Une réforme constitutionnelle… inesthétique !

Les critiques à l’égard de la réforme constitutionnelle ont été nombreuses. Quelques phrases dans un livre de Carrère m’ont donné envie de prendre la question sur un autre plan. D’où ce titre…

Depuis des semaines, je peste contre cette Chronique d’une réforme annoncée mais sans me résoudre à partager, ici ou ailleurs mon exaspération contre cette rouerie inopportune. Il y a, me semble-t-il, trop d’emphase dans la dénonciation. Avec le risque de ne pas atteindre son but. Hollande aura beau jeu de réduire le rejet (pourtant légitime) de sa réforme constitutionnelle à une lubie pétitionnaire classique de la gauche morale. Je me cantonais donc cette posture d’opposant muet quand la lecture nocturne du livre d’Emmanuel Carrère, D’autres vies que la mienne, m’a incité à écrire ce billet. J’y ai trouvé une autre manière d’aborder la question. Le livre de Carrère (excellent, comme toujours) ne parle évidemment pas directement du sujet, il raconte les combats de deux juges de Vienne face à l’iniquité (mais aussi de bien d’autres choses comme la mort, la maladie, le tsunami de 2005…). Voici les quelques phrases que Carrère rapporte comme étant la thèse d’un des juges dont il raconte l’histoire, Etienne Rigal.

Plus la norme de droit est élevée, plus elle est généreuse et proche des grands principes qui inspirent le Droit avec un grand D. C’est par décret que les gouvernements commettent de petites vilenies, alors que la Constitution ou la Déclaration des Droits de l’Homme les proscrivent et se meuvent dans l’espace éthéré de la vertu. P. 233

Je me suis dit alors qu’on était en train de rompre avec ce principe d’évidence. Les « petites vilenies » allaient entrer dans la Constitution. Je voyais désormais cette réforme comme une faute de goût et je trouvais que cette approche de la question valait d’être creusée. Je griffonnais quelques mots et me rendormais.

Reprenant mes notes, j’étais embarrassé. Cela avait-il du sens de prendre la question comme ça ? Finalement, je crois que, oui, il y a une esthétique du Droit. Il y faut de la clarté et de l’harmonie. Ce qui est proposé dans cette réforme est une rupture de l’harmonie des normes de droit. Pas ça, pas là ! Dénaturer ou défigurer la Constitution devrait être un geste que l’on s’interdit spontanément. Au moment de l’envisager, le responsable politique devrait se dire : « non, je ne peux pas faire ça… » Je ne dis pas que la Constitution doit être intouchable et ne refuse pas par principe toute révision. On voit bien que la sacralisation absolue n’est pas la solution : les Américains ont fait très tôt 20 amendements et depuis ils se refusent à revoir leur loi fondamentale (dont bien sûr le 2ème amendement qui autorise expressément le peuple à posséder une arme). Ce n’est pas une voie à suivre.

Pourquoi parler d’esthétique ? n’est-ce pas refuser l’argumentation rationnelle et déconsidérer le combat des défenseurs des droits de l’Homme ? Ce n’est évidemment pas mon propos. Pour moi l’harmonie et l’équilibre font partie du patrimoine symbolique de la République, patrimoine que l’on peut avoir envie de défendre quel que soit son bord politique. J’aimerais que cette réforme soit abandonnée parce qu’elle nous semble indigne du génie français (je sais ça fait un peu cocardier mais je pense qu’un peu de fierté collective est une denrée dont nous n’abusons pas en ces temps d’autodénigrement).

Pour que cette réforme inutile et néfaste soit abandonnée, on doit trouver une argumentation plus immédiate que la crainte d’un Etat autoritaire (dont beaucoup de nos contemporains s’accommoderaient assez bien, hélas !). Je parle d’esthétique pour provoquer mais ne pourrait-on pas simplement parler d’équilibre et de mesure ? Et voir que cette réforme y déroge de façon évidente.

Sur l’état d’urgence j’avais trouvé intéressante la prise de position de Didier Fassin dans Le Monde. Elle aussi invitait à ne pas se tromper de combat.

Le discours sur l’Etat policier, qui sert à certains pour dénoncer les dérives de l’état d’urgence, les menaces de la législation à venir et les abus de pouvoir des forces de l’ordre, manque partiellement sa cible. La grande majorité des Français ne s’y reconnaît pas, puisque non seulement elle ne subit nullement les effets des restrictions à l’Etat de droit, mais se laisse également convaincre par la rhétorique de l’efficacité de la lutte contre le terrorisme.

