Contagion

Un retour sur le mouvement démocratique qui secoue le monde arabe en s’intéressant au terme de « contagion » employé pour en parler dans les médias et en s’interrogeant du même coup sur notre propre rapport à la démocratie.

J’évite en règle générale de commenter l’actualité sur laquelle je ne sais rien de plus que ce qui s’écrit ou se dit ici et là. Je n’aurais donc pas commenté les récents événements tunisiens (et maintenant égyptiens ?), s’il ne s’agissait pas tout simplement de notre rapport à la démocratie. Et puis un mot m’a frappé comme beaucoup de gens, celui de contagion pour parler de la possibilité  d’une extension du mouvement aux autres pays arabes. C’est ce fil que j’ai eu envie de tirer. Il nous amène à réfléchir à une toute autre contagion, réellement menaçante celle-là.

Même utilisé de façon métaphorique, le terme de contagion employé pour parler de la démocratie montre au mieux les réflexes hygiénistes de nos sociétés, au pire la manifestation d’une crainte pour tout ce qui vient déranger l’ordre immuable des choses dans un monde où l’on vante pourtant le changement permanent (en fait l’adaptation permanente des individus aux mutations imposées par les organisations). Sur le site de France-Culture, quelqu’un proposait d’autres mots que contagion : extension, transmission, élan. J’aime bien ELAN, ça me fait penser à Jacqueline de Romilly et à son « Elan des citoyens », l’association qu’elle avait soutenue justement pour que les citoyens se réapproprient la démocratie.

Sur le fond de l’affaire, je crois à la force d’entraînement de l’exemple tunisien, même si les obstacles à surmonter sont bien différents d’un pays à l’autre. Un ami, bon connaisseur des trois pays du Maghreb, doutait de la possibilité d’aboutir au même résultat qu’en Tunisie, même si la révolte pouvait gagner l’Algérie et le Maroc. Pour lui, l’enjeu du pétrole en Algérie ou la présence américaine au Maroc risquent  d’inciter la « communauté internationale » à préférer la stabilité de régimes amis, même peu démocratiques.

Rares sont les régimes, même soutenus de l’extérieur, qui parviennent à résister face à la pression de la rue quand le moment est venu. Rappelons-nous le jeu de dominos de l’Europe de l’Est. On oublie que « la chute du Mur » n’a pas été un événement instantané. Les pays se sont ouverts les uns après les autres et chacun se demandait si ça pouvait continuer, si l’Union soviétique allait laisser faire. On supputait de l’importance stratégique de la Pologne, de l’Allemagne de l’Est ou des Pays baltes. Ils ont tous franchi le Rubicon. L’élan était trop puissant pour être arrêté. En est-on là au Maghreb et plus largement dans le monde arabe ? J’ai tendance à le penser.

On s’est trop habitué à croire les régimes politiques quasi-immuables, et particulièrement les nôtres. C’est assez paradoxal de voir que notre civilisation accepte que tout bouge tout le temps sauf notre organisation politique, qui serait selon le mot agaçant de Churchill « le pire des régimes à l’exception de tous les autres ». Cette formule qu’on ne discute plus est pourtant triplement discutable. D’abord parce qu’elle fait preuve d’une fausse modestie : on ne prétend pas à l’excellence mais au « moins pire », or une arrogance qui ne s’assume pas est à mon avis pire que la forfanterie.  La formule ensuite disqualifie tous les autres régimes possibles : qui aurait en effet envie d’aller voir pire que le pire régime ? On n’est pas dans la concurrence mais bien dans la disqualification a priori. Il n’y a donc plus rien à penser, la démocratie devient un état de fait alors qu’on sait en réalité qu’elle est une construction jamais achevée. Enfin, même « à l’exception de tous les autres », on dit malgré tout que la démocratie est le pire des régimes. Trait d’humour anglais au départ, la formule à force d’être répétée, devient le signe du cynisme et de la suffisance des régimes installés dans une démocratie de confort, effectivement bien loin des élans qui animent aujourd’hui la rive sud de la Méditerranée.

Nous faisons trop comme si nos démocraties étaient exemplaires.  La liste serait pourtant longue de nos faux-semblants démocratiques, surtout si l’on regarde au-delà du régime politique proprement dit pour envisager les dynamiques sociales, notre capacité collective à construire du « vivre ensemble ».

Je crains donc une tout autre contagion que celle évoquée à propos de la Tunisie. Il ne me paraît pas impossible qu’on assiste à l’abandon progressif, dans les 15 ans qui viennent, du modèle démocratique dans les pays occidentaux. Nous l’avons en effet tellement dévitalisé qu’il risque de ne plus être défendu de l’intérieur. Les crises encore à venir (écologiques, sociales, géopolitiques tout autant que financières et économiques) vont continuer à saper la confiance dans un régime apparemment sans prise avec les réalités (ou pire qui semble s’accommoder de la désespérance d’une part sans cesse plus grande de la population).  Je me demande si l’attrait que la démocratie exerce encore sur les peuples asservis ne tient pas  de la persistance de la lumière des astres morts. Déjà la Chine se tourne vers le néo-confucianisme plutôt que vers la démocratie comme option pour sortir de la dictature communiste de marché.

Et si c’était chez nous qu’il fallait organiser la « contagion » du réveil tunisien ?

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Auteur/autrice : Hervé CHAYGNEAUD-DUPUY

Je continue à penser que l’écriture m’aide à comprendre et à imaginer.

Une réflexion sur « Contagion »

  1. Bravo Hervé, je suis tout à fait d’accod avec tout ce que tu dis, c’est même ce qui m’est venu à l’esprit en reardant les infos il y a quelques jours. Ce qui est contagieux est forcément dangereux et la démocratie est en train de perdre de sa substance en Europe du fait de la peur généralisée, d’une angoisse de fond qui lamine le mental de ceux qui ont beaucoup plus qu’ailleurs.

    Continue avec ce blog, ça fait du bien !

    A mercredi sur Quiberon
    Catherine

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