Oxymore : l’éloge du ET

Dans un pays aussi cartésien (?) que la France, la popularité fulgurante du terme « oxymore » est plutôt étonnante. L’oxymore, c’est l’alliance des contraires : l' »obscure clarté » évoquée par Corneille étant sans doute l’oxymore le plus cité. Pourquoi ce succès alors que nous préférons si souvent le OU au ET ?
C’est Dominique Fauconnier (Ateliers des métiers) qui le premier je crois m’avait amené à réfléchir sur cette modeste conjonction de coordination, moi qui me laissais si souvent séduire par le bonheur polémique de son frère ennemi, le Ou. Avec le OU je somme de choisir, avec le ET je tente de créer des alliances improbables.

J’ai tenté un moment de populariser un oxymore politique avec « volontarisme modeste« . Force est de constater que ça n’atteint pas les sommets de l’Etat ! Le titre même de ce blog peut aussi être vu comme un oxymore.

Certains commencent à s’insurger de cette mode langagière de l’oxymore qui introduirait de la confusion dans la pensée. Le risque existe que l’on s’en serve pour dire tout et le contraire de tout. Je préfère y voir une intégration, à dose homéopathique, de la culture asiatique. Ce n’est pas pour me déplaire.

Mobilisation : Sarkozy s’est trompé d’époque

Christophe Salmon revient une fois de plus dans Le Monde du 4 avril sur la mobilisation de l’opinion que nécessiterait l’action politique réformatrice néolibérale : « Les nouvelles techniques de pouvoir ont un caractère mobilisateur et requièrent le maintien d’un état d’alarme permanent, c’est-à-dire un usage stratégique des mécanismes de captation de l’attention utilisés par le roman et le cinéma : le découpage de l’action en séquences, les effets de surprise, le suspense, afin de mettre en place de véritables « engrenages » narratifs ». On pourrait dire qu’il rabâche, qu’il fait du storytelling une nouveauté qui n’en est pas une, mais ce n’est pas l’essentiel. En fait cette analyse donne à croire que le Président mobilise réellement l’opinion et que c’est en cela que la politique se vide de son contenu. Sur ces deux points, je diverge totalement du point de vue de Salmon. Pour moi, le président ne mobilise pas l’opinion mais la divertit (au double sens de divertissement et de diversion). S’il la mobilisait réellement, on aurait enfin une autre approche de la politique. Avant de voir ce que peut vouloir dire « mobiliser l’opinion » dans le sens « persopolitique » que je promeus, restons un instant sur l’analyse du sarkozysme. Camille Laurens dans Libération du 12 avril le dépeint comme une phobocratie, un gouvernement par la peur de l’autre. « La peur divise pour mieux régner. Elle sépare la société en unités hostiles qui se soupçonnent du pire et s’accusent de tous les maux […]. Sarkozy, quand il parle aux Français, ne s’adresse pas à des citoyens mais à des individus [dont il dit] comprendre les peurs ».  On voit qu’il n’y a là aucune mobilisation de l’opinion. On ne cherche pas à l’entraîner dans l’action (ou même dans le soutien de l’action), on lui dit : « Je m’occupe personnellement de traiter les causes de vos peurs légitimes ». Le volontarisme présidentiel exclue toute autre action que la sienne puisqu’il nous répète à l’envi que, s’il ne s’occupe pas personnellement de tout, rien ne se fait.

Dans l’optique « persopolitique », l’approche de l’action publique est diamétralement opposée. Elle suppose : que le politique ne peut agir seul de manière efficace sur la plupart des sujets dits « de société » ; que la société est en capacité d’agir en lien avec le politique pour résoudre les dysfonctionnements constatés ; que le politique a de plus en plus comme pouvoir principal de « mettre à l’agenda » les questions à traiter et d’animer la recherche collective des meilleures solutions en favorisant ensuite la diffusion des meilleures pratiques. De la lutte contre la violence à l’école à la recherche de nouvelles modalités de retraite (voir l’article sur les retraites que je viens de rééditer), c’est par le renforcement de la confiance dans la possibilité d’agir personnellement et collectivement qu’il faut miser… pas par le remuement des craintes et des ressentiments qui paralysent.

Sarkozy décidément n’est pas moderne, il ne voit pas le potentiel d’innovation des personnes lorsqu’elles se relient pour agir. Il en reste à la vision napoléonienne de l’omnipotence du chef et de l’atomisation de la société en individus apeurés.

Xynthia et les Kasumi Tei

Ayant nommé pendant plusieurs années mon activité Kasumi Tei, je me sens obligé de revenir sur les inondations liées à la tempête Xynthia. Quel est le rapport ? Tout simplement dans la signification de Kasumi Tei. Ce mot japonais désigne les digues qu’on construisait autrefois au Japon pour protéger les villes des inondations. Les Japonais ne cherchaient pas à stopper l’eau, mais plus modestement à réduire son impact destructeur. Avec des digues en chevrons de part et d’autre du fleuve, ils freinaient les crues tout en laissant l’eau, une fois assagie, s’épandre sans dommage dans les rizières environnantes. J’avais choisi cette image pour montrer tout l’intérêt qu’il y avait à FAIRE AVEC plutôt qu’à LUTTER CONTRE.

La France a décidemment du mal avec cette philosophie de l’action. A peine la tempête passée, on ne voit plus que deux solutions pour éviter que se reproduise la catastrophe : renforcer les digues ou interdire toute construction en zone inondable. La première solution consiste à reprendre un combat contre l’eau pernicieux car la digue crée à la fois de la sécurité et du risque dans une logique binaire qu’on peut caricaturer sous la forme d’une lapalissade : « on est en sécurité jusqu’au moment où le danger survient… et qu’il est trop tard pour agir ». La seconde solution, par sa radicalité, risque de n’être qu’une solution de principe, contournée dans la réalité. Les sites détruits par Xynthia n’étaient-ils pas en zone théoriquement inconstructible ? Pourquoi n’accepte-t-on pas de « faire avec » ? Pourquoi ne prévoit-on pas de construire autrement, avec des solutions adaptées au contexte : des maisons sur pilotis, des maisons à étage,… Les Hollandais, spécialistes des zones inondables ont même imaginé des maisons flottantes. Pourquoi n’envisage-t-on pas, comme pour les riverains du Rhône, une vigilance partagée y compris en impliquant les habitants avec des systèmes d’îlotiers responsables de prévenir leurs voisins en cas de montée des eaux ? En bref, miser sur l’adaptation au contexte, miser sur l’implication des citoyens plutôt que de ne croire qu’à la solution unique, technique ou réglementaire, pensée d’en haut et appliquée sans discernement.

Pourquoi le président change-t-il de position, lui qui, semblait-il, avait compris, avec les projets du Grand Paris, qu’on pouvait construire, dans certaines conditions, en zone inondable. Ce retour systématique au jacobinisme, scientiste et législatif, est désespérant. Décidément, le terme de Kasumi Tei n’est pas prêt d’entrer dans le vocabulaire courant de nos dirigeants !