Présidentielles 2022 : hasard et modestie

Mon propos ne vise pas à soutenir un camp politique mais à rouvrir le jeu pour sortir de l’impasse dans laquelle risque de nous mener un duel Macron Le Pen dont on ne peut pas assurer que l’actuel président sortirait à nouveau vainqueur. Nos imaginaires politiques ne se limitent pas au libéralisme et à l’identitarisme.

Nous avons besoin d’élire un président modeste. Un président qui sait qu’il ne peut rien tout seul et qui l’assume vraiment. Pas un président normal pour autant, on a vu ce que ça a donné en 2012. Il faut un président exceptionnel par la conscience qu’il aura du moment. Un peu comme est en train de le montrer Jo Biden. Le seul moyen d’avoir un président modeste en France, compte tenu de notre régime politique, est qu’il soit élu… avec une forte dose de hasard. Il ne doit pas croire que c’est par son seul mérite, on a aussi vu ce que ça a donné en 2017. La seule élection improbable aujourd’hui est l’élection d’un président de gauche. Heureusement les prétendant.e.s ont compris – tou.te.s – qu’il fallait allier écologie, justice et démocratie. C’est clairement ce dont nous avons besoin. Quand on étudie les imaginaires dominants des Français, l’utopie écologique arrive en tête, devant l’utopie sécuritaire et l’utopie techno-libérale. Or seules ces deux dernières seraient représentées au deuxième tour si rien ne venait changer le cours des choses. Une telle situation discrédite gravement notre système de sélection du personnel politique. Nous ne pouvons pas nous résoudre à ce que pour la troisième fois en vingt ans, le choix démocratique soit réduit au simple rejet du pire. La politique en pâtit gravement.

Beaucoup d’initiatives citoyennes tentent de peser sur les programmes sans doute en pure perte. D’abord parce que c’est le plus sûr moyen de mettre en avant les divisions et de ne pas parvenir à avoir un candidat commun (à quoi sert un programme si on est désunis ?). Ensuite parce que les programmes n’ont pas de sens en période de forte incertitude. Les priorités, on demandera au successeur du Covid-19 et à la très pressante Transition de nous les dicter au fur et à mesure. Le président, le Parlement et les conventions citoyennes s’adapteront pour garder le cap. Seule la tempête est sûre, nous avons donc davantage besoin de navigateurs que de programmateurs. Seul le cap compte et la détermination à avancer avec et contre le vent.

Ce qu’il faut donc avant tout à ce stade, c’est de rendre possible cette élection improbable sans que ce soit par le seul mérite de l’un ou de l’autre. Voilà l’enjeu pour avoir le président modeste et exceptionnel exigé par les circonstances. Rappelons-le, nous avons la décennie pour réussir une transition d’une ampleur jamais vue et, en 2022, Il ne restera que 8 ans. Le temps presse.

Comment déjouer le sort et les sondages déjà bloqués sur le duel Macron-Le Pen ? Comment élire un président adapté aux circonstances quand les prétendants sont enchaînés par le dilemme du prisonnier[1].  Comme les prisonniers de la fable, les forces progressistes doivent toutes coopérer pour atteindre l’une des deux premières places indispensables pour être au second tour mais aucun candidat n’a intérêt à se sacrifier pour les autres. Si nous laissons faire, ils n’ont aucune chance de victoire. Il faut un deus ex machina et en démocratie le peuple seul est ce deus, comme dit Rousseau. Nous devons être des millions à exiger qu’il n’y ait qu’un candidat. Si nous sommes des millions, chacun sera obligé d’en tenir compte sans avoir pour cela à se déjuger ou à perdre la face. Le peuple aura parlé. C’est l’œuf de Colomb.

Contrairement aux tentatives laborieuses et chronophages de candidatures citoyennes des élections de 2017 qui n’eurent aucun succès malgré l’intérêt de la démarche, il est beaucoup plus « simple » de se battre sur un objectif volontairement limité à la désignation du candidat. Pas de programme à élaborer, pas d’inconnu à mettre sur la scène, pas de primaires qui aboutissent à faire désigner par les plus militants le candidat le plus identitaire mais le moins rassembleur (Fillon à droite Hamon à gauche). Si l’appel à une candidature unique est massivement soutenu, la désignation peut alors s’opérer par la voie démocratique la plus appropriée, le tirage au sort ayant ma préférence, toujours dans le but d’avoir un président modeste qui ne pourra pas se prévaloir de ses mérites pour son élection. On peut aussi bien recourir au vote préférentiel qui permet le classement des candidats plutôt que leur sélection. Concentrons-nous pour le moment sur l’essentiel : obtenir des millions de signatures à un appel citoyen exigeant une candidature unique correspondant à l’imaginaire écologique dans lequel se reconnaissent, chacun à leur manière, tous les prétendants à la gauche de Macron. C’est simple et, ça tombe bien, cet appel existe. Il peut être signé ici.

