Quand la politique s’invente … ailleurs

un texte 100 % optimiste pour vous souhaiter une bonne année autrement qu’avec des vœux… pieux ! Oui la politique se réinvente et les initiatives sont nombreuses. Voici une petite moisson… au milieu de l’hiver. N’hésitez-pas à réagir et à partager vos propres repérages.

Quand la politique « officielle » ne regarde plus l’avenir, s’inventent alors d’autres lieux où « de la politique » s’élabore, avec d’autres acteurs, selon d’autres méthodes. Qu’on en juge au travers des trois exemples ci-dessous. Ils ont en commun de venir de trois univers d’où on n’attend pas de telles initiatives.

– l’Institut Montaigne, think tank libéral proche du patronat, invite un panel de citoyens à imaginer la politique de santé de l’avenir dans le cadre d’une conférence de citoyens,

un groupe d’ingénierie, Fives, utilise la même méthode (la conférence de citoyens) pour concevoir l’usine du futur en lien avec Mines ParisTech,

une enseigne de la restauration rapide mondialement connue, McDonald’s France s’allie au quotidien de référence, Le Monde, et à deux grandes écoles, Sciences Po et (encore) Mines ParisTech pour lancer un espace de débat entre recherche et société sur les enjeux du développement durable.

Pendant la même période– c’était à la fin de l’année dernière – la droite se divisait devant les caméras pour savoir qui devait être son chef, la gauche s’enferrait dans la querelle sur un aéroport d’un autre temps …

Qu’on se comprenne bien, je n’invite pas ici à remplacer les politiques par les entreprises ou les think tanks, je ne pense pas non plus que les conférences de citoyens soient, en tant que telles, un moyen de gouvernement. En revanche, comme le disait Armand Hatchuel dans l’article qu’il consacrait à la conférence de citoyens sur l’usine du futur, celle-ci, sans se substituer aux experts, « aide à poser un « brief », une sorte de cahier des charges qui soit le plus proche des idéaux qui nous sont communs ». Il ajoutait : « Une usine ainsi conçue serait sans doute le meilleur moyen de créer une nouvelle culture industrielle ». Les citoyens réunis pour cette démarche ont ainsi exprimé trois attentes fortes : l’usine doit être écologique, s’ancrer dans la vie du territoire et installer un rapport de confiance avec les élus. Une autre manière de dire les enjeux de développement durable (environnement, social et gouvernance).

C’est ce « brief » que doivent entendre les politiques alors qu’ils en restent aux exigences supposées de l’opinion, telles que les rapportent les sondages et les micros-trottoirs qui ont envahi l’information. On sait pourtant que cette opinion est superficielle et versatile, largement dominée par l’émotion du moment. Les lecteurs de ce blog savent que j’anime souvent des rencontres avec des citoyens, sous tous les formats possibles. Quand les gens entrent dans la complexité des choses, ils tiennent des propos qui n’ont plus rien à voir avec les poncifs ou les humeurs que l’on tient par commodité politique et journalistique pour « l’opinion publique ».

Quand donc les politiques vont-ils se saisir de cette parole citoyenne si différente de l’opinion ? On attendrait ainsi du Ministre du Redressement productif qu’il se saisisse du « cahier des charges » évoqué plus haut à propos de l’usine du futur pour inventer l’industrie de demain plutôt que de se battre (même avec panache) pour maintenir des activités d’hier. On sait qu’il y travaille aussi, mais de manière moins médiatique que face aux Fralib ou aux sidérurgistes de Florange. Il serait pourtant très utile qu’il parvienne à inverser le rapport de publicisation (au double sens de médiatisation et de mise au débat public) entre ce qui n’est que le maintien du passé et ce qui est l’invention du futur. Ceci vaut naturellement pour tous les sujets de l’action publique.

Encore deux expériences découvertes ces derniers jours, et qui vont dans le bon sens :

– le conseil général du Nord organise la deuxième édition de ses ateliers citoyens pour concevoir sa politique de mobilité en y impliquant les citoyens. Il l’a fait déjà une première fois sur la question éducative avec plusieurs milliers de participants >> de telles initiatives se multiplient mais celle-ci est à une échelle intéressante et directement autour d’une politique publique majeure.

le projet Parlement & Citoyens pour donner aux citoyens une connexion directe avec des parlementaires afin d’élaborer des projets de loi ensemble >> il y a tout ce que j’aime dans ce projet : une idée forte – la possibilité des citoyens de participer à l’élaboration de la loi – , l’organisation d’une communauté en jouant à la fois sur le virtuel et sur la rencontre, un bon niveau de professionnalisme – c’est clair et bien construit – , ça ne se prend pas au sérieux (voir par exemple l’appel aux dons auprès des héritiers qui auraient de l’argent au-delà du nécessaire ou même du superflu !). Bref je m’inscris et vous invite à faire de même !

