un rapport trop discrètement accueilli

Il y a des rapports abondamment cités, comme ce fut le cas par exemple avec le rapport Gallois, et d’autres dont on entend pas assez parler. Celui de MH Bacqué et de M Mechmache est de ceux-là. Double handicap : il concerne l’empowerment, notion repoussoir pour beaucoup de politiques et de journalistes et il est remis au ministre de la Ville, ministres passant quasi-inaperçu ! A découvrir d’urgence …

Quelle discrétion ! Le rapport de la sociologue Marie-Hélène Bacqué et de Mohamed Mechmache le fondateur de AC ! Le Feu a été remis le 8 juillet à François Lamy le ministre de la Ville sans que les médias ne jugent utile d’en faire leurs gros titres. Même sur Internet, le rapport n’est pas très facile à trouver. Sa mise en ligne sur le site du ministère est plutôt confidentielle… mais il y est.

Pourtant il est vraiment bon ce rapport ! Je ne l’ai pas encore lu dans le détail mais les mesures proposées (et bien synthétisées en fin de rapport) sont de nature à transformer radicalement la relation à l’action publique, bien au-delà de la politique de la Ville. Les lecteurs de ce blog y retrouveront bon nombre de mes obsessions : la création d’espaces de dialogue avec les citoyens (les tables de quartier), un financement via une fondation, une ouverture de l’école aux parents et au quartier, une prise en compte des médias, la création d’un statut pour les bénévoles (on n’est pas très loin du projet de reconnaissance du volontariat que nous portions aux Ateliers de la Citoyenneté) sans oublier un investissement important pour la formation des élus et des techniciens et pour la mutualisation des pratiques.

Le collectif Pouvoir d’agir, co-animé par Jean-Pierre Worms, a publié un communiqué qui affirme son plein accord avec les propositions et souhaite que ce soit l’occasion de « démarches radicalement nouvelles en matière de développement du pouvoir d’agir des habitants et de partage du pouvoir de décision sur les politiques publiques ».

12 territoires vont, selon le ministre, pouvoir expérimenter les tables de quartier. Pour le reste, il est beaucoup plus évasif…

Dans la logique d’alliance dont je parlais récemment, il me semble important que ce soit toute la société qui se saisisse de ces propositions pour tenter de rééquilibrer le rapport entre citoyens et politiques. Sinon, encore une fois, on laissera peser sur les plus fragiles la responsabilité de faire bouger les lignes. C’est sur ce point que je continue à avoir un écart avec le collectif Pouvoir d’agir : le développement du pouvoir d’agir des citoyens ne peut se concentrer sur les habitants des quartiers de la politique de la Ville sinon il risque de se transformer en  injonction participative à l’égard des milieux populaires. Pour autant, je suis convaincu que les initiatives les plus fortes naîtront (et naissent déjà) dans ces quartiers : considérons-les donc comme des pionniers en avant-garde de toute la société plutôt que comme des personnes isolées (et héroïques) qui s’en sortent par leurs propres moyens malgré l’hostilité de l’environnement. Seuls contre tous ou pionniers d’un nouveau monde commun, il me semble important de choisir la perspective dans laquelle on se place. On ne dessine pas la même société.

Ci-après une sélection des principales mesures du rapport, telles qu’elles sont présentées :

1- Créer une Autorité administrative indépendante en charge de la gestion d’un fonds de dotation pour le droit d’interpellation. Ce fonds représentera 1% prélevé sur le financement public des partis politiques et 10% sur les réserves parlementaires. Il pourra financer toute initiative citoyenne contribuant au débat public sur des enjeux d’intérêt commun, posés à l’échelle locale comme nationale.

2- Soutenir la création de tables locales de concertation. Ces tables locales de concertation ou « tables de quartier » réuniront les associations et les collectifs organisés à l’échelle du quartier et seront créées à leur initiative. Elles auront à charge la coordination et la transversalité de l’action associative. Elles seront financées dans le cadre des contrats de ville. L’aide octroyée permettra le recrutement par la table d’un coordinateur de la table ou développeur, rattaché à l’une des structures qui la composent.

3- Soutenir la création d’une plateforme associative nationale composée de collectifs et d’associations travaillant dans les quartiers politique de la ville, plateforme d’échange d’expériences, de formation des acteurs associatifs et d’évaluations. Elle aura à sa disposition les fonds nécessaires au financement de programmes d’évaluation et à la mobilisation d’expertises ainsi qu’une équipe administrative

5- Créer une fondation pour le financement des actions pour la solidarité sociale qui pourra être gérée régionalement. Elle recueillera des participations publiques des différents ministères et collectivités territoriales, des participations privées des entreprises et des dons individuels. Ces fonds seront destinés à soutenir les associations et les collectifs oeuvrant pour la solidarité et l’engagement social, en priorité en direction des populations les plus vulnérables ou victimes de discriminations. Ils seront gérés par un conseil d’administration comprenant un collège associatif, un collège représentant les organismes publics et un collège représentant le monde économique (entreprises et syndicats).

