Ecole et société civile : les écoles fenêtre des Pays-Bas

La question de l’éducation concluait mon précédent article, une éducation au « pouvoir de faire ». Cette question de l’éducation est depuis les origines des Ateliers de la Citoyenneté au cœur de ma réflexion. Guy Emerard, l’ancien directeur de la formation professionnelle du Conseil Régional, y est pour beaucoup. C’est lui qui nous a mis sur la voie de l’apprentissage mutuel, c’est lui qui a transposé l’idée canadienne de Cité éducatrice. Lors de la rencontre sur la gouvernance à SoL le 16 mai dernier, notre groupe a travaillé sur « éducation et société civile » et c’était très stimulant. Il y aura bientôt une synthèse accessible. On peut lire avec profit dans la veine de ce qu’écrivait Illich, la présentation du concept d’ « école de la société civile » dans le livre de Michel Laloux « La démocratie évolutive ».

Plus prosaïquement, mais déjà avec plusieurs ingrédients qui changent la nature de l’école, voici la pratique néerlandaise des « Écoles fenêtres ». C’est en naviguant sur le site de Territoires, la revue de l’ADELS, que je suis tombé sur ce texte de Jean-Yves Boulin (que je connaissais pour ses travaux sur le « temps des villes »). En voici pour moi le point-clé, l’inter-action entre éducation et vie sociale : « En rassemblant sous le même toit et en tissant des partenariats entre organisations dédiées à l’éducation, à la culture et aux soins, destinées non seulement aux enfants mais aussi aux parents et habitants du quartier, les vensterscholen initient une démarche d’intégration puissante entre éducation et vie sociale ».

Nous réfléchissons au lancement d’un groupe de travail sur la manière dont la société civile pourrait « investir » l’école dans la suite de ce que nous avons amorcé le 16 mai avec SoL. A suivre donc.

 

Retour du Mexique

Je suis allé au Mexique un peu plus de trois semaines cet été en famille. Des amis mexicains nous ont fait découvrir leur pays, du désert du Nord jusqu’à Puebla en passant par Mexico. Nous avons poursuivi seuls au Yucatan, entre sites mayas et mer des Caraïbes.

Le but ici n’est pas de faire état de mes vacances mais plutôt de donner un écho aux conversations que nous avons eues avec nos amis sur leur pays et la politique. J’ai été frappé de la similitude entre leur désarroi face à la politique et celui qu’exprimaient souvent les personnes qui rejoignaient les Ateliers de la Citoyenneté. Un sentiment d’impuissance face à une politique qui semble échapper complètement aux citoyens avec des élections qui ne laissent espérer aucun changement véritable. Bien sûr la situation est encore plus critique au Mexique avec la corruption et la violence qui gangrènent tout. Même si Carlos est universitaire, régulièrement en Europe pour des colloques, il reconnait ne pas avoir connaissance des multiples initiatives, notamment latino-américaines, qui tentent de redonner du sens à la politique, que ce soient les budgets participatifs brésiliens ou l’expérience de Villa El Salvador au Pérou. La société civile est comme paralysée et ne semble même pas regarder ce qui se fait ailleurs et ce qui pourrait être entrepris dans le pays. Et pourtant je me dis que le Mexique est sans doute sur un point plus propice aux démarches « persopolitiques » auxquelles j’aspire que la France ! En effet nous avons été frappés de la persistance des liens familiaux, des rapports sociaux amicaux, de l’entraide spontanée. N’y a-t-il pas là un terreau sur lequel pourraient se développer des initiatives collectives ancrées dans les solidarités de voisinage ?  Je me mets à rêver d’un court-circuitage du système politique traditionnel impossible à transformer. Il y aurait tant à faire ! Mais hélas, au-delà des quelques signes encourageants que je vois, force est de reconnaître que le modèle américain est bien installé : déplacements uniquement par la route (plus un seul train de voyageur !), villes étalées à l’infini et pas seulement à Mexico, boissons sucrées à tous les repas, musique abrutissante sur les trottoirs des rues commerçantes, enfermement dans des gated communities des plus favorisés qui abandonnent les centre villes …  A quand une société civile qui se mobilise ? Et nous Européens, n’aurions-nous pas à initier des coopérations sur ce registre ? Ami Carlos, et si nous amorcions, modestement, cet échange transatlantique ?

Mobilisation : Sarkozy s’est trompé d’époque

Christophe Salmon revient une fois de plus dans Le Monde du 4 avril sur la mobilisation de l’opinion que nécessiterait l’action politique réformatrice néolibérale : « Les nouvelles techniques de pouvoir ont un caractère mobilisateur et requièrent le maintien d’un état d’alarme permanent, c’est-à-dire un usage stratégique des mécanismes de captation de l’attention utilisés par le roman et le cinéma : le découpage de l’action en séquences, les effets de surprise, le suspense, afin de mettre en place de véritables « engrenages » narratifs ». On pourrait dire qu’il rabâche, qu’il fait du storytelling une nouveauté qui n’en est pas une, mais ce n’est pas l’essentiel. En fait cette analyse donne à croire que le Président mobilise réellement l’opinion et que c’est en cela que la politique se vide de son contenu. Sur ces deux points, je diverge totalement du point de vue de Salmon. Pour moi, le président ne mobilise pas l’opinion mais la divertit (au double sens de divertissement et de diversion). S’il la mobilisait réellement, on aurait enfin une autre approche de la politique. Avant de voir ce que peut vouloir dire « mobiliser l’opinion » dans le sens « persopolitique » que je promeus, restons un instant sur l’analyse du sarkozysme. Camille Laurens dans Libération du 12 avril le dépeint comme une phobocratie, un gouvernement par la peur de l’autre. « La peur divise pour mieux régner. Elle sépare la société en unités hostiles qui se soupçonnent du pire et s’accusent de tous les maux […]. Sarkozy, quand il parle aux Français, ne s’adresse pas à des citoyens mais à des individus [dont il dit] comprendre les peurs ».  On voit qu’il n’y a là aucune mobilisation de l’opinion. On ne cherche pas à l’entraîner dans l’action (ou même dans le soutien de l’action), on lui dit : « Je m’occupe personnellement de traiter les causes de vos peurs légitimes ». Le volontarisme présidentiel exclue toute autre action que la sienne puisqu’il nous répète à l’envi que, s’il ne s’occupe pas personnellement de tout, rien ne se fait.

Dans l’optique « persopolitique », l’approche de l’action publique est diamétralement opposée. Elle suppose : que le politique ne peut agir seul de manière efficace sur la plupart des sujets dits « de société » ; que la société est en capacité d’agir en lien avec le politique pour résoudre les dysfonctionnements constatés ; que le politique a de plus en plus comme pouvoir principal de « mettre à l’agenda » les questions à traiter et d’animer la recherche collective des meilleures solutions en favorisant ensuite la diffusion des meilleures pratiques. De la lutte contre la violence à l’école à la recherche de nouvelles modalités de retraite (voir l’article sur les retraites que je viens de rééditer), c’est par le renforcement de la confiance dans la possibilité d’agir personnellement et collectivement qu’il faut miser… pas par le remuement des craintes et des ressentiments qui paralysent.

Sarkozy décidément n’est pas moderne, il ne voit pas le potentiel d’innovation des personnes lorsqu’elles se relient pour agir. Il en reste à la vision napoléonienne de l’omnipotence du chef et de l’atomisation de la société en individus apeurés.