Avec qui faut-il débattre du nucléaire ?

Comme souvent en France nous débattons sur … les débats à organiser ! En parallèle du très médiatique débat-sur-le-débat sur la laïcité (vite conclu par un débat sans débat organisé en 2h par Jean-François Copé), un autre débat prend de l’ampleur : le débat-sur-le-débat du nucléaire. Celui-ci me semble particulièrement intéressant car il est révélateur de notre attitude à l’égard de la démocratie.

En dehors de ceux qui disent qu’il n’y a pas besoin de débat, il y a essentiellement deux camps : ceux qui estiment que le sujet est trop complexe pour le laisser à des profanes et qui considèrent donc comme démagogique l’idée de solliciter les citoyens sur une telle question ; ceux qui disent qu’en démocratie, le peuple est souverain et qu’il faut choisir par referendum entre le maintien ou la sortie du nucléaire. Les avis des uns et des autres sont tranchés et les invectives ne sont jamais loin : « populistes ! », « nucléocrates ! ». Absolutisme de l’expertise scientifique d’un côté,  absolutisme de la parole du citoyen de l’autre.

Je ne m’attarderai pas sur la déconstruction de la première branche de l’alternative, les lecteurs de ce blog connaissent mes positions sur la nécessité de ne pas laisser à l’expertise scientifique le soin de trancher les débats. Je trouve en revanche utile de clarifier la place des citoyens dans une « démocratie technique », pour reprendre l’expression de Michel Callon. Je m’appuierai pour ça sur une tribune de Tzvetan Todorov parue dans Le Monde (accessible ici et pas sur le site du journal, je ne sais pas pourquoi). Il rappelle quelques évidences que nous avons perdues de vue avec la sacralisation de l’individu. Après avoir repris la règle formulée par Montesquieu selon laquelle « Tout pouvoir sans bornes ne saurait être légitime », Todorov conclut « le principe démocratique veut que tous les pouvoirs soient limités : non seulement ceux des Etats, mais aussi ceux des individus, y compris lorsqu’ils revêtent les oripeaux de la liberté ».

Todorov parle d’individus, pas de citoyens, mais le problème justement, dans nos démocraties libérales, est la confusion qui s’est opérée entre le citoyen et l’individu. La démocratie n’est plus que l’addition de voix individuelles, une simple agrégation réalisée par le vote mais aussi, au jour le jour, par les sondages.  Donner le pouvoir de trancher par referendum la question du nucléaire à ces individus-citoyens ne serait-il pas leur donner « un pouvoir sans bornes » ? Dans ces conditions, je comprends  parfaitement les craintes de ceux qui refusent de laisser les citoyens s’emparer de la question du nucléaire.

Mais peut-on refuser en même temps aux experts et aux individus-citoyens de trancher ? Qui doit décider ? Des experts sortis de leur tour d’ivoire et des citoyens sortis de leur individualisme, ensemble ! Utopie ?  Comme je l’écrivais sur le blog du Club des Vigilants, nous devons apprendre à « composer un monde commun » selon la belle expression de Michel CALLON, le co-auteur du désormais classique « Agir dans un monde incertain ». Les forums hybrides articulent savoir scientifique et approche profane.

Les citoyens ne sont pas systématiquement enfermés dans les logiques populistes, ils sont en revanche souvent très mal informés. Rien de rédhibitoire à ça ! On sait former des citoyens novices à des sujets complexes. Tant dans mon expérience de consultant que dans mes démarches de « citoyen entreprenant », j’ai eu l’occasion régulièrement de partager le même enthousiasme que Jacques Testard lorsqu’il avait organisé la conférence de citoyens sur le réchauffement climatique. A l’issue de la conférence il avait signé dans Le Monde une tribune intitulée : « Je suis réconcilié avec le genre humain ! » Oui, même sur le nucléaire, il est possible et utile de donner la parole aux citoyens, non pas pour dire OUI ou NON à un referendum mais pour DELIBERER avec des experts. C’est là que la parole citoyenne prend tout son sens.

