L’An 1

Faut-il reprendre la querelle célèbre de Voltaire et de Rousseau à propos du tremblement de terre qui détruisit la ville de Lisbonne en 1755 ? Est-ce la faute de la nature ou la faute des hommes quand une civilisation vacille après une catastrophe « naturelle » ? Cette interrogation n’a sans doute pas de réponse et rechercher les responsables (et bientôt les coupables) rajoute souvent du malheur au malheur. Alors faut-il en rester là et parler de fatalité ? Faut-il rebondir et vivre comme si rien ne s’était passé dans l’intervalle, plus ou moins long, nous séparant de la prochaine catastrophe ?

Dans l’émotion ô combien légitime qui secoue la planète entière, dans notre quête effrénée pour comprendre ce qui est réellement en train de se passer, peu de temps reste disponible pour réfléchir au sens de ce qui arrive. Pour autant chacun sent que « quelque chose se passe » et que ce n’est pas seulement un drame japonais de grande ampleur. Ne serait-ce pas le coup de grâce après la série d’ébranlements des premières années du siècle ? N’est-ce pas la confirmation de toutes les mises en garde des écologistes que l’on entendait de mieux en mieux … mais sans trop y croire finalement. Il me semble que l’effarement qui nous saisit est moins lié à l’incrédulité face à la fragilité d’un pays aussi développé que le Japon qu’à cette confirmation de nos craintes jusque-là diffuses et désormais cristallisées par la catastrophe japonaise. « C’était donc vrai ! », tel est le cri muet qui nous étrangle. Tout ce que nous refoulions pour continuer à vivre au bord du gouffre nous saute à la figure dans les images en boucle des journaux télévisés.

Personne n’ose encore réellement le dire. Sur le seul registre du nucléaire, les écologistes ont déjà été vilipendés simplement parce qu’ils ont réaffirmé ce qu’ils disent depuis toujours sur le danger de cette énergie. Personne n’ose donc encore dire clairement que c’est le modèle occidental qui vient de sombrer et que le Japon, qui en était l’expression la plus achevée, tombe assez logiquement en premier. Décidément, alors que je me suis toujours méfié de Rousseau, je crois comme lui que nous portons collectivement la responsabilité de ce qui arrive au Japon. C’est bien notre mode de vie insoutenable qui vient de provoquer ce drame.

Alors que nous nous focalisions sur le mode de vie américain pour en dénoncer (avec raison) la non-durabilité, nous n’avions plus trop à l’esprit ce Japon qui s’enfonçait depuis 20 ans dans la crise et avait cessé de nous fasciner. Pourtant c’est sans doute au Japon que les contradictions entre le mode de développement occidental et les ressources du territoire étaient les plus fortes. Les Etats-Unis disposent d’un continent quand le Japon n’a que les côtes d’un archipel réduit en taille, montagneux et soumis au risque sismique. Au-delà du fait que l’actualité du monde se tournait davantage vers le « G2 » sino-américain, notre relatif oubli du Japon dans la quête d’un nouveau paradigme économique tenait sans doute à une vision « culturaliste » de ce pays. Nous avions le sentiment, à distance, que le Japon avait su construire un compromis pertinent entre modernité et traditions. Nous considérions que le respect de la nature inscrit dans son patrimoine culturel faisait que les accommodements avec la nature y étaient moins brutaux. Personnellement je m’étais inspiré de cet héritage japonais pour choisir le nom de mon activité professionnelle en 200I,  Kasumi-tei, ces digues qui ne cherchent pas à arrêter l’eau mais se contentent de la freiner.

En réalité le Japon vit sous pression encore plus fortement que bien des pays occidentaux, et sur tous les registres. Le nucléaire en zone fortement sismique et soumise aux tsunamis n’est que l’aspect le plus angoissant de la non-durabilité japonaise : activité économique organisée en flux tendus, pression sur les personnes dès l’école et durant toute la vie professionnelle, fracture entre un secteur protégé et des marges laissées de côté, vieillissement de la population,…

La crise  que vit le Japon apparaît comme un révélateur de la fragilité de notre mode de développement : tout se détraque de manière cumulative à une vitesse effarante. Ce que nous savons pour nos vies personnelles jamais à l’abri d’ « accidents de la vie », nous voyons que cela s’applique aussi aux sociétés. Nous sommes face à un « accident de civilisation », peut-être du même ordre que ceux que Jared DIAMOND a recensé dans Effondrement.

Les altermondialistes disent qu’un autre monde est possible. Le drame japonais est-il la catastrophe qui nous fera dire « plus jamais ça ! » et nous poussera à construire cet autre monde possible ? Ecrire cela frise, j’en ai conscience, le millénarisme catastrophiste. Je ne voudrais pas pourtant que mon propos soit réduit à cela. Il se veut plutôt un rappel de « l’impermanence des choses ».  Je laisserai la conclusion à Pierre-François SOUYRI, historien spécialiste du Japon qui écrivait dans Le Monde : « Quand un séisme majeur intervenait, signe de la colère divine contre l’impéritie des hommes, les dirigeants étaient inquiets. Les dieux signifiaient aux humains que les puissants, avides de richesse et de gloire, corrompus et immoraux, avaient failli. En hâte, on changeait l’ère du calendrier pour revenir à l’An 1 d’une nouvelle époque ».

