Mes raisons d’espérer en 2016

Trois raisons d’espérer, fruits de mes obsessions, de mes lectures et de mes rencontres… et les vôtres ?

Pourquoi « mes » raisons d’espérer ? Certains, et des plus proches, me reprochent d’écrire trop à la première personne. « Le moi est haïssable » me rappellent-ils. Cette maxime de Pascal, je ne la perds pas de vue et surtout les « qualités » qu’il donne au « moi » :

Il est injuste en soi, en ce qu’il se fait le centre de tout ; il est incommode aux autres, en ce qu’il le veut asservir ; car chaque moi est l’ennemi, et voudrait être le tyran de tous les autres.

Si je persiste, c’est parce que je crois qu’on ne se débarrasse pas si facilement que ça de son « moi ». Écrire en généralisant, en oubliant que ce qu’on dit n’est que l’expression d’une subjectivité parmi d’autres me semble souvent plus péremptoire.

En parlant à la première personne, je ne cherche pas à me mettre « au centre de tout », je reconnais au contraire que mon propos n’est pas une généralité, qu’il est un point de vue contestable et que c’est même cette contestation, quand elle vient, qui me nourrit et finalement me pousse à écrire à nouveau (même si l’approbation, elle, m’évite de renoncer à écrire !).

Donc si je parle de « mes » raisons d’espérer c’est bien parce que je ne supporte pas les généralisations abusives des éditorialistes qui prétendent savoir ce qui va sauver le monde… chaque début d’année ! Il me semble que si l’on ne généralise pas, on est plus utile aux autres. Je dis ce qui me donne envie d’avancer et en le partageant j’espère donner à certains lecteurs un peu désabusés l’envie de se poser pour eux-mêmes la question des raisons d’espérer … et de trouver les leurs pour ne pas sombrer dans la désespérance des temps contraires.

Parce que, oui, il faut s’armer de « raisons d’espérer » aujourd’hui pour naviguer sur les mers agitées de la transition dans laquelle nous sommes désormais bien entrés et pour longtemps.

Ma première raison d’espérer est justement que certains naviguent, au sens propre, sur les flots agités d’une mer – la Méditerranée, synonyme pour beaucoup d’entre nous de plaisir – avec la conviction que sur la côte d’en face, ils pourront reprendre le fil de leur vie après avoir pourtant tout laissé. Cette force vitale manifestée par tous les exilés qui survivent à l’épreuve est un antidote au renoncement et à l’ « aquoibonisme » qui me guettent si souvent. Ils me redonnent de la « force d’âme » (quelle belle expression si peu utilisée aujourd’hui sans doute parce que nous craignons trop d’avoir une âme), en latin on parlait de fortitudo (entre courage et force), je suis attaché à ce mot de fortitudo car il était dans la devise de la ville d’Angoulême, ma ville natale, et qu’enfant je m’échinais à en percer le sens à l’époque tellement abstrait pour moi et désormais si juste : fortitudo mea, civium fides (ma force tient dans la confiance des citoyens).

Ma seconde raison d’espérer, celle qui m’a fait me relever cette nuit pour écrire, c’est la conversation avec un ami qui se disait désabusé face à l’apathie française. Lui qui déborde d’énergie et d’ambition en a assez d’un pays qu’il sent incapable de faire face aux défis du moment. Au fil de la discussion, il reconnaissait comme moi que les choses étaient pourtant en train de bouger, de façon peu visible, pas encore probante, mais tout de même… C’est quand je lui ai parlé des trentenaires que je côtoie que nos observations se sont rejointes. Jusque-là, il opinait sans vraiment me suivre dans ma défense et illustration d’un monde en train de changer. Pour lui aussi, ces jeunes étaient un signe d’un basculement. Il m’a semblé qu’il en prenait mieux conscience en échangeant ses impressions. Nous convenions ainsi que ces trentenaires étaient le signe qu’une autre forme de réussite était possible, moins focalisée sur l’enrichissement rapide, et donc plus apaisée. Je tire une double leçon de cet échange : l’intuition que les modèles de réussite sont en train de changer semble se confirmer de plus en plus ; le fait d’en parler contribue à déverrouiller chez nos interlocuteurs une aspiration très forte, mais jusque-là inavouable, à changer de paradigme.

