Descartes a le cogito patraque !

Le rationalisme cartésien n’a pas la cote en ce moment. Et s’il était temps d’inventer une formule en écho au cogito ergo sum ? Une formule qui sorte le Cogito de son isolement.

Pauvre René, il n’est pas à la fête en ce moment ! On s’en prend régulièrement à son fameux Cogito !  Je ne cesse de tomber sur des textes qui s’attaquent plus ou moins directement à l’expression qui l’a immortalisé : « Je pense donc je suis ». Dommage pour lui (et pour notre chauvinisme « cartésien ») mais certainement pas pour notre compréhension de l’homme et de sa relation à la société. Petite revue des symptômes diagnostiqués par nos contempteurs de Cogito.

Trop singulier, le Cogito, pour Bruno LATOUR (encore lui !). Au Cogito singulier, il préfère le Cogitamus pluriel dont il a fait le titre de son dernier livre, un bon résumé de sa pensée, à la fois accessible et drôle. On ne pense vraiment qu’en participant à des collectifs et en évitant de séparer ce qui relève du politique et ce qui relève du scientifique, puisqu’il faut composer un monde commun.

Trop rationaliste le « je pense donc je suis » pour Satish KUMAR penseur indien disciple de Gandhi et auteur de « Tu es donc je suis. Une déclaration de dépendance ». Isoler la conscience de soi, c’est se couper de la compassion et de l’interdépendance.

Connaissez-vous le mot de la langue bantou UBUNTU si difficile à traduire justement parce qu’il mêle l’individu au collectif : « Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous » ? Un terme popularisé à travers le monde par Desmond Tutu. [Merci à Emmanuel Delannoy, de l’institut Inspire, de l’avoir présenté et à Pierre Michel de l’avoir colporté.]

Nous avons longtemps cru que notre rationalisme occidental était un progrès indépassable. Ne devons-nous pas inventer des formules plus complexes qui articulent singulier et pluriel, penser et être ? Je vous propose : « NOUS pensons donc TU es et JE suis » !

Xynthia et les Kasumi Tei

Ayant nommé pendant plusieurs années mon activité Kasumi Tei, je me sens obligé de revenir sur les inondations liées à la tempête Xynthia. Quel est le rapport ? Tout simplement dans la signification de Kasumi Tei. Ce mot japonais désigne les digues qu’on construisait autrefois au Japon pour protéger les villes des inondations. Les Japonais ne cherchaient pas à stopper l’eau, mais plus modestement à réduire son impact destructeur. Avec des digues en chevrons de part et d’autre du fleuve, ils freinaient les crues tout en laissant l’eau, une fois assagie, s’épandre sans dommage dans les rizières environnantes. J’avais choisi cette image pour montrer tout l’intérêt qu’il y avait à FAIRE AVEC plutôt qu’à LUTTER CONTRE.

La France a décidemment du mal avec cette philosophie de l’action. A peine la tempête passée, on ne voit plus que deux solutions pour éviter que se reproduise la catastrophe : renforcer les digues ou interdire toute construction en zone inondable. La première solution consiste à reprendre un combat contre l’eau pernicieux car la digue crée à la fois de la sécurité et du risque dans une logique binaire qu’on peut caricaturer sous la forme d’une lapalissade : « on est en sécurité jusqu’au moment où le danger survient… et qu’il est trop tard pour agir ». La seconde solution, par sa radicalité, risque de n’être qu’une solution de principe, contournée dans la réalité. Les sites détruits par Xynthia n’étaient-ils pas en zone théoriquement inconstructible ? Pourquoi n’accepte-t-on pas de « faire avec » ? Pourquoi ne prévoit-on pas de construire autrement, avec des solutions adaptées au contexte : des maisons sur pilotis, des maisons à étage,… Les Hollandais, spécialistes des zones inondables ont même imaginé des maisons flottantes. Pourquoi n’envisage-t-on pas, comme pour les riverains du Rhône, une vigilance partagée y compris en impliquant les habitants avec des systèmes d’îlotiers responsables de prévenir leurs voisins en cas de montée des eaux ? En bref, miser sur l’adaptation au contexte, miser sur l’implication des citoyens plutôt que de ne croire qu’à la solution unique, technique ou réglementaire, pensée d’en haut et appliquée sans discernement.

Pourquoi le président change-t-il de position, lui qui, semblait-il, avait compris, avec les projets du Grand Paris, qu’on pouvait construire, dans certaines conditions, en zone inondable. Ce retour systématique au jacobinisme, scientiste et législatif, est désespérant. Décidément, le terme de Kasumi Tei n’est pas prêt d’entrer dans le vocabulaire courant de nos dirigeants !