Débarquement

Les Ateliers de la Citoyenneté cessent leur navigation. Et si on prenait le temps de débarquer ensemble ? Pour de vrai. Ce sera le 7 mai. Inscrivez-vous.

Nous avons officiellement décidé la fin des Ateliers de la Citoyenneté, dont nous avons tenté d’organiser la relance, sans succès. Les Ateliers n’ont jamais réussi à devenir une véritable association, malgré les efforts de quelques-uns et plus particulièrement de Jean-Pierre Reinmann qui avait accepté de prendre la présidence au moment où le mode de fonctionnement initial avait trouvé ses limites.

On ne change sans doute pas l’ADN d’une organisation. Jean-Pierre rappelait ainsi lors de notre dernière réunion que nous avions dès l’origine marqué notre distance avec le fonctionnement associatif. Notre intention était de constituer un réseau de personnes cherchant ensemble à voir comment rendre plus « entreprenante » la citoyenneté. Nous avions prévu une simple « association de gestion » réunissant les initiateurs du projet. Les participants aux Ateliers n’avaient ainsi pas à se préoccuper de l’intendance mise à leur disposition pour qu’ils puissent échanger et débattre. De passage ou habitués des rendez-vous proposés, ils ont conversé hors de tout enjeu immédiat et pourtant toujours avec une grande responsabilité dans les propos tenus. Les Ateliers ont donc un peu fonctionné comme un service d’intérêt général privé et gratuit.

Nous avions réussi à trouver un modèle de financement qui pouvait sembler pérenne : la réalisation pour le compte du conseil régional Rhône-Alpes d’une prestation de formation continue dans le cadre d’un programme de promotion sociale et professionnelle. Guy Emerard, ancien responsable de la formation au conseil régional, nous avait bien aidés à mettre au point ce modèle. Chaque participant à un atelier de discernement était considéré comme un stagiaire et sa participation, convertie en heures/stagiaires, donnait lieu à financement par la Région. Nous avions ainsi mis au point un dispositif de formation atypique : sans formateur, dans lequel les gens ne venaient pas pour se former (ils venaient échanger)… et qui pourtant était extrêmement pertinent sur le strict plan du développement des compétences citoyennes : argumenter sans répéter simplement l’opinion commune (ou en prendre le contrepied), imaginer des solutions à plusieurs pour faire face à un problème d’intérêt général, trouver des alliés pour agir, auprès des services publics, des entreprises ou des associations,…

Au fond de moi, je suis persuadé qu’on saura un jour réinventer ce type de formation mutuelle tant elle me semble adaptée au besoin de notre société. Chacun s’accorde en effet sur le fait que la citoyenneté n’est pas suffisamment active, et que faute d’être mobilisées, les « compétences citoyennes » se perdent. Personne n’imagine pour autant que l’on puisse former de façon classique des adultes à devenir ces « citoyens entreprenants » dont les nouvelles formes d’action publique ont besoin. Il faut donc bien trouver le moyen de développer ces compétences dans des lieux de discernement d’un genre nouveau. Ce que l’éducation populaire avait su faire au sortir de la seconde guerre mondiale, il est plus que temps de le réinventer pour les quelques décennies cruciales où notre monde doit se métamorphoser !

Ce n’est hélas pas encore d’actualité ! Nous avons donc décidé de mettre pied à terre. Nous n’abandonnons pas le navire en pleine mer, dans la tempête. Non, nous débarquons. Simplement. Avec le sentiment d’avoir fait œuvre commune et passé de bons moments. Le bateau « Ateliers de la citoyenneté » est donc à quai. Libre à qui veut de monter à bord : nous avons décidé de conserver le site internet comme un lieu ressource ; les Initiales, qui ont perduré, contre vents et marées, les Kfé-Métiers qui ont trouvé asile au Crij, continueront avec d’autres. Jean-Pierre Reinmann y travaille.

Parce que nous avons un peu de nostalgie mais surtout parce que nous avons envie de revoir tous ceux qui ont navigué avec nous, nous proposons une dernière croisière et un ultime débarquement. Une croisière, en vrai, sur le Rhône. Ça se passera un week-end de printemps, sauf contrordre le samedi 7 mai. Que tous ceux qui ont envie d’en être se manifestent, même s’ils n’ont qu’un lointain rapport avec les Ateliers. Qui sait ? de nouveaux embarquements se trameront peut-être à bord !

Descartes a le cogito patraque !

Le rationalisme cartésien n’a pas la cote en ce moment. Et s’il était temps d’inventer une formule en écho au cogito ergo sum ? Une formule qui sorte le Cogito de son isolement.

Pauvre René, il n’est pas à la fête en ce moment ! On s’en prend régulièrement à son fameux Cogito !  Je ne cesse de tomber sur des textes qui s’attaquent plus ou moins directement à l’expression qui l’a immortalisé : « Je pense donc je suis ». Dommage pour lui (et pour notre chauvinisme « cartésien ») mais certainement pas pour notre compréhension de l’homme et de sa relation à la société. Petite revue des symptômes diagnostiqués par nos contempteurs de Cogito.

