Enervant ce rapport ! Des intuitions fortes sur la primauté de la question démocratique sont gâchées par une approche extrêmement classique de la croissance. Résultat : l’appel à une « démocratie de la confiance », auquel je souscris pleinement, ne trace pas réellement les perspectives d’un modèle démocratique renouvelé. Un coup pour rien ? Peut-être pas…
Enervant ce rapport ! Des intuitions fortes sur la primauté de la question démocratique sont gâchées par une approche extrêmement classique de la croissance avec seulement des ajustements à la marge en matière d’environnement. Résultat : l’appel à une « démocratie de la confiance », auquel je souscris pleinement, ne trace pas réellement les perspectives d’un modèle démocratique renouvelé.
Un coup pour rien ? Peut-être pas…
Rien de très neuf donc, sur le fond, dans le rapport du commissaire général à la stratégie et à la prospective, Jean Pisani-Ferry. Le rapport intermédiaire le laissait déjà craindre, avec cette obsession de retrouver la croissance comme seule manière de sortir de la crise sans un mot ou presque sur la transition écologique. Le rapport remis le 25 juin ne fait plus l’impasse mais continue à considérer la question environnementale comme une contrainte à prendre en compte plutôt que comme le point de départ d’un nouveau modèle. Je trouve symptomatique que l’évocation de l’économie collaborative soit faite dans le chapitre… qui ne parle pas d’économie ! La dernière phrase, signalée par moi en gras, indique bien que les liens ne sont pas faits entre démocratie et économie. Or c’est par des liens assumés et promus que la croissance changera de sens, et pas seulement par un appel à une économie sobre en carbone !
Cette évolution de l’engagement traduit une nouvelle quête de lien social. Elle conduit aussi à l’émergence de modes alternatifs de consommation et de production, liés à l’essor des réseaux sociaux et qui traduisent un engagement éthique. En cela, elle permet le développement d’une nouvelle économie, qui rend plus poreuse la frontière entre l’engagement solidaire et l’économie. Par exemple, l’« économie collaborative » repose sur le partage ou la location d’un bien ou d’un service (covoiturage, partage de locaux, etc.), sur le recyclage (vente d’objets d’occasion) ou sur le financement participatif (prêts entre particuliers, etc.). À dix ans, cette tendance devrait continuer à s’amplifier, ce qui rend d’autant plus urgent d’évaluer les retombées socioéconomiques et environnementales de ces comportements.
Pour qu’économie et démocratie interagissent vraiment, il s’agit moins de lancer une évaluation que de réorienter radicalement l’innovation, que le rapport considère à juste titre comme la clé de la croissance. Mais elle reste centrée sur l’industrie et la technologie, comme dans le modèle actuel. Toujours pas de financement pour l’innovation sociale à la hauteur des enjeux. Ce n’est pourtant pas une mince affaire que de réorienter massivement les activités humaines vers des activités qui développent le pouvoir d’agir plus que le pouvoir d’achat !
Venons-en à ce qui constitue pour moi le point le plus neuf du rapport : son appel à une démocratie de la confiance. Voici quelques extraits du rapport. Je trouve intéressant de reprendre les mots même de l’auteur.
Depuis un quart de siècle, les gouvernants se sont attachés à moderniser la France à petits pas, en bornant le rythme et l’ampleur de leurs initiatives à ce qu’ils jugeaient acceptable pour le corps social.
L’efficacité fait défaut lorsque les corrections sont trop partielles pour fixer des principes pérennes susceptibles d’être intériorisés par les agents économiques et sociaux et de guider leurs anticipations.
La France a besoin d’une méthode de réforme qui dépasse l’alternative entre une circonspection paralysante et un radicalisme oublieux des exigences de la démocratie politique et sociale.
Hum… formule apparemment pleine de bon sens, mais cette manière de déconsidérer toute forme de radicalité au prétexte qu’elle ne pourrait être qu’un passage en force est le signe d’un conservatisme à la Tancrède « tout changer pour que rien ne change » !
