Réarmement ou vivifiement ?

Si, comme moi, vous n’en pouvez plus du vocabulaire guerrier qui nous distrait dangereusement des priorités terrestres, je vous invite à regarder ailleurs, du côté de la puissance de vie. Un mot un peu hésitant, presque bègue, bien moins martial que réarmement, pourrait signifier notre volonté tenace d’aller par d’autres chemins que ceux tracés par un président sans boussole : vivifiement.

Réarmement ou vivifiement ?
Mila Young @Unsplash

Economique, civique et maintenant démographique, le réarmement devient, jusqu’à l’absurde, le mantra du président de la République. Beaucoup s’en sont moqués ou indignés et effectivement il est difficile de ne pas trouver vieux-jeu ou réactionnaire une telle rengaine.

Je ne veux pas m’y attarder à mon tour, je préfère imaginer le contrepoint de cet appel à réarmer. Comment sortir de ce rétrécissement de l’horizon qui nous est proposé ? Le réarmement c’est la croyance que notre monde est assiégé et que nous devons le défendre à tout prix. Complexe obsidional stérile. C’est renoncer à voir en quoi notre monde est au contraire trop bardé de certitudes, de logiques de prédation, de désir d’accumulation.

Le réarmement est du côté de la force, une force mortifère. C’est de plus de puissance de vie que nous avons besoin. Le réarmement est un repliement sur l’existant, bon et mauvais confondus. Nous devons au contraire accepter de faire le tri entre ce que nous voulons conserver et ce à quoi nous devons renoncer. C’est dans cet allègement que réside la puissance de vie. Ce n’est pas par hasard que nous faisons les grands ménages de printemps, dans la promesse des beaux jours. La vie intense et profuse ne vient pas des logiques technocratiques de revitalisation avec ce RE qui suppose toujours qu’il faut revenir en arrière. Cela reviendrait à imaginer que la mort a gagné et qu’il faut repartir de zéro.

La vie ne nait pas de la mort … mais de la vie. Comme le feu qu’on attise à partir de braises cachées sous la cendre. Pas besoin de faire place nette et de recommencer un feu.

L’inverse de réarmer, c’est vivifier. Sans RE devant, comme dans revitaliser ou régénérer. Oublions donc le réarmement ; passons au vivifiement. J’ai vérifié le mot existe, il a simplement été oublié, négligé. Et je le préfère à vivification qui ressemble trop à vivisection ! Les mots en -ation nous ramènent à la fabrication, tellement matérielle. Le vivifiement, c’est le soin apporté à tous les germes d’une vie prête à s’intensifier.

Vivifiement de notre économie et particulièrement de l’agriculture avec une attention renouvelée aux sols, à l’eau, aux lieux en pensant biorégions et bassins versants.

Vivifiement de notre démocratie, notre capacité à  nous parler et à nous écouter, ce que le président a totalement laissé de côté alors qu’il s’était fait le chantre de la politique autrement avec les conventions citoyennes et le conseil national de la refondation. Nous avons besoin de démultiplier les lieux/occasions d’entrer en conversation.

Vivifiement de nos capacités à nous emparer des enjeux écologiques en nous aidant, en tant que citoyens, à nous réunir autour des enjeux de logement, de déplacements, de santé, d’alimentation, d’énergie pour inventer des solutions à plusieurs. Il serait bon pour cela que cette co-construction de solutions locales soit intensément soutenue et accompagnée.

Le réarmement suppose de lourds investissements (mégafactories, centrales nucléaire…), des décisions centralisées, un contrôle de la société pour éviter recours et contestations. C’est le job d’un président jupitérien sûr de son fait. Le vivifiement, à l’inverse, s’appuie sur l’existant, conduit à un foisonnement d’initiatives locales/globales, repose sur des alliances multiformes entre acteurs sociaux et économiques. C’est l’œuvre de toute une société placée sous le signe d’Hermès le dieu messager.

Avec le réarmement le président a le sentiment d’avoir résolu la crise écologique. Beaucoup de nucléaire et un peu de sobriété suffiront. Il n’y a plus de sujet ! Tout doit se focaliser désormais sur l’école conçue comme le moyen de discipliner un peuple rétif à l’ordre. C’est l’exact opposé de ce qui me semble nécessaire : nous avons assurément besoin de l’école mais d’une école ouverte, créative qui aide chaque enfant à comprendre combien son avenir est étroitement lié à la vitalité du monde qui l’entoure. Non à l’école-caserne qu’on nous propose, oui à une école du vivifiement !

De guerre lasse

L’expression « de guerre lasse » laisse penser que la guerre pourrait se lasser. Et si c’était vraiment comme ça qu’on sortait des guerres ? Notre lassitude et nos appels à la paix, en tous cas, sont inopérants.

De guerre lasse
Tengyart @Unsplash

Nous commençons 2024 avec deux guerres à nos portes et combien d’autres, meurtrières, en de multiples points du monde. On sait depuis Homère et la guerre de Troie que les guerres commencent souvent pour des motifs futiles mais font jouer des ressorts humains si puissants qu’ils les rendent rapidement inexpiables. Les guerres contemporaines, parce  que nous nous en croyions prémunis, nous semblent aussi folles que criminelles. Pourquoi ces guerres, qui ne peuvent rien régler ? Pourquoi ces pulsions de mort quand nous avons tant besoin de forces de vie pour faire face à l’extraordinaire mutation des nouveaux temps écologiques ?