Il dénonce donc moins l’Etat policier que le poids qu’il fait peser sur les quartiers populaires et les communautés.

Car loin de déboucher sur un Etat policier qui ferait peur à tous, l’état d’urgence, avec les projets de loi pénale et de révision constitutionnelle qui en banalisent les principaux éléments, est un état d’exception segmentaire. Il divise la population française entre ceux dont l’Etat prétend protéger la sécurité et ceux, déjà pénalisés par les disparités économiques et les discriminations raciales, dont il accroît un peu plus l’insécurité. Au nom de la défense de l’ordre public, c’est donc un certain ordre social inégal qu’il s’agit de consolider.

Didier Fassin ne nie pas le risque de dérive vers un Etat sécuritaire mais il tente de montrer les effets immédiats et tangibles de division de la population. De même je ne nie pas le risque sécuritaire mais j’incite à rechercher des arguments anti-réforme qui soient recevables par le plus grand nombre. Sinon on se sera fait plaisir par des arguments justes et vertueux mais dont on sait qu’ils n’auront pas d’efficacité.

On distingue classiquement l’argumentation par la conviction qui s’appuie sur la raison et l’argumentation par la persuasion qui joue davantage sur l’émotion. Nous avons trop pris le parti d’Habermas et de son espace public rationnel au risque de dessécher notre débat démocratique à force d’abstraction aride. Sans succomber à une rhétorique de l’émotion (on voit bien par exemple les dégâts de la mobilisation de la peur dans le débat politique), il serait utile de mieux articuler raison et émotion… et pourquoi pas esthétique et politique !

2015-2017, … et si on faisait exister 2016 ?!

Entre 2015 l’année noire du terrorisme et 2017 l’année présidentielle, 2016 risque d’être vécue seulement comme une parenthèse. Ne nous précipitons pas sur la présidentielle ! 2016, année de la société civile ? Chiche !

Entre 2015 l’année noire du terrorisme et 2017 l’année présidentielle, 2016 risque d’être vécue seulement comme une parenthèse. Terrorisme ou présidentielle : l’État et plus encore l’exécutif sont et seront en première ligne. Ce « revival » de la puissance publique risque de faire oublier la tendance de fond qui conduit les sociétés à s’autonomiser des pouvoirs institués. Pour son efficacité même, l’action publique a pourtant toujours plus besoin de faire avec la société dans sa diversité plutôt que de faire pour des individus réduits à leur identité. Et si nous faisions de 2016 l’année d’une société mature et autonome capable de dialoguer avec tous les pouvoirs ? 2017 pourrait alors être l’année d’un contrat sociopolitique inédit.

2015

L’État et la République ont été sur tous les fronts. Celui du terrorisme bien sûr, avec l’état d’urgence. Celui des migrations, avec le retour des frontières. Mais aussi de façon plus positive, celui du climat, avec la négociation inter-étatique conclue par l’accord de Paris. Même face à la vague Marine, les institutions républicaines ont tenu malgré un mode de scrutin qui laissait une opportunité[1] de victoire inédite au Front National (et qui ne se renouvèlera pas tant que celui-ci fera semblant de croire qu’il peut gouverner tout seul). Face aux dangers, indéniablement, la République résiste. C’est bien sûr un soulagement. Mais un soulagement qui se double d’une inquiétude bien traduite dans l’éditorial signé par le directeur du Monde au lendemain des élections régionales

Pour la grande majorité du personnel politique, la tentation était déjà forte de revenir au « business as usual » : la préparation de l’élection présidentielle, échéance obsessionnelle de notre système électoral.

Les scrutins se suivent et ne cessent de le démontrer : ce déni finira par déboucher, tôt ou tard, sur une catastrophe. Et il serait profondément inconséquent de basculer dans l’interminable campagne qui se profile en 2016 sans avoir commencé à traiter les multiples colères qui se sont exprimées.

Il ajoutait :

Pour traiter cet enchevêtrement de désenchantements, les pistes sont multiples, les chantiers immenses. Ils passent par une modification du mode de scrutin, une nouvelle réduction du cumul des mandats, un renouvellement du personnel politique, une ouverture vers la société civile.

Pour moi, seul ce dernier point – l’ouverture à la société civile – est en mesure de changer la donne. Mais pas par la voie utilisée habituellement : il ne s’agit pas de « faire entrer en politique » quelques figures de la société civile pour changer la politique. Quelles que soient leurs qualités personnelles, on l’a déjà vu si souvent, ou elles se coulent dans le moule ou elles sont rejetées comme des corps étrangers.