Ma troisième raison c’est ce que je me promettais de dire en complément du billet précédent (mais oui, il m’arrive d’avoir de la suite dans les idées !). Ce qui bloque tout changement, c’est la peur. Ou plutôt trois peurs superposées. Ma raison d’espérer c’est que ces peurs peuvent être vaincues, …à condition d’aller à la troisième, trop négligée. La première peur, les politiques l’ont bien identifiée et en jouent, hélas, pour maintenir un pouvoir hégémonique. La « peur des périls extérieurs » permet de redonner au politique une place au centre du jeu social avec une offre de protection : protection à l’égard du terrorisme, des migrations, hier de la crise de l’euro, avant-hier de la crise financière,… La seconde peur est bien vue des sociologues. La « peur du déclassement » nous fait accepter les inégalités, chacun jouant « perso » avec l’impression de pouvoir s’en sortir par de petits privilèges (le contournement de la carte scolaire en est un bon exemple). Dans un article publié par Slate, Jean-Laurent Cassely affirme, à la suite de Dubet ou de Savidan, « à mesure que les inégalités et leur perception se renforcent, la population, loin d’opter pour la révolte, devient plus conservatrice ». Impossible dès lors d’espérer le rejet du système par les citoyens, comme le montre l’échec de Mélenchon. Pour retrouver une possibilité d’action, il faut aller à la troisième peur, la « peur de l’autonomie». Dans une société d’individus, il faut sans arrêt « être à la hauteur ». La confiance en soi est donc indispensable puisque nulle institution ne vient nous dicter de l’extérieur notre conduite. Ehrenberg avait bien analysé le risque de « fatigue d’être soi » engendré par notre société. Quand la peur des périls extérieurs, la peur du déclassement nous étreint, il faut trouver en soi des ressources qu’on ne sait plus faire émerger. C’est là que je vois une raison d’espérer ! Cette peur-là peut être prise en charge. Les politiques ne s’y intéressent pas, ou si mal, mais la « société des gens ordinaires » peut s’en saisir.

Le contre-exemple est la réserve citoyenne mise en place à l’issue des attentats de janvier par Najat Vallaud-Belkacem. Libération faisait le triste constat que le lancement était raté malgré la bonne volonté de ceux qui s’étaient inscrit. L’idée paraissait pertinente : face au désarroi des jeunes en manque de repères, il fallait leur proposer des rencontres avec des citoyens exemplaires qui allaient leur transmettre leur « bonne parole ». Finalement heureusement que la machine administrative soit si lourde à se mettre en mouvement, car ce n’est pas de discours dont les jeunes ont besoin, au contraire. Voir pendant une heure une personnalité forte expliquer à quel point les valeurs sont importantes risque d’enfoncer le jeune mal dans sa peau dans la certitude de son insignifiance.

Quand on a peur d’exister, les modèles de réussites sont souvent écrasants. Face à cette peur, l’écoute patiente est le meilleur antidote. Face au manque de confiance en soi, pas besoin de héros républicains ou de saints laïcs. La bienveillance est la première ressource. On a besoin d’accoucheurs, de maïeuticiens, de mentors !

Je me souviens encore, vingt-cinq ans après, d’une anecdote qui m’avait touché. Je travaillais sur les questions d’orientation et rencontrais de nombreux spécialistes. L’un d’eux, Gaston Paravy, racontait l’échange qu’il avait eu avec une jeune fille incapable de trouver sa voie. Il lui demandait quels étaient ses talents et elle disait n’en posséder aucun. Même après plusieurs relances, elle ne voyait vraiment rien de notable. Elle finissait par s’excuser : aînée d’une famille nombreuse, elle passait son temps libre à leur faire des gâteaux. Le fil était là. Insignifiant pour elle, et pourtant base sur laquelle elle a pu construire un métier, grâce au regard bienveillant sur un talent qu’elle ne voyait pas.

