OUI, la réforme des retraites peut être désirable !

L’été n’est pas fini, certains d’entre vous sont sans doute encore en vacances, et DEJA un sujet sérieux : les retraites ! Mais si on prenait justement un moment pour réfléchir au sujet autrement que sous l’angle financier ?? C’est ce que je propose ici.

« Encore les retraites ! », on sent bien que le sujet lasse. Chacun espérait que ça avait été réglé par la dernière réforme mais au fond personne n’y croyait réellement ! La conférence sociale de juillet a donc planché sur le sujet en amont d’une concertation estivale dont on peine à voir les traces dans la presse. Septembre va arriver et le gouvernement devra avancer… mais on sait déjà que ce sera toujours avec le même point de vue exclusivement financier.

Depuis vingt ans, on ne cherche qu’à « préserver le système » avec trois variables d’ajustements, la durée de cotisation pour pouvoir partir au taux plein, le taux des cotisations et le montant des pensions. Chacun cherche alors logiquement à minimiser l’effort financier qui va lui être demandé… et c’est un rapport de force que le politique tranche en dernier recours. N’y a-t-il donc aucune autre manière de regarder le problème ? Est-on condamné à revivre tous les 5 ou 10 ans le même psychodrame ? Tant qu’on se contentera d’un simple replâtrage financier, chacun continuera à ne voir dans la réforme qu’un « toujours moins » vide de sens et désespérant. L’enjeu pourtant essentiel que chacun pourrait partager s’énonce simplement : comment veut-on vivre « l’avant-vieillesse », cette période de vie qui s’est intercalée entre l’âge mûr et la vieillesse ? En effet, contrairement à ce qu’on dit tout le temps, on ne vit pas vieux plus longtemps, on devient vieux plus tard. Ça change tout ! C’est ce que certains appellent la « sénescence », parallèle avec l’adolescence qui est progressivement apparue entre enfance et âge adulte. Cette nouvelle période de vie qui va de 50/55 ans à 75/80 ans (soit près de trente ans !) n’est aujourd’hui pensée que selon les modèles anciens : la retraite ou l’activité professionnelle.

Cette période essentielle où l’on est mûr sans être vieux peut pourtant être vécue sur un mode différent : une activité maintenue mais qui passe progressivement de l’emploi à l’engagement social. On peut ainsi travailler plus longtemps sans continuer le métier qu’on ne veut (ou peut) plus faire. Pour y parvenir, la loi n’est pas le bon outil, il faut avant tout mettre des personnes en présence pour qu’elles organisent ces transitions au cas par cas. Ça suppose des espaces de négociation qui impliquent non seulement l’entreprise et ses salariés mais aussi les acteurs du territoire. On a besoin en effet de construire des solutions locales avec les associations et les collectivités pour voir où réinvestir le temps de travail des salariés seniors quittant progressivement l’emploi salarié. L’enjeu est d’ouvrir des perspectives aux personnes en fin de carrière qui ne voient pas d’alternative entre le travail et la retraite parce que l’engagement associatif n’a pas fait partie de leur vie professionnelle, souvent par manque de disponibilité. Les activités d’utilité sociale sont multiformes et chacun peut sans doute trouver une voie épanouissante… et créatrice de richesse économique.

Il est essentiel en effet que les seniors continuent à produire des richesses, mais différentes. Le soutien scolaire, activité prisée déjà par de nombreux seniors, pour prendre un exemple, c’est une formidable opportunité de renforcer la qualité de la formation initiale des jeunes, réduisant du même coup les besoins de formation de rattrapage ou d’indemnisation du chômage de jeunes adultes sans qualification. Il y a création d’une valeur qui ne donne pas lieu à un échange monétaire mais qui, in fine, se retrouve bien dans les comptes de la Nation par une économie de dépenses publiques de formation ou d’indemnisation du chômage. L’approche comptable actuelle empêche de voir à la fois les perspectives de mieux vivre qu’offre une fin de vie professionnelle plus conforme aux aspirations des personnes et l’impact économique global de la réallocation des « ressources humaines » que permet cette approche.