10- Profiter de la négociation des contrats pour engager une démarche de co-construction.

– A l ‘échelle du quartier, mettre en place un groupe de pilotage élargi qui fonctionnera pendant une période de six mois préalable à la signature du contrat. Il aura à charge d’élaborer un diagnostic transversal et de dégager les orientations et les priorités du contrat en relevant les enjeux conflictuels. Les habitants représenteront au moins 50% de ce groupe de pilotage élargi : 25% seront des représentants associatifs (désignées par une assemblée des associations dans le quartier), 25% seront des citoyens tirés au sort.

– A l’échelle intercommunale, mettre en place un groupe de pilotage élargi qui aura pour mission de travailler sur la dimension intercommunale des contrats et se prolongera pendant la durée du contrat. Il sera composé pour moitié de représentants associatifs et de citoyens dont les deux tiers seront issus des quartiers « politique de la ville » (tirés au sort parmi les représentants associatifs et les citoyens des groupes de pilotage élargis). Il aura à charge de donner un avis sur les orientations et sur les projets du contrat de ville à enjeu intercommunal.

11- Mettre en place des dispositifs de codécision pour la durée des contrats de ville. Les groupes de pilotage élargis mis en place au cours de la période de diagnostic proposeront des formes de gouvernance et de codécision adaptées aux conditions locales. Un collège citoyen sera également intégré dans toutes les instances d’orientation et de décision des différentes politiques publiques et dans tous les dispositifs : plan local pour l’insertion et l’emploi, projet éducatif local, plan local pour l’habitat, contrat local de santé, programme de réussite scolaire, conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance, CCAS, gestion urbaine de proximité.

14- Reconnaître un statut aux participants bénévoles. Pour permettre une participation large, en particulier des groupes sociaux les plus défavorisés, il convient de mettre en place des modalités de défraiement et de rémunération des bénévoles et de travailler à un statut des bénévoles permettant un droit d’absence du travail.

16- Aider au développement et à la diffusion de médias locaux par la mise en place d’uneFondation « Médias/Cultures/Quartiers populaires » reposant sur un financement mixte (fonds européen, Etat, collectivités locales, entreprises de presse et hors presse), permettant de gérer un fonds d’actions pour financer les médias de quartiers et les initiatives médias/culture.

17- Faire évoluer le regard des médias nationaux :

– installer une émission hebdomadaire de débat sur la grille d’une radio nationale (Radio France) sur les enjeux des territoires, la jeunesse et les nouveaux acteurs

– créer une Conférence annuelle sur les médias et les quartiers populaires

– Lancer un Club de la presse « Médias/Villes »

– Faire évoluer la sociologie et la formation des journalistes.

21-La police comme service public : orienter l’approche de la police vers le dialogue avec les citoyens

(a) Réinstaurer la politique des « îlotiers »,

(b) Mettre en place des compte rendus publics d’activité de la police

(c) Au niveau local, généraliser les groupes de veille, auxquels participeront les agents de police travaillant dans le quartier, les élus en charge de la sécurité, des représentants locaux du Ministère de la Justice (via les Maisons du Droit et de la Justice) et du Défenseur des Droits, et les citoyens.

24-Co-construire des projets éducatifs de territoire : faire de la réussite scolaire un enjeu partagé et pour cela faire dialoguer et travailler ensemble parents, professionnels et enfants. Mettre en place les actions qui permettent d’aller vers les parents les plus éloignés. Entre autres, recevoir chaque famille pour parler de la vie de l’école en début d’année, associer les parents sans discrimination à certaines activités scolaires, développer les modalités de dialogue avec les associations travaillant sur l’aide au devoir, conduire des projets éducatifs impliquant les habitants et les associations du quartier, appuyer les démarches comme les universités populaires de parents