Ma troisième raison d’espérer est là. La « peur d’être autonome » peut s’affronter grâce à l’échange et à son rôle de révélateur des ressources qui sont invisibles à nos yeux. Les lieux et les occasions de se parler avec bienveillance se multiplient, à bas bruit. J’en cite deux, modestes mais tellement utiles : à Grenoble, la Chimère citoyenne rend possible des rencontres improbables et riches ; à Lyon, les Raconteurs d’itinéraires professionnels ouvrent la voie à des échanges décomplexés sur le sujet si délicat de l’orientation.

 

Voir dans les migrants non des envahisseurs mais des personnes à l’élan vital réconfortant ; constater l’attrait nouveau de modes de réussite moins centrés sur la réussite matérielle ; partager une manière de vaincre la peur qui mine notre société… voilà les trois raisons d’espérer qui ont animé pour moi ces derniers jours de 2015. Je vous invite, si vous le souhaitez, à partager les vôtres. Beaucoup d’esprits forts se moquent du « feel good ». je ne dois pas être assez fort (et n’ai pas envie de le devenir) pour résister aux petits bonheurs des pensées positives !

Je vous souhaite une année 2016 heureuse, riche de rencontres et forte de tous les liens tissés jour après jour.

Réfugiés : et si….

Je reviens sur la question des réfugiés… elle est emblématique de ce rapport entre médias, société civile et Etat. De sa transformation en cours. Et si les réfugiés pouvaient en bénéficier ?!

Le mouvement semble enclenché. Les signes se multiplient d’un élan en faveur des migrants. Pour autant on est encore loin de ce que j’appelais de mes vœux dans mon précédent billet. C’est la vague émotionnelle, nécessairement la première phase, celle qui crée une rupture dans l’ordre des choses. Le problème est que la plupart du temps cette phase est suivie… d’un retour à l’ordre des choses. Quels changements significatifs ont suivi ainsi l’émotion du 11 janvier dernier ? Il a manqué un double enclenchement : de la prise de conscience vers l’action et de la société civile au politique. La société civile n’a pas su proposer de suites réellement tournées vers l’action. Plusieurs mouvements ont voulu pousser à des rencontres citoyennes tous les 11 du mois, ce qui pour moi était un non-sens puisque cela consistait à rejouer sans cesse la même scène sans avancée ni symbolique ni concrète. Ce que j’avais prôné sans capacité à le mettre en œuvre était davantage tourné vers l’action (un téléthon de la fraternité) mais pas assez évident pour être repris. Le passage de la société civile au politique ne s’est pas opéré non-plus, le président de la République s’est référé durant plusieurs semaines à l’esprit du 11 janvier… sans rien en faire d’autre qu’une posture commode.

Pourquoi en irait-il autrement cette fois-ci ? Sans doute parce que la crise des réfugiés est beaucoup plus concrète : nous avons sur notre sol européen des femmes, des hommes et des enfants et nous devons décider quel accueil nous leur offrons. C’est une question simple ! C’est aussi une question immémoriale, puisqu’en fait c’est la question de l’hospitalité. L’hospitalité, même chez les plus démunis des peuples de la terre, est une obligation morale. On ne laisse pas dehors celui qui demande l’hospitalité. Le peu que l’on a est partagé avec l’inconnu qui s’est présenté. C’est ainsi. Bien sûr il faut distinguer l’asile et l’hospitalité mais l’une comme  l’autre relèvent des mêmes obligations morales qui ne se discutent pas. Et nous devons bien constater avec un malaise terrible, que, nous qui sommes les privilégiés de la terre, nous étions en train de tout faire pour nous soustraire à cette obligation morale ! On a donc à la fois une question simple et une conscience qui ne nous laisse pas en paix.

