L’inéluctable est tellement sûr de son fait, qu’il est le contraire d’un mot qui n’existe pas : éluctable. Nous vivons de plus en plus dans un monde qui soupire sous le poids de l’inéluctable. Même la fin du monde apparaît désormais à beaucoup impossible à éviter. A la génération de mon père tout semblait au contraire possible. Quel retournement spectaculaire, spectral plutôt. Découvert sous la plume de Jean-Pierre Texier[1], l’éluctable est un mot que j’adopte d’emblée, avec joie et reconnaissance. L’éluctable, c’est l’anti-fatum, le pied de nez au destin ou plutôt le refus volontaire et combattif de la désespérance, l’inlassable capacité à se dire « Et si… » pour rouvrir des possibles. Il y a une complaisance maladive et paresseuse à se dire qu’on n’y peut rien, que tout est joué d’avance. On me traite souvent d’indéfectible optimiste. Je ne suis pas optimiste mais joueur. Tant que la partie n’est pas finie, un retournement est toujours envisageable. Nous ne manquons de rien dans notre monde suralimenté, nous manquons simplement, cruellement d’imagination et d’envie de rester dans le jeu. Qui avait imaginé avant la semaine dernière que l’abstention pourrait reculer dans un scrutin européen censé ne plus intéresser grand monde ? Qui aurait parié sur une montée en puissance des écologistes ? Pas moi en tous cas, gagné insidieusement par l’inéluctabilité. Après huit jours passés au milieu des splendeurs de la Toscane, j’ai envie de croire que le déclin de l’Europe et donc du monde est encore éluctable ! Pas seulement évitable, comme on évite un obstacle mais éluctable, comme on lutte pour ce à quoi on tient plus que tout.
l’illustration est extraite du blog de collage de RaphaëlleCD
[1] Dans In extremis, le volume 2 de la BibliotheK Sauvage, flâneries éclectiques . poétiques. politiques https://www.bibliotheksauvage.com/publications/