Autorité ? et si on se trompait de quête ?

Notre quête légitime d’autorité conduit à rechercher « l’homme providentiel ». Et si on prenait la question autrement ?

 

Reculade, couac, renoncement, enterrement : le report de l’examen du projet de loi sur la famille donne une nouvelle occasion à la presse de se gausser d’un exécutif jugé décidément incapable d’autorité. On sait cependant que la critique inverse est immédiatement faite quand un exécutif « passe en force », est « sourd aux demandes de la rue »,… Mais ici ce qui frappe et qui a priori légitime le point de vue des éditorialistes, c’est que le gouvernement a vraiment vite reculé. La loi sur le mariage homosexuel avait été maintenue alors que les mêmes étaient dans la rue, depuis plus longtemps et beaucoup plus nombreux. On avait donc cette fois-ci plutôt l’impression d’assister à un baroud d’honneur qu’à une pression irrésistible. Le recul du gouvernement semble donc sans réelle logique.

Pourquoi alors ce sentiment de malaise devant le déferlement de critiques puisque je suis, comme chacun, frappé de cette conduite brouillonne de l’action gouvernementale ? Sans doute parce que ce qui ressort de tout ça est moins une demande de conduite efficace de l’action publique qu’une demande de chef que l’on suit. L’éditorial de Thomas Legrand sur France Inter disait à la fois quelque chose de très juste par rapport à la réalité de notre régime politique…. et en même temps de totalement inacceptable si l’on veut une démocratie vivante.

Dans la Vème République il faut que le président dise ce en quoi il croit. Et il y a encore trop de domaine pour lesquels on ne sait pas quelle est la conviction profonde de François Hollande ! Sa volonté de ne pas brusquer la société de ne pas être péremptoire et cassant est mal exprimée et ressemble à de la faiblesse ou du calcul cynique.

Il insiste :

Le sentiment général est, encore une fois, que l’exécutif a raté, dans les grandes largeurs, ce débat de société. Pour une raison principale, toujours la même : manque de clarté dans l’affirmation des convictions ! Le travail de clarification présidentielle tout azimut, débuté avec l’année 2014 n’est donc pas encore totalement achevé !

Quel paradoxe ! On veut être pris en compte dans le cadre d’un débat démocratique où chacun peut s’exprimer et on veut tout autant que le chef parle, pour s’aligner ou contester. Le principe majeur de la démocratie est pourtant ce que les grecs appelaient « l’iségoria », le droit à la parole égale pour tous. Nulle préséance du chef qui dirait sa conviction en préalable à toute discussion. Si c’est ça, la démocratie vire au plébiscite.

On m’objectera (et on l’a déjà fait lorsque j’ai testé mon propos avec celle qui partage ma vie mais pas toujours mes opinions !) : les réformes de société ne sont faites que lorsqu’un exécutif assume son rôle d’éclaireur.  C’est bien parce que Mitterrand le voulait contre l’avis de l’opinion que la peine de mort a été abolie. L’argument porte mais il faut tenter d’aller plus loin.

Opposer la vision du dirigeant politique clairvoyant au conservatisme de la population ne tient que parce qu’on confond l’opinion telle qu’elle s’exprime dans un sondage et l’expression collective des citoyens. Celle-ci n’a de réelle portée que lorsqu’elle est issue d’une délibération collective après un débat contradictoire. Force est de constater que le sondage d’opinion ne correspond pas à ces critères. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’une technique très utilisée aux Etats-Unis mais très peu en France, celle du sondage délibératif montre qu’il y a un écart notable entre l’opinion mesurée avant la délibération d’un jury tiré au sort et l’opinion mesurée à nouveau à l’issue du débat collectif. Confondre l’opinion avec l’expression politique des citoyens est donc extrêmement dommageable. Cela ne veut pas dire pour autant que le résultat d’une délibération citoyenne serait nécessairement progressiste mais cela veut dire que l’on peut sur des sujets où l’opinion d’un seul, même s’il a été élu, ne garantit pas l’acceptabilité sociale d’une réforme, chercher à construire collectivement ce qu’on appelle légitimement un « choix de société ». Rien n’empêchera le Président de peser dans le débat, d’affirmer clairement l’option qu’il préfère mais il acceptera que le choix final ne lui appartienne pas. Ce qui, soit dit en passant, est normalement déjà le cas puisque c’est le Parlement qui est censé avoir aujourd’hui le dernier mot. (On a d’ailleurs vu un début de rébellion parlementaire chez les socialistes à propos de la loi sur la famille qui me semble pleinement légitime)

Ce débat sur le manque d’autorité de l’exécutif est donc révélateur de notre incapacité à sortir de la monarchie républicaine. Dominique de Montvallon le constatait avec justesse dans une analyse publiée dans Le Monde à propos de la propension des Français à attendre l’homme providentiel pour les sortir d’une situation politique qui leur apparaît bloquée.

