Citoyen ou consommateur, faut-il choisir ?

Liberté de consommer, liberté d’être citoyen. De quelle liberté sommes nous privés avec le Covid ? Et si les petites « marges d’action » que nous voulons retrouver étaient en réalité une liberté fondamentale ?

Avec le Covid, nous sommes régulièrement amenés à faire des choix qui touchent à des questions fondamentales. Nous avons fréquemment évoqué ici le choix entre vivre et exister lorsque les fins de vie étaient complètement arraisonnées par la logique du « non-mourir » qui souvent entraînait un « non-exister ». Aujourd’hui, avec les fourmis dans les jambes que nous avons tous après des mois de confinement et de couvre-feu, la question qui se pose à nous est celle de la liberté, rien de moins ! Comment retrouver la liberté dans un monde où le Covid-19 subsiste, à la fois à moitié vaincu par la vaccination et les traitements et en même temps toujours vivace au travers de ses multiples variants dont on pressent qu’il n’y aura pas que l’anglais, le sud-africain ou le brésilien ?

A l’émission L’esprit public de France Culture, le politologue Dominique Reynié nous alertait : on révise à la baisse nos exigences de liberté pour pouvoir reprendre une vie « normale ». Pour lui cette vie normale était plus une vie de consommateur que de citoyen. En acceptant le passeport vaccinal et tout l’arsenal du traçage de nos faits et gestes, nous accepterions d’avoir « plus de marges d’action mais moins de liberté substantielle ». La distinction dans un premier temps correspond assez bien à ma manière de voir les choses. Notre souci de liberté est bien souvent la simple envie de reprendre notre vie d’avant et donc la possibilité de consommer sans entrave. Nos droits de citoyens ne sont évidemment pas notre préoccupation première. Mais n’est-ce pas un peu facile d’opposer le consommateur avide au citoyen avisé ? Continuer la lecture de « Citoyen ou consommateur, faut-il choisir ? »

Vaccination, longueur de temps et largeur d’espace

Et si nous étions – enfin – en train de redéfinir notre rapport au temps et à l’espace avec cette pandémie ? Au moins commençons-nous à voir l’absurdité de nos représentations actuelles .

Le temps et l’espace du Covid ne sont pas les nôtres et nous commençons à nous en apercevoir avec la vaccination.  En découlent du ridicule et du tragique. Avec, je l’avoue, un peu de désespoir devant notre incapacité à être à la dé-mesure de l’événement.

ESPACE – L’espace d’abord. Nous continuons à raisonner vaccination locale (des maires s’insurgent de ne pas avoir de vaccins dans leur commune), nationale (nous blâmons notre recherche et notre industrie de ne plus être à la pointe), européenne (la stratégie d’achats de vaccins aurait été trop bureaucratique, trop mesquine contrairement à celle de Trump ou de Johnson). Toutes ces querelles, tous ces « moi d’abord » sont vaines et écœurants. Nous oublions que nous avons à faire avec une pandémie qui se joue des frontières et à un virus qui développe des variants aux quatre coins du monde. C’est tellement absurde de penser se protéger tout seul dans son coin, que ce coin soit cantonal ou continental ! Tant qu’un coin du monde restera hors vaccination, nous resterons menacés. Pire même, si nous ne vaccinons pas l’humanité entière rapidement, les variants continueront à se perfectionner pour mieux nous infecter et déjouer nos barrières vaccinales. La bataille est, qu’on le veuille ou non, absolument mondiale. Toutes nos rivalités sont stériles et stupides. On sait qu’aucun barrage n’arrête une submersion quand la vague est trop forte. Il va falloir qu’on comprenne qu’on n’arrête pas un virus si on ne prend pas en compte son caractère mondial. Seules les îles et les dictatures parviennent à s’isoler totalement. Nous ne sommes apparemment pas sur une île, voulons-nous devenir une dictature ?