une des initiatives d’hébergement de réfugiés

C’est sans doute un point de départ assez fort pour que quelque chose se passe cette fois-ci. Le passage à l’action est donc assez immédiat : des bourses de logements disponibles se créent, facilitées par l’usage d’internet, des élus locaux proposent des solutions de micro-accueil. Ce que je pointais déjà dans mon billet de jeudi, mais maintenant à une échelle plus significative (en tout cas avec une reprise médiatique). Les médias trouvent une occasion d’émissions spéciales qui peuvent avoir elles-aussi un impact et renforcer le mouvement naissant. Ainsi France Inter organise une émission spéciale de 3 heures lundi de 18h à 21h. Mais la question essentielle sera celle du deuxième passage, le passage de la société civile au politique. Et celui-ci n’est pas encore en vue, hélas. Il ne s’agit pas pour moi, quand je parle du passage au politique, de renoncer à ce que fait la société civile et de passer à des solutions d’Etat, au contraire ! Le passage au politique devrait permettre de déployer plus largement les solutions souples de la société civile en leur permettant de durer dans le temps. Encourager, faciliter mais pas faire à la place. Car l’Etat ne peut proposer que des solutions globales, lourdes : des camps, des règles, des obligations là où il faut simplement veiller à ce qu’un élan citoyen ne s’essouffle pas.

Mais est-ce réaliste de penser que la société civile puisse se mobiliser au-delà de l’émotion ? Les tenants d’une société fermée sont-ils plus réalistes ? Je reviens une nouvelle fois à Thomas Legrand, l’éditorialiste de France Inter. Vendredi il commentait un sondage :

…le sondage ELABE pour BFM. Il dessine une France majoritairement renfermée et incapable d’ouvrir les yeux sur la misère du monde. 56% des Français refusent que la France accueille des réfugiés. Pour apprécier la noirceur de cette réponse, il faut relire la question qui était posée. La voilà : L’Union européenne fait face à un afflux de migrants et de réfugiés, notamment en provenance de Syrie. Selon vous, la France doit-elle accueillir une part de ces migrants et réfugiés sur son territoire ? Vous avez bien entendu : la France doit-elle prendre une part de cette misère ?…Et bien c’est Non ! Il ne s’agit pas d’ouvrir inconsidérément les frontières ou de changer notre politique migratoire…il s’agit simplement de respecter une tradition dont ne cesse de s’enorgueillir le pays de Victor Hugo : donner asile à ceux qui fuient la guerre et l’oppression. Comme si les Syriens faisaient ce périple pour le RSA ou la CMU. Nous sommes devenus un pays pusillanime, abreuvé de discours identitaires et « déclinistes »

…et ce faisant, il abreuve lui-même le discours décliniste. Les éditorialistes prennent toujours les mesures de l’opinion pour des faits objectifs (ce qui ne les empêchera pas de critiquer les sondages au moment des élections). L’opinion n’existe pourtant pas en tant que telle, comme une donnée préexistante qu’il s’agit de mesurer, elle se construit tous les jours et pour se construire, elle s’alimente de tout ce que les médias lui donnent à voir, de toutes les discussions au travail et dans les familles,…. J’espère que nous aurons un nouveau sondage lundi qui montrera des changements dans l’opinion, et cette opinion ne sera pas plus « vraie » que la précédente. Et si le réalisme consistait à considérer que rien n’est acquis, ni le pire ni le meilleur ? Ne doit-on pas tenir pour réaliste le fait que la pâte humaine se travaille et que le pire est de renoncer à la travailler en prétextant savoir qu’elle est bonne à être jetée ? Méfions-nous des prévisions autoréalisatrices ! A force de dire que la France est une société fermée, on agit sur elle et on la rigidifie. Je préfère de loin ceux qui, ni plus ni moins réalistes, partent du principe qu’il faut agir sans attendre de savoir ce qui fonctionnera ou pas.

