Nous avons besoin d’élire un président modeste. Un président qui sait qu’il ne peut rien tout seul et qui l’assume vraiment. Pas un président normal pour autant, on a vu ce que ça a donné en 2012. Il faut un président exceptionnel par la conscience qu’il aura du moment. Un peu comme est en train de le montrer Jo Biden. Le seul moyen d’avoir un président modeste en France, compte tenu de notre régime politique, est qu’il soit élu… avec une forte dose de hasard. Il ne doit pas croire que c’est par son seul mérite, on a aussi vu ce que ça a donné en 2017. La seule élection improbable aujourd’hui est l’élection d’un président de gauche. Heureusement les prétendant.e.s ont compris – tou.te.s – qu’il fallait allier écologie, justice et démocratie. C’est clairement ce dont nous avons besoin. Quand on étudie les imaginaires dominants des Français, l’utopie écologique arrive en tête, devant l’utopie sécuritaire et l’utopie techno-libérale. Or seules ces deux dernières seraient représentées au deuxième tour si rien ne venait changer le cours des choses. Une telle situation discrédite gravement notre système de sélection du personnel politique. Nous ne pouvons pas nous résoudre à ce que pour la troisième fois en vingt ans, le choix démocratique soit réduit au simple rejet du pire. La politique en pâtit gravement.
Beaucoup d’initiatives citoyennes tentent de peser sur les programmes sans doute en pure perte. D’abord parce que c’est le plus sûr moyen de mettre en avant les divisions et de ne pas parvenir à avoir un candidat commun (à quoi sert un programme si on est désunis ?). Ensuite parce que les programmes n’ont pas de sens en période de forte incertitude. Les priorités, on demandera au successeur du Covid-19 et à la très pressante Transition de nous les dicter au fur et à mesure. Le président, le Parlement et les conventions citoyennes s’adapteront pour garder le cap. Seule la tempête est sûre, nous avons donc davantage besoin de navigateurs que de programmateurs. Seul le cap compte et la détermination à avancer avec et contre le vent.
Ce qu’il faut donc avant tout à ce stade, c’est de rendre possible cette élection improbable sans que ce soit par le seul mérite de l’un ou de l’autre. Voilà l’enjeu pour avoir le président modeste et exceptionnel exigé par les circonstances. Rappelons-le, nous avons la décennie pour réussir une transition d’une ampleur jamais vue et, en 2022, Il ne restera que 8 ans. Le temps presse.
Comment déjouer le sort et les sondages déjà bloqués sur le duel Macron-Le Pen ? Comment élire un président adapté aux circonstances quand les prétendants sont enchaînés par le dilemme du prisonnier[1]. Comme les prisonniers de la fable, les forces progressistes doivent toutes coopérer pour atteindre l’une des deux premières places indispensables pour être au second tour mais aucun candidat n’a intérêt à se sacrifier pour les autres. Si nous laissons faire, ils n’ont aucune chance de victoire. Il faut un deus ex machina et en démocratie le peuple seul est ce deus, comme dit Rousseau. Nous devons être des millions à exiger qu’il n’y ait qu’un candidat. Si nous sommes des millions, chacun sera obligé d’en tenir compte sans avoir pour cela à se déjuger ou à perdre la face. Le peuple aura parlé. C’est l’œuf de Colomb.
Contrairement aux tentatives laborieuses et chronophages de candidatures citoyennes des élections de 2017 qui n’eurent aucun succès malgré l’intérêt de la démarche, il est beaucoup plus « simple » de se battre sur un objectif volontairement limité à la désignation du candidat. Pas de programme à élaborer, pas d’inconnu à mettre sur la scène, pas de primaires qui aboutissent à faire désigner par les plus militants le candidat le plus identitaire mais le moins rassembleur (Fillon à droite Hamon à gauche). Si l’appel à une candidature unique est massivement soutenu, la désignation peut alors s’opérer par la voie démocratique la plus appropriée, le tirage au sort ayant ma préférence, toujours dans le but d’avoir un président modeste qui ne pourra pas se prévaloir de ses mérites pour son élection. On peut aussi bien recourir au vote préférentiel qui permet le classement des candidats plutôt que leur sélection. Concentrons-nous pour le moment sur l’essentiel : obtenir des millions de signatures à un appel citoyen exigeant une candidature unique correspondant à l’imaginaire écologique dans lequel se reconnaissent, chacun à leur manière, tous les prétendants à la gauche de Macron. C’est simple et, ça tombe bien, cet appel existe. Il peut être signé ici.
D’autres initiatives existent, certaines beaucoup plus médiatiques, mais elles ne parviennent pas à se concentrer sur la seule chose qui compte à ce stade : avoir un autre choix que le duel Macron Le Pen qui ne correspond pas au moment que nous vivons. Nous aurons tout le temps ensuite de faire de la politique, d’exprimer des préférences, des nuances, des exigences mais si nous commençons par ça nous serons sûrs d’une chose : rien ne changera et les électeurs devront se résigner une fois de plus à ne voter que par défaut. Je crains que cette fois-ci le Rassemblement national fasse figure d’alternative au statu quo. Vous avez forcément entendu la petite musique : « il ne reste que cette solution qu’on n’a pas essayée… ». Il nous appartient de rouvrir le jeu. C’est assez urgent…
[1] Chaque prisonnier est incapable de coopérer avec les autres prisonniers parce qu’il a plus à perdre s’il est trahi par ses rivaux-partenaires que s’il coopère alors même que la coopération est pourtant la seule possibilité de libération. Face à l’incertitude sur l’attitude des rivaux, le choix est sous-optimal.