L’aspiration à un « vrai » chef, clé de voûte d’un système qui fonctionne mal : on ne saurait mieux décrire en si peu de mots ce qu’est devenue notre Ve République, rongée de l’intérieur par l’illusion sur laquelle elle a été bâtie. Cette illusion, qui est restée très prégnante dans l’imaginaire collectif, est celle de l’homme providentiel.

Il pointe bien l’écart entre la réalité des pouvoirs et notre pratique politique

Dans la « vie réelle », les centres de décision se sont déplacés, complexifiés et multipliés, sous l’effet conjugué des traités européens et de la mondialisation. Un tel contexte aurait dû nous inciter à moderniser nos institutions, renforcer les contre-pouvoirs et rétablir des lieux de débats. Mais nos règles du jeu ne s’y sont pas adaptées, bien au contraire. La personnalisation du pouvoir a renforcé le caractère monarchique du régime.

le président [normal]s’est remis sur le devant de la scène afin de raffermir une autorité dont on n’a eu de cesse de répéter qu’elle lui faisait défaut. Derrière lui, plus aucune tête ne dépasse ; ni au gouvernement ni dans la majorité. […] Point de débat, sauf ceux – si peu structurés – qui sont orchestrés en marge de cette vie politique, sur les réseaux sociaux et/ou dans la rue.

Il concluait d’une manière que je ne peux qu’approuver :

N’aurait-on pas besoin de nouvelles règles du jeu plutôt que de l’illusion d’un « vrai chef » ?

Dominique Rousseau, le constitutionnaliste que je citais récemment, disait aussi en novembre dans Le Monde

Les présidents sont enfermés dans le temps de l’Etat, incapables de saisir le rythme de la société. La « décision » Leonarda – inviter la jeune fille à revenir mais laisser ses parents au Kosovo – en est le parfait exemple : elle est une belle synthèse rationnelle dans la tête de l’Etat, mais un salmigondis dans la tête de la société.

Il voit dans les institutions « un bouclier » qui protège le Président. Et il s’interroge :

Mais un bouclier protège des ennemis. Les citoyens seraient-ils les ennemis dont il faudrait se protéger ? Les institutions doivent être, à l’inverse d’un bouclier, les canaux de communication entre les gouvernants et les gouvernés. Or, aujourd’hui, ces canaux sont bouchés et la société en cherche d’autres pour se faire entendre.

Si l’on veut éviter que la solution ne soit trouvée dans le recours à l’homme providentiel (ou pire au Lepénisme qui en est la version désespérée et désespérante), il faut bien remettre sur le tapis la question des institutions ou plus largement des « règles du jeu démocratique ». Là encore je partage l’avis de Dominique Rousseau :

En France, on bricole : un jour, on modifie la durée du mandat présidentiel, un autre les compétences du Parlement, un autre encore les pouvoirs du Conseil constitutionnel. Résultat : aucune vision d’ensemble. […] La question institutionnelle est considérée comme secondaire ».

Pour lui c’est au contraire une question essentielle :

C’est une question sociale car les institutions sont ce qui fait tenir debout une société. Sans elles, la société ressemblerait aux montres de Salvador Dali !

OUI, il faut revoir les règles du jeu démocratique pour que l’on sorte de l’alternative impossible entre l’impuissance gouvernementale  et l’autorité de l’homme providentiel. Et comme le disait excellemment Etienne Chouard :

Ce n’est pas aux hommes au pouvoir d’écrire les règles du pouvoir

Nous sommes tout un groupe, autour de Patrice Levallois à travailler à la concrétisation de cette idée… à suivre !

