de gauche et de droite !

L’équation citoyenneté active = gauche est réductrice et surtout contreproductive pour la citoyenneté active… qui risque ainsi l’hémiplégie ! Des exemples montrent que la droite aussi s’intéresse aux citoyens entreprenants.

 

« Etre citoyen » ne veut naturellement pas dire être de gauche, mais « agir en citoyen » est encore souvent associé à la gauche, ou aux logiques de  contre-démocratie dont parle Rosanvallon. D’une manière ou d’une autre la citoyenneté active est vue comme une contestation des pouvoirs en place. C’est souvent vrai mais l’équation citoyenneté active = gauche est réductrice et surtout contreproductive pour la citoyenneté active qui risque ainsi l’hémiplégie ! Aux Ateliers de la Citoyenneté que j’ai animés dans les années 2000, la richesse des débats venait souvent de la pluralité des points de vue et des histoires personnelles, avec des tempéraments de gauche et des tempéraments de droite affirmés mais sans enfermement dans des chapelles idéologiques.

Il me semble indispensable de distinguer ce qui relève des programmes politiques et ce qui relève des modes d’action. La citoyenneté active est un mode d’action, tout comme le recours à la représentation et à l’élection. Il ne viendrait à l’idée de personne d’affirmer que le suffrage universel est de gauche, même si historiquement ce sont bien les forces politiques de gauche qui l’ont imposé au bout de plusieurs révolutions.

La citoyenneté active est encore trop vue comme une revendication politique à inscrire dans un programme alors que c’est déjà une pratique, un mode d’action qui dépasse les frontières partisanes. L’inscrire comme enjeu partisan est le plus sûr moyen d’empêcher sa généralisation et donc sa pleine reconnaissance. La citoyenneté active (entreprenante) ne sera une réalité que lorsqu’elle fera partie des modes de faire de la gauche comme de la droite.

Je crois qu’on y vient. En 2007 encore, Ségolène Royal provoquait des sarcasmes à droite avec « sa démocratie participative ». Depuis celle-ci gagne du terrain en cessant d’être un étendard (brandi plus que saisi). J’animais avec l’équipe du collectif ArchipelS la rencontres des Conseils de Quartier de Lyon il y a quelques semaines, et nous constations combien la culture de la participation avait progressé depuis notre dernière intervention dans ce cadre, 2 ou 3 ans en arrière. Les citoyens impliqués sont plus mûrs, moins dans la contestation de politiques et de services qui n’écouteraient pas, davantage dans la co-construction (plus ou moins patiente, plus ou moins apaisée). Ils ont su inventer des méthodes de travail efficaces que seule l’expertise d’usage permet de mettre en œuvre comme les diagnostics en marchant. Ils sont de ce fait plus écoutés, y compris sur des questions métropolitaines comme la réorganisation du quartier d’affaire de la Part-Dieu…

Cette maturité est plus largement partagée qu’on ne le dit. Je l’avais évoquée il y a plus de deux ans à propos d’Alain Juppé. Et même  lorsque des élus critiquent la démocratie participative comme une perte de temps avec des réunions publiques où l’on entend que des râleurs professionnels, ils sont de plus en plus sensibles à la nécessité de changer les pratiques de l’action publique. Un exemple vécu récemment avec un élu conservateur que je connais depuis longtemps pour avoir travaillé avec lui avant qu’il ne soit élu. Avec son goût de la provocation habituel, il  me dit qu’il s’apprête, s’il est réélu, à supprimer les transports publics de sa ville (une ville moyenne de 80 000 habitants). « Tu comprends, me dit-il, tout le monde s’en plaint : les uns pour dire que les bus sont vides, d’autres pour dire  qu’ils ne  desservent pas la rue où ils habitent, et moi je trouve que c’est hors de prix pour un service pas terrible ». Sur cette  base un peu raide, une discussion s’engage sur ce que peut être la mobilité du XXIème siècle dans une ville comme la sienne. Et en fait il se montre très intéressé par les approches mixtes permettant d’inventer une mobilité plus souple que la seule alternative voiture individuelle/transport collectif. Et quand je lui dis que ce type  d’approche suppose une interaction forte entre la Ville, les opérateurs de transports (diversifiés), et les habitants, il en comprend l’intérêt et se dit prêt à envisager ce type  de solutions. C’est de la démocratie participative appliquée aux transports ! A la fois parce qu’il faut concevoir le dispositif avec les habitants mais surtout parce que ça renforce dans la durée et au quotidien  le « pouvoir d’agir » des gens qui ne sont prisonniers ni de leur voiture ni des bus mais doivent entrer en interaction avec d’autres pour trouver les solutions de déplacement adaptées à leurs besoins. Des changements de comportements qui ne se font pas évidemment du jour au lendemain, et qu’il faut donc accompagner. Toute une « ingénierie sociale » qui redonne à la collectivité une place essentielle de « facilitatrice » de la vie collective, sans être enfermée dans le rôle de prestataire de service.