Tranchons le débat-sur-le-débat et organisant un forum hybride, un groupe d’évaluation interactive (peu importe la dénomination) dans lequel, ensemble, experts et citoyens, construiront par délibération collective, une recommandation claire remise au pouvoir politique. Et faisons en sorte de donner suffisamment de retentissement à cette démarche pour que le pouvoir soit dans l’obligation morale d’en tenir compte, soit en la faisant sienne, soit en la réfutant de manière argumentée.

la fierté arabe retrouvée est une chance… à ne pas gâcher

L’aspiration à la liberté et à se gouverner soi-même est donc universelle ! Cette bonne nouvelle qui nous vient du « printemps arabe » devrait être d’évidence… mais ne l’est manifestement pas pour tout le monde.

Notre président, dans une même allocution de 7 minutes,  a réussi  à commencer par se réjouir des avancées démocratiques des pays arabes et à terminer par craindre les flux migratoires et le terrorisme. D’autres depuis ont repris le même parallélisme  entre démocratisation et montée des périls.

Oui les peuples qui se libèrent éprouvent le besoin viscéral d’user de leur liberté pour aller et venir. Ne voit-on pas le risque que nous prendrions à tenter de fermer  les frontières à la place … des dictateurs déchus ?!  L’Europe ne peut pas se calfeutrer chez elle  en attendant que les peuples méditerranéens libérés  développent leurs économies locales fournissant du travail à tous leurs habitants. Le développement viendra justement de l’ouverture, des allers retours que les habitants du Maghreb pourront faire entre les deux rives de la Méditerranée.  Serons-nous assez sages pour faire le même pari que Kohl  avec la réunification immédiate de l’Allemagne quand beaucoup lui conseillaient la prudence et la progressivité ? Donnons dès maintenant une réelle consistance à cette Union pour la Méditerranée, non pour contrôler les flux migratoires mais pour concevoir un co-développement des deux rives qui  s’appuie sur la fierté retrouvée et non sur notre méfiance… rance.

Cette fierté arabe qui s’exprime avec tant de bonheur est une formidable bonne nouvelle. Ce n’est en effet pas une fierté musulmane qui s’est exprimée, la religion est restée en retrait. On voit bien à quel point les craintes vis-à-vis de l’islamisme étaient exagérées. Il faut garder en mémoire ces femmes du Caire qui remettaient en état la place Tahrir dès le lendemain du départ de Moubarak. Elles peignaient, plantaient des fleurs, nettoyaient avec une joie évidente de contribuer à l’œuvre de renouveau qui commençait. C’était l’image d’une société ouverte, gaie et responsable. Oui, les incertitudes restent nombreuses sur l’avenir de ces mouvements. La situation de la Lybie est tragique. Mais encore une fois la fierté manifestée par les peuples du bassin méditerranéen est une ressource nouvelle qu’il faut cultiver : croire en eux plutôt que montrer notre méfiance est le meilleur moyen de les soutenir.

Allons plus loin. J’espère sincèrement que cette fierté va traverser la Méditerranée et donner à tous les jeunes qui ont leurs racines familiales dans ces pays le courage de secouer la soi-disant  fatalité de leur marginalisation. N’est-ce pas finalement ce qui est le plus  à espérer pour nous européens ? Que les secousses du monde arabe trouvent leur écho dans nos banlieues pour exiger, tout aussi pacifiquement qu’en Tunisie ou en Egypte, une démocratisation de nos sociétés ?  C’est sans doute plus difficile car il ne s’agit pas de faire tomber un dictateur mais des préjugés. Oui, il faudra bientôt revenir, pour de vrai cette fois, à ce fameux « plan Marshall des banlieues », toujours promis et jamais réalisé.

Débarquement

Les Ateliers de la Citoyenneté cessent leur navigation. Et si on prenait le temps de débarquer ensemble ? Pour de vrai. Ce sera le 7 mai. Inscrivez-vous.