 

La parole des invisibles

L’initiative de Pierre Rosanvallon pour représenter les invisibles a eu un réel succès… et quelques critiques. Essai de décryptage.

Je reçois souvent des mails ou des sms pour me signaler un texte, une initiative. C’est pourtant la première fois que je reçois autant de signalements pour le même fait. Manifestement l’initiative de Pierre Rosanvallon est une réussite,… au moins en termes de notoriété ! Est-ce aussi une initiative qui sert la démocratie comme elle en a l’ambition ? Il est intéressant de creuser pour tenter de voir ce qui relève de la bonne idée, de l’éventuel faux-semblant,… et des suites à donner possibles.

Pour ceux qui ne sont pas au courant, un rappel rapide : partant du constat que la société n’est plus représentée dans sa diversité, Pierre Rosanvallon lance une collection de livres pour donner à voir des parcours de vie aujourd’hui invisibles dans l’espace public (un cariste dans un entrepôt comme un chercheur dans son laboratoire) et un site de type réseau social pour recueillir et partager des histoires de vie. Le site s’appelle explicitement raconterlavie.fr. Rosanvallon publie à cette occasion « Le parlement des invisibles » qui précise la philosophie du projet. « Face à la mal-représentation par les partis, qui conduit à idéologiser et à caricaturer la réalité, il faut construire une représentation-narration pour que l’idéal démocratique reprenne vie et forme ». Pour lui cette initiative sera « authentiquement démocratique parce qu’elle tissera, à partir de multiples récits de vie et proses de parole, les fils d’un monde commun ». Il ajoute : « on ne devient acteur de sa propre vie que si […] on a les moyens de resituer son expérience dans une vision plus large de l’émancipation humaine ». Il parle de « communauté d’expérience, de relier son « je » à un « nous ».

Ambition forte donc pour cette « démocratie narrative » mais complémentaire des autres formes de renouvellement démocratique, la démocratie participative et la démocratie délibérative. Pour autant, Rosanvallon insiste à juste titre, sur le fait que la refondation démocratique ne peut se limiter au régime politique, qu’il faut réinventer la démocratie « comme forme de société ». Les lecteurs de ce blog savent que je parle pour la même raison de « démocratie sociétale ».

Pierre Rosanvallon a été interrogé dans de multiples médias sur son initiative. Je reprends ici quelques extraits :

Dans Télérama

Si le monde politique perçoit à peu près les changements de mœurs, comme on l’a constaté avec la loi sur le mariage pour tous, pour le reste, la société lui est devenue terra incognita. C’est grave. […] La non-représentation nourrit le désarroi social et une indifférence, voire une haine croissante à l’égard du monde ¬politique. Si on ne rétablit pas cette demande [de représentation] dans sa justesse, on laisse grossir le fantasme d’un « peuple » uni et en colère face à un monde politique qui l’aurait abandonné. Or ce « peuple » n’est pas un bloc de marbre. Il faut décrire le monde social dans sa diversité. Il en résultera plus de solidarité, car c’est bien l’ignorance d’autrui qui produit la « désolidarité » sociale, en ravalant chacun à un stéréotype : le chômeur assisté, le Rom voleur…

Dans Philosophie magazine :

Cette « terrible ignorance » (une expression de Michelet) est entretenue par trois « écrans » constituant « le paradoxe de l’invisibilité sociale » : l’hypervisibilité de quelques-uns – dont les médias sont l’expression – fait écran aux voix les plus faibles ; la prolifération de mots «fourre-tout» – le « peuple », les « travailleurs », etc. – masque sous une réalité de papier une réalité complexe et nuancée ; les stéréotypes – « bobos », « cité », « immigrés »… – enfouissent la réalité sous les fantasmes. Un remède contre cette « terrible ignorance », qui rend la société illisible : la représentation. Et une conviction : il est temps de « s’approprier le monde et dire la vérité des existences par de multiples voies ».

Si l’intérêt pour l’initiative prise est évident, il est utile de voir aussi ce qui est reproché à Rosanvallon. Il me semble que le point de vue de Christian Salmon dans son blog de Mediapart est emblématique de cette critique. Laissons de côté l’accusation de « soumission à l’air du temps » ou au contraire l’affirmation que le projet n’a rien d’inédit ». Deux reproches sont plus consistants :

L’injonction au récit vient parachaver le projet néolibéral de transformer les individus en performer de leur propre histoire.