2016

Si l’on veut que 2016 soit utile alors ne nous précipitons pas vers la présidentielle ! Donnons une chance à la société civile d’exister pleinement. Pleinement c’est-à-dire sans s’inféoder au pouvoir politique mais sans non plus se réfugier dans un associationnisme qui se voudrait « hors politique ». Comment ? En construisant une « démocratie sociétale », une démocratie qui déploie dans tous le corps social des espaces de dialogue, des lieux où s’élaborent collectivement des solutions adaptées aux situations : ici sur les question de sécurité grâce à des dispositifs inspirés du « no broken window », là avec des solutions pour une école qui sache mobiliser les parents et les ressources du quartier pour la réussite des élèves, ailleurs encore via des démarches pour sortir de la fatalité du chômage de masse. Utopique ? Non, bien sûr que non ! Ces initiatives sont DÉJÀ là en germe. Pas comme des idées nébuleuses mais bien comme des projets en voie d’être concrétisés.

J’ai déjà parlé ici de l’initiative d’ATD Quart-Monde et de ses Territoires zéro chômeur de longue durée.

Parlons également de la campagne « Mille et un territoires pour la réussite de tous les enfants ! ». Celle-ci a pour objectif de créer des dynamiques locales et collectives, en complément des accompagnements plus « individuels » qui s’engagent pour la réussite des enfants. Il s’agit de mobiliser toutes les ressources éducatives, mais aussi culturelles, sociales et citoyennes des territoires en les articulant, sans s’y limiter, aux dispositifs éducatifs portés par l’institution scolaire ou les collectivités. La Charte rédigée à cette occasion insiste : « Les complémentarités parents-professionnels, nécessaires à l’éducation partagée des enfants et des jeunes, sont à rechercher inlassablement. »

Partout la société s’outille pour faire face aux problèmes que les politiques seuls ne peuvent pas résoudre. Ce n’est plus de l’action associative locale, ce sont des mouvements reproductibles sur tout le territoire dans une logique d’alliance.

Yannick Blanc, le président de la Fonda, propose de son côté une manière de systématiser cette capacité d’intervention de la société civile dans un appel lancé après les attentats de novembre :

Nous pouvons créer, partout où il y aura des volontaires pour le faire, des communautés d’action en s’appuyant sur la méthode de l’impact collectif. Une communauté d’action est un groupe de dirigeants et de responsables issus des trois secteurs (entreprise, secteur public, ESS) qui mettent en commun leurs ressources et leur capacité d’agir pour mener à bien une stratégie d’intérêt général sur un territoire donné. Ils définissent un ensemble limité d’objectifs, mesurables par des indicateurs compréhensibles par tous (par exemple : réduction du nombre de décrocheurs, augmentation du nombre d’entrées en formation qualifiante, nombre de retour à l’emploi de jeunes chômeurs) et ils se donnent une feuille de route permettant à chacun, dans son domaine d’activité et avec ses ressources propres, de contribuer à atteindre l’objectif.

Pour ma part, en février prochain, je publierai (enfin !) chez Chronique sociale le livre que j’ai en gestation sur cette question depuis de nombreuses années. Son titre se veut explicite : Citoyen pour quoi faire ? construire une démocratie sociétale. La société civile sait se mobiliser avec les bonnes méthodes et sur à peu près tous les sujets, il lui manque le « passage à l’échelle » et elle ne peut l’obtenir que par un contrat clair avec les pouvoirs publics, les entreprises et les médias. C’est seulement par une alliance de ce type que la massification de l’engagement de « citoyens entreprenants » pourra être obtenue. Des entreprises, la société civile peut attendre un co-investissement via leur RSE ; avec les médias, elle doit apprendre à négocier une meilleure prise en compte des enjeux de société dans les programmes ; avec les pouvoirs publics enfin elle doit sortir de la domination. L’échéance de 2017 est à cet égard cruciale.

2017

Trop souvent le mouvement associatif, en voulant peser sur la présidentielle a cherché à anticiper l’échéance en interpellant les candidats sur leurs combats en leur demandant de se positionner, de signer des chartes, … Mais ce faisant on maintenait intacte la suprématie du mandat présidentiel, on se positionnait comme des sujets d’Ancien Régime avec des cahiers de doléance !

