Lettre ouverte à un virus

SARS-Cov2, Corona, Covid… Nous t’avons appelé de bien des façons. Aujourd’hui je m’adresse directement à toi même s’il est dur de parler avec un virus. J’essaie de te dire ce que je pense de toi et ça m’aide à voir plus clairement l’attitude que nous devrions développer…

Nous venons de passer un an avec toi. Tu es sans doute le personnage le plus récurrent de notre actualité depuis bien longtemps. Même Trump, ce virus de la démocratie américaine, malgré sa présence sur Twitter pour qu’on parle de lui tous les jours n’a pas fait aussi bien. Au début on a parlé de toi comme du « nouveau coronavirus », comme si nous avions l’habitude de parler de tes collègues ! On ne savait pas grand-chose de ta famille en réalité. On connaissait mieux les virus de la grippe dont on avait mémorisé à grand peine quelques variantes H1N1, H5N2… Les autorités sanitaires t’ont très vite baptisé SARS-CoV2 et pendant un temps on a essayé de t’appeler comme ça, par ton vrai nom. SARS, ou SRAS en français, là aussi on avait à peu près retenu que ça voulait dire syndrome respiratoire aigu sévère. On comprenait bien, avec le cumul de « aigu » et de « sévère », qu’on ne devait pas plaisanter avec toi. CoV, c’était coronavirus en abrégé et 2 te distinguait du 1 sans qu’on se rappelle qu’il y ait eu un SARS-CoV1.

Mais bon, pour tous les jours, ce n’était quand même pas un nom facile à porter. On t’a d’abord beaucoup appelé « corona », c’était un peu familier mais ça nous permettait de t’apprivoiser un minimum. Corona, on voyait bien que ça faisait référence à ta couronne (soit dit en passant, je n’ai jamais vu une couronne comme la tienne : elle n’est pas sur la tête mais tout autour, pas facile d’avoir un port de reine avec des picots partout). Et puis, avec Chirac, nous avions tous appris que Corona était le nom d’une bière et ça nous a plutôt rassuré. Mais ça, c’était au printemps pendant le premier confinement. Tu étais encore jeune et nous ne t’avions pas encore vraiment pris en grippe (jeu de mot nul) ! A l’époque on faisait des apéros Skype qu’on interrompait à 20h pour aller applaudir sur nos balcons et on profitait du brusque arrêt du monde pour marcher dans les villes désertes et pour réfléchir. J’ai beaucoup écrit à cause de toi pendant cette période. J’ai été de ceux qui ont voulu imaginer le monde d’après.

Le printemps est passé, puis l’été. On savait que tu reviendrais mais on a fait comme si tu étais parti sans retour. On en avait trop besoin. L’automne est arrivé et toi tu es revenu. C’est sans doute avec le brouillard et les jours raccourcis qu’on s’est mis à ne plus t’appeler que par le nom de la maladie que tu nous transmets infatigablement : covid. Même pas Covid-19, le nom millésimé du syndrome mais covid tout court. Comme si tu ne pouvais plus être daté, comme si tu étais devenu éternel, pérenne, indestructible, le nouveau phénix que le feu ne détruit pas. Même la batterie de vaccins qui se profile ne parvient pas vraiment à nous convaincre que tu vas disparaître un jour.

Donc te voilà Covid – covid tout court – avec la bizarrerie de ne pas avoir réussi à disposer d’un genre stable. La plupart d’entre nous hésitent et utilisent un peu au hasard masculin et féminin. En France en effet, nous avons une Académie qui est intervenue pour nous dire doctement que nous devions passer au féminin (alors que nous t’avions spontanément attribué le masculin), simplement parce que ton nom se terminait par un d qui veut dire disease. En oubliant que disease, étant anglais, n’a pas de genre. En oubliant aussi qu’une maladie en France peut être de genre masculin comme rhume ou cancer !

