Vive la conversation démocratique !

Merci à tous ceux qui étaient là samedi dernier pour le débarquement des Ateliers. Nous étions presque 40 à naviguer sur le Rhône par grand vent. Merci aussi à tous ceux qui ont mis un mot sympa pour dire que même absents, ils auraient une pensée pour nous. Merci donc d’avoir compris l’importance de tourner une page, de clore un chapitre, appelons ça comme on voudra…

Rhone-nord de Vienne du Livia AG Atelier
Rhône au nord de Vienne

Les Ateliers ont été une belle aventure et elle s’est achevée comme je l’espérais : dans la bonne humeur et l’envie que d’autres occasions de rencontres se manifestent.

On en a déjà quelques-unes avec Ici on peut, l’association qui prend le relais des Ateliers. J’aimerais que nous arrivions à prouver que l’on peut animer dans la durée des formats de rencontres plus simples à proposer et à mettre en œuvre que les ateliers de discernement  mais avec la même exigence quant aux modes d’animation. Tous, sur le bateau, nous avons redit le besoin de ces espaces de parole « intermédiaires » entre le cercle amical et l’espace public, plus ouverts à la personne de passage qu’une réunion associative et moins engagés que le club de réflexion pour permettre la pluralité des points de vue…

Pour moi c’est la « brique de base » de la délibération citoyenne. Brique qui manque cruellement dans notre démocratie. Je me demande si ce n’est pas la réinvention des Salons du XVIIIème siècle, en évitant leur caractère élitiste. Philippe BRETON avait il y a quelques années relancé des ateliers d’argumentation rhétorique ; encore plus modestement il s’agit ici de s’exercer à la « conversation démocratique ».

50 ans : avoir ou être

L’âge ingrat plus encore que l’adolescence : trop vieux pour être jeune, trop jeune pour être vieux ! On tente de vous rassurer en disant que  50 ans, c’est la maturité. Mais la maturité, c’est bon pour les fruits. Ça donne l’idée qu’il faudrait arrêter de mûrir pour éviter de bientôt pourrir ; ça laisse aussi penser qu’avant on était trop vert pour être bon. Décidément, non ! Je ne veux pas être un homme mûr. De toute façon, j’ai le sentiment de toujours avoir eu le même âge : autour de la trentaine. Adolescent, j’étais déjà « très mûr pour mon âge » ; aujourd’hui,  je me sens plus adolescent que les lycéens inquiets pour leur retraite.

Je me rassure en relisant le chapitre sur le vieillissement dans les « Transformations silencieuses » de François Jullien. Avec les Grecs – nous  dit Jullien – nous sommes handicapés pour comprendre ce qu’est le vieillissement. Nous prenons le changement imperceptible de la vie humaine pour un mouvement d’un point A, la naissance, à un point B, la mort. « La vie est-elle transition, dont chaque moment se découvre et compte à part entière ou bien est-elle traversée, dont ce qui compte à l’avance est l’arrivée ? » Vieillir n’est pas quelque chose qui nous arrive, comme un rhume ou un souci professionnel, c’est notre réalité. Faisons avec. Je n’AI pas 50 ans, comme si je les ajoutais les uns aux autres dans un sac toujours plus lourd à porter. Je préfère l’expression anglaise : « I’m 50 years old ». Je SUIS vieux de 50 ans comme je l’ai été de 10 et le serai, peut-être, de 80.

Paysage en mouvement

Juste une réflexion qui m’est venue au cours d’une insomnie, cette nuit. Presque toujours en mouvement, le paysage est pour nous un défilement : derrière la vitre d’une voiture ou d’un train ou même en randonnée lorsqu’on se dit : « je rebrousse chemin  mais je vais quand même jusqu’au prochain tournant, pour voir ce qu’il y a après ». Souvent en TGV vers Paris ou en TER vers Dijon, je me rends compte qu’en levant les yeux de mon ordinateur, je ne regarde pas le même  type de paysage. Pas uniquement en raison des lieux traversés mais plutôt en raison de la vitesse à laquelle ils sont parcourus.

En TGV, on distingue la beauté des collines du Mâconnais, la solitude des forêts du Morvan, l’arrivée dans la plaine du bassin parisien. On repère des signaux, étonnamment toujours les mêmes : sur une crête la haie alternant arbres boules et ligne haute des peupliers, dans une vallée les arches d’un viaduc,… Des vues d’ensemble (cartes postales touristiques), des ponctuations, mais rien de vivant.

En TER, à l’inverse le paysage prend son temps : on voit des vaches dans l’angle d’un pré sous un noyer, on voit une grand-mère, pliée sur une ligne de salades dans un jardin potager,… Des détails, des gens.

Mais dans les deux cas, on est au cinéma, le film se déroule devant nous sans qu’on puisse interagir. La réalité devient fiction. On sait combien est propice à la rêverie les images furtives des fenêtres éclairées dans la nuit où l’on saisit un instant dérobé de la vie de quelqu’un qui ne restera qu’une image.

Le paysage, dont on vante l’authenticité à longueur de dépliant touristique n’est-il  qu’un écran divertissant ? Ces lieux qui nous semblent si réels, ne sont-ils que des représentations ? J’aime bien ce que nous indique François Jullien sur la différence d’appréhension du paysage entre Chinois et Européens. Pour nous, les mots « paysage », « Landschaft », « landscape » évoquent tous une « partie de pays que la nature présente à l’œil ». Pour les Chinois qui parlent de « montagne-eau » (shan-shui), le paysage est, selon Jullien, non plus « une délimitation aspectuelle » mais « une  interaction entre des pôles (haut/bas, compact/fluide,…) ». Nous dévisageons le paysage de loin (à partir d’un point de vue, d’un panorama), les Chinois sont parties prenantes d’un jeu d’énergies.

J’éprouve souvent ce besoin quasi viscéral « d’entrer dans le paysage », de m’y trouver bien, simplement, sans rien faire. Comme dimanche dernier, de contempler les papillons qui virevoltent à mes pieds, de sentir la chaleur d’un muret de pierre sèche sous mes fesses, de humer le parfum d’anis d’une tige de fenouil sauvage, de m’emplir de silence. Les paysages en mouvement me font rêver d’ailleurs, les paysages immobiles me rassérènent.

Pas très « persopolitique » ce texte ? A première vue non, mais si on accepte l’idée que la question « persopolitique » est avant tout un changement de point de vue sur notre relation au monde et aux autres, alors…