On a vu que la société civile était en mesure de prendre l’initiative au travers de campagnes bien pensées à défaut d’avoir encore le retentissement suffisant. Il faut maintenant construire le nouveau rapport au politique qui permettra d’aller plus loin. Les grecs et les espagnols explorent la voie de la rénovation via des partis citoyens. En France cette voie ne fonctionne ni à gauche (Nouvelle donne) ni à droite (Nous citoyens). Il faut donc inventer hors de la logique des partis. J’ai déjà ici évoqué l’initiative intéressante de Ma voix, portée par Quitterie de Villepin. D’autres sont en cours de montage. Rappelons pour mémoire le projet de G1000 qui n’a pas malheureusement réussi à se structurer.

Ces projets ont des ingrédients communs qu’il faut souligner : un recours au tirage au sort pour sortir des seules logiques électives ; une volonté de faire l’agenda politique sans attendre qu’il soit établi par les partis ou les institutions ; une volonté de dialogue avec les pouvoirs sans exclusive, une confiance dans la capacité délibérative des citoyens. Il y a actuellement un foisonnement d’initiatives en ce sens et c’est passionnant de les  voir émerger. J’en rendrai compte autant que possible.

Je veux rester ce soir sur cette approche positive. Certains la considéreront irénique. Je ne mésestime pas les forces antagonistes : ni la résistance, l’incompréhension ou l’incrédulité de trop de responsables politiques, ni l’atonie de nombreux citoyens plus préoccupés de s’en sortir individuellement que de construire collectivement. Des voies nouvelles peuvent être explorées pour faire face à la défiance et à l’indifférence. J’y reviendrai.

 

 

[1] Le front républicain a bien fonctionné et montre que dans un suffrage où deux candidats peuvent se maintenir au second tour (comme ce sera automatiquement le cas à la présidentielle), la prime habituelle au vainqueur du premier tour ne joue pas avec le FN. Même dans les triangulaires où les scores droite/gauche sont dans un mouchoir, le FN s’est fait (légèrement) distancer contrairement à ce que je craignais.

Réfugiés, responsables politiques et société civile

La société civile mais aussi les médias bougent plus vite que les politiques sur la question des réfugiés. Valls, avec ses dernières déclarations, semble l’avoir compris. Encore un effort ! Que nous puissions retrouver notre fierté…

 

Ce matin Thomas Legrand pointait avec justesse le changement de ton des autorités françaises  concernant la question des « migrants ».

Oui, la majorité ose enfin sortir de son mutisme craintif. On sentait les socialistes, jusqu’ici, tétanisés par le conservatisme ambiant et la trouille. Il aura fallu l’horreur des images du camion en Autriche et que leur soient mises sous le nez les déclarations du minimum de bon sens humanitaire d’Angela Merkel pour que le gouvernement prononce les mots qui conviennent aux dirigeants de la France-pays-des-droits-de-l-homme

Il concluait

Ce que le PS a effectué avec la sécurité, certains, notamment à Matignon, pensaient qu’il fallait le réaliser avec les questions migratoires et d’identité. La fermeté, la fin de la culture de l’excuse, fut une mutation de la gauche à l’épreuve du pouvoir, notamment local. La gauche de gouvernement est passée du phantasme à la réalité en matière de sécurité. Mais en matière d’immigration, les chiffres et l’expérience le montrent, la réalité est du côté de l’ouverture et de l’humanisme, et le phantasme du côté du FN et de ses alentours.

Dans l’actualité  désespérante de ces dernières semaines, je trouve réconfortant que TF1 – oui, TF1 ! – ait consacré un numéro de Grands Reportages à la façon dont tout un village s’est mobilisé, à l’initiative  de son maire pour  accueillir des demandeurs d’asile et pour les soutenir  lorsqu’ils étaient déboutés. Voici comment le reportage est présenté :

 A Chambon-le-Château, en Lozère, le maire a eu une idée audacieuse pour lutter contre la désertification rurale. Depuis 2003, le village accueille une cinquantaine de demandeurs d’asile, des étrangers menacés de mort dans leur pays. C’est le cas des Syriens Khaled et Manal, des Albanais Ziya et Gentiana, et de John et sa famille, un Nigérian menacé par Boko Haram. Leurs enfants vont tous à l’école du village avec les petits Chambonnais. Peggy Campel, la directrice, leur apprend à parler français. A Chambon-le-Château, le « vivre ensemble » et la solidarité s’expérimentent au quotidien. En 2008, des habitants se sont même mobilisés pour soutenir une famille du Kosovo qui allait être expulsée. Aujourd’hui, cette famille a obtenu la nationalité française et vit toujours en Lozère.

