Chtôn

Une autre manière de dire la fragilité de notre monde !

Non, je n’ai pas oublié le A de chaton comme me le suggérait gentiment Google quand j’ai lancé une recherche sur Chtôn. Chtôn nous est d’évidence moins familière que les vidéos de chatons trop mignons! On connait plus ou moins l’adjectif chtonien qui évoque les forces telluriques les plus obscures. Chtôn est en fait la déesse grecque primordiale de la Terre, avant de s’appeler Gaïa. J’ai découvert ça dans la recension du livre de Franco Farinelli, géographe de l’université de Bologne, et dont le titre m’a interpelé « l’invention de la Terre ». Quand Chtôn épouse le Ciel, celui-ci lui offre un manteau couvert de forêts, de rivières et de palais. En géographe, Farinelli voit dans ce manteau une évocation des cartes qui sans cesse tentent de saisir la réalité de la Terre mais dans une représentation toujours infidèle, toujours abstraite. J’ai plutôt envie de voir dans ce manteau offert comme cadeau de noce, ce qu’on appelle aujourd’hui la « zone critique », cette fine couche de terre, d’eau et d’air qui entoure la Terre et la rend habitable. Sans son manteau, Gaïa n’est plus que Chtôn une réalité géologique invivable, une sphère perdue dans l’immensité du vide intersidéral. La vie sur Terre tient donc à peu de choses : un habit et un baptême (le don d’un nom qui fait exister). N’oublions pas qu’habit et habiter c’est la même origine. Ici l’habit est la possibilité même d’habiter. Gaïa, notre Terre, n’est habitable que dans une fragilité extrême : l’ajustement d’un vêtement et le fait d’être (re)nommée.  Et nous n’y prêtons pas garde. L’extractivisme dont nous l’accablons depuis la révolution industrielle troue de toute part son manteau et nous avons oublié le respect dû au fait qu’à défaut d’être une déesse, elle est indéniablement vivante. Gaïa résiste encore mais Chtôn déjà réapparait, comme dans ces films fantastiques où le visage des monstres se déchire laissant entrevoir l’horreur.

Ce matin, je prends la route pour la Toscane, un de ces points du globe où l’idée de manteau de Gaïa prend une évidence particulière. Oublier Chtôn quelques jours et célébrer Gaïa !

Es gibt

De l’Allemand aux estampes japonaises en passant par le Gange, courte balade dans le « donné » du Vivant

« Es gibt »[i] en Allemand correspond à « Il y a » en Français. Mais que vient faire le verbe donner (geben) dans une expression qui constate une simple présence ? Les anglosaxons sont encore plus explicites que nous en recourant à l’auxiliaire être, avec le « there is » (là est). Quelque chose est là. Pas d’interrogation sur l’origine de cette présence en français ou en anglais. L’allemand nous dit à peu près « ça donne » avec le pronom neutre comme sujet du verbe donner. Un don, donc, dont on ne connait pas l’origine [oui je sais, cette allitération en don est un peu lourde mais cet accent mis sur le don correspond à mon propos]. L’Allemand nous oblige à voir ce que, bien souvent, nous ne voulons plus voir dans une société où chacun se veut l’auteur de lui-même et le créateur de son monde à lui. Notre existence repose pourtant sur du « donné » qui nous préexiste ! Je ne suis pas sûr des conclusions qu’il faut en tirer. Doit-on se dire que, s’il y a du donné, c’est qu’il y a un donateur, un Créateur, la Nature ? Doit-on, à la suite de Mauss, considérer que ce don nous appelle à recevoir et à rendre ? Mais à qui ou à quoi ? En raison du « don de la Nature», certains en viennent à considérer que la Nature a des droits et peut même devenir un sujet politique. Plusieurs jugements récents ont reconnu des droits à des écosystèmes en Amérique latine ou en Nouvelle-Zélande. Le Gange en Inde s’est même vu reconnaître une personnalité avec droits et devoirs. Je préfère en rester pour ma part à une posture d’humilité sur le plan des comportements et, sur le plan du droit, à une limitation des droits conférés par la propriété. Nous ne sommes tout simplement pas propriétaire de la vie mais propriété de la vie. Nous appartenons au Vivant c’est source de modestie, de respect mais aussi de joie quand nous nous sentons pleinement reliés à ce qui nous précède et ce qui nous entoure. voir par exemple la très belle exposition d’estampes japonaises consacrées aux montagnes et aux paysages.

PS/ ma fille aînée Raphaëlle a créé un blog où elle s’intéresse aux écarts entre les langues, pour s’en amuser et pour réfléchir. Ce Es gibt lui est dédicacé 😊

 

[i] Ce billet m’a été inspiré par un échange sur la liste de discussion des Convivialistes.

Schadenfreude

Avant de partir pour quelques jours de vacances, une invitation à passer de la « joie triste » de la Schadenfreude à la « joie pure » d’un moment de radio, fugace et banal, mais étonnamment touchant

Face à la défaite de l’équipe de foot allemande au Mondial, Mélenchon avait envoyé deux tweets, pas moins ! D’abord pour parler de sa « joie pure », ensuite pour employer le mot allemand de Schadenfreude qui justement est tout sauf une joie pure puisque c’est la joie éprouvée en raison du malheur des autres. Nous n’avons pas de mot équivalent en français, peut-être parce qu’il nous est difficile de nous avouer que nous éprouvons cette joie impure. Nous aimerions croire que nous ne pratiquons que le bel esprit. Hélas la Schadenfreude trouve chez nous une forme ô combien populaire avec les humoristes médiatiques qui nous incitent à rire en permanence des travers, réels ou amplifiés à l’extrême, de ceux qui osent entrer dans l’arène médiatique. N’a-t-on pas quand même, à force de ricaner, l’impression désagréable de devenir méchant ou cynique ? Face à ce poison lent qui nous atteint tous, un bon antidote : un instant de  joie pure pour se laver l’esprit ou l’âme. Il y a quelques jours France Inter nous a offert cet instant de grâce, une gamine de 10 ans interviewée par Hervé Pauchon qui parlait de décontracter les épinards, qui disait merci à ses parents de lui avoir donné la vie et à son frère d’avoir prêté sa console, qui voulait être électricien comme son grand-père mais au bout d’une corde d’escalade. Un drôle d’accent, une assurance et une diction étonnante, une originalité rafraichissante… « Bluffante » comme le disait Nicolas Demorand, traduisant bien ce moment suspendu de joie pure, vraiment pure, celle-là.  

A écouter ou réécouter ici. ça fait du bien !