Ce qui est personnel est politique

Trouvé dans un article consacré au voile, publié sur Le Monde.fr en février, une belle définition de ce que doit être la politique aujourd’hui par Isabelle Stengers et Philippe Pignarre. Tous les anciens des Ateliers de la Citoyenneté se retrouveront sans doute dans ces mots : « il s’agit d’apprendre, d’expérimenter, de créer de la pensée et de l’action en commun ». Et puis, pour un blog dénommé Persopolitique, difficile de résister à l’expression employée par les auteurs : « ce qui est personnel est politique » !

Ce sont justement les mouvements féministes qui nous ont appris une autre manière de faire de la politique, avec l’invention de ces groupes où il s’agissait de produire une situation rendant capable de penser, de dire, pour chacune et avec les autres, comment ce qui est personnel est politique. C’est là que s’est fait le premier apprentissage des manières, on dira même des techniques, qui produisent une capacité de penser et agir ensemble sur un mode qui est celui de l’intelligence collective. Loin de toute transcendance qui détache et abstrait, qui permet de juger au nom de quelque chose de général, il s’agit alors d’apprendre, d’expérimenter, de créer de la pensée et de l’action en commun, même si cela ne va jamais de soi. Même si ce n’est jamais facile.

Cela suppose de ne pas croire tout savoir sur les raisons pour lesquelles une femme porte le foulard et accepter d’entrer dans un processus de cohabitation et d’apprentissage. Cela revient à ne plus se comporter en juges mais en aventuriers de la démocratie.

Le principe de précaution, principe d’expérimentation collective

J’aime la façon dont Bruno Latour se saisit de tous les sujets pour tenter de faire comprendre les principes de l’écologie politique. J’ai trouvé dans l’excellente revue Cosmopolitiques un billet sur le film de James Cameron Avatar où il explique une nouvelle fois le si controversé principe de précaution. C’est lumineux !

Le temps de l’avancée inéluctable du progrès est terminé : il nous faut réussir à conjoindre deux passions opposées jusque là : le gout de l’innovation et celui de la précaution.On comprend que le principe de précaution suscite les interprétations les plus diverses et les inimitiés les plus fortes. C’est qu’il a, comme le mythe de Cameron, toute l’ambiguïté d’un symptôme. C’est ce qui explique qu’il reste indéchiffrable aussi bien par ceux qui veulent l’appliquer à tout que par leurs adversaires qui veulent l’effacer de la Constitution. Les premiers en font un principe d’inertie et d’abstention : tant que nous ne sommes pas absolument certains qu’il n’y a pas de risque, nous devons refuser d’introduire quelque innovation que ce soit. Les seconds en font une barrière à la créativité qu’il faut lever daredare : tant que nous ne sommes pas absolument certains qu’il y a un risque, il n’y a aucune raison de nous arrêter d’innover. Les deux camps sont d’accord au moins sur une chose : l’action n’est possible qu’après la connaissance absolue.Or, ce que nie le principe de précaution c’est justement qu’il faille attendre une connaissance absolue pour agir. Nous sommes obligés d’agir d’abord, à tâtons, pour pouvoir ensuite réviser nos certitudes. Oui, il faut bien l’admettre, ce principe est relativiste : l’action ne peut jamais être fondée sur une connaissance préalable complète et totale. Ce n’est pas dans cinquante ans, quand nous aurons enfin la connaissance pleine et entière des causes du réchauffement climatique, qu’il convient d’agir, mais maintenant fut-ce en l’absence de certitudes absolues. Pour tout dire, le principe de précaution devrait plutôt s’appeler principe d’expérimentation collective. Son application repose en effet sur la rapidité avec laquelle une société se donne les moyen d’apprendre des conséquences inattendues de ses actions. C’est donc un principe de vigilance, d’attention à l’enquête, de construction de capteurs idoines, de révision rapide des hypothèses. Bref, un principe éminemment scientifique. A condition de définir la science par l’enquête collective et non par la Raison avec un grand R.

… à retrouver en entier sur le site de Cosmopolitiques