Certes le reportage n’est pas loin de tomber dans la « belle histoire », celle qui, en étant trop édifiante, empêcherait tout autant de réfléchir que les images-choc  habituelles sur « l’invasion des migrants ». Il l’évite au travers d’une scène étonnante : des jeunes réunis au bar du village qui affirment nettement leur opposition à cette politique d’accueil, avec comme argument massue le fait qu’on paye les réfugiés à ne rien faire. Mais ils sont vite à court d’argument quand la journaliste leur apprend que c’est la loi qui impose aux demandeurs d’asile de ne pas travailler. La journaliste insiste « Vous savez la différence entre réfugiés et immigrés ? ». Le fort en gueule hésite et finit par dire que non, il ne sait pas, et tous baissent la tête, penauds. Ici, la bêtise ignorante s’exprime mais elle n’a  pas le dernier mot ; mieux elle se déconsidère de façon pitoyable et la suite du récit la réduit à ce qu’elle est : une méconnaissance faite de manque de curiosité et d’idées toutes faites. Face à cette bêtise, la journaliste insère le contrepoint d’autres jeunes, au départ tout aussi ignorants, mais qui ont fait le chemin de la découverte de l’autre (ils sont devenus amis avec un des réfugiés) : ils ne blâment plus l’oisiveté qu’ils savent maintenant forcée, ils s’interrogent sur la pertinence de la loi et surtout ils aident leur ami dans sa  nouvelle vie. (On ne dira jamais assez l’idiotie du proverbe « La  curiosité est un vilain défaut », c’est bien l’in-curiosité qui est le vilain défaut qui précipite dans le populisme !!)

 Question de représentation, question de méthode

Revenons au fond du propos, la manière de faire face à l’afflux des réfugiés. Il y a pour moi deux questions : une question de représentation et une question de méthode et bien sûr les deux sont liées.

Je n’insiste pas ici sur le débat sémantique migrants/réfugiés, il a beaucoup occupé les médias, et tant mieux ! On a tous pu comprendre le piège que représente l’usage d’un mot apparemment neutre comme « migrants » qui fait oublier la réalité brutale du « réfugié ». A s’intéresser principalement «aux flux de migrants », on s’enferme dans des solutions qui n’en sont pas. Impossible de stopper par des barbelés des personnes qui ont tout quitté, payé des fortunes, parcouru des milliers de kilomètres, souffert tous les risques et toutes les humiliations pour atteindre le pays de leur rêve. Rien ne les arrêtera. Aux chiffres préférons les récits pour comprendre. Je recommande par exemple Dans la mer, il y a  des crocodiles, l’histoire d’Enayatolah, enfant afghan réfugié en Italie.

Quand je parle de représentations, je veux évoquer les termes de marée, de vague, de flux, de déferlement qu’on utilise sans cesse pour évoquer l’aspect quantitatif de cette migration. Images à l’appui. On voit des groupes de plusieurs dizaines de personnes, de quelques centaines parfois et cela suffit à saturer nos écrans. On rajoute ensuite des nombres avec beaucoup de zéros : des centaines de milliers (00 000). Trop peu sont les médias qui mettent  ces chiffres en rapport avec la population européenne d’environ 500 000 000 d’habitants. Soit environ 1 ou 2 pour mille.  Pas 1%, juste 0,1%. L’effet de masse vient des miroirs grossissants des objectifs de télévision mais bien sûr aussi de la concentration dans le temps et dans l’espace de l’arrivée des réfugiés.

Prisonniers de nos représentations de « masse », nous cherchons des solutions pour faire face à une arrivée « massive ».  Stopper le flux d’abord, créer des lieux d’accueil de masse ensuite. Deux erreurs « massives » !

Pourtant on peut faire autrement. Et on le fait depuis longtemps. La société civile, les autorités locales savent se mobiliser pour apporter des réponses. Le reportage de TF1 sur Chambon le montrait bien. J’avais lu un papier il  y a déjà plusieurs  années  sur une  initiative similaire en Calabre.

Riace comprend alors que sa richesse réside dans l’accueil des étrangers. Le village allait remplir le vide laissé par ses émigrés partis au Canada ou en Australie avec ces immigrés venus, eux aussi, de loin. « Un avenir était possible, avec une nouvelle cohésion sociale. Les gens s’en allaient, l’école avait fermé, les services de base commençaient à manquer. On se demandait à quoi bon programmer encore des travaux publics, et même tenir en vie un bourg qui se vidait petit à petit. Or, avec ces nouveaux arrivés, l’espoir pouvait renaître« , explique le maire.

