Affouage

Un mot manifestement ancien, passé de mode, qui n’évoque plus grand chose… A quoi bon y revenir ? Tout simplement parce que c’est le point d’entrée d’une pratique démocratique du quotidien qu’on a bien tort de ne pas réactiver d’urgence ! Ce mot je l’ai découvert, oublié, retrouvé par hasard et je m’empresse de le partager !!

Affouage
forêt de Saône-et-Loire

« Les affouages… Tu sais ce que c’est ?! » me demande Philippe en passant devant le panneau d’un lieu-dit sur une petite route de campagne. Je sais que ce mot ne m’est pas inconnu mais mon souvenir est trop vague, je me résous à regarder sur Google. Et tout me revient, à la fois heureux de retrouver ce mot et agacé qu’il m’ait échappé. Alors vive la Saône-et-Loire qui en a fait un lieu-dit et vive mon ami qui m’a questionné !

Retour en arrière, pas très loin dans le temps en réalité. Janvier à Die aux Rencontres de l’écologie. Comme d’habitude, j’ai préféré me laisser guider par l’intuition du moment et je n’ai rien programmé. Je sais juste que je vais écouter Olivier Hamant sur la robustesse et Luc Gwiazdzinski, sans savoir de quoi il va parler, juste pour le plaisir de le retrouver.

Ce samedi en fin d’après-midi, je suis le seul de notre petit groupe à me rendre à l’Avant-Poste, attiré par le fait qu’on va y parler de communs.  Le thème est prometteur et un peu mystérieux : « La résurgence des communs ancestraux ». Les deux jeunes chercheuses sont à la fois rigoureuses et passionnées. Continuer la lecture de « Affouage »

Eloge du fixe dans le mouvement

Quand plus aucune stabilité ne semble possible, quand l’actualité s’affole, il est peut-être temps de « mettre sur pause ». J’ai pu le faire l’autre soir à Autun, ma ville d’adoption, et j’ai adoré ce moment suspendu où l’on a parlé de TGV, de paysages et du monde…

Eloge du fixe dans le mouvement
aqueduc de la Vanne_Etienne Matthieu

Le TGV a clairement fait partie intégrante de ma vie professionnelle. Pas seulement comme un moyen de transport commode et fiable. Le train est pour moi d’abord un lieu de travail extrêmement productif. Lyon Paris, c’est 2 heures et je me suis habitué à découper mon travail en tranches de deux heures. Je sais parfaitement les textes que je suis capable d’écrire au cours d’un trajet. Il m’arrive même de procrastiner en me disant : « Non mais ça, j’ai le TGV de mardi pour le faire ! » Cette bulle de concentration est facilitée par le fait que les appels téléphoniques n’y sont pas les bienvenus, ni les plus confortables. Ah le bonheur des SMS : « Je suis dans le TGV, je te rappelle en arrivant ! ». Et quel plaisir de prolonger quelques minutes l’effet-bulle pour conclure une note quand tous les autres voyageurs s’agitent autour de vous ! On descend alors sur le quai, presque déserté et on sourit d’avoir pu finir à temps en jetant un coup d’œil aux autres retardataires pour voir s’ils ont le même sourire satisfait …

Pourquoi évoquer ainsi mes habitudes ferroviaires, si largement communes à des millions d’autres voyageurs de la ligne TGV Paris-Lyon, la ligne la plus fréquentée d’Europe ? Justement parce que je viens de passer une soirée délicieuse à échanger avec un autre habitué de la ligne (merci Alexandre et Coralie de cette belle fin d’après-midi autunoise au CoWorking !). Florent Boithias est l’auteur – avec son complice cycliste et dessinateur Etienne Matthieu – d’une BD qu’il présentait lors d’une rencontre publique à laquelle j’assistais par un heureux concours de circonstances et que j’ai lu d’une traite le soir même. Le récit est celui d’une immersion dans les paysages que l’on voit des fenêtres du TGV, une aventure de 10 jours à vélo, sous la pluie une bonne partie du temps, à la recherche de ces lieux repères qui captent votre regard en quelques secondes avant de disparaitre aussi vite qu’ils sont apparus. Même si je ne me sens pas du tout apte à vivre pareille aventure, je me sens tout de suite familier de leur quête, plutôt celle de Florent d’ailleurs, Etienne ayant topé davantage pour l’aventure que pour ce lien très particulier au paysage qui anime – voire qui obsède – Florent.

