Big Society, laboratoire anglais de la citoyenneté entreprenante

Quelques rares papiers dans la presse écrite en juillet, au moment du discours de Liverpool sur le sujet, et c’est à peu près tout. Si vous êtes passés à côté du projet de « Big Society » de David Cameron, le nouveau premier ministre anglais, c’est normal ! De toute façon la manière dont était présentée cette Big Society était tout sauf attractive. En résumé le gouvernement conservateur était en train de supprimer les services publics en disant aux Anglais de remplacer eux-mêmes les services démantelés. Les observateurs mettaient en doute la volonté du gouvernement de transformer radicalement la société britannique. Pour eux c’était une manière plutôt insidieuse de réduire le déficit budgétaire.

Pourtant à peine quatre mois après la formation du gouvernement Conservateur/Lib Dem, la police, le système de soins et le système éducatif sont profondément transformés. Partout, du pouvoir de décider et de faire est donné aux gens et à leurs associations. La Big Society Bank va financer les entrepreneurs sociaux  et des partenariats public/privé/associatif centrés sur l’innovation sociale avec les fonds d’épargne dormants. Un nouveau statut d’organisation, le « public interest company » voit le jour. Des « community organisers » vont être formés. Un service civique est prévu.

C’est l’empowerment pris au sérieux : à grande échelle et sur des sujets qui touchent vraiment les gens, que ce soient la sécurité la santé ou l’école. On est bien dans l’esprit de ce que les Ateliers de la Citoyenneté ont imaginé depuis une dizaine d’années sans susciter beaucoup d’écho au sein de nos institutions. Gauche et droite françaises seraient bien inspirées d’aller voir ce qui s’invente Outre-Manche. La gauche aurait tort de réduire l’expérience à un retour du thatchérisme, la droite aurait beaucoup à apprendre sur la confiance qu’on peut accorder aux citoyens. Je crains qu’on préfère une fois de plus se contenter de caricaturer. Il est sans doute trop tôt pour savoir si « ça marche » mais il est déjà certain qu’il y aura beaucoup à apprendre sur la place que veulent et peuvent prendre les citoyens dans le pilotage de leur vie.

Pour en savoir plus : Le projet tel que le présente le gouvernement anglais.

Eloge de l’expérimentation sociale… et du bouclier fiscal ?

Dans Secrets de fabrication, Martin Hirsch fait l’éloge de l’expérimentation sociale. Si on sait qu’il a commencé le RSA en l’expérimentant dans plusieurs départements avant de lancer sa généralisation, on a moins entendu parler des multiples expérimentations qu’il a initiées en tant que Haut-Commissaire, en dehors peut-être de celle qui a fait des vagues parce qu’elle a été présentée comme une rémunération de la présence à l’école. Avec l’expérimentation, l’idée est de rompre temporairement l’égalité entre français pour tester auprès de certains si une aide a, ou non, les résultats attendus. On compare à l’issue du test si la situation des personnes ayant bénéficié de la mesure expérimentée s’est améliorée par rapport au groupe témoin n’en ayant pas profité. Les protocoles suivis ressemblent aux tests effectués avant la mise en marché d’un médicament. Les expérimentations permettent de tester des démarches diverses, comme le « livret de compétences » pour éviter la seule évaluation par les notes ou la « mallette des parents » pour réintroduire les parents dans le jeu éducatif au collège,…

Cette tendance à tester l’efficacité relative de diverses solutions possibles à un problème social peine à se développer alors même que des économistes comme Esther Duflo en ont souligné tout l’intérêt. Hirsch rappelle ainsi que le « permis à un euro » était censé aider les jeunes dans leur insertion mais qu’il a fait « un flop magistral ». Il conclue que « si le système de prêt avait été expérimenté on aurait pu savoir que les procédures étaient si compliquées que les jeunes ne pouvaient y avoir recours ». On aurait gagné du temps, de l’argent et de la crédibilité. Hirsch écrit à juste titre : « face à des problèmes récurrents, il vaut mieux expérimenter plusieurs solutions pendant deux à trois ans que de voter tous les ans une loi nouvelle, un plan nouveau et de ne jamais savoir pourquoi rien ne change ».