Il y a quelques mois, toujours dans Le Monde, un article expliquait les réussites du micro-accueil.

Tout commence en 2011, quand le gouvernement doit faire face, comme aujourd’hui, à une situation d’urgence face à l’afflux de migrants. Plus d’une centaine d’entre eux sont alors expédiés dans un hôtel de haute montagne isolé, non loin d’ici. L’expérience est un désastre, avec des migrants qui se morfondent et des autorités qui sont montrées du doigt par une opinion publique qui les accuse de leur payer des vacances aux frais de l’Etat. « C’est à ce moment-là que nous avons pensé à installer les demandeurs d’asile par petits groupes dans les différentes communes de la vallée », raconte Carlo. L’idée s’est révélée payante.

C’est le cas de Tasfir, 19 ans, arrivé du Mali en Sicile en 2014. Après une brève période dans les structures d’accueil surchargées de l’île, il a été transféré à Malegno. Quinze mois au cours desquels sa vie a changé, dit-il. « Vivre à quatre ou cinq, c’est bien et, ici, ont connaît désormais tout le monde… C’est comme vivre chez nous. Tout autre chose que de vivre à cent. Il y avait tous les jours des bagarres. »

On ne peut que partager l’indignation de François Gemenne, chercheur en science politique, spécialiste des flux migratoires quand il accuse l’Europe de trahir son idéal

On a créé un continent de prospérité, de paix et de sécurité réservé à quelques privilégiés et dans lequel les autres n’ont pas le droit d’entrer. C’est une faillite de l’idéal européen!

J’avais cité ici l’étude à laquelle il participait sur la possibilité d’ouvrir les frontières.

Aujourd’hui ce qu’on attend des dirigeants de nos pays européens c’est qu’ils montrent leur confiance dans notre capacité à faire face au besoin d’accueil. Nous ne voulons plus de cette phobocratie qu’a incarnée  Sarkozy. Nous ne voulons pas être protégés, nous voulons  être au contraire encouragés à l’ouverture et à la générosité. L’autre jour, au JT de France2, après avoir rapporté la position ferme de la chancelière  pour maintenir sa politique d’accueil face aux intolérants extrémistes, le journaliste disait que dans la société civile des initiatives se développaient, encouragées par l’attitude digne d’Angela Merkel.

n voici un exemple :

Alors, les trois étudiants berlinois ont décidé de faire quelque chose – en créant une «bourse aux logements pour réfugiés». Non seulement pour loger des réfugiés, mais aussi pour leur faire comprendre que la pègre xénophobe qui fait la «Une», ne représente pas «l‘Allemagne».

L’idée partait d’une situation anodine. Mareike Geiling avait décroché un semestre d’études au Caire et voulait sous-louer sa chambre dans un appartement partagé avec d’autres étudiants. Au lieu de louer cette chambre par les biais habituel, elle s’est mise avec des amis pour créer la plate-forme «Réfugiés bienvenus». Depuis le début de cette opération, cette petite initiative a déjà réussi à loger 74 réfugiés et – plus de 1500 Berlinois ont proposé ce type d’hébergement pour des réfugiés qui en partie, vivent dans la rue en attendant à ce que les administrations tranchent sur leur demande d’asile.

Nous sommes mesquins et pleutres quand tout nous pousse à la mesquinerie et à la  pleutrerie … mais nous savons réagir quand les circonstances nous y poussent. Il y aura toujours des racistes qui râleront mais je suis certain que la majorité des gens sont capables de faire un geste de fraternité, comme les habitants de Chambon, comme les étudiants berlinois.

Je suis  donc  heureux du changement de ton du premier ministre mais je pense qu’il doit aller plus loin. Et s’il évoquait l’esprit du 11 janvier pour nous inciter à passer à l’action. Ça aurait du sens, non ?

La  question des réfugiés peut devenir une belle occasion de sortir du repli qui ne nous rend pas heureux et porte atteinte à l’image que nous nous faisons de la France. J’avais honte en entendant que la France ne recevait que 60 000 demandes d’asile en 2014 quand l’Allemagne en recevait plus de 200 000. Plus honte encore quand j’ai vu que la France avait le plus faible taux d’acceptation des demandes (30%).  Pour qu’on agisse enfin à l’échelle du problème, nous avons besoin d’y être incités. N’est-ce pas le rôle des politiques et des médias ?

Thomas Legrand, vous auriez là un édito encore plus utile que celui de ce matin !

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