 

Concluons : Il devient urgent que les responsables politiques de note pays intègrent cette maturité politique nouvelle de la société dans toutes ses composantes. Sans méfiance a priori à l’égard des nouveaux venus, au contraire ! Je trouve pour ma part réjouissant que McDonald’s France ouvre un espace de débat nouveau sur le développement durable à la fois sans tabou et constructif, que le groupe Fives prenne le temps de comprendre ce que les citoyens attendent de l’industrie. Travaillant dans le cadre de Synergence avec de grands groupes internationaux, dont McDonald’s, je suis frappé de voir comment certains sont désormais capables de dépasser les « figures imposées » de la RSE pour se lancer dans des « figures libres » (pour reprendre la distinction éclairante de Franck Aggeri, lui aussi de Mines ParisTech !) qui supposent toujours une « entrée en politique » au sens où les préoccupations économiques croisent des enjeux de société.

OUI, la politique sort de ses frontières, les nouveaux venus sont imaginatifs, des citoyens créent des communautés toujours plus actives, des entreprises s’emparent de sujets politiques. Un peu d’espoir pour ce début d’année que tous les médias nous prédisent sombre. Peut-être parce qu’ils ne voient pas que ce qui éclaire l’avenir a changé : il n’y a plus de grand phare pour baliser la nuit, mais des milliers de leds à faible intensité (ou des nuées de lucioles pour les plus poètes et les plus japonisants) !

 

 

Jurys citoyens : la citoyenneté peut se … « dérouiller » !

Rolland, Marie-Paule, Frédéric, Vincent, Corinne, Clémence, Camille, Jean-Pascal, Alexandre, Alison, David, Laurence, Valérie, Patrick, Catherine, Olivia : ils étaient seize à participer au Jury citoyen[1] qui s’est réuni dans les locaux confortables et lumineux mis à notre disposition par le CJD, avenue Georges V. Ils venaient de l’Ile-de-France, de Touraine, d’Alsace ou du Nord. Livreur, employé dans la restauration, enseignante, femme au foyer, étudiant…ils étaient de milieux différents, simplement mis en présence par un même tirage au sort sur des listes téléphoniques.

La question qui les réunissait était loin d’être de celles qu’on se pose tous les jours : la gestion de la mobilité permise par le traçage des déplacements (vidéosurveillance, géolocalisation, billettique) est-elle compatible avec le respect de la vie privée ? Pourtant, pendant deux week-ends, ils ont examiné sous tous les angles les incidences possibles de ces technologies sur notre liberté d’aller et venir. D’abord avec l’appui d’experts de ces domaines, professionnels ou chercheurs, favorables et critiques. Ensuite entre eux pour tenter de voir à quelles conditions ces technologies pouvaient être utiles sans devenir trop intrusives dans nos vies.

Comme à chaque fois dans ces jurys citoyens, ce qui frappe, c’est l’effort de conciliation d’enjeux souvent contradictoires non pas par des compromis mous mais par la mise en avant forte de ce qui n’est pas acceptable (par exemple la géolocalisation des enfants comme moyen de surveillance de leurs déplacements) et par une demande tout aussi forte d’être informés de ce qui se fait souvent à notre insu (comme la transmission de nos coordonnées à des fins commerciales). Pas de conversion spectaculaire des technophiles en technophobes ou inversement. Simplement une vigilance plus grande de tous et une envie d’être associés aux décisions prises sur ces sujets.

Dimanche, à l’issue de ces deux week-ends studieux, les participants étaient unanimes pour s’étonner et se réjouir. Se réjouir d’avoir eu la chance de donner leur avis, s’étonner que ce genre de pratiques ne soient pas plus développées. Je ne doute pas que tous ceux qui ont déjà participé à un jury, une conférence, un atelier citoyen – peu importe la dénomination – retrouveront dans ce rapide témoignage des similitudes avec ce qu’ils ont vécu eux-mêmes. On peut en effet constater, jury après jury, que la capacité de délibération citoyenne, est bien une constante. Le repli sur la sphère privée et l’indifférence aux enjeux collectifs ne sont donc pas une fatalité !  Ils ne sont en fait que le produit d’un manque de sollicitation des capacités que nous avons tous et qui, finalement,  se « dérouillent » plutôt vite (au prix de quelques maux de tête, parfois, liés à l’attention soutenue que suppose l’exercice !).

Les chercheurs et experts qui ont accompagné le groupe sont tous repartis en se disant frappés de la maturité des débats, ravis d’avoir consacré leur samedi à cette expérience pour eux inédite. Trois d’entre eux, venus au départ pour une simple intervention, se sont pris au jeu et sont restés pour assister aux échanges. Un des intervenants en a parlé au sein d’une association professionnelle et a trouvé un tel écho qu’on lui a demandé un article sur le sujet !

Je suis sûr que c’est ainsi, de proche en proche, que ces pratiques démocratiques d’un nouveau type se développeront et seront prises en compte dans la décision publique. A ce propos, il serait intéressant de parvenir à recenser les initiatives prises. Elles se multiplient en ce moment, à toutes les échelles de territoire. Un signe encourageant pour la démocratie.

 


[1] Ce jury citoyen était organisé dans le cadre du Predit, programme national de recherche sur les transports piloté par le Ministère de l’Ecologie et du Développement durable. Il était mis en œuvre par une équipe de Synergence pilotée par Martin Vielajus et moi.