Je conclue avec Matthieu Ricard et la sagesse amérindienne (merci à Claire Jouanneault de me l’avoir rappelée) :

Un vieil amérindien à son petit-fils : « Une lutte impitoyable entre deux loups se déroule en nous. L’un est mauvais – il est haine, avidité, arrogance, jalousie, rancune, égoïsme et mensonge, l’autre est bon – il est amour, patience, générosité, humilité, pardon, bienveillance et droiture. Ces deux loups se battent en toi comme en tous les hommes. » L’enfant demande : « lequel va gagner ? ». Le vieil homme répond : « Celui que tu nourris. » Voilà, c’est dit. Cité par Matthieu Ricard in « Plaidoyer pour l’altruisme, la force de la bienveillance »

Réfugiés, responsables politiques et société civile

La société civile mais aussi les médias bougent plus vite que les politiques sur la question des réfugiés. Valls, avec ses dernières déclarations, semble l’avoir compris. Encore un effort ! Que nous puissions retrouver notre fierté…

 

Ce matin Thomas Legrand pointait avec justesse le changement de ton des autorités françaises  concernant la question des « migrants ».

Oui, la majorité ose enfin sortir de son mutisme craintif. On sentait les socialistes, jusqu’ici, tétanisés par le conservatisme ambiant et la trouille. Il aura fallu l’horreur des images du camion en Autriche et que leur soient mises sous le nez les déclarations du minimum de bon sens humanitaire d’Angela Merkel pour que le gouvernement prononce les mots qui conviennent aux dirigeants de la France-pays-des-droits-de-l-homme

Il concluait

Ce que le PS a effectué avec la sécurité, certains, notamment à Matignon, pensaient qu’il fallait le réaliser avec les questions migratoires et d’identité. La fermeté, la fin de la culture de l’excuse, fut une mutation de la gauche à l’épreuve du pouvoir, notamment local. La gauche de gouvernement est passée du phantasme à la réalité en matière de sécurité. Mais en matière d’immigration, les chiffres et l’expérience le montrent, la réalité est du côté de l’ouverture et de l’humanisme, et le phantasme du côté du FN et de ses alentours.

Dans l’actualité  désespérante de ces dernières semaines, je trouve réconfortant que TF1 – oui, TF1 ! – ait consacré un numéro de Grands Reportages à la façon dont tout un village s’est mobilisé, à l’initiative  de son maire pour  accueillir des demandeurs d’asile et pour les soutenir  lorsqu’ils étaient déboutés. Voici comment le reportage est présenté :

 A Chambon-le-Château, en Lozère, le maire a eu une idée audacieuse pour lutter contre la désertification rurale. Depuis 2003, le village accueille une cinquantaine de demandeurs d’asile, des étrangers menacés de mort dans leur pays. C’est le cas des Syriens Khaled et Manal, des Albanais Ziya et Gentiana, et de John et sa famille, un Nigérian menacé par Boko Haram. Leurs enfants vont tous à l’école du village avec les petits Chambonnais. Peggy Campel, la directrice, leur apprend à parler français. A Chambon-le-Château, le « vivre ensemble » et la solidarité s’expérimentent au quotidien. En 2008, des habitants se sont même mobilisés pour soutenir une famille du Kosovo qui allait être expulsée. Aujourd’hui, cette famille a obtenu la nationalité française et vit toujours en Lozère.

Certes le reportage n’est pas loin de tomber dans la « belle histoire », celle qui, en étant trop édifiante, empêcherait tout autant de réfléchir que les images-choc  habituelles sur « l’invasion des migrants ». Il l’évite au travers d’une scène étonnante : des jeunes réunis au bar du village qui affirment nettement leur opposition à cette politique d’accueil, avec comme argument massue le fait qu’on paye les réfugiés à ne rien faire. Mais ils sont vite à court d’argument quand la journaliste leur apprend que c’est la loi qui impose aux demandeurs d’asile de ne pas travailler. La journaliste insiste « Vous savez la différence entre réfugiés et immigrés ? ». Le fort en gueule hésite et finit par dire que non, il ne sait pas, et tous baissent la tête, penauds. Ici, la bêtise ignorante s’exprime mais elle n’a  pas le dernier mot ; mieux elle se déconsidère de façon pitoyable et la suite du récit la réduit à ce qu’elle est : une méconnaissance faite de manque de curiosité et d’idées toutes faites. Face à cette bêtise, la journaliste insère le contrepoint d’autres jeunes, au départ tout aussi ignorants, mais qui ont fait le chemin de la découverte de l’autre (ils sont devenus amis avec un des réfugiés) : ils ne blâment plus l’oisiveté qu’ils savent maintenant forcée, ils s’interrogent sur la pertinence de la loi et surtout ils aident leur ami dans sa  nouvelle vie. (On ne dira jamais assez l’idiotie du proverbe « La  curiosité est un vilain défaut », c’est bien l’in-curiosité qui est le vilain défaut qui précipite dans le populisme !!)