Quoiqu’il en soit de ton identité genrée, tu es de plus en plus confondu avec la maladie que tu provoques. Plus tu dures, plus on endure et moins on a envie de te comprendre et de vivre avec toi. Nous occidentaux, les crises, au bout de six mois, on en a marre et on entend qu’elles cessent ! Nous n’avons pas le goût des jours sans fin. Il faut pouvoir zapper, passer à autre chose. Or toi, tu t’incrustes. Les Anglais ont même découvert que tu mutais pour nous infecter un peu plus. Résultat les Anglais sont privés de Noël. Comment veux-tu que nous ayons envie de « vivre avec le virus » comme je tentais de l’écrire à l’automne ? Les confinements en « stop and go » rendent la vie impossible. En tous cas la vie à laquelle nous sommes habitués et que nous ne voulons pas perdre : terrasses de café, clubs de sport et spectacles quand on le décide ! Nous avons accepté une vie stressante, toujours sous pression mais nous tenons à nos compensations, voyages au bout du monde compris. Plus le temps passe et plus c’est la vie d’avant que nous exigeons de retrouver sans rien modifier. Bientôt nous dirons comme les Américains que notre mode de vie n’est pas négociable, oubliant au passage que justement nous devions changer de mode de vie si nous voulions faire face aux changements climatiques. Tu es en train de nous faire perdre toute envie de changer et c’est peut-être le plus dramatique.

Encore deux ou trois chose à te dire, SARS-CoV2 (je t’appelle par ton vrai nom parce que je deviens sérieux), tu es un virus particulièrement retord. Oui, retord. On pourrait même avoir l’impression que tu as calibré tes effets pour être suffisamment grave pour que nous mettions nos vies entre parenthèses mais pas au point que nous n’ayons pas au fond de nous – en permanence – une part de doute sur la pertinence de ce qui est fait pour lutter contre toi. Si j’osais, je dirais que tu es un virus quantique, en même temps grave et pas grave sans qu’on ne sache réellement quel état s’actualise. Ce double état vrille notre entendement, notre patience et notre moral. Oui, tu es vraiment un virus retord. Je crains que tu nous épuises bien davantage que tu nous tues. En fait, tu nous dévitalises. Comment allons-nous réussir à faire face aux crises plus graves encore qui nous attendent après toi ? Et comment ne pas voir que ce n’est pas le monde entier que tu frappes ainsi mais sa part la plus occidentale ? Ni l’Asie, ni l’Afrique ne sont frappées comme nous. Virus, aurais-tu décidé de réduire la suffisance de cet occident si sûr de lui ?

Tu vois comme tu nous pousses à bout et nous amènes à dépasser notre pensée ?! Il y a des chemins que je ne veux pas emprunter. Je ne crois pas à un Dieu vengeur qui s’exprimerait à travers un virus. Tu n’es pas la huitième plaie d’Egypte. Et notre désir de t’éradiquer, pour légitime qu’il soit en raison de notre insupportable cohabitation, risque vite de nous ramener vers la certitude que nous sommes les plus forts et que nous n’avons rien à changer à l’ordre des choses. Retord tu es, retord tu resteras, même dans ta disparition. Tu nous feras croire à notre invincibilité, alors que le fait d’admettre notre vulnérabilité serait notre plus grande chance pour les années à venir. A nouveau les plus forts, aurons-nous encore la capacité à faire de nos fragilités les ressources de notre résilience  ?

Comme je l’ai déjà écrit ici, nous ne dialoguons pas assez avec toi. Nous vivons sous ta coupe depuis un an sans vraiment nous révolter. Nous te subissons. Or nous devrions nous questionner davantage. Pas à la manière des complotistes pour savoir qui est le responsable caché mais pour tenter de définir ce que pourrait être une vie bonne en tenant compte de toi, Covid, aujourd’hui, mais aussi, demain, des ruptures climatiques, des fragilités technologiques. Nous devons t’inclure dans nos échanges. Les gouvernements ne savent pas avoir ce genre d’échanges. Ils sont trop conventionnels pour ça. Ils n’ont pas compris que nos démocraties pour continuer à exister par temps tempétueux devaient fonctionner avec des modes plus créatifs. Les mésaventures de la convention pour le climat montrent la frilosité de nos dirigeants. Une institution, donc, ne parle pas avec un virus. Une société vivante en revanche le peut.