Sortie de campagne…

On a fait beaucoup de reproches à cette campagne électorale :
–    Sa longueur, avec les primaires et surtout la manie des médias de commencer la « course de petits chevaux à peine l’élection précédente finie.
–    Son manque d’intérêt : on n’y a peu parlé des « vrais » sujets, l’Europe, l’école, les pauvres, le logement, la santé, les banlieues… avec à chaque fois très peu d’idées neuves
–    Son dévoiement vers des questions vainement polémiques ou indignes du débat national : le hallal, le changement de date de versement des retraites,…
En revanche deux points qui inquiétaient les commentateurs me rassuraient plutôt
–    Le relatif désinvestissement des citoyens à l’égard d’une élection pourtant tellement mise en avant dans le jeu politico-médiatique alors qu’elle n’est bien évidemment pas aussi décisive qu’on le dit
–    Le manque de vision de candidats soi-disant « obligés au réalisme » par la crise car l’ambition telle qu’elle est habituellement définie ne correspond plus au besoin de notre pays : la grandeur, la place de la France sont des vieilles lunes et l’ambition industrielle, la recherche de la croissance à tout prix sont dangereuses (voir Arrêtons de faire les papillons)

Pour moi le plus inquiétant était ailleurs
–    Pas d’interrogation sur ce qui redonnerait de la crédibilité à la politique, sur ce qu’on attend des citoyens et de la société civile
–    Pas de prise en compte de la réalité de la société et de ce qui la transforme. Michel Serres l’avait bien vu en parlant d’une « campagne de vieux pépés » !
L’élection de 2007 avait été plutôt positive sur ces thèmes avec la recherche de nouvelles façons de faire de la politique (volontarisme pour Sarkozy, démocratie participative pour Royal) mais les enthousiasmes suscités alors ont fait long feu.

On avait pourtant une chance historique, bien que paradoxale, de réinventer la politique en 2012 : l’absence de marge budgétaire. Malheureusement, la  rigueur budgétaire qui s’est imposée à tous dès le début de la campagne a conduit, à l’exception notable de Mélenchon, à conclure qu’il n’y avait plus de marge d’action pour ré-enchanter la politique. Et si c’était l’inverse ? Et si l’absence d’argent nous obligeait à refaire de la politique ? De la vraie politique, avec les gens eux-mêmes, pas avec des subventions ou des réductions d’impôt ? Et si nous prenions au pied de la lettre l’idée que la politique c’est le « vivre ensemble » ? parce qu’on en parle souvent dans les discours du « vivre ensemble », mais  qu’en faisons-nous concrètement ?
Regardons les objectifs politiques que nous nous fixons collectivement et sur lesquels nous sommes sans doute presque tous d’accord. Nous préférerions développer la prévention en matière de santé plutôt que de traiter, à grands frais, les maladies qui surviennent parce que nous ne prenons pas soin de nous. Nous voudrions renforcer la sécurité sans pour autant avoir des policiers en armes à chaque coin de rue. Nous souhaitons réduire notre empreinte environnementale sans renoncer au confort  mais les nouvelles pratiques en termes de déplacement, de consommation ou de logement nous semblent souvent hors de portée. Bref nous voyons bien ce qu’il y aurait à faire dans l’absolu… mais nous n’avons pas de temps à y consacrer et, quand bien même nous en aurions, nous ne nous sentons pas en mesure d’y faire face seuls.  Pour cela nous continuons d’attendre des responsables politiques qu’ils agissent en notre nom… puisque nous les élisons pour ça. Mais sur tous ces sujets et sur bien d’autres, nous sommes de plus en plus conscients que l’Etat peut nous inciter à faire mais qu’il ne peut pas se substituer à nous. Bien souvent, nous en restons à ces constats désabusés, sans imaginer que nous pourrions repenser radicalement nos modes de faire collectifs, notre fameux « vivre ensemble ».

Nous avons oublié la ressource majeure de la démocratie, le pouvoir d’agir des citoyens. C’est quoi le pouvoir d’agir ? c’est la capacité de chacun de trouver des solutions créatives aux questions qui le concernent s’il sort de l’isolement qui le rend incapable d’agir. Pour cela il faut plusieurs ingrédients indispensables :
–    Des espaces de débat où on ne se contente pas de râler contre le système mais où l’on recherche collectivement des pistes de solution. Ces espaces de débat, pour être efficaces doivent être très locaux, non partisans, positifs, permettant de mêler des expériences et des points de vue divers.
–    L’organisation d’un droit de tirage sur l’expertise publique pour donner corps aux solutions explorées dans les débats.
–    La mobilisation de ressources extra-budgétaires, notamment via les fondations, pour mener à bien les expérimentations, faciliter leur déploiement,…
–    La mise en place d’un volontariat tout au long de la vie pour dégager du temps et des compétences au service de cette nouvelle action collective

Il est paradoxal que les représentants officiels de la vie associative ne soient pas davantage sensibles à ces approches qui renforceraient naturellement le fait associatif sous toutes ses formes, du simple collectif d’habitant jusqu’à l’émergence de mouvement associatifs nouveaux à l’échelle du pays (comme a pu le devenir Lire et faire lire en quelques années par exemple). Très souvent ces militants de la vie associative craignent que ce soit le moyen pour l’Etat de se défausser de ses responsabilités. Ils confondent en cela le rôle de garant de l’égalité que doit toujours assumer l’Etat et la manière dont les services doivent être rendus. Sans doute une raison de leur frilosité est plus matérielle : la plupart des associations ne le sont plus, au sens premier du terme, elles sont bien davantage des entreprises de services collectifs employant des professionnels et financées par des fonds publics. Beaucoup ne sauraient pas animer un vaste mouvement  d’implication des citoyens. Les bénévoles d’aujourd’hui ne sont en effet pas dans leur très grande majorité des initiateurs de projets mais des ressources humaines employées à des tâches prescrites.