Une démarche politico-citoyenne irréfléchie qui prétend lutter contre la crise démocratique et l’essor du FN en mobilisant la même catégorie, le même fantasme des « invisibles ». C’est au fond la résurgence du vieux projet néolibéral qui souhaite mobiliser contre les fractions syndicalisées du salariat ou ses minorités trop « visibles » et trop bruyantes une mythique majorité « silencieuse »…

La première critique oblige à se poser la question de la « parole » en démocratie. Le récit de vie est-il une parole démocratique ? Sans doute pas si cette parole est simplement du narcissisme, comme parfois la blogosphère le laisse penser. Mais ne voir dans ces récits que de l’étalage complaisant est terriblement élitiste. Cette parole, sans la médiation du politique ou de l’universitaire (sociologue, anthropologue,…) a une valeur en soi. Je peux en témoigner comme beaucoup de participants à l’aventure des Ateliers de la citoyenneté. Elle aide les personnes à passer de l’expérience personnelle à l’aventure partagée. Pour autant, deux conditions me semblent indispensables pour qu’elle prenne toute sa valeur : qu’elle soit reçue et qu’elle soit un point de départ. Si la parole tombe dans un grand réceptacle et qu’elle s’y noie, faute de réaction, on n’a pas progressé vers la création du « commun ». Le risque de l’initiative de Rosanvallon est dans sonéventuel trop grand succès Pour que les paroles se tissent, elles doivent rester dans un cadre à taille humaine ce que ne permet pas toujours internet. Mieux vaut une multitude de lieux de mise en visibilité. Le risque de la démesure existe même dans les projets citoyens ! Il faut donc trouver en complément d’autres manières de rendre visibles les invisibles. Utopique ? pas tant que ça ! A un moment où les instits étaient devenus les « invisibles de la République », la télé a su mettre à l’écran une série (l’Instit, avec Gérard Klein) qui a eu un réel retentissement et a contribué à la revalorisation de la profession ! (j’ai appris récemment par celui qui est à l’origine de la série que cette intention était clairement affirmée au lancement du projet).

Parole reçue donc mais aussi parole point de départ. La parole permet effectivement le passage du « je » au « nous » quand les fils sont tirés. Quand on peut passer de l’expression d’un point de vue au discernement collectif. Les paroles, encore une fois, doivent se frotter pour se polir comme des galets. Elles doivent s’enrichir mutuellement pour construire du nouveau qui deviendra peut-être du commun et donc de la coopération, du projet, de l’action politique (même à toute petite échelle). Je reprends un exemple qui me revient en mémoire, un échange au cours d’une rencontre organisée sur les jardins partagés. Plusieurs personnes présentent différentes formes de jardin partagé et, au bout d’un moment, une vieille dame prend la parole pour dire que tout ça ne la concerne pas vraiment car elle, elle a un jardin mais elle n’arrive plus à s’en occuper. Un échange s’engage alors qui permet de préfigurer une autre forme de partage, celui d’un jardin privé qui s’ouvre à des personnes sans jardin mais ayant envie de jardinage. Depuis, j’ai appris que des associations avaient organisé ce type de rapprochement. La parole, même bougonne, si elle est reçue et « travaillée » peut produire du commun.

On en vient alors à la deuxième critique, celle d’une dépolitisation par le choix de faire émerger une parole des invisibles plutôt que d’entendre la parole engagée des militants politiques et syndicaux plus apte à bouleverser l’ordre établi. Oui, il faut reconnaître que la parole spontanée des invisibles n’est que rarement idéologiquement structurée. Elle peut être forte comme un cri ou un appel mais elle est trop nourrie de l’expérience de vie pour déboucher a priori sur une revendication précise. Est-ce un mal ? Oui si cela sert à contenir toute volonté de transformation du monde. Mais je crois à l’inverse que dans un monde DEJA largement dépolitisé, il est plus pertinent de partir du personnel pour construire progressivement du collectif que de tenter de rallier directement des personnes à des combats idéologiques. C’est en tous cas la voie que je privilégie avec constance tant aux Ateliers de la Citoyenneté qu’au travers de ce blog, qui ne s’appelle pas par hasard… persopolitique !

