Es gibt

De l’Allemand aux estampes japonaises en passant par le Gange, courte balade dans le « donné » du Vivant

« Es gibt »[i] en Allemand correspond à « Il y a » en Français. Mais que vient faire le verbe donner (geben) dans une expression qui constate une simple présence ? Les anglosaxons sont encore plus explicites que nous en recourant à l’auxiliaire être, avec le « there is » (là est). Quelque chose est là. Pas d’interrogation sur l’origine de cette présence en français ou en anglais. L’allemand nous dit à peu près « ça donne » avec le pronom neutre comme sujet du verbe donner. Un don, donc, dont on ne connait pas l’origine [oui je sais, cette allitération en don est un peu lourde mais cet accent mis sur le don correspond à mon propos]. L’Allemand nous oblige à voir ce que, bien souvent, nous ne voulons plus voir dans une société où chacun se veut l’auteur de lui-même et le créateur de son monde à lui. Notre existence repose pourtant sur du « donné » qui nous préexiste ! Je ne suis pas sûr des conclusions qu’il faut en tirer. Doit-on se dire que, s’il y a du donné, c’est qu’il y a un donateur, un Créateur, la Nature ? Doit-on, à la suite de Mauss, considérer que ce don nous appelle à recevoir et à rendre ? Mais à qui ou à quoi ? En raison du « don de la Nature», certains en viennent à considérer que la Nature a des droits et peut même devenir un sujet politique. Plusieurs jugements récents ont reconnu des droits à des écosystèmes en Amérique latine ou en Nouvelle-Zélande. Le Gange en Inde s’est même vu reconnaître une personnalité avec droits et devoirs. Je préfère en rester pour ma part à une posture d’humilité sur le plan des comportements et, sur le plan du droit, à une limitation des droits conférés par la propriété. Nous ne sommes tout simplement pas propriétaire de la vie mais propriété de la vie. Nous appartenons au Vivant c’est source de modestie, de respect mais aussi de joie quand nous nous sentons pleinement reliés à ce qui nous précède et ce qui nous entoure. voir par exemple la très belle exposition d’estampes japonaises consacrées aux montagnes et aux paysages.

PS/ ma fille aînée Raphaëlle a créé un blog où elle s’intéresse aux écarts entre les langues, pour s’en amuser et pour réfléchir. Ce Es gibt lui est dédicacé 😊

 

[i] Ce billet m’a été inspiré par un échange sur la liste de discussion des Convivialistes.

Stigmergie

Encore un mot moche ! Un mot qui m’a d’abord fait fuir parce qu’il mettait en avant « l’intelligence » des fourmis et des termites, encore elles ! Je m’apprêtais à faire un billet du genre « préférons le dialogue à la stigmergie » et finalement j’ai découvert en quoi elle pouvait être réellement pertinente. Quelques explications.

Stigmergie est composé de deux mots grecs, traces et travail. On le sait, les phéromones que les fourmis ou les termites déposent permettent la progressive convergence des chemins empruntés, d’abord aléatoirement, par les insectes. L’approvisionnement d’une fourmilière, la construction d’une termitière sont les résultats souvent spectaculaires de la stigmergie. Le mot désigne donc avant tout l’effet organisationnel produit par les traces laissées tout au long de leur parcours par ces insectes. Lorsque j’ai entendu ce mot, l’intervenant en faisait un exemple d’intelligence collective. Il confortait son propos en disant que sur Internet nos traces numériques avaient le même effet. Cette « intelligence » sans échange de point de vue me semblait bien loin de ce que je ne cesse de défendre. Mais en préparant un papier vengeur sur ce mot apparemment bien loin des pratiques délibératives auxquelles je suis attaché, je me suis rendu compte que la stigmergie était moins une forme d’intelligence collective qu’une pratique d’agrégation des savoirs et des actions réellement pertinente pour les projets impliquant un très grand nombre de participants. Avec deux principes essentiels : celui qui agit le fait sans attendre d’autorisation ni d’un chef (modèle hiérarchique) ni d’un groupe (modèle coopératif) ; la pertinence de l’action menée se valide par le fait que le chemin emprunté par un acteur du réseau est réemprunté et amène le projet plus loin. Cette validation par les pairs dans la pratique et non dans la supervision fonctionne pour de nombreuses démarches, d’un simple Forum ouvert à des projets aussi développés que Wikipedia ou Linux.