Réformer aujourd’hui, ça devrait consister à rendre possible et désirable pour les acteurs sociaux d’organiser eux-mêmes les changements qui éviteront les « réformes couperet ». Ce qui manque donc, c’est la capacité de tirer parti, à la bonne échelle, de l’inventivité sociétale. Les responsables politiques doivent cesser de penser que les solutions sont dans les cabinets ministériels ou les rapports des commissions officielles ! Rien n’est fait aujourd’hui pour entraîner la société dans ce nouveau rapport à l’activité, une activité pensée tout au long de la vie mais de manière différenciée selon les âges… mais il n’est pas trop tard. Le véritable contrat de génération est là, dans la mise en place de conditions propices au maintien des seniors dans une activité utile à la société.

Utopique ? C’est plutôt l’inverse qui est illusoire : allonger la vie active sans veiller aux conditions effectives de l’emploi et retrouver au chômage des seniors qui ne correspondent plus aux attentes des entreprises. Beaucoup de souffrances et peu d’efficacité économique ! Beau résultat !

 

 

projet d’alliance

Intéressantes les réactions à mon texte sur le tirage au sort : beaucoup plus positives qu’il y a 10 ans ! Sans attendre sa mise en œuvre (encore lointaine, si ma datation est juste 😉 ), j’aimerais engager une réflexion plus immédiate sur la transformation du politique. que pensez-vous du projet d’alliance que j’imagine ?

Nous sommes nombreux à partager même intuition : le dialogue entre politique et société civile est indispensable pour régénérer la démocratie et la sortir d’un entre soi mortifère, entre soi avant tout du côté des politiques mais parfois aussi du côté des associations et des collectifs qui craignent toute instrumentalisation. Seule pourtant une véritable alliance peut faire naître les mobilisations collectives dont la transition écologique et sociale a besoin. Les politiques publiques traditionnelles sont impuissantes, faute de moyens budgétaires suffisants (en période de crise) mais surtout faute de moyens d’action pertinents.

Ce dialogue aujourd’hui est rendu impossible par une classe politique qui se coupe de la réalité de la société pourtant beaucoup plus vivante que ne l’est la politique institutionnelle. L’inventivité, la créativité sont le fait des entrepreneurs sociaux, des collectifs et associations de toutes natures. Il faut donc du bottom up, des partenariats publics privé équilibrés, des campagnes médiatiques d’un nouveau genre, des capacités à construire et animer des réseaux d’acteurs,…

Les gouvernants peinent à réinventer leur rôle pour accompagner la transition en cours. Ils continuent à utiliser les mêmes instruments de l’action publique (le budget et la loi) alors qu’ils ne cessent de dire qu’il y a trop de règles et qu’il faut réduire les budgets. Réussir la transition c’est accompagner les changements de comportements (et plus encore d’attitudes) en matière de consommation, de déplacement, de santé,… Or sur le registre des comportements les armes budgétaires et réglementaires sont nettement moins efficaces que les actions de mobilisation des acteurs de la société civile… mais cela suppose des compétences que l’on n’apprend pas à l’ENA. Il faut donc apprendre à composer avec la société civile. Les politiques ne peuvent pas le faire seuls.

 

Les limites du combat politique traditionnel

Certains comme Corinne Lepage et son Rassemblement Citoyen estiment nécessaire d’entrer dans le combat politique traditionnel pour qu’il y ait des élus qui transforment de l’intérieur l’action publique puisque celle-ci n’accepte pas de se voir dicter d’autres modes de faire de l’extérieur. Il faudrait donc être au pouvoir pour agir efficacement et changer les règles.

Même si j’ai beaucoup d’intérêt pour la démarche de Corinne Lepage, avec qui j’en ai discuté, je suis sceptique sur la possibilité de créer un mouvement suffisamment fort pour que les élus obtenus soient en mesure de peser efficacement (voir les Vert au gouvernement). Quelques élus seraient vite digérés par le système et à l’échéance électorale suivante le combat serait à reprendre de zéro.

On voit à quel point le système électoral, le monde médiatique et nos représentations idéologiques de la politique rendent difficile toute approche pragmatique s’appuyant sur les meilleurs de gauche et de droite