Poursuivons cependant le fil du raisonnement de Pisani-Ferry. Le point suivant est clé et j’y souscris sans réserve :
Il ne va pas de soi qu’il faille donner une réponse politique à des dysfonctionnements économiques, à des souffrances sociales et à un malaise de la société. L’anémie de la croissance et le niveau élevé du chômage semblent d’abord appeler des réponses directes, au point que certains pourraient considérer tout investissement dans des réformes institutionnelles comme une sorte de distraction à l’égard des priorités essentielles. Ignorer la dimension politique de la crise que nous traversons serait cependant une erreur.
La France est tiraillée par le doute et les forces centrifuges, il est primordial de ressouder son unité sur les valeurs qui fondent son pacte républicain et de retrouver confiance dans les institutions politiques qui forment l’armature de sa démocratie. C’est donc bien à une réforme de notre démocratie qu’il nous faut aujourd’hui procéder pour renouer les fils de notre confiance dans l’avenir en réhabilitant le politique.
Trois leviers d’action doivent être mobilisés à cette fin :
celui des institutions, dans le but de revivifier la démocratie représentative, en permettant un renouvellement des élites, en simplifiant la structure de l’exécutif et en clarifiant fortement l’articulation entre la loi et le règlement ;
celui de l’organisation des pouvoirs, à tous les échelons, afin qu’ils soient plus responsables et plus transparents, ce qui implique en particulier une vigoureuse reconfiguration de la carte et des strates de notre démocratie locale ;
celui de la société civile, avec une meilleure articulation entre la loi et la démocratie sociale, la promotion de l’engagement citoyen, au travers de l’essor des pratiques participatives et d’une meilleure reconnaissance de l’engagement bénévole et associatif.
Hélas, ces trois leviers ne sont pas à même de « réformer la démocratie » ! Au mieux peuvent-ils éviter ses dérives les plus criantes. Les leviers imaginés ne touchent qu’à l’organisation des pouvoirs publics. Même le troisième – promouvoir l’engagement citoyen et social – manque cruellement de consistance. Il semble avoir été écrit pour délimiter les rôles de chacun : pouvoirs publics, partenaires sociaux, associations et citoyens. Aucune idée neuve pour développer le pouvoir d’agir dans la société et faciliter la constitution d’alliances locales au service du bien commun.
On comprend cette posture finalement conservatrice en lisant ce paragraphe, peu commenté, qui justifie pour l’auteur le choix de mettre la question démocratique en tête du rapport
Les institutions, c’est ce qui fait la force des nations. Historiens, économistes et politologues soulignent qu’en définitive, ce n’est pas en raison de ses richesses matérielles ou même du niveau d’éducation de sa population que tel pays connaît la prospérité tandis que tel autre s’enferme dans le sous-développement, mais bien plutôt à cause de la qualité de leurs institutions respectives. L’expérience montre que si celles-ci promeuvent la confiance, la coopération et l’initiative, il est possible, en quelques décennies, de passer de l’extrême pauvreté à un statut d’économie avancée. Malheureusement, il est également possible de faire le chemin inverse.
La clé est là : toute la réflexion est centrée sur les institutions. Or le mot même d’institution est significatif : il vient du latin stare qui signifie être debout, être immobile, demeurer ferme, tenir. Ce qui devrait être central, c’est ce qui est ENTRE les institutions : les liens, les alliances, le jeu (au sens du mouvement permis quand une articulation n’est pas fixe)…
Le rapport en appelle au débat et à l’expérimentation plutôt qu’à l’application de mesures prêtes à l’emploi. Là, on ne peut qu’être d’accord ! Oui débattons et expérimentons ! et surtout montrons que les Français sont beaucoup plus capables d’invention que ce qui ressort de ces lignes si peu différentes au fond de celles qui les ont précédées dans les rapports Attali, Balladur, Jospin,…
Le seul moyen de voir si les Français ont une réelle capacité à penser la démocratie… c’est de leur en donner l’occasion. Le G1000, l’assemblée de citoyens tirés au sort (que nous préparons désormais activement avec Patrice Levallois et la petite équipe réunie autour du projet) pourra être cette occasion. Rendez-vous en septembre pour le lancement !