Encore une fois, comme pour la démocratie dont il s’agit de démultiplier les modalités, ce qui découle de ce « nouveau » mot, c’est l’importance d’adapter nos modes d’organisation aux projets à conduire. La hiérarchie, la délibération, la stigmergie ont chacune leur légitimité, le pire est de croire à un modèle unique et d’appliquer des règles de fonctionnement qui ne sont pas en phase avec la situation. Le Grand débat serait-il plus stigmergique que délibératif ? Le risque serait qu’il ne soit qu’agrégatif… C’est de toutes façons un « format » inédit pour une situation inédite !

deux liens pour aller plus loin :

http://www.lilianricaud.com/travail-en-reseau/la-stigmergie-un-nouvelle-modele-de-gouvernance-collaborative/

http://www.lilianricaud.com/travail-en-reseau/principes-cles-pour-mettre-en-oeuvre-une-cooperation-stigmergique/

Otium et Negotium

Le mot latin negotium nous semble familier, mais on oublie qu’il n’est qu’un contraire, le contraire du très intéressant otium

Qui se représente aujourd’hui le travail ou l’activité économique comme le simple contraire d’un loisir qui serait considéré comme l’activité par excellence ? c’est pourtant comme ça que les Latins voyaient le monde des affaires, le négoce, negotium. Le neg-otium était l’inverse d’Otium, le mot qui leur importait. Mais c’est quoi cet otium qui a donné en français le mot peu flatteur d’oisiveté ? Est-ce le « temps libre » dont Mitterrand avait fait un ministère aux premiers temps de l’alternance de 1981 ? En réalité, c’est bien autre chose que ce temps qualifié de libre mais qui reste en réalité essentiellement subordonné à la restauration de nos capacités laborieuses et à la distraction. L’otium des Romains avait une tout autre importance : c’était le temps de l’étude, de la réflexion et de l’engagement pour la Cité. D’où sa valeur. A une époque où la robotisation et l’IA font craindre la disparition du travail que nous considérons encore comme essentiel à notre dignité, n’est-il pas temps de se poser la question : Et si ce qui n’était permis qu’à quelques-uns au temps de l’aristocratie était désormais accessible au plus grand nombre ? Et si nos temps humains n’étaient plus principalement consacrés au travail et au temps libre compensateur ? Quelle société saurions-nous construire ? Le roman d’anticipation Ecotopia réédité récemment donne une réponse qu’il serait sain de ne pas rejeter a priori comme une simple utopie. Et si « faire société » était le nouvel Otium ? Tellement urgent au moment où le monde qui se défait laisse remonter à la surface, tout autour de la planète, des monstres que nous croyions oubliés qu’ils soient nationalisme, proto-fascisme, intégrisme,…  Si, comme je le crois de plus en plus, le libéralisme a épuisé son énergie vitale, alors il est illusoire de croire qu’il nous sauvera du populisme. Thomas Legrand, toujours à la recherche du clivage politique pertinent, proposait écologisme vs populisme. Il est temps effectivement qu’on se pose la question en ces termes (l’écologisme n’étant évidemment pas réductible au seul parti des Verts) ! Parlons plutôt de Convivialisme comme y invite depuis plusieurs années Alain Caillé et beaucoup d’autres à sa suite. Dans Convivialisme, il y a « vie avec ». On retrouve  là une dimension importante de l’Otium ! 

 

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