La culture de métier, un invariant à prendre en compte

Pour des gens qui cherchent en permanence à introduire du changement dans les modes de faire les plus établis, il est toujours intéressant de lire ceux qui au contraire observent les invariants : ça peut éviter de se battre contre des moulins ! Philippe d’Iribarne est de ceux qui repèrent les résistances culturelles aux trop évidents brassages de la mondialisation. Il continue à creuser la « logique de l’honneur » qui caractérise selon lui, la culture française. J’ai trouvé très éclairant le texte qu’il a consacré à « La force des cultures » , dans Le Débat de décembre 2009. Pour lui, le risque que les français veulent absolument conjurer, c’est de dépendre de la faveur d’un autre, d’où la valeur très particulière accordée au « métier »,  censé protéger celui qui le maîtrise de l’intrusion des tiers (son supérieur, ou même  son client). D’où le fait qu’on soit plus dans une culture du droit et du statut que de la négociation et du contrat. Voici quelques extraits.

« Le caractère douloureux que prend le fait d’avoir à s’abaisser pour obtenir les faveurs d’autrui tient toujours une place centrale dans la France contemporaine. »

« On retrouve la même sensibilité dans l’entreprise, où l’on entend des plaintes qui reposent sur l’évocation d’un style de relations dans lesquelles, face à quelqu’un qui distribue ses faveurs comme il l’entend, on est obligé de s’humilier
si l’on veut obtenir ce que l’on recherche. Les rapports entre services sont concernés: «La fabrication est à genoux devant l’entretien», «Les services d’entretien sont les rois. Les services de fabrication devraient prendre des gants». Et il en est de même des rapports hiérarchiques: «L’agent de maîtrise a l’impression qu’il dépend du bon vouloir de son directeur.» »

« La mise en avant du métier fournit une manière de raccorder le travail fait dans une position subordonnée, soumis de fait à l’autorité d’un patron, à une vision d’indépendance, d’honneur et de noblesse. Il s’agit à la fois de représentations, en partie porteuses d’illusion, et de pratiques. L’exercice de l’autorité dans les entreprises françaises, avec la manière de déléguer qui y prévaut, donne un rôle important à la forme d’autonomie dont bénéficie l’homme de métier. »

« Dans tous ces domaines, les relations entre un salarié et son employeur ne sont que très partiellement régies par un accord entre les parties (qu’il s’agisse d’un accord individuel ou d’un accord collectif). Elles sont marquées par l’existence de droits inhérents à la condition même du salarié, que ceux-ci concernent les salariés en général ou telle ou telle catégorie d’entre eux. »

Cette conclusion est essentielle pour tous ceux, comme moi, qui cherchent à développer des relations contractuelles. Le contrat ne peut pas tout. Plus précisément, nous ne pourrons développer une culture du contrat qu’en intégrant le fait que sur l’honneur, sur l’autonomie dans le métier, on ne transige pas.

Ainsi, la mise en avant du métier fournit une manière de raccorder le travail fait dans une position subordonnée, soumis de fait à l’autorité d’un patron, à une vision d’indépendance, d’honneur
et de noblesse. Il s’agit à la fois de représentations,
en partie porteuses d’illusion, et de pratiques. L’exercice de l’autorité dans les entreprises
françaises, avec la manière de déléguer qui y prévaut, donne un rôle important à la forme d’autonomie dont bénéficie l’homme de métier 32Ainsi, la mise en avant du métier fournit une manière de raccorder le travail fait dans une position subordonnée, soumis de fait à l’autorité d’un patron, à une vision d’indépendance, d’honneur
et de noblesse. Il s’agit à la fois de représentations,
en partie porteuses d’illusion, et de pratiques. L’exercice de l’autorité dans les entreprises
françaises, avec la manière de déléguer qui y prévaut, donne un rôle important à la forme d’autonomie dont bénéficie l’homme de métier

Care : un signe de renouveau du socialisme ?

Dans un entretien au site Mediapart début avril, Martine Aubry a  introduit dans le vocabulaire politique français  le concept anglo-saxon du « care ». Elle note ainsi : « La société du bien-être passe aussi par une évolution des rapports des individus entre eux« . Elle ajoute : « Il faut passer d’une société individualiste à une société du « care », selon le mot anglais que l’on pourrait traduire par « soin mutuel » : la société prend soin de vous, mais vous devez aussi prendre soin des autres et de la société. »

C’est peut-être enfin le signe qu’il se passe quelque chose au parti socialiste. On n’a pas en effet assez pointé que mettre en avant le « care » serait une réelle rupture idéologique pour un parti qui a toujours cru avant tout à l’action de l’Etat pour transformer la société. J’ai toujours pensé qu’entre le libéralisme et le socialisme, il y avait place pour des visions politiques qui soient autre chose qu’une troisième voie imprécise, un centrisme sans contenu ou un social-libéralisme ménageant les contraires. Certains avaient su explorer ces voies avec des dénominations qui semblent désormais désuètes comme le solidarisme de Léon Bourgeois ou le personnalisme d’Emmanuel Mounier. L’avantage du « care » est qu’il vient d’ailleurs, qu’il fait donc plus moderne, qu’il s’ancre dans une des branches du féminisme américain. Que les socialistes l’importent en France et c’en serait fini du socialisme étatique, du moins si le « care » devenait une approche centrale et non un simple addendum pour faire moderne.

Pour notre part, nous retenons du « care » son utilité pour imaginer des politiques qui favorisent les relations directes d’entraide entre citoyens. Vive donc le « care » s’il enrichit notre boîte à outils politique !

Oxymore : l’éloge du ET

Dans un pays aussi cartésien (?) que la France, la popularité fulgurante du terme « oxymore » est plutôt étonnante. L’oxymore, c’est l’alliance des contraires : l' »obscure clarté » évoquée par Corneille étant sans doute l’oxymore le plus cité. Pourquoi ce succès alors que nous préférons si souvent le OU au ET ?
C’est Dominique Fauconnier (Ateliers des métiers) qui le premier je crois m’avait amené à réfléchir sur cette modeste conjonction de coordination, moi qui me laissais si souvent séduire par le bonheur polémique de son frère ennemi, le Ou. Avec le OU je somme de choisir, avec le ET je tente de créer des alliances improbables.

J’ai tenté un moment de populariser un oxymore politique avec « volontarisme modeste« . Force est de constater que ça n’atteint pas les sommets de l’Etat ! Le titre même de ce blog peut aussi être vu comme un oxymore.

Certains commencent à s’insurger de cette mode langagière de l’oxymore qui introduirait de la confusion dans la pensée. Le risque existe que l’on s’en serve pour dire tout et le contraire de tout. Je préfère y voir une intégration, à dose homéopathique, de la culture asiatique. Ce n’est pas pour me déplaire.