La question que nous devons nous poser est « simple » : Sommes-nous condamnés à n’avoir qu’un seul mode de vie possible avec un mode survie dès que la vie « ordinaire » n’est plus possible ? Ou devons-nous trouver le moyen de vivre pleinement mais autrement quand nous avons à faire face à l’impossibilité de vivre comme d’habitude ? Je n’ai pas les réponses mais j’aimerais que ces questions ne soient pas occultées par l’absence d’alternative actuelle. Ce n’est pas vrai que nous n’avons qu’une voie raisonnable possible.

Nous devons absolument nous questionner sur ce que peut être une vie culturelle différente, comment toutes les activités peuvent se réorganiser pour sortir de la catégorisation essentiel/non-essentiel, comment penser la présence aux autres, dans le travail, dans la santé, dans le care en général, comment réexaminer à nouveaux frais le rapport villes-campagnes si précieux pour limiter notre trop forte interaction avec toi, virus… Ces questions sont vertigineuses. Une conférence de citoyens non pas sur l’après-covid mais bien sur « la vie par gros temps » serait bien utile. Nous devons apprendre à être plus agiles … et plus heureux dans l’adversité ! Vivre avec l’adversité, nous savons le faire au plus fort des conflits ou des catastrophes mais nous n’y parvenons pas vraiment dans la durée avec des contraintes lourdes mais pas vitales au jour le jour. Cette « moyenne » intensité de la crise est en soi une difficulté que nous devons apprendre à traiter. Encore une fois la vie, même sous contrainte doit rester joyeuse et créative. Ce qui nous épuise le plus c’est d’entendre matin et soir que chacun est épuisé. Il y a longtemps que je sais que l’énergie se diffuse de personne à personne. Hélas la dépression aussi.

Les effondristes et les collapsologues ne nous ont rien appris pour vivre ces crises longues et lentes, qui rendent la vie difficile sans la rendre impossible. Nous allons devoir composer, c’est une nécessité et une chance si nous voulons prendre l’anthropocène au sérieux. Oui nous allons devoir apprendre à parler avec toi, SARS-CoV2, Corona, Covid. Avec toi et tes successeurs et tous les agents des crises que nous allons devoir affronter. Il va nous falloir devenir polyglottes !

PS/ Je parlais de l’énergie qu’on se transmet les uns aux autres. J’ai appris hier le décès d’un formidable fournisseur d’énergie qui va beaucoup me manquer, nous manquer. Alain de Vulpian, le créateur de Cofremca-Sociovision, qui m’avait adoubé comme « socioperceptif » il y a tout juste 20 ans ce dont j’étais heureux et fier, est décédé ce week-end. Tous les messages échangés depuis l’annonce de son décès entre ceux qui l’ont aimé et accompagné dans ses aventures – dont Happymorphose la dernière – ont salué sa formidable jeunesse qu’il conservait malgré les ans et la maladie. Après Jean-Pierre Worms l’an dernier, je perds un de ceux qui m’ont le plus inspiré et conforté. Je reprends ici le commentaire qu’il avait envoyé sur un papier de ce blog. Je trouve qu’il résume parfaitement sa pensée : « La socioculture occidentale a été marquée depuis le 16ème siècle par une dominante de la rationalité, de la compétition, de la bureaucratie, de la hiérarchie, mais une bifurcation s’est produite, bien visible dès le début du 20ème siècle qui pousse en avant la coopération, l’interaction, l’auto-organisation, le vivant plutôt que le mécanique, l’empathique plutôt que le hiérarchique. Si nous parvenons à mieux comprendre les enchainements qui favorisent cette évolution du vivant et à identifier ceux qui la freinent, nous aurons plus de chances de la préserver. C’est ce que nous tentons de faire à Happymorphose ». On continue, merci Alain.

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Auteur/autrice : Hervé CHAYGNEAUD-DUPUY

Je continue à penser que l’écriture m’aide à comprendre et à imaginer.

 

Une réflexion sur « Lettre ouverte à un virus »

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