Nous commençons 2024 avec deux guerres à nos portes et combien d’autres, meurtrières, en de multiples points du monde. On sait depuis Homère et la guerre de Troie que les guerres commencent souvent pour des motifs futiles mais font jouer des ressorts humains si puissants qu’ils les rendent rapidement inexpiables. Les guerres contemporaines, parce que nous nous en croyions prémunis, nous semblent aussi folles que criminelles. Pourquoi ces guerres, qui ne peuvent rien régler ? Pourquoi ces pulsions de mort quand nous avons tant besoin de forces de vie pour faire face à l’extraordinaire mutation des nouveaux temps écologiques ?
Depuis plusieurs semaines, je remâche l’expression étrange « de guerre lasse ». Ce féminin est bizarre, ne devrions-nous pas dire « de guerre las » ? Ce sont des collectifs humains qui se lassent de la guerre. Des explications – simplistes ou alambiquées – ont été proposées pour justifier cette terminaison en SSE. Aucune n’est réellement convaincante et je n’arrive pas à m’enlever de la tête que c’est bien la guerre qui, in fine, se lasse. Et quand la guerre elle-même se lasse, elle cesse. Il faudrait n’attendre ni vainqueur, ni vaincu, n’espérer aucune entremise diplomatique, juste que se lasse la guerre, cette entité que les hommes font naître et qu’ils sont bien en peine de stopper.
La guerre, c’est un peu le (mauvais) génie sorti de sa bouteille et qu’on ne sait fait rentrer. Les trois vœux que ce génie belliqueux nous invite à formuler sont des vœux de destruction et d’élimination. Ces vœux sont illusoires, évidemment : on ne fait pas disparaître les peuples même par les plus abominables tentatives de génocide. Au contraire, on les renforce, ces peuples assaillis, et on les endurcit jusqu’à ce que l’enchaînement des représailles et des vengeances s’enclenche. J’apprenais en préparant Sciences Po les haines inextinguibles entre les Karageorgévitch et les Obrénovitch qui avaient nourri les guerres entre Slaves du Sud tout au long du XIXe siècle. On en est là en Ukraine comme en Palestine. Des guerres sans fin et sans perspective.
On parle en Occident de lassitude face aux conflits en cours mais je crains que la lassitude ne soit que la nôtre et non celle des belligérants. Ces guerres ne sont pas les nôtres mais le deviennent puisque la vie en paix ne nous est plus permise. Que nous le voulions ou non, Poutine nous fait la guerre, que nous le voulions ou non, Netanyahou nous rend complice des morts par milliers qui ensanglantent la terre déshéritée de Gaza. Les morts, nous en avons tenu le compte, en Ukraine puis à Gaza … et nous avons cessé de compter. Ces comptes étaient indécents ou absurdes, les statistiques n’ont jamais dit la vérité terrible de la guerre. Leur abandon n’en est pas pour autant méritoire. Il ne traduit que notre envie de passer à autre chose.
La guerre va-t-elle se lasser devant l’impossible victoire d’un camp ? Devant l’absence de buts de guerre crédibles ? Hélas ce n’est pas ainsi que les guerres cessent. N’est-ce pas plutôt quand le contexte change et déstabilise la guerre elle-même plutôt que ses protagonistes ? Ce n’est pas davantage d’armes mais un changement de la nature des armes, qui a mis fin aux deux conflits mondiaux du XXe siècle : les tanks des Américains en 1917 ou les bombes d’Hiroshima et Nagasaki en 1945. Sans doute ne faut-il pas chercher à savoir qui va gagner la guerre mais qu’est-ce qui vaincra la guerre. Quelle déstabilisation va venir à bout de la logique de guerre ?
Il me semble qu’il y a une force de bouleversement radicale dans la crise climatique et qu’elle pourrait nous obliger, en tant qu’humains, à faire face à une menace réellement considérée comme mondiale. Baptiste Morizot dans Inexploré rappelle que les fourmis et les pucerons peuvent devenir alliés face à un danger qui les menace ensemble alors que les fourmis mangent habituellement les pucerons. Nous ne prenons pas le chemin de cette cohabitation sous menace extérieure. Pas encore … mais je continue à espérer le sursaut mondial auquel nous appelle, bien seul, le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Gutteres.
Si l’avenir n’est sans doute pas écrit dans nos vœux de « bonne année » prononcés sans foi dans leur capacité à se réaliser, il ne l’est pas davantage dans la facilité des prédictions pessimistes. Je crois encore et toujours que l’avenir se construit d’abord dans nos têtes. Imaginons donc que l’alliance humaine se noue face aux menaces environnementales et qu’elle assèche ce faisant les plaies de conflits en cours. Imaginons ce monde-là et amorçons cette alliance des peuples, à partir des lieux où nous agissons : nos associations, nos entreprises, nos collectivités locales. Sans attendre.
Merci de ce commentaire sur la Guerre. C’est bon d’avoir cela en tête pour commencer une nouvelle année!
Et je te souhaite, Hervé, une très Heureuse Année.