 Question de représentation, question de méthode

Revenons au fond du propos, la manière de faire face à l’afflux des réfugiés. Il y a pour moi deux questions : une question de représentation et une question de méthode et bien sûr les deux sont liées.

Je n’insiste pas ici sur le débat sémantique migrants/réfugiés, il a beaucoup occupé les médias, et tant mieux ! On a tous pu comprendre le piège que représente l’usage d’un mot apparemment neutre comme « migrants » qui fait oublier la réalité brutale du « réfugié ». A s’intéresser principalement «aux flux de migrants », on s’enferme dans des solutions qui n’en sont pas. Impossible de stopper par des barbelés des personnes qui ont tout quitté, payé des fortunes, parcouru des milliers de kilomètres, souffert tous les risques et toutes les humiliations pour atteindre le pays de leur rêve. Rien ne les arrêtera. Aux chiffres préférons les récits pour comprendre. Je recommande par exemple Dans la mer, il y a  des crocodiles, l’histoire d’Enayatolah, enfant afghan réfugié en Italie.

Quand je parle de représentations, je veux évoquer les termes de marée, de vague, de flux, de déferlement qu’on utilise sans cesse pour évoquer l’aspect quantitatif de cette migration. Images à l’appui. On voit des groupes de plusieurs dizaines de personnes, de quelques centaines parfois et cela suffit à saturer nos écrans. On rajoute ensuite des nombres avec beaucoup de zéros : des centaines de milliers (00 000). Trop peu sont les médias qui mettent  ces chiffres en rapport avec la population européenne d’environ 500 000 000 d’habitants. Soit environ 1 ou 2 pour mille.  Pas 1%, juste 0,1%. L’effet de masse vient des miroirs grossissants des objectifs de télévision mais bien sûr aussi de la concentration dans le temps et dans l’espace de l’arrivée des réfugiés.

Prisonniers de nos représentations de « masse », nous cherchons des solutions pour faire face à une arrivée « massive ».  Stopper le flux d’abord, créer des lieux d’accueil de masse ensuite. Deux erreurs « massives » !

Pourtant on peut faire autrement. Et on le fait depuis longtemps. La société civile, les autorités locales savent se mobiliser pour apporter des réponses. Le reportage de TF1 sur Chambon le montrait bien. J’avais lu un papier il  y a déjà plusieurs  années  sur une  initiative similaire en Calabre.

Riace comprend alors que sa richesse réside dans l’accueil des étrangers. Le village allait remplir le vide laissé par ses émigrés partis au Canada ou en Australie avec ces immigrés venus, eux aussi, de loin. « Un avenir était possible, avec une nouvelle cohésion sociale. Les gens s’en allaient, l’école avait fermé, les services de base commençaient à manquer. On se demandait à quoi bon programmer encore des travaux publics, et même tenir en vie un bourg qui se vidait petit à petit. Or, avec ces nouveaux arrivés, l’espoir pouvait renaître« , explique le maire.

Il y a quelques mois, toujours dans Le Monde, un article expliquait les réussites du micro-accueil.

Tout commence en 2011, quand le gouvernement doit faire face, comme aujourd’hui, à une situation d’urgence face à l’afflux de migrants. Plus d’une centaine d’entre eux sont alors expédiés dans un hôtel de haute montagne isolé, non loin d’ici. L’expérience est un désastre, avec des migrants qui se morfondent et des autorités qui sont montrées du doigt par une opinion publique qui les accuse de leur payer des vacances aux frais de l’Etat. « C’est à ce moment-là que nous avons pensé à installer les demandeurs d’asile par petits groupes dans les différentes communes de la vallée », raconte Carlo. L’idée s’est révélée payante.