En fréquentant aussi assidument la ligne TGV et même en étant aussi concentré que possible sur mes écrits, je lève bien sûr de temps en temps les yeux vers le paysage. Et je me suis rendu compte qu’il y avait des sites que je voyais très régulièrement, comme s’ils me faisaient signe, comme s’ils attiraient mon regard et me forçaient à lever les yeux un instant. Ce phénomène me fascinait et j’en parlais à un autre voyageur compulsif avec qui je travaille depuis 30 ans, Didier Livio qui, lui aussi, avait remarqué le même phénomène. Et il voyait les mêmes lieux que moi : un remarquable alignement d’arbres alternant arbres en boules et arbres en fuseau – moins d’une vingtaine d’arbres dans un paysage filant à près de 300 km /heure – et un aqueduc à deux étages d’arcades au fond d’un vallon. Evidemment, en interrogeant les auteurs de la BD, j’évoquais la haie si souvent aperçue et Florent lançait un « Elle y est ! » avant de m’apporter la BD ouverte à la page où je retrouvais dessinée l’alternance des arbres ronds et des arbres traits.  En lisant ensuite la BD, je me suis rendu compte qu’il y avait plusieurs autres sites que je voyais régulièrement : une maison forte sur une hauteur, un village ancien en ligne le long d’une crête, sans compter les sites plus spectaculaires (ceux-là je cherchais à les voir) comme Bergé-le Châtel près de Mâcon ou Cluny.

J’ai souvent tenté de comprendre pourquoi cette haie remarquable mais somme toute modeste arrivait à capter mon attention : accélération ou décélération, changement de lumière après un passage en tranché, courbe créant un imperceptible inconfort… ? Rien de tout cela.  C’est la discussion avec Florent qui me donne la clé de l’énigme, assez simple en fait même si je n’y avais pas songé : tous ces paysages que je remarque sont en fait parmi ceux qui s’installent dans notre champ de vision un peu plus longtemps même si ça reste quelques secondes. Une infime fixité dans un défilement continu. Et l’œil, sans qu’on y pense, capte cette fraction de temps calme et nous en fait profiter. Cette fixité très relative dans un monde sans cesse en mouvement est un instant de bien-être, de congruence entre l’immobilité du rédacteur assis confortablement devant son ordinateur et le calme du paysage qui tout à coup coexiste avec lui de l’autre côté de la fenêtre en triple vitrage.

Et si dans notre monde de plus en plus halluciné, dont certains s’ingénient à accélérer encore la vitesse de défilement à coups de tweets frénétiques et hargneux jusqu’à nous faire perdre tout espoir d’équilibre, et si, dans ce monde au bord de l’abîme, nous recherchions et cultivions ces instants de fixité au cœur même du mouvement ? Non pas dans la fuite vers des oasis coupées du monde mais plutôt dans une ascèse de l’arrêt sur image, de la contemplation furtive, de l’instant hors du temps ? Pas une simple pause-café qui recharge en énergie, plutôt une ouverture à la présence et au « maintenant » : les yeux posés le temps d’une respiration sur un rai de lumière où danse la poussière, à observer un banc de brume qui monte, un nuage illuminé par le soleil couchant… Rien de spectaculaire, rien de partageable ou de likable. Simplement un moment où l’on se sens vivant et où l’on éprouve le besoin irrépressible de s’étirer et de sourire.

Il y a quinze ans, au tout début de ce blog, j’écrivais déjà sur ces paysages vus du train. Il est amusant de le relire, j’y parlais du bonheur « d’entrer dans le paysage » avec le même éloge de l’instant. La haie dont je parle ici, je l’évoquais déjà il y a quinze ans ! Mais il y a aussi François Jullien et l’écart entre la vision occidentale et la vison chinoise du paysage. Prenez cinq minutes de plus pour le découvrir !

Elucider

Une lecture, un souvenir, un mot… Comment le mage du Kremlin rencontre Hercule Poirot pour aboutir au mot élucider, vous pourrez le découvrir en lisant ce post. Une occasion de se promener dans les méandres des associations d’idées et chemin faisant de réfléchir à notre rapport à la lumière !

Elucider
dans un bar de Vienne

J’ai longtemps aimé élucider les énigmes policières. Dans la maison familiale où nous passions nos étés, je faisais une pause systématique, laissant de côté les lectures que j’avais prévues, pour sortir un des volumes de la collection reliée des Agatha Christie. Tard dans la nuit, pris par le suspens, je découvrais enfin la mécanique implacable de la révélation quand Poirot réunissait tous les protagonistes et désignait enfin le coupable. Parfois je m’agaçais quand la révélation tenait à un indice que le détective avait trouvé sans qu’on n’en ait eu connaissance mais le plus souvent la manifestation de la vérité me séduisait par son évidence, par la limpidité de la démonstration. Il y a quelque chose de l’épiphanie dans cette révélation. On passe miraculeusement de l’ombre à la lumière (élucider, c’est au sens premier, rendre lumineux). Et puis je me suis lassé de ces constructions trop parfaites qui obscurcissent d’abord à dessein la vue du lecteur pour mieux l’éblouir à la fin. J’ai repensé à ces élucidations en lisant, dans les dernières pages du Mage du Kremlin[1], l’observation de Vadim Baranov lors de sa dernière balade, à la nuit tombante, dans une ville européenne :