Depuis plusieurs semaines, je remâche l’expression étrange « de guerre lasse ». Ce féminin est bizarre, ne devrions-nous pas dire « de guerre las » ? Ce sont des collectifs humains qui se lassent de la guerre. Des explications – simplistes ou alambiquées – ont été proposées pour justifier cette terminaison en SSE. Aucune n’est réellement convaincante et je n’arrive pas à m’enlever de la tête que c’est bien la guerre qui, in fine, se lasse. Et quand la guerre elle-même se lasse, elle cesse. Il faudrait n’attendre ni vainqueur, ni vaincu, n’espérer aucune entremise diplomatique, juste que se lasse la guerre, cette entité que les hommes font naître et qu’ils sont bien en peine de stopper. Continuer la lecture de « De guerre lasse »

Maintenant

Voici un mot tellement évident qu’on n’y pense plus, qu’on ne le pense plus. Il m’a été (re)donné à voir par une lecture de l’excellente revue AOC. Je vous fais partager cette « découverte » non comme un divertissement hors de l’actualité mais plutôt comme une ressource pour ne pas se laisser submerger par l’angoisse du temps présent. j’espère que ce court texte vous sera utile.

Maintenant
Photo de Rémi Walle sur Unsplash

« Maintenant ! », c’est la plainte rageuse du gamin qui ne comprend pas pourquoi attendre. Maintenant, le plus souvent, affirme notre préférence pour le présent. J’avoue être de ceux qui craignent ce présentéisme et cherchent la profondeur du temps, où le passé ne passe pas et où l’avenir est puissance d’agir.

Je n’étais donc pas nécessairement réceptif à une défense et illustration du mot « maintenant », d’autant plus qu’elle était associée à l’idée si terne de maintenance (dont la proximité étymologique évidente m’avait jusqu’ici totalement échappé).

Je cite Pierre Caye, lu dans AOC, parce que je ne dirai pas mieux :

Dans « maintenance » on entend aussi le « maintenant », c’est-à-dire la prise en compte du présent, impliquant de ne pas considérer le présent comme un point fugace dans un flux. Le présent est à préserver, à conserver, à faire durer. C’est en maintenant le présent que l’on passe de l’instant, par essence instable, au maintenant, étymologiquement ce qui tient, et se tient dans la main. [manu tenendo]

Il ne faut pas confondre l’instant et le maintenant, le temps qui fuit est celui qui demeure, et qui, en demeurant, nous donne une assise. Sénèque explique comment on passe de la « dilatio », ou dissolution du temps dans sa fuite et dans sa chute, à la « dilatatio », ou dilatation, du moment présent. La dilatatio est la capacité de s’inscrire dans le présent, de donner de la densité au temps pour précisément faire les choses en bon ordre.

Ce « maintenant », ce présent dilaté, ouvert au passé et à l’avenir, permet d’assumer sa responsabilité à l’égard du futur, en évitant la procrastination, cette malédiction de la « transition écologique », encore pensée au futur, avec des échéances à 2030 ou 2050, pour lesquelles on a bien le temps ! Il nous faut apprendre à dire la transition au présent et non au futur toujours repoussé à l’horizon.

J’ai ainsi compris récemment pourquoi « l’objectif des 2° » avait été une erreur funeste. Ce n’est pas seulement parce que les 2° climatiques (considérables) se confondent avec les 2° (banals) de la météo, c’est plus profondément parce qu’ils évoquent un seuil que l’on franchit. Un seuil indique un irrémédiable mais il crée aussi une fausse sécurité : tant qu’on ne l’a pas franchi on est encore en sécurité. On a tous en tête des thrillers où le spectateur sait ce qui attend le héros derrière la porte. Le temps semble s’arrêter tant qu’il n’a pas poussé la porte. Jusqu’au dernier instant, on espère que quelque chose va le détourner de son destin funeste. Avec les 2°, nous croyons pouvoir rester à l’abri devant la porte.

Nous aurions pu (dû ?) choisir de parler en parties par million (les fameuses ppm). On parle alors de l’accumulation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. On parle de stocks déjà là maintenant, pesant de tous leur poids ajouté année après année, et non de flux à venir, si facticement immatériels. Nous n’avons donc pas à empêcher un évènement à venir (tapi derrière la porte), nous avons à prendre soin du « maintenant ».

Dans cette maintenance du « maintenant », il n’y a pas de choix à faire entre atténuer et adapter comme on le dit encore trop souvent (pour certains, l’adaptation au changement climatique serait un renoncement au changement de modèle économique). Il ne faut pas se tromper de maintenance : ce que nous avons à maintenir c’est le monde vivant et non le système économique qui le détruit en l’étouffant, en le dévitalisant. C’est peut-être la référence à la main inclue dans le mot maintenance qui donne la clé de ce qui est la véritable maintenance. La main dit le soin, le bricolage, l’entretien, l’intelligence du geste. Rien à voir avec les efforts désespérés et désespérants de ceux qui ne voient que des solutions techniques aux dégâts de l’artificialisation du monde. Toujours plus de la même chose !

En mettant l’accent sur maintenant, je ne renonce évidemment pas aux récits de l’avenir. Notre présent est trop desséché, trop réduit à une immédiateté stérile ou à l’instant, toujours sur le point d’être remplacé par l’instant suivant. Pour vivre un véritable maintenant, riche de potentialités, nous devons nourrir notre présent de rêves, de désirs, d’émotions venus de lendemains possibles et puissants. La fécondité de notre imagination est la condition de la maintenance du maintenant.

PS/ l’article de Pierre Caye dans AOC est particulièrement intéressant à lire pour toutes celles (et ceux) qui s’intéressent à la durabilité ! Son approche philosophique, nourrie d’une culture de l’histoire de l’architecture est utilement déroutante. Le lien (et la distinction) entre capital et patrimoine, entre travail et maintenance nourriront sans doute de futurs papiers !

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