TEMPS – La dimension temporelle est tout aussi cruciale. Nous sommes prisonniers jusqu’à l’absurde du présentéisme. Janvier a été consacré en France à se plaindre des lenteurs de la vaccination sans envisager une seconde que, à quelques semaines d’intervalle, l’accélération exigée serait stoppée par une pénurie qu’on pouvait quand même imaginer tant le nombre de doses nécessaires et les temps de l’industrialisation ne semblaient pas compatibles. On échafaudait des stratégies sans prise en compte de l’aléa inévitable. Que d’énervements et d’incriminations, que de justifications en retour, toutes et tous rétrospectivement ineptes ! J’entendais l’autre jour surnager un frêle « l’histoire n’est pas écrite », propos inaudible (ou, pire, considéré comme une piètre défense) d’un chercheur de l’institut Pasteur, Frédéric Tangy responsable de l’institut d’innovation vaccinale. Il parlait de la course aux vaccins dans laquelle chacun s’accorde un peu vite à dire que Pasteur s’est ridiculisé. Si on n’est pas dans les trois premiers, on est out aujourd’hui, confondant ainsi recherche scientifique et compétition sportive. Pourtant le Vendée Globe, au même moment, consacrait non pas le premier arrivé mais celui qui avait accepté de perdre du temps pour secourir un candidat en perdition (et le quatrième était acclamé pour les mêmes raisons même s’il avait « la place du con », comme il disait lui-même de sa quatrième place, en bas du podium). Oui, l’institut Pasteur a perdu la course de vitesse… sauf que ce n’est pas d’une course de vitesse qu’il s’agit mais d’une course de fond. Et que l’adversaire n’est pas le concurrent mais le virus, on finit par l’oublier ! Le chercheur rappelait qu’on ne pourrait pas vaincre la pandémie uniquement avec des vaccins à ARN messager pour des raisons simples à comprendre : trop cher, trop compliqué à utiliser hors des pays riches. Il faudra des vaccins classiques bon marché, simples à produire et robustes. C’était la voie de Pasteur. C’est peut-être aussi le cas du vaccin russe (je n’ai pas les compétences pour l’affirmer et nos journalistes commentateurs méprisent trop ces vaccins si peu high tech pour que nous ayons cette information facilement disponible). Le paradoxe du temps accéléré dans lequel nous nous sommes habitués à vivre, c’est qu’il risque de nous enfermer dans un jour sans fin avec un virus impossible à éradiquer faute de « patience et longueur de temps » comme disait le fabuliste.

REINVENTIONS – La « longueur de temps » comme la « largeur d’espace » ne sont ni des utopies tiers-mondistes ni des nostalgies de temps révolus, ce sont les impérieuses nécessités du moment. Il vaut mieux les apprendre vite, ces rapports au temps et à l’espace, nous allons en avoir besoin tout au long des trente années de métamorphose du régime climatique dans lesquelles nous sommes entrées avec les années 20, ces années folles version troisième millénaire. Et parce que je ne veux pas m’enfermer dans la déploration de nos insuffisances collectives, ce rapport renouvelé au temps et à l’espace, nous sommes déjà en train de l’inventer, pour peu que l’on soit attentif aux signaux faibles.

C’est assez évident pour le rapport à l’espace. Nous sommes toujours plus nombreux à nous référer à « Où atterrir ? » de Bruno Latour qui nous a fait comprendre que ni le local ni le global n’avaient de sens, qu’il nous fallait être terrestres, c’est-à-dire attentifs à nos conditions d’existence sur une fine couche de vivant, tout autour de la planète.  Ce « terrestre » il est en même temps très local et très global et nous oblige à voir que notre action très locale ne peut avoir de sens que si elle tient compte de son articulation impossible à défaire avec le très éloigné. Le virus ne nous dit pas autre chose : nous devons être attentifs à la vie ici et maintenant, au plus proche de nous et en même temps cette vie proche n’est pas dissociable de la vie aux antipodes, à cause d’un virus, à cause du climat mondial, à cause de la biodiversité, elle aussi totalement locale et enchevêtrée.