[…] la grandeur un peu hautaine des façades qui surplombaient les surfaces glacées de la mer s’est faite plus affable, tout à coup radoucie par le charme des mille fenêtres étincelantes qui s’allumaient l’une après l’autre. Les lumières d’en bas, je pensais, voilà la vraie différence. En Russie elles n’existent pratiquement pas. Vous pouvez vous promener même dans les plus beaux quartiers de Moscou et de Saint-Pétersbourg, vous verrez partout les faisceaux impitoyables des plafonniers qui descendent d’en-haut et illuminent les fenêtres. Les plafonniers sont pratiques. Il suffit d’appuyer sur un bouton pour que toute la pièce soit éclairée par la même luminosité uniforme et brutale. […] Les petites lumières d’en bas, en revanche, sont peu commodes. Vous devez les allumer une par une et il en faut au moins trois ou quatre pour générer la même quantité de lumière qu’un plafonnier. Cependant le jeu des ombres portées sur les meubles et les murs crée une atmosphère propice à la conversation et à la lecture de vieux livres, au feu de bois et à la musique de chambre.

La lumière indirecte des lampes disposées aux quatre coins d’une pièce « n’élucident pas » le lieu ! A l’inverse, le plafonnier est comme Hercule Poirot, il ne laisse rien dans l’ombre avec sa lumière zénithale. On sait bien aussi le rôle que joue la lumière aveuglante dans l’obtention des aveux d’un prisonnier.

Notre monde aime trop la lumière blanche des leds qui aseptisent nos intérieurs. Nous revendiquons toujours plus « que la lumière soit faite », sur les dépenses publiques ou sur les comportements privés. Plus rien ne doit rester dans l’ombre à l’heure du soupçon généralisé et de la transparence exigée. La lumière n’est plus chaude mais froide, voire glaçante. Peut-être que cela tient à cet usage du singulier : LA lumière et non LES Lumières comme on préférait dire au XVIIIème siècle. La lumière de plafonnier est totalitaire, les lumières basses sont propices à la conversation (comme le pointait le Mage du Kremlin). La conversation, cette brique de base de la démocratie.

En questionnant cette élucidation policière du monde, je mets en garde contre la séduction que j’ai aussi éprouvée pour la compréhension instantanée d’une situation. On a l’impression d’être particulièrement lucide, de voir mieux que les autres alors que la simplicité n’est qu’un artifice de récit (que ce soit celui d’une excellente énigme policière ou d’une douteuse médiatisation de l’actualité). La lumière sans ombre, dans la nature, ça n’existe pas sauf au mitan du jour, quand toute nuance est abolie. Acceptons de ne pas tout appréhender d’un coup ! L’intelligence permet de de composer avec les zones d’ombre, elle n’exige pas leur disparition.

Nous sommes tous victimes de l’interprétation commune du Mythe de la caverne, avec cette idée trompeuse que « la » lumière peut nous guider. Pire, le mythe semble glorifier une forme de douleur et de dangerosité de l’éblouissement. Seuls les philosophes seraient capables d’affronter la lumière de la vérité et de l’apporter aux hommes apeurés, restés dans la caverne.

Acceptons ce que nous dit la culture orientale : l’ombre et la lumière sont inséparables et se complètent pour constituer la trame de la vie.

Le monde n’a pas à être élucidé, il devrait simplement être éclairé patiemment et sous différents angles en sachant ménager les zones d’ombres nécessaires au contraste. Et gardons exceptionnelle, non pas l’élucidation, mais l’illumination, moment de grâce où la lumière se fait magique, spectaculaire feu d’artifice du 14 juillet ou simple rayon de soleil après la pluie. Epiphanies toujours temporaires, belles parce qu’éphémères sans autre vérité que la joie d’un instant, partagé ou solitaire.

[1] Je reviendrai sur Le mage du Kremlin. Je n’avais pas lu à sa sortie le roman de Giuliano da Empoli. Il faut lui reconnaître une belle capacité à mettre en mots la marche de Poutine vers l’empire. C’est saisissant à l’heure où plus personne ne peut douter de la réalité de l’implacable lutte à mort qu’il a engagée avec les régimes démocratiques européens.

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