C’est le cas de Tasfir, 19 ans, arrivé du Mali en Sicile en 2014. Après une brève période dans les structures d’accueil surchargées de l’île, il a été transféré à Malegno. Quinze mois au cours desquels sa vie a changé, dit-il. « Vivre à quatre ou cinq, c’est bien et, ici, ont connaît désormais tout le monde… C’est comme vivre chez nous. Tout autre chose que de vivre à cent. Il y avait tous les jours des bagarres. »

On ne peut que partager l’indignation de François Gemenne, chercheur en science politique, spécialiste des flux migratoires quand il accuse l’Europe de trahir son idéal

On a créé un continent de prospérité, de paix et de sécurité réservé à quelques privilégiés et dans lequel les autres n’ont pas le droit d’entrer. C’est une faillite de l’idéal européen!

J’avais cité ici l’étude à laquelle il participait sur la possibilité d’ouvrir les frontières.

Aujourd’hui ce qu’on attend des dirigeants de nos pays européens c’est qu’ils montrent leur confiance dans notre capacité à faire face au besoin d’accueil. Nous ne voulons plus de cette phobocratie qu’a incarnée  Sarkozy. Nous ne voulons pas être protégés, nous voulons  être au contraire encouragés à l’ouverture et à la générosité. L’autre jour, au JT de France2, après avoir rapporté la position ferme de la chancelière  pour maintenir sa politique d’accueil face aux intolérants extrémistes, le journaliste disait que dans la société civile des initiatives se développaient, encouragées par l’attitude digne d’Angela Merkel.

n voici un exemple :

Alors, les trois étudiants berlinois ont décidé de faire quelque chose – en créant une «bourse aux logements pour réfugiés». Non seulement pour loger des réfugiés, mais aussi pour leur faire comprendre que la pègre xénophobe qui fait la «Une», ne représente pas «l‘Allemagne».

L’idée partait d’une situation anodine. Mareike Geiling avait décroché un semestre d’études au Caire et voulait sous-louer sa chambre dans un appartement partagé avec d’autres étudiants. Au lieu de louer cette chambre par les biais habituel, elle s’est mise avec des amis pour créer la plate-forme «Réfugiés bienvenus». Depuis le début de cette opération, cette petite initiative a déjà réussi à loger 74 réfugiés et – plus de 1500 Berlinois ont proposé ce type d’hébergement pour des réfugiés qui en partie, vivent dans la rue en attendant à ce que les administrations tranchent sur leur demande d’asile.

Nous sommes mesquins et pleutres quand tout nous pousse à la mesquinerie et à la  pleutrerie … mais nous savons réagir quand les circonstances nous y poussent. Il y aura toujours des racistes qui râleront mais je suis certain que la majorité des gens sont capables de faire un geste de fraternité, comme les habitants de Chambon, comme les étudiants berlinois.

Je suis  donc  heureux du changement de ton du premier ministre mais je pense qu’il doit aller plus loin. Et s’il évoquait l’esprit du 11 janvier pour nous inciter à passer à l’action. Ça aurait du sens, non ?

La  question des réfugiés peut devenir une belle occasion de sortir du repli qui ne nous rend pas heureux et porte atteinte à l’image que nous nous faisons de la France. J’avais honte en entendant que la France ne recevait que 60 000 demandes d’asile en 2014 quand l’Allemagne en recevait plus de 200 000. Plus honte encore quand j’ai vu que la France avait le plus faible taux d’acceptation des demandes (30%).  Pour qu’on agisse enfin à l’échelle du problème, nous avons besoin d’y être incités. N’est-ce pas le rôle des politiques et des médias ?

Thomas Legrand, vous auriez là un édito encore plus utile que celui de ce matin !

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