Notre au rapport au temps reste plus ancré dans l’accélération et sa conséquence, le présentéisme. Mais comme on a Latour pour l’espace, on a Rosa – Hartmut Rosa – pour le temps. Il nous a fait comprendre que l’inverse de l’accélération n’était pas la décélération mais la résonance, terme pas toujours facile à comprendre. Je parlerais pour ma part d’attachement. Ce sont nos liens qui nous évitent de nous envoler comme une baudruche dans le temps accéléré. Le ralentissement ne peut tenir qu’à nos interactions, à la richesse de nos vies, à une certaine épaisseur du temps qui fait que nous ne nous contentons pas du présent toujours différent et toujours semblable. Le temps du virus est un temps de la patience, de l’action et de l’intériorité intriqués à travers des confinements nécessaires tout autant qu’absurdes, un temps de latence tout autant qu’un temps d’urgence. Le temps se démultiplie, ralentit et accélère, bien loin de toute linéarité. Nous sommes nombreux à ne plus savoir à quelle date exacte s’est déroulé tel ou tel événement, à la fois proche et lointain. Nous avons perdu nos repères temporels avec ce temps dilaté et contracté, accéléré et immobile. Nous sommes en train de découvrir un peu douloureusement mais sans doute très utilement que le temps ne se maîtrise pas, que nous devons apprendre la « longueur de temps » et nous en accommoder. Et s’accommoder n’est pas se résigner mais apprendre à faire avec, à jouer avec, à créer avec. Le temps n’est plus celui des planificateurs et des boursicoteurs, il est celui des navigateurs de l’incertitude, des Le Cam, le héros du Vendée Globe, plus que celui de Jeff Bezos, le roi du juste à temps. Je sais, ce n’est pas encore tout à fait évident mais je suis convaincu que c’est la réalité émergente.

Lettre ouverte à un virus

SARS-Cov2, Corona, Covid… Nous t’avons appelé de bien des façons. Aujourd’hui je m’adresse directement à toi même s’il est dur de parler avec un virus. J’essaie de te dire ce que je pense de toi et ça m’aide à voir plus clairement l’attitude que nous devrions développer…

Nous venons de passer un an avec toi. Tu es sans doute le personnage le plus récurrent de notre actualité depuis bien longtemps. Même Trump, ce virus de la démocratie américaine, malgré sa présence sur Twitter pour qu’on parle de lui tous les jours n’a pas fait aussi bien. Au début on a parlé de toi comme du « nouveau coronavirus », comme si nous avions l’habitude de parler de tes collègues ! On ne savait pas grand-chose de ta famille en réalité. On connaissait mieux les virus de la grippe dont on avait mémorisé à grand peine quelques variantes H1N1, H5N2… Les autorités sanitaires t’ont très vite baptisé SARS-CoV2 et pendant un temps on a essayé de t’appeler comme ça, par ton vrai nom. SARS, ou SRAS en français, là aussi on avait à peu près retenu que ça voulait dire syndrome respiratoire aigu sévère. On comprenait bien, avec le cumul de « aigu » et de « sévère », qu’on ne devait pas plaisanter avec toi. CoV, c’était coronavirus en abrégé et 2 te distinguait du 1 sans qu’on se rappelle qu’il y ait eu un SARS-CoV1.

Mais bon, pour tous les jours, ce n’était quand même pas un nom facile à porter. On t’a d’abord beaucoup appelé « corona », c’était un peu familier mais ça nous permettait de t’apprivoiser un minimum. Corona, on voyait bien que ça faisait référence à ta couronne (soit dit en passant, je n’ai jamais vu une couronne comme la tienne : elle n’est pas sur la tête mais tout autour, pas facile d’avoir un port de reine avec des picots partout). Et puis, avec Chirac, nous avions tous appris que Corona était le nom d’une bière et ça nous a plutôt rassuré. Mais ça, c’était au printemps pendant le premier confinement. Tu étais encore jeune et nous ne t’avions pas encore vraiment pris en grippe (jeu de mot nul) ! A l’époque on faisait des apéros Skype qu’on interrompait à 20h pour aller applaudir sur nos balcons et on profitait du brusque arrêt du monde pour marcher dans les villes désertes et pour réfléchir. J’ai beaucoup écrit à cause de toi pendant cette période. J’ai été de ceux qui ont voulu imaginer le monde d’après.

Le printemps est passé, puis l’été. On savait que tu reviendrais mais on a fait comme si tu étais parti sans retour. On en avait trop besoin. L’automne est arrivé et toi tu es revenu. C’est sans doute avec le brouillard et les jours raccourcis qu’on s’est mis à ne plus t’appeler que par le nom de la maladie que tu nous transmets infatigablement : covid. Même pas Covid-19, le nom millésimé du syndrome mais covid tout court. Comme si tu ne pouvais plus être daté, comme si tu étais devenu éternel, pérenne, indestructible, le nouveau phénix que le feu ne détruit pas. Même la batterie de vaccins qui se profile ne parvient pas vraiment à nous convaincre que tu vas disparaître un jour. Continuer la lecture de « Lettre ouverte à un virus »

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