Hirsch pointe trois problèmes : le temps nécessaire à l’expérimentation, le manque de visibilité politique de ces démarches de fond, le coût de ces mesures et du protocole d’évaluation. Il y faudrait des ressources nouvelles impossibles à demander à l’impôt en période de crise et difficiles à obtenir par redéploiement des politiques existantes. Il n’explore par une voie de financement qui me parait pourtant particulièrement indiquée : celle d’un impôt sur la fortune affecté aux expérimentations sociales. Un système hybride entre la culture américaine des fondations et la culture française de l’impôt.

Je suis toujours frappé de constater que les grands patrons français ont su se rapprocher des niveaux de rémunération des patrons anglo-saxons mais qu’ils n’ont pas dans le même temps adopté les mêmes principes éthiques qui « obligent » les Bill Gates, Warren Buffett  et consorts à consacrer une part significative de leur fortune à des œuvres d’intérêt social. En France, nos grands patrons se prennent plus volontiers pour des mécènes en constituant des collections d’art contemporain sans bénéfice manifeste pour la société française.

Ne pourrait-on pas imaginer une nouvelle forme de bouclier fiscal ? Au lieu de rendre ces quelques centaines de millions d’euros chaque année, l’Etat ne pourrait-il pas les restituer sous la condition qu’ils soient investis dans des fondations qui mèneraient les expérimentations sociales qu’il peine à financer sur son budget ? On ferait une triple opération positive :

  • les expérimentations seraient conduites avec l’appui de fondations à même de mobiliser des talents venant d’univers différents capables d’insuffler aux projets soutenus leur créativité et leur professionnalisme ;
  • les détenteurs de grandes fortunes retrouveraient aux yeux des citoyens une légitimité sociale qu’ils ont largement perdue, ils pourraient montrer par leur investissement personnel dans les projets financés qu’ils vivent bien encore dans la même société que leurs contemporains ;
  • l’Etat disposerait en permanence d’un laboratoire sociétal dans lequel il pourrait puiser en articulant au mieux le temps long de l’expérimentation qui ne serait pas à sa charge et le temps court de l’action politique qui nécessite réactivité dans la prise de décision et visibilité des mesures prises.

Ne gagnerait-on pas à voir la rivalité entre M. Arnault et M. Pinault s’exprimer au travers de la promotion sur les plateaux de télévision des dernières avancées de leurs fondations d’expérimentation sociale plutôt que par les traces architecturales qu’ils cherchent à laisser ?

la santé, une question ô combien persopolitique

La première rencontre des INITIALES organisée par les Ateliers de la Citoyenneté a été consacrée à la santé, avec notamment l’initiative de « Réseau santé », malheureusement aujourd’hui en perte de vitesse. L’idée était simplissime : la santé est une question éminemment personnelle et pourtant les politiques de santé publique ne voient dans les personnes que des patients à soigner ou au mieux des citoyens à éduquer. Réseau santé montrait concrètement que les gens pouvaient s’entraider pour mieux prendre en compte leur bien-être et leur santé. Basique ! mais si peu accompagné par les professionnels de santé et les pouvoirs publics. D’où mon intérêt pour le texte de Dominique Boullier paru dans Cosmopolitiques sur la mobilisation des compétences citoyennes dans un plan « santé environnement » en Bretagne. En voici un extrait :

Si l’on veut que le plan soit durable, il faut être plus audacieux que cela et faire un vrai travail de changement des modes d’intervention permanent du public et des citoyens sur les questions santé/ environnement.
Si nous partions d’un autre pari (pas plus fou que celui qui consiste à dire que l’on peut sensibiliser et éduquer tout citoyen), qui consisterait à dire que les citoyens savent et font déjà beaucoup de choses ?
Si l’on prend au sérieux leurs savoirs traditionnels (non mentionnés dans aucun rapport des groupes de travail) qui gardent toute leur influence et aussi toute leur efficacité (notamment en matière d’habitat, de cultures, d’alimentation, mais aussi de soins naturels),
si l’on prend au sérieux toute leur activité d’automédication, impressionnante mais toujours décriée ou crainte, surtout par les médecins et les groupes pharmaceutiques,
si l’on prend au sérieux tous les réseaux interpersonnels d’entraide, autour de maladies rares par exemple, qui sont désormais équipés avec internet sous forme de forums, de réseaux sociaux, mais qui ont leurs équivalents dans les relations face-à-face,
alors nous pourrons mobiliser une énergie puissante, un soif de connaissance et d’action qui a fini par être confisquée par les experts.

Le texte complet est

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