D’autres initiatives existent, certaines beaucoup plus médiatiques, mais elles ne parviennent pas à se concentrer sur la seule chose qui compte à ce stade : avoir un autre choix que le duel Macron Le Pen qui ne correspond pas au moment que nous vivons. Nous aurons tout le temps ensuite de faire de la politique, d’exprimer des préférences, des nuances, des exigences mais si nous commençons par ça nous serons sûrs d’une chose : rien ne changera et les électeurs devront se résigner une fois de plus à ne voter que par défaut. Je crains que cette fois-ci le Rassemblement national fasse figure d’alternative au statu quo. Vous avez forcément entendu la petite musique : « il ne reste que cette solution qu’on n’a pas essayée… ». Il nous appartient de rouvrir le jeu. C’est assez urgent…

L’appel

 

[1] Chaque prisonnier est incapable de coopérer avec les autres prisonniers parce qu’il a plus à perdre s’il est trahi par ses rivaux-partenaires que s’il coopère alors même que la coopération est pourtant la seule possibilité de libération. Face à l’incertitude sur l’attitude des rivaux, le choix est sous-optimal.

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Auteur/autrice : Hervé CHAYGNEAUD-DUPUY

Je continue à penser que l’écriture m’aide à comprendre et à imaginer.

 

3 réflexions sur « Présidentielles 2022 : hasard et modestie »

  1. Bonsoir Hervé

    Je me permets de réagir (positivement 😉 à ce billet que j’ai lu attentivement. Merci tout d’aborde de contribuer à ouvrir le champs des possibles politiques. C’est précieux par les temps qui courent.

    J’ai vu que vous mettiez en avant l’appel de L’initiative citoyenne 2022. Je la découvre grâce à votre article. Loin de moi l’idée de critiquer l’appel (vraiment vraiment pas). Je partage juste une observation: je vois une liste de signataire de 460 personnes et un objectif à août d’1 million. J’ai peut-être des éléments qui me manquent mais cela me paraît tendu. Avez vous entendu parler de la primaire populaire ? Je ne saurais pas préciser les différences en détail entre les deux projets, mais il me semble que plus de choses les rassemblent que ne les opposent, en tout cas au minimum: l’ intention d’éviter un Macron Le Pen. Je vous invite à en prendre connaissance: primairepopulaire.fr.

    Autre chose. Vu qu’on aime les mêmes sujets: imaginaires et politique. (je vais partie de U+ aussi). Je porte à votre connaissance l’atelier que nous menons le 19 mai entre futurs proches et Plus belle la politique. Avec Charlotte Marchandise, nous voulons créer une série vidéo pour donner l’image un.e président.e qui prenne ses décisions avec des valeurs humanistes, écologiques et démocratiques. Vous êtes plus que le bienvenu pour y participer et si cela vous tente de partager à droite à gauche, je suis évidemment preneur 😉
    https://www.eventbrite.fr/e/inscription-atelier-plus-belle-la-politique-et-futurs-proches-150234177469

  2. de la part de Jacques Rémond :
    Bonjour Hervé,
    Ta proposition me paraît ingérable tant elle est complexe et doit engager de multiples actes !
    De toute manière, pour ce qui me concerne, j’ai voté à l’époque CONTRE l’élection du PR au SU et je considère avoir eu raison tant le rôle, le pouvoir et l’action de ce PR est incontrôlable !
    Le retour à un vrai régime parlementaire est la seule issue à nos problèmes, régime qui pourrait bénéficier des systèmes actuels de communication et donc impliquer sous diverses formes les citoyens électeurs.
    A ta disposition et bien amicalement
    Jacques Remond

  3. Bonsoir
    Je ne connais pas Jacques mais je souscris à sa proposition.
    La démocratie est un jeu (ou un enjeu) de rôles et de contre-pouvoirs effectifs.
    La primauté du parlement est essentielle. Sans rentrer dans un régime fluctuable – ou « On Demand » pour faire moderne ou façon 4e République – soumis aux manifestations permanentes de l’opinion et du moment – ma conviction est qu’il faut des règles simples, qui imposent une temporalité (1), une responsabilité et un espace d’action suffisant pour les titulaires en charge.
    Je ne crois pas que la modestie (que je professe), ou l’ambition (que j’admire), ou l’idéologie (dont je me méfie), seront en soi des vertus suffisantes.
    Je cite :
    Le retour à un vrai régime parlementaire est la seule issue à nos problèmes, régime qui pourrait bénéficier des systèmes actuels de communication et donc impliquer sous diverses formes les citoyens électeurs. Jacques Remond.
    J’adhère à cette proposition
    Cordialement
    Olivier

    (1) Le statut de la temporalité dans notre monde moderne est un véritable sujet philosophique et éthique. Tout comme l’environnement ou la conscience écologique sont devenus majeurs après bien des années (ils ne figurent pas dans la constitution de 1789 et n’auraient eu aucun sens à cette époque), ma conviction aujourd’hui- il faudrait chercher et passer du temps pour développer ce sujet et le prouver – est que le respect de la temporalité deviendra un enjeu important de notre monde à venir. D’autant que, comme dans les films de science fiction, le temps commence à devenir malléable : le trading à haute-fréquence en est un signe. Quelle est la valeur d’un asset indépendamment du temps ?

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