impliquer dans les enjeux éducatifs : « Le savoir et la culture […] sont réduits à un rôle utilitaire (ou distractif). L’idée d’humanité s’est dissociée de l’idée de culture. Nous n’avons pas besoin d’elle pour exister. Nous sommes submergés par une vague de privatisation qui nous enjoint de vivre pour nous-mêmes et, surtout, de ne pas perdre notre temps à chercher à comprendre ce qui nous environne » dit Gauchet. Philippe Meirieu parle quant à lui du « caprice mondialisé » qui sape toute forme d’autorité dans une société où « la pulsion d’achat devient la matrice du comportement humain ».

On arrive ainsi à une impasse : les politiques ne peuvent pas agir seuls pour mener les transformations nécessaires de l’éducation, la société doit y être associée ; nos sociétés contemporaines ont enfermé l’homme dans une logique consumériste qui le détourne des enjeux éducatifs. Ni les politiques, ni la société n’ont de capacité à agir

Que doit-on faire ? Changer la société pour qu’elle soit en mesure de changer l’éducation que les politiques ne peuvent pas réformer seuls ? Ou plus simplement faire émerger toutes les ressources qui sont DEJA là, dans nos sociétés, mais qu’on ne voit pas parce qu’on se focalise sur la marchandisation du monde, soit pour y succomber soit pour la dénoncer.

Il faut aujourd’hui repenser dans le même mouvement la manière de concevoir l’action publique et la manière d’envisager la nature humaine. C’est ce à quoi je me suis attelé cet été avec l’écriture de mon livre dont j’espère la publication en début d’année prochaine au plus tard.

 


[1] PM : Des élèves qui ne se doutent pas le moins de monde qu’apprendre peut être occasion de jouissance.

[2] PM : Nous devons ensuite, contre le savoir immédiat et utilitaire, contre toutes les dérives de la « pédagogie bancaire », reconquérir le plaisir de l’accès à l’œuvre.

[3] MG :  La fonction de l’école, c’est tout simplement d’apprendre à penser, d’introduire à ce bonheur qu’est la maîtrise par l’esprit des choses que l’on fait, quelles qu’elles soient.

 

Ecole et société civile : les écoles fenêtre des Pays-Bas

La question de l’éducation concluait mon précédent article, une éducation au « pouvoir de faire ». Cette question de l’éducation est depuis les origines des Ateliers de la Citoyenneté au cœur de ma réflexion. Guy Emerard, l’ancien directeur de la formation professionnelle du Conseil Régional, y est pour beaucoup. C’est lui qui nous a mis sur la voie de l’apprentissage mutuel, c’est lui qui a transposé l’idée canadienne de Cité éducatrice. Lors de la rencontre sur la gouvernance à SoL le 16 mai dernier, notre groupe a travaillé sur « éducation et société civile » et c’était très stimulant. Il y aura bientôt une synthèse accessible. On peut lire avec profit dans la veine de ce qu’écrivait Illich, la présentation du concept d’ « école de la société civile » dans le livre de Michel Laloux « La démocratie évolutive ».

Plus prosaïquement, mais déjà avec plusieurs ingrédients qui changent la nature de l’école, voici la pratique néerlandaise des « Écoles fenêtres ». C’est en naviguant sur le site de Territoires, la revue de l’ADELS, que je suis tombé sur ce texte de Jean-Yves Boulin (que je connaissais pour ses travaux sur le « temps des villes »). En voici pour moi le point-clé, l’inter-action entre éducation et vie sociale : « En rassemblant sous le même toit et en tissant des partenariats entre organisations dédiées à l’éducation, à la culture et aux soins, destinées non seulement aux enfants mais aussi aux parents et habitants du quartier, les vensterscholen initient une démarche d’intégration puissante entre éducation et vie sociale ».

Nous réfléchissons au lancement d’un groupe de travail sur la manière dont la société civile pourrait « investir » l’école dans la suite de ce que nous avons amorcé le 16 mai avec SoL. A suivre donc.

 

Tirage au sort, le temps est-il venu ?

J’entendais Alain Juppé ce matin sur France Culture et j’étais frappé de la convergence de vues possible entre droite et gauche sur la nécessaire transformation de notre pratique démocratique. Il me semble que le temps des sarcasmes contre la démocratie participative de Ségolène Royal est révolu. Juppé parlait de « démocratie permanente », évoquant l’attente des citoyens d’être davantage associés aux choix politiques. Il confiait que ça lui semblait plus facile, et même indispensable, au plan local. (je n’ai pas entendu la fin de son propos ayant un train à prendre, je ne sais donc pas s’il envisageait aussi cette démocratie permanente au plan national !)

J’étais hier relancé par quelqu’un que je ne prendrais pas pour un farfelu, expert du développement économique, reconnu dans le milieu consulaire, sur la question du … tirage au sort. Il avait vu sur Internet une émission de la Chaîne parlementaire (LCP-AN) au cours de laquelle j’avais exposé mon plaidoyer pour cette pratique démocratique antique (et vive les allitérations en tique !). De même, il y a quelques mois, Alain de Vulpian, le fondateur de Sociovision-Cofremca, me disait que l’idée, qu’il jugeait hors de propos quand je la lui avais exposée, lui semblait aujourd’hui en phase avec les attentes du moment.

La première fois que j’avais évoqué cette idée, c’était avec Didier Livio qui me demandait quelle « graine de changement » je préconiserais pour faire muter notre société. Didier avait tout de suite été enthousiaste… mais l’accueil avait été plutôt houleux lors d’une rencontre de rénovateurs politiques « libéraux sociaux » pourtant a priori favorables à l’innovation démocratique. En marge de mes activités aux Ateliers de la Citoyenneté, j’ai continué à creuser cette piste mais sans jamais en faire un combat militant. Ça avait juste intéressé Lyon Capitale, le magazine tendance à Lyon à l’époque, et aussi …. Etienne Chouard, le porteur, sur la toile, du Non au référendum sur la Constitution européenne, avec qui j’ai eu de longues discussions passionnées. C’est ainsi que le texte de « politique-fiction » que j’avais rédigée n’a été publié que sur son site. Vous trouverez ici ce que j’ai écrit … il y a donc 7 ou 8 ans. On parlait déjà de retraites et j’avais imaginé un débat parlementaire sur cette question avec des députés tirés au sort ! J’avais aussi imaginé, comme conséquence, la réinvention de la fête du 14 juillet, date choisie pour le tirage au sort…

Ce long paragraphe pour dire que je n’ai pas été un promoteur zélé, contrairement à Etienne Chouard, de l’idée de tirage au sort… alors même qu’intellectuellement elle me parait toujours la plus porteuse d’une transformation radicale de notre pratique démocratique. Alors est-il temps de relancer le débat sur le tirage au sort des députés ? Peut-être que le moment s’y prête. Peut-être que c’est le moyen de faire comprendre l’idée plus générale d’ « empowerment des citoyens » sur laquelle je suis en train de monter un groupe de réflexion avec le sociologue Philippe Bernoux (NB / bientôt un post sur le sujet !). La rencontre de SoL sur la gouvernance du 16 mai dernier, en réunissant des gens aussi différents autour de la question la prise de pouvoir par la société civile montre bien également que cette question sort des cercles où elle est restée confinée.

Le tirage au sort peut-il être le point de cristallisation d’un large mouvement en faveur d’une réappropriation démocratique du pouvoir ? J’aurais envie d’y croire.

 

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