Quelques signes sont encourageants malgré tout. J’en citerai quatre – rapidement – mais leur convergence est indéniable.
–    Le plus récent est la parution du dernier rapport du think tank Terra Nova sur les banlieues qui prône (enfin !) les pratiques de développement communautaire, à l’instar de ce qui se pratique depuis des années dans les quartiers défavorisés de Chicago et d’ailleurs. C’est l’espoir d’une refonte de la politique de la Ville sur les bases de l’empowerment plutôt que sur la seule rénovation urbaine. Merci Jacques Donzelot de votre persévérance !
–   L’Institut de la concertation propose une journée de réflexion très intéressante le 14 mai autour de la place de la participation dans les programmes politiques, il invite notamment les membres de son réseau, professionnels de la concertation et chercheurs, à co-élaborer ce que pourrait être une participation des citoyens aux grands choix nationaux au travers d’un exemple concret : un débat national sur l’énergie.
–    Autour de l’empowerment et du pouvoir d’agir, les initiatives se multiplient : le colloque organisé mi-mars à l’ENTPE à l’initiative d’une jeune doctorante, Hélène Balazard, a été un réel succès ; notre groupe de travail sur l’empowerment lancé avec Philippe Bernoux en septembre a fidélisé une trentaine de participants ; le Collectif Pouvoir d’agir créé à l’initiative de Jean-Pierre Worms devient un pôle de référence sur la question.
–    Dernier signe, et sans doute le plus riche de perspectives, l’installation du volontariat dans notre culture de l’engagement grâce au Service civique qui touche maintenant près de 15 000 jeunes par an.
Quel que soit le résultat de l’élection présidentielle, il serait bon que le président nouvellement élu découvre ces signes encore ténus et le potentiel de renouveau de la politique qu’ils représentent.

Big Society, laboratoire anglais de la citoyenneté entreprenante

Quelques rares papiers dans la presse écrite en juillet, au moment du discours de Liverpool sur le sujet, et c’est à peu près tout. Si vous êtes passés à côté du projet de « Big Society » de David Cameron, le nouveau premier ministre anglais, c’est normal ! De toute façon la manière dont était présentée cette Big Society était tout sauf attractive. En résumé le gouvernement conservateur était en train de supprimer les services publics en disant aux Anglais de remplacer eux-mêmes les services démantelés. Les observateurs mettaient en doute la volonté du gouvernement de transformer radicalement la société britannique. Pour eux c’était une manière plutôt insidieuse de réduire le déficit budgétaire.

Pourtant à peine quatre mois après la formation du gouvernement Conservateur/Lib Dem, la police, le système de soins et le système éducatif sont profondément transformés. Partout, du pouvoir de décider et de faire est donné aux gens et à leurs associations. La Big Society Bank va financer les entrepreneurs sociaux  et des partenariats public/privé/associatif centrés sur l’innovation sociale avec les fonds d’épargne dormants. Un nouveau statut d’organisation, le « public interest company » voit le jour. Des « community organisers » vont être formés. Un service civique est prévu.

C’est l’empowerment pris au sérieux : à grande échelle et sur des sujets qui touchent vraiment les gens, que ce soient la sécurité la santé ou l’école. On est bien dans l’esprit de ce que les Ateliers de la Citoyenneté ont imaginé depuis une dizaine d’années sans susciter beaucoup d’écho au sein de nos institutions. Gauche et droite françaises seraient bien inspirées d’aller voir ce qui s’invente Outre-Manche. La gauche aurait tort de réduire l’expérience à un retour du thatchérisme, la droite aurait beaucoup à apprendre sur la confiance qu’on peut accorder aux citoyens. Je crains qu’on préfère une fois de plus se contenter de caricaturer. Il est sans doute trop tôt pour savoir si « ça marche » mais il est déjà certain qu’il y aura beaucoup à apprendre sur la place que veulent et peuvent prendre les citoyens dans le pilotage de leur vie.

Pour en savoir plus : Le projet tel que le présente le gouvernement anglais.