Trop singulier, le Cogito, pour Bruno LATOUR (encore lui !). Au Cogito singulier, il préfère le Cogitamus pluriel dont il a fait le titre de son dernier livre, un bon résumé de sa pensée, à la fois accessible et drôle. On ne pense vraiment qu’en participant à des collectifs et en évitant de séparer ce qui relève du politique et ce qui relève du scientifique, puisqu’il faut composer un monde commun.

Trop rationaliste le « je pense donc je suis » pour Satish KUMAR penseur indien disciple de Gandhi et auteur de « Tu es donc je suis. Une déclaration de dépendance ». Isoler la conscience de soi, c’est se couper de la compassion et de l’interdépendance.

Connaissez-vous le mot de la langue bantou UBUNTU si difficile à traduire justement parce qu’il mêle l’individu au collectif : « Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous » ? Un terme popularisé à travers le monde par Desmond Tutu. [Merci à Emmanuel Delannoy, de l’institut Inspire, de l’avoir présenté et à Pierre Michel de l’avoir colporté.]

Nous avons longtemps cru que notre rationalisme occidental était un progrès indépassable. Ne devons-nous pas inventer des formules plus complexes qui articulent singulier et pluriel, penser et être ? Je vous propose : « NOUS pensons donc TU es et JE suis » !

Etre ou avoir, changement de perspective !

Une invitation à penser autrement le rapport de l’individuel et du collectif. Bruno Latour nous fait redécouvrir la pensée à contre-courant de Gabriel Tarde. Ça fait du bien !

« Qu’est-ce que la société ? la possession réciproque, sous des formes extrêmement variées, de tous par chacun. »

Voilà comment Gabriel Tarde, le grand oublié de la sociologie, définissait la société dans Monadologie et Sociologie (sic !). C’est Bruno Latour, le spécialiste des humanités scientifiques, comme il se définit maintenant, qui nous prend par la main pour nous faire comprendre cette affirmation a priori déroutante. Je ne peux que vous suggérer de lire les deux textes qui en donnent des développements éclairants sur le site de Latour. Quelques extraits pour comprendre comment une société peut être cette « possession mutuelle » plutôt que ce grand tout qui surplombe les individus dont parle la vulgate sociologique.

Le champ que je possède est bien « à moi » mais « sous une forme extrêmement variée » il est aussi, en un certain sens, « à lui », mon voisin, puisque demain je vais dépendre de lui pour y déplacer une moissonneuse batteuse, curer un fossé ou livrer des bêtes au foirail.

Latour poursuit :

On ne peut obtenir de société et même tout simplement d’action organisée qu’à la seule condition que chacun « se mêle de tout » mais « sous des formes extrêmement variées ».

 

On n’est pas très loin de la logique des « parties prenantes » du développement durable. En effet la possession de tous par chacun relativise beaucoup l’absolu de la propriété auquel nous sommes habitués (le « droit inviolable et sacré » dont parle la déclaration des droits de l’Homme).

L’harmonie n’émerge que parce qu’elle n’est justement jamais un tout supérieur aux parties, mais ce par quoi les parties, chacune prises comme un tout, parviennent à se laisser posséder, pour une fraction d’elles-mêmes et seulement pour un temps « sous des formes extrêmement variées ».

La politique reprend donc toute sa place dans cette sociologie : les « possessions » ne sont pas réparties d’en haut, une fois pour toutes, mais elles s’inter-organisent par des ajustements toujours dynamiques et toujours provisoires.

Comme le dit Latour, Gabriel Tarde nous invite à « abandonner l’être pour l’avoir, l’identité pour la propriété ». Je trouve cette formulation au premier abord perturbante : quoi ? se définir par ce qu’on a plutôt que par ce qu’on est ? n’est-ce pas tomber dans une vision utilitariste des individus, réduits à la somme de leurs possessions ? Mais en réfléchissant plus avant, je retrouve au contraire une intuition que nous avions eue lorsque nous avions animé un atelier sur la laïcité avec Guy Emerard. Nos identités religieuses ou spirituelles ne sont-elles pas composites, la somme de nos différentes… appartenances, plus ou moins prégnantes ? A titre personnel je conjugue un ancrage catholique et un goût pour l’introspection des protestants ; je partage la recherche du détachement des bouddhistes … tout en n’étant pas insensible à la profusion des orthodoxes ! Je SUIS catholique mais j’AI toutes ces influences en moi. On peut chacun se livrer à ce jeu de repérage des composantes de nos identités (pas seulement spirituelles).

En adoptant ce point de vue, on comprend à quel point  est vaine la tentative de définir « l’identité nationale » comme une référence fixe. Les identités sont par nature composites et toujours recomposées. Je trouve cette approche très apaisante. Je suis en effet toujours en difficulté pour répondre aux injonctions définitives : « Qui es-tu ? », « Quelles sont tes valeurs ? » Avec toujours en arrière fond l’idée que si je suis ceci, je ne peux pas être cela, si je crois à ci je ne peux croire à ça.

Laissons la conclusion à  Gabriel Tarde qui affirmait qu’on n’a pas besoin de la négativité, la différence suffit ! « Entre être ou n’être pas, il n’y a pas de milieu, tandis qu’on peut avoir plus ou moins. L’être et le non-être, le moi et le non-moi : oppositions infécondes ». Vive les identités de multipropriétaires !

persopolitique.fr
Résumé de la politique de confidentialité

Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.