J’espère très sincèrement que nous saurons faire advenir l’An 1.

la fierté arabe retrouvée est une chance… à ne pas gâcher

L’aspiration à la liberté et à se gouverner soi-même est donc universelle ! Cette bonne nouvelle qui nous vient du « printemps arabe » devrait être d’évidence… mais ne l’est manifestement pas pour tout le monde.

Notre président, dans une même allocution de 7 minutes,  a réussi  à commencer par se réjouir des avancées démocratiques des pays arabes et à terminer par craindre les flux migratoires et le terrorisme. D’autres depuis ont repris le même parallélisme  entre démocratisation et montée des périls.

Oui les peuples qui se libèrent éprouvent le besoin viscéral d’user de leur liberté pour aller et venir. Ne voit-on pas le risque que nous prendrions à tenter de fermer  les frontières à la place … des dictateurs déchus ?!  L’Europe ne peut pas se calfeutrer chez elle  en attendant que les peuples méditerranéens libérés  développent leurs économies locales fournissant du travail à tous leurs habitants. Le développement viendra justement de l’ouverture, des allers retours que les habitants du Maghreb pourront faire entre les deux rives de la Méditerranée.  Serons-nous assez sages pour faire le même pari que Kohl  avec la réunification immédiate de l’Allemagne quand beaucoup lui conseillaient la prudence et la progressivité ? Donnons dès maintenant une réelle consistance à cette Union pour la Méditerranée, non pour contrôler les flux migratoires mais pour concevoir un co-développement des deux rives qui  s’appuie sur la fierté retrouvée et non sur notre méfiance… rance.

Cette fierté arabe qui s’exprime avec tant de bonheur est une formidable bonne nouvelle. Ce n’est en effet pas une fierté musulmane qui s’est exprimée, la religion est restée en retrait. On voit bien à quel point les craintes vis-à-vis de l’islamisme étaient exagérées. Il faut garder en mémoire ces femmes du Caire qui remettaient en état la place Tahrir dès le lendemain du départ de Moubarak. Elles peignaient, plantaient des fleurs, nettoyaient avec une joie évidente de contribuer à l’œuvre de renouveau qui commençait. C’était l’image d’une société ouverte, gaie et responsable. Oui, les incertitudes restent nombreuses sur l’avenir de ces mouvements. La situation de la Lybie est tragique. Mais encore une fois la fierté manifestée par les peuples du bassin méditerranéen est une ressource nouvelle qu’il faut cultiver : croire en eux plutôt que montrer notre méfiance est le meilleur moyen de les soutenir.

Allons plus loin. J’espère sincèrement que cette fierté va traverser la Méditerranée et donner à tous les jeunes qui ont leurs racines familiales dans ces pays le courage de secouer la soi-disant  fatalité de leur marginalisation. N’est-ce pas finalement ce qui est le plus  à espérer pour nous européens ? Que les secousses du monde arabe trouvent leur écho dans nos banlieues pour exiger, tout aussi pacifiquement qu’en Tunisie ou en Egypte, une démocratisation de nos sociétés ?  C’est sans doute plus difficile car il ne s’agit pas de faire tomber un dictateur mais des préjugés. Oui, il faudra bientôt revenir, pour de vrai cette fois, à ce fameux « plan Marshall des banlieues », toujours promis et jamais réalisé.

Vacance du pouvoir

En naviguant dans le foisonnement des tribunes du monde.fr, je suis tombé l’autre jour sur un papier réjouissant d’un auteur belge, Frank De Bondt, à propos de la « crise » belge. Il nous dit : « Au lieu de compatir aux malheurs de cette pauvre Belgique, ne serait-il pas plus judicieux de la donner en exemple à tous ceux qui en ont soupé des discours souverainistes, nationalistes et autoritaires ? […] La leçon donnée par la Belgique, s’il y en a une, est celle d’un pays capable de se conduire seul, où les citoyens ont appris à se gouverner comme des adultes responsables. N’est-ce pas l’objectif que devrait poursuivre toute démocratie ? »

Il s’amuse de voir que les Français semblent plus inquiets que les Belges de cette situation de vacance du pouvoir. Pour ceux qui croient à la politique, à l’importance des gouvernements, il est clair que la situation belge crée un malaise. On peut donc se passer d’un premier ministre de plein exercice.  La vacance du pouvoir en Belgique ne révèle-t-elle pas,  en creux ( !),   la vacuité du pouvoir politique des Etats ? Vacance, vacuité, vanité : trois mots pour parler du vide. Si l’Ecclésiaste affirme que tout est vanité, nous restons pourtant des « croyants » en matière politique. Sarkozy ou Obama, pour ne parler que de nos derniers emballements collectifs, devaient changer la politique. Malgré les grandes différences d’approche des deux hommes, leur volontarisme n’a pas résisté à la force des choses.

Thierry Crouzet, qui a beaucoup écrit sur la transformation du pouvoir à l’heure d’Internet, croit que « la solution ne peut plus venir d’un homme providentiel (ou d’une femme). Elle doit être distribuée entre une multitude d’individus. Il n’y a pas une idée miracle mais une multitude d’idées intéressantes et qui valent la peine d’être expérimentées. C’est la démerdocratie ». Le mot n’est pas génial parce qu’il laisse trop penser que ce sont les individus qui peuvent agir (se démerder) et que ça passe avant tout par internet. Pour autant l’essentiel est bien vu : n’attendons pas LA solution d’en haut, construisons DES solutions en nous reliant de proche en proche, en articulant rencontre locale et connexion à distance.

Vive la leçon belge ! Elle nous invite à nous gouverner nous-mêmes.

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