Chez Deloitte

Persopolitique n’est bien sûr pas un blog professionnel mais j’imaginais mal ne pas faire état du changement (dans la continuité !) de mon activité professionnelle. Une occasion de réfléchir sur un parcours de « métisseur » !

Nous étions dans le salon tranquille d’un petit hôtel du Marais, un soir où je restais à Paris, quand Didier Livio m’a annoncé son intention d’enclencher le rapprochement de Synergence avec le groupe Deloitte. D’abord surpris de ce choix compte tenu du souci d’indépendance de Didier, de son habitude à être seul maître à bord d’une entreprise qu’il a fondé il y a plus de 30 ans, de notre recherche commune d’une transformation profonde d’un système politique, économique et social non-durable, je me laissais vite convaincre que c’était peut-être une formidable opportunité d’élargir notre capacité d’intervention.

Neuf mois plus tard, Deloitte Développement durable est né, réunissant les activités Sustainability services de Deloitte France, celles de BIO et celles de Synergence autour de l’ingénierie et de la communication du développement durable. 130 personnes, permettant de couvrir une gamme étendue de compétences, avec des complémentarités évidentes entre les équipes. A peine plus d’un mois après, il est bien sûr trop tôt pour dresser ne serait-ce qu’un premier bilan. Et ce ne serait de toute façon pas le lieu pour le faire ! Je veux ici écrire un texte de blog, un texte perso-politique ! Je savais que je serai amené à évoquer la nouvelle aventure chez Deloitte, quand elle nourrirait, occasionnellement, le propos de ce blog, comme je l’ai fait, assez rarement, avec Synergence (et sans trahir les obligations de confidentialité propres à ce métier de consultant).

J’ai simplement l’envie d’évoquer ici un espoir, au travers un rapide retour sur mon parcours professionnel. Au travers de 3 mots : Enthousiasme – Passage – Composition

Difficile pour moi de travailler sans enthousiasme, c’est sans doute ce qui m’a fait changer souvent de cadre de travail, d’entreprise et de statut. J’ai besoin régulièrement de redonner du souffle au projet qui m’anime… même si c’est en fait toujours le même projet : comprendre et faire comprendre, comme je l’écrivais quand j’avais 25 ans ; avec l’envie bien sûr que cette compréhension serve à vivre mieux, personnellement et collectivement. L’aventure Deloitte me redonne de l’énergie et le plaisir de travailler avec de nouvelles personnes, motivées et pros. Ça se fait naturellement, sans effort d’adaptation malgré les différences de culture professionnelle. L’enthousiasme, sans nécessairement revenir à l’étymologie du mot (possession divine !), est pour moi ce qui met en mouvement. Dans des métiers où la créativité est indispensable, impossible de continuer à l’être sans source d’inspiration régulièrement renouvelée. Rappelons qu’ « émotion » et « mouvement » ont la même origine. Sans se laisser dicter ses choix par l’émotion, pas de doute que l’émotion est un « moteur » (toujours la même origine !) pour l’action, surtout quand on a une propension à la contemplation !

La source de mon enthousiasme, c’est la rencontre : des personnes, des idées, des expériences, des lieux, des paysages. Mais plus encore, c’est le passage d’une rencontre à une autre et des cheminements que cela permet. Rien de plus exaltant que de vivre dans plusieurs mondes à la fois, de passer dans la même journée des bureaux au design recherché d’une grande entreprise aux locaux bricolés d’un collectif associatif. Si cette confrontation à une diversité d’univers n’est plus si rare, elle reste souvent l’objet d’un cloisonnement, vie professionnelle d’un côté, engagement militant de l’autre… avec parfois un grand écart entre les deux. La nature de mon activité me permet de poursuivre le même projet en créant des ponts entre des mondes et des situations.

Mais le mot le plus important pour moi est le troisième : composition. La composition c’est l’ajustement réciproque des points de vue, grâce à des solutions créatives qui permettent de sortir des compromis où chacun accepte de perdre un peu. Ce mot de composition, je l’utilise régulièrement avec les gens avec qui je travaille car il correspond le plus exactement à ce que je tente de faire. Je l’ai beaucoup utilisé aussi sur ce blog, notamment dans son a-propos. Je me suis amusé à regarder son occurrence : 5 fois au substantif et 6 fois en tant que verbe ! L’expression que je préfère me vient de Bruno Latour et de Michel Callon : composer un monde commun.

 

Mon espoir tient au fait que ce puissant moteur de transformation qu’est le métissage des mondes est en marche comme l’a si longtemps exploré le poète antillais Edouard Glissant. Malgré les incidents de parcours, aussi terribles et meurtriers qu’ils soient. Oui, des retours en arrière sont possibles. Oui, des périodes de repli sont malheureusement envisageables, y compris en Europe qu’on croyait sortie des nationalismes à courte vue. Pour autant je constate simplement que les parcours métissés et « métisseurs », avec des variantes multiples ne sont plus rares. Je pense à cet homme, ingénieur je crois, qui témoignait à la radio de sa réorientation vers l’enseignement, on le sentait réellement habité par son projet regrettant simplement (sans acrimonie) que l’Education Nationale ne facilite pas ce type de parcours ; je pense à tous nos enfants qui multiplient les expériences internationales (encore dans les milieux favorisés sans doute mais même dans ces milieux, ça n’existait pas dans ma jeunesse) ; je pense à tous ces jeunes adultes qui n’hésitent pas, arrivés à la trentaine, à reconsidérer leur projet de vie de façon parfois radicale (nous en avons beaucoup croisé à Synergence),…

Ceux avec qui je travaille pour faire advenir une démocratie sociétale et à qui j’annonçais que je rejoignais un des « big 4 » (les 4 plus grands cabinets d’audit et de conseil) étaient assez vite convaincus que cette nouvelle aventure professionnelle pouvait constituer un métissage inédit et plein de perspectives. En tous cas, enthousiasme, passage et composition sont plus que jamais d’actualité !