En lançant le Laboratoire de la Transition Démocratique – dont je vais très bientôt expliciter le projet et pour lequel les bonnes volontés
seront les bienvenues ! -, je cherche néanmoins à franchir une étape. Construire un cadre cohérent de réflexion et d’expérimentation pour renouveler nos pratiques démocratiques. Toute initiative isolée hors des sentiers balisés du démocratiquement correct est vite taxée d’illégitimité, même pour un intellectuel reconnu comme Rosanvallon ! C’est la raison pour laquelle je pense qu’il faut agir en même temps sur plusieurs « fronts » : celui des représentations, celui de l’ingénierie démocratique (le vote comme principal outil est décidément trop limité !), sans oublier la mise en pratique par l’expérimentation d’alliances et la médiatisation. Plus de détail… très vite !!

 

 

 

 

Sortie de campagne…

On a fait beaucoup de reproches à cette campagne électorale :
–    Sa longueur, avec les primaires et surtout la manie des médias de commencer la « course de petits chevaux à peine l’élection précédente finie.
–    Son manque d’intérêt : on n’y a peu parlé des « vrais » sujets, l’Europe, l’école, les pauvres, le logement, la santé, les banlieues… avec à chaque fois très peu d’idées neuves
–    Son dévoiement vers des questions vainement polémiques ou indignes du débat national : le hallal, le changement de date de versement des retraites,…
En revanche deux points qui inquiétaient les commentateurs me rassuraient plutôt
–    Le relatif désinvestissement des citoyens à l’égard d’une élection pourtant tellement mise en avant dans le jeu politico-médiatique alors qu’elle n’est bien évidemment pas aussi décisive qu’on le dit
–    Le manque de vision de candidats soi-disant « obligés au réalisme » par la crise car l’ambition telle qu’elle est habituellement définie ne correspond plus au besoin de notre pays : la grandeur, la place de la France sont des vieilles lunes et l’ambition industrielle, la recherche de la croissance à tout prix sont dangereuses (voir Arrêtons de faire les papillons)

Pour moi le plus inquiétant était ailleurs
–    Pas d’interrogation sur ce qui redonnerait de la crédibilité à la politique, sur ce qu’on attend des citoyens et de la société civile
–    Pas de prise en compte de la réalité de la société et de ce qui la transforme. Michel Serres l’avait bien vu en parlant d’une « campagne de vieux pépés » !
L’élection de 2007 avait été plutôt positive sur ces thèmes avec la recherche de nouvelles façons de faire de la politique (volontarisme pour Sarkozy, démocratie participative pour Royal) mais les enthousiasmes suscités alors ont fait long feu.

On avait pourtant une chance historique, bien que paradoxale, de réinventer la politique en 2012 : l’absence de marge budgétaire. Malheureusement, la  rigueur budgétaire qui s’est imposée à tous dès le début de la campagne a conduit, à l’exception notable de Mélenchon, à conclure qu’il n’y avait plus de marge d’action pour ré-enchanter la politique. Et si c’était l’inverse ? Et si l’absence d’argent nous obligeait à refaire de la politique ? De la vraie politique, avec les gens eux-mêmes, pas avec des subventions ou des réductions d’impôt ? Et si nous prenions au pied de la lettre l’idée que la politique c’est le « vivre ensemble » ? parce qu’on en parle souvent dans les discours du « vivre ensemble », mais  qu’en faisons-nous concrètement ?
Regardons les objectifs politiques que nous nous fixons collectivement et sur lesquels nous sommes sans doute presque tous d’accord. Nous préférerions développer la prévention en matière de santé plutôt que de traiter, à grands frais, les maladies qui surviennent parce que nous ne prenons pas soin de nous. Nous voudrions renforcer la sécurité sans pour autant avoir des policiers en armes à chaque coin de rue. Nous souhaitons réduire notre empreinte environnementale sans renoncer au confort  mais les nouvelles pratiques en termes de déplacement, de consommation ou de logement nous semblent souvent hors de portée. Bref nous voyons bien ce qu’il y aurait à faire dans l’absolu… mais nous n’avons pas de temps à y consacrer et, quand bien même nous en aurions, nous ne nous sentons pas en mesure d’y faire face seuls.  Pour cela nous continuons d’attendre des responsables politiques qu’ils agissent en notre nom… puisque nous les élisons pour ça. Mais sur tous ces sujets et sur bien d’autres, nous sommes de plus en plus conscients que l’Etat peut nous inciter à faire mais qu’il ne peut pas se substituer à nous. Bien souvent, nous en restons à ces constats désabusés, sans imaginer que nous pourrions repenser radicalement nos modes de faire collectifs, notre fameux « vivre ensemble ».