Nous avons officiellement décidé la fin des Ateliers de la Citoyenneté, dont nous avons tenté d’organiser la relance, sans succès. Les Ateliers n’ont jamais réussi à devenir une véritable association, malgré les efforts de quelques-uns et plus particulièrement de Jean-Pierre Reinmann qui avait accepté de prendre la présidence au moment où le mode de fonctionnement initial avait trouvé ses limites.

On ne change sans doute pas l’ADN d’une organisation. Jean-Pierre rappelait ainsi lors de notre dernière réunion que nous avions dès l’origine marqué notre distance avec le fonctionnement associatif. Notre intention était de constituer un réseau de personnes cherchant ensemble à voir comment rendre plus « entreprenante » la citoyenneté. Nous avions prévu une simple « association de gestion » réunissant les initiateurs du projet. Les participants aux Ateliers n’avaient ainsi pas à se préoccuper de l’intendance mise à leur disposition pour qu’ils puissent échanger et débattre. De passage ou habitués des rendez-vous proposés, ils ont conversé hors de tout enjeu immédiat et pourtant toujours avec une grande responsabilité dans les propos tenus. Les Ateliers ont donc un peu fonctionné comme un service d’intérêt général privé et gratuit.

Nous avions réussi à trouver un modèle de financement qui pouvait sembler pérenne : la réalisation pour le compte du conseil régional Rhône-Alpes d’une prestation de formation continue dans le cadre d’un programme de promotion sociale et professionnelle. Guy Emerard, ancien responsable de la formation au conseil régional, nous avait bien aidés à mettre au point ce modèle. Chaque participant à un atelier de discernement était considéré comme un stagiaire et sa participation, convertie en heures/stagiaires, donnait lieu à financement par la Région. Nous avions ainsi mis au point un dispositif de formation atypique : sans formateur, dans lequel les gens ne venaient pas pour se former (ils venaient échanger)… et qui pourtant était extrêmement pertinent sur le strict plan du développement des compétences citoyennes : argumenter sans répéter simplement l’opinion commune (ou en prendre le contrepied), imaginer des solutions à plusieurs pour faire face à un problème d’intérêt général, trouver des alliés pour agir, auprès des services publics, des entreprises ou des associations,…

Au fond de moi, je suis persuadé qu’on saura un jour réinventer ce type de formation mutuelle tant elle me semble adaptée au besoin de notre société. Chacun s’accorde en effet sur le fait que la citoyenneté n’est pas suffisamment active, et que faute d’être mobilisées, les « compétences citoyennes » se perdent. Personne n’imagine pour autant que l’on puisse former de façon classique des adultes à devenir ces « citoyens entreprenants » dont les nouvelles formes d’action publique ont besoin. Il faut donc bien trouver le moyen de développer ces compétences dans des lieux de discernement d’un genre nouveau. Ce que l’éducation populaire avait su faire au sortir de la seconde guerre mondiale, il est plus que temps de le réinventer pour les quelques décennies cruciales où notre monde doit se métamorphoser !

Ce n’est hélas pas encore d’actualité ! Nous avons donc décidé de mettre pied à terre. Nous n’abandonnons pas le navire en pleine mer, dans la tempête. Non, nous débarquons. Simplement. Avec le sentiment d’avoir fait œuvre commune et passé de bons moments. Le bateau « Ateliers de la citoyenneté » est donc à quai. Libre à qui veut de monter à bord : nous avons décidé de conserver le site internet comme un lieu ressource ; les Initiales, qui ont perduré, contre vents et marées, les Kfé-Métiers qui ont trouvé asile au Crij, continueront avec d’autres. Jean-Pierre Reinmann y travaille.

Parce que nous avons un peu de nostalgie mais surtout parce que nous avons envie de revoir tous ceux qui ont navigué avec nous, nous proposons une dernière croisière et un ultime débarquement. Une croisière, en vrai, sur le Rhône. Ça se passera un week-end de printemps, sauf contrordre le samedi 7 mai. Que tous ceux qui ont envie d’en être se manifestent, même s’ils n’ont qu’un lointain rapport avec les Ateliers. Qui sait ? de nouveaux embarquements se trameront peut-être à bord !