Autre exemple, à droite, de ce changement du rapport à la politique : La Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), lieu de réflexion libéral, a organisé le 16 novembre dernier un événement inhabituel pour un think tank plus habitué à réunir des experts qu’à faire le show. Il était intitulé « Le progrès c’est nous ! ». De 0h à minuit, pendant 24 heures non stop, 170 personnes se sont succédés sur scène. Pas tous des vedettes, il y avait  des femmes et des hommes, des jeunes et  des moins jeunes, des acteurs économiques, des scientifiques, des personnes engagées dans des associations,… Dominique Reynié, le responsable de la Fondation disait dans l’intro de ces 24h : « une autre révolution a peut-être déjà commencé, celle de la société des femmes et des hommes … engagés, inventifs, ambitieux, généreux ». Pour lui le moteur du progrès, c’est cette « société émergente ».  Sur le site internet, l’ambition était clairement affichée : faire le récit de ce qui est possible pour chacun de nous, si l’on décide de se faire confiance et de libérer cet immense potentiel d’innovation, source du progrès social et humain.

Je suis convaincu que nous réussirons à faire émerger la démocratie sociétale à laquelle j’aspire quand droite et gauche se mettront à l’écoute de la « société vivante » – comme aime à dire Alain de Vulpian– et à lui faire confiance pour agir avec elle et non pour elle. J’ai vu que Le Monde organisait une opération sur cette question cruciale de la confiance, avec l’institut Confiances. Avec un colloque et surtout une semaine d’action sur les territoires pour créer des dynamiques locales autour de l’enjeu « restaurer collectivement la confiance entre politiques, administrations, acteurs économiques et financiers, experts et scientifiques, syndicats, médias et citoyens ». Là aussi, on est bien dans la logique de l’alliance sur laquelle nous travaillons !

 

 

5 x 20 ?

Difficile, sous la cinquième République, d’échapper à la bipolarisation. L’éventualité d’une répartition des voix en parts équivalentes entre Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy, François Bayrou, François Hollande, Jean-Luc Mélenchon, reste improbable. Et pourtant ! On voit bien que contrairement aux prédictions de début d’année la logique du « vote utile » ne semble pas prendre. Plusieurs étapes ont déjà marqué cette campagne, chacune favorable à l’un des trois challengers. On a eu d’abord l’instant Marine Le Pen avec des sondages qui la mettaient au coude à coude avec un Nicolas Sarkozy non encore candidat. Il y a eu ensuite le moment Bayrou en janvier quand il a dépassé les 10%. Nous voyons maintenant Mélenchon suivre le même chemin dans les sondages avec l’avantage de la nouveauté et de la capacité à rassembler des foules aujourd’hui à la Bastille mais peut-être aussi demain à Marseille ou à Toulouse. Même si les tendances à la hausse des deux premiers ont trouvé leur limite lorsque les médias ont installé le duel Hollande-Sarkozy, aucun des challengers n’est retombé à moins de 10% et on peut imaginer qu’à eux trois, ils ne feront pas moins de 40 ou 45 % des voix.

Quels que soient les niveaux réellement atteints le soir du premier tour, on sera sans doute obligé de constater qu’il y a en France non pas une gauche et une droite mais cinq forces plus ou moins équivalentes. Non pas une extrême gauche et une extrême droite marginales et un centre inexistant mais deux gauches et deux droites et un centre qui ne se retrouve dans aucun des deux camps.

Deux droites, car je pense qu’il faut renoncer à la diabolisation de  Marine Le Pen, celle du père n’a en rien permis d’éviter qu’il maintienne son parti dans la vie politique depuis 30 ans. Le Front National n’est pas un parti antirépublicain, il ne prône pas l’abandon des règles démocratiques. Il est, comme beaucoup de partis populistes  européens, xénophobe et nationaliste. La montée en puissance de ces partis est inquiétante quant à notre capacité, en Europe,  à continuer d’accepter l’altérité mais elle ne menace pas à ce stade notre régime politique. Les alliances avec les conservateurs conduisent à des choix contestables mais jusqu’ici rien d’irréversible n’a été accompli. Raccrocher les droites nationalistes à l’exercice du pouvoir me semble moins dangereux que de les laisser en marge du système comme un recours fantasmé face à une démocratie excluant « le peuple ».