Nous avons oublié la ressource majeure de la démocratie, le pouvoir d’agir des citoyens. C’est quoi le pouvoir d’agir ? c’est la capacité de chacun de trouver des solutions créatives aux questions qui le concernent s’il sort de l’isolement qui le rend incapable d’agir. Pour cela il faut plusieurs ingrédients indispensables :
–    Des espaces de débat où on ne se contente pas de râler contre le système mais où l’on recherche collectivement des pistes de solution. Ces espaces de débat, pour être efficaces doivent être très locaux, non partisans, positifs, permettant de mêler des expériences et des points de vue divers.
–    L’organisation d’un droit de tirage sur l’expertise publique pour donner corps aux solutions explorées dans les débats.
–    La mobilisation de ressources extra-budgétaires, notamment via les fondations, pour mener à bien les expérimentations, faciliter leur déploiement,…
–    La mise en place d’un volontariat tout au long de la vie pour dégager du temps et des compétences au service de cette nouvelle action collective

Il est paradoxal que les représentants officiels de la vie associative ne soient pas davantage sensibles à ces approches qui renforceraient naturellement le fait associatif sous toutes ses formes, du simple collectif d’habitant jusqu’à l’émergence de mouvement associatifs nouveaux à l’échelle du pays (comme a pu le devenir Lire et faire lire en quelques années par exemple). Très souvent ces militants de la vie associative craignent que ce soit le moyen pour l’Etat de se défausser de ses responsabilités. Ils confondent en cela le rôle de garant de l’égalité que doit toujours assumer l’Etat et la manière dont les services doivent être rendus. Sans doute une raison de leur frilosité est plus matérielle : la plupart des associations ne le sont plus, au sens premier du terme, elles sont bien davantage des entreprises de services collectifs employant des professionnels et financées par des fonds publics. Beaucoup ne sauraient pas animer un vaste mouvement  d’implication des citoyens. Les bénévoles d’aujourd’hui ne sont en effet pas dans leur très grande majorité des initiateurs de projets mais des ressources humaines employées à des tâches prescrites.

Quelques signes sont encourageants malgré tout. J’en citerai quatre – rapidement – mais leur convergence est indéniable.
–    Le plus récent est la parution du dernier rapport du think tank Terra Nova sur les banlieues qui prône (enfin !) les pratiques de développement communautaire, à l’instar de ce qui se pratique depuis des années dans les quartiers défavorisés de Chicago et d’ailleurs. C’est l’espoir d’une refonte de la politique de la Ville sur les bases de l’empowerment plutôt que sur la seule rénovation urbaine. Merci Jacques Donzelot de votre persévérance !
–   L’Institut de la concertation propose une journée de réflexion très intéressante le 14 mai autour de la place de la participation dans les programmes politiques, il invite notamment les membres de son réseau, professionnels de la concertation et chercheurs, à co-élaborer ce que pourrait être une participation des citoyens aux grands choix nationaux au travers d’un exemple concret : un débat national sur l’énergie.
–    Autour de l’empowerment et du pouvoir d’agir, les initiatives se multiplient : le colloque organisé mi-mars à l’ENTPE à l’initiative d’une jeune doctorante, Hélène Balazard, a été un réel succès ; notre groupe de travail sur l’empowerment lancé avec Philippe Bernoux en septembre a fidélisé une trentaine de participants ; le Collectif Pouvoir d’agir créé à l’initiative de Jean-Pierre Worms devient un pôle de référence sur la question.
–    Dernier signe, et sans doute le plus riche de perspectives, l’installation du volontariat dans notre culture de l’engagement grâce au Service civique qui touche maintenant près de 15 000 jeunes par an.
Quel que soit le résultat de l’élection présidentielle, il serait bon que le président nouvellement élu découvre ces signes encore ténus et le potentiel de renouveau de la politique qu’ils représentent.

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