Deux gauches, car là aussi – et  plus encore – le   terme d’extrême gauche ne me paraît pas pertinent. La gauche socialiste n’est aujourd’hui  qu’un centre gauche guère différent dans son évolution de ce qu’était le parti radical à la fin de la 3ème République. Cela laisse la place à une gauche radicale et tribunicienne, une gauche à la Jaurès, bien loin du trotskysme.  Il faut donc moins regarder l’irréalisme des promesses sociales (retraites, SMIC, …)  du Front de Gauche que la force de l’argumentation de Mélenchon sur la nécessaire sortie de l’économie financiarisée.  La faiblesse du projet tient plus à la croyance trop exclusive dans la capacité de l’Etat à tout décider. Il manque une réflexion sur la capacité de la société à se saisir des enjeux de transformation, le concept de planification écologique n’étant pas le plus heureux pour signifier l’accord nécessaire de toutes les parties prenantes pour réussir la mutation écologique de l’économie.

Enfin n’oublions pas non plus, malgré la regrettable absence de renouvellement de l’offre de Bayrou que le centre existe toujours dans son refus de l’enfermement dans les logiques partisanes et dans sa volonté de reconstruire la politique sur les ressources de la société civile. Hélas, Bayrou n’a guère exploré cette voie dans les cinq ans de traversée du désert qu’il s’est imposé. Je l’avais croisé dans un train juste après la séquence électorale de 2007 et j’avais essayé de le convaincre d’aller dans ce sens… en vain malgré un accueil plutôt bienveillant. N’aurait-il pas été plus audible s’il avait pu dire aux français qu’au terme de cinq ans d’exploration en profondeur des initiatives locales, il était en mesure de proposer des plans d’action mobilisateurs, s’appuyant sur ces initiatives et proposant des voies de déploiement ?  Sur l’éducation, la santé, le logement et bien d’autres sujets, nous disposons de formidables ressources d’énergie citoyenne si mal utilisées.
Certains lecteurs se demanderont peut-être ce que je fais de la famille écologiste qui ne disparaitra pas en raison d’une erreur de casting. Pour moi les écologistes, quand ils ne se fourvoient pas dans une campagne qui les marginalise, quand ils font confiance à Cohn-Bendit ou Hulot, participent de ce centre qui n’est réductible à un aucun parti. Encore une fois je pense que ce qui caractérise le centre moderne, c’est la capacité à faire coopérer la société à la résolution des problèmes communs.

Peu importe finalement le score que feront ces différentes composantes de notre paysage politique. Elles ne feront pas 5×20 mais nous devrons apprendre à mieux les considérer. Nous devrons arrêter de penser que ces challengers de la bipolarisation ne sont que des accidents. Il nous faudra « faire avec », notamment en introduisant la proportionnelle aux législatives mais aussi la proportionnelle dans notre débat public. La « diversité » est enfin devenue une question sociale pour la reconnaissance des droits de minorités. Il est sans doute nécessaire de penser une « diversité politique », avec une reconnaissance du droit aux cinq familles de s’exprimer sans être sans cesse contraintes à se situer par rapport à la norme du camp de gauche ou du camp de droite. Aujourd’hui, on peut vivre sa différence en tant qu’homosexuel sans être obligé de légitimer son orientation sexuelle par rapport à la norme. Quand donc pourra-t-on se sentir aussi libre de son orientation politique sans être ramené au choix bipolaire ?

Gauche, droite : j’ai besoin de changer de boussole !

Deux événements récents m’incitent à écrire sur la question gauche/droite. Je vais les mettre en relation avec une « boussole » que j’ai découverte il y a déjà quelques temps sur le site de Cosmopolitiques et dont j’avais l’intention de parler ici.

D’abord ces deux moments vécus dans les derniers jours.

Il y avait longtemps que nous ne nous étions pas vus avec Jean-Pierre Worms. Nous avons pris le temps de dîner ensemble dans un restaurant du quartier latin qui n’a pas changé depuis des lustres. Nous avons à nouveau constaté notre identité de vue sur la politique et la manière de faire vivre la démocratie. J’ai connu d’abord Jean-Pierre par la lecture d’un article qu’il avait publié dans la revue Le Débat (ou dans Esprit, je ne me rappelle plus). Je me souviens bien en revanche d’avoir ressenti à sa lecture le sentiment extrêmement fort que ce qui était écrit là, j’aurais pu l’écrire avec les mêmes mots. Nous nous sommes ensuite rencontrés, grâce à Didier Livio, et Jean-Pierre a accompagné l’aventure des Ateliers, de loin en raison de son activité débordante, mais avec un vrai « affectio societatis ». Pourtant Jean-Pierre a été député socialiste quand j’étais libéral engagé aux côtés de Charles Millon (avant son alliance avec le FN), Jean-Pierre est athée alors que je suis chrétien, et l’on pourrait multiplier les différences identitaires. Nous partageons néanmoins l’essentiel : la même conception de l’homme et de l’action politique. Je lui demandais  au cours de notre dîner comment on pouvait être si proche en venant d’horizons si différents. Pour lui ça tenait à une même conscience de la responsabilité personnelle.

Autre situation : j’accompagnais en début de semaine une délégation du conseil régional Nord-Pas-de-Calais en Toscane pour voir comment se mettait en œuvre la loi régionale sur la participation (j’y reviendrai sans doute). Au cours d’un dîner, le vin aidant, l’échange se fait plus vif. Je dis mon agacement à voir le PS incapable d’une idée neuve dans son projet de société quand un des convives défend au contraire le texte présenté récemment par Benoît Hamon comme étant enfin à gauche. J’essaie de dire ce que j’attends de la politique, qu’elle soit capable de mobiliser la société et pas seulement de prévoir des impôts et des règles. Et finalement, ne me faisant pas comprendre, je finis par affirmer que je ne suis décidément pas de gauche… au grand étonnement de la tablée. Après cet échange au cours duquel je faisais néanmoins part de mon antisorkozysme viscéral et de mon souhait d’une transformation profonde de la place des entreprises dans la société, plusieurs des convives me dirent en aparté qu’ils partageaient mon incertitude sur ce qu’ « à gauche » voulait dire.

Aujourd’hui je ne sais plus me situer sur une ligne entre gauche et droite. Je suis sans doute encore à droite (chrétien démocrate) sur beaucoup de questions de société et d’éthique, je suis libéral au sens où je crois à la responsabilité personnelle et à l’entrepreneuriat, je suis écologiste moins pour la protection de la nature que pour le refus de la société de consommation, je suis altermondialiste sur les questions de richesse, de monnaie et de modalités de répartition de la valeur ajoutée. Qui peut me dire ce que ça fait, en synthèse comme positionnement politique ? Pas étonnant que je vote différemment à chaque élection, plus en fonction de ce que je sens des personnalités qu’en fonction des programmes annoncés. Et bien sûr je ne suis pas le seul à vivre ce grand écart permanent. Mais à chaque fois que quelqu’un essaie de penser à nouveaux frais, il se plante. Les écolos vont-ils mieux réussir que Bayrou à transcender les clivages ou vont-ils prudemment rester « à gauche » ?

Oui, on a besoin d’une nouvelle boussole politique qui aide à prendre les questions sur d’autres lignes de partage. Je disais en commençant que j’en avais découvert une sur le site de Cosmopolitiques la revue d’écologie politique. Je vous invite à lire le texte de Dominique Boullier, ou à le parcourir. J’en ai retenu le maping qu’il propose autour de deux axes autoritarisme / démocratie et individualisme / solidarités, ce qui lui permet de définir quatre types de rapport à la politique : les « écodémocrates » conjuguent la démocratie avec la solidarité alors que les « relativistes » l’associent à l’individualisme. Les « traditionalistes » se préoccupent de solidarité comme les écodémocrates mais sur un mode autoritaire. Enfin les « modernistes » cumulent les certitudes de l’autorité et l’individualisme. On imagine bien que gauche et droite peuvent plus ou moins se retrouver dans chacun des quadrants. Pour apprendre à jouer avec cette boussole qui commence par … déboussoler (!), je vous invite à regarder les déclinaisons que propose Dominique Boullier.

boussole persopolitique
boussole persopolitique

 

 

Rien ne nous empêche d’en inventer à notre tour. Pour ma part, j’ai essayé de voir ce que ça donnait pour classer les types d’entreprises. Voici donc ma boussole « entreprise » :

Boussole entreprise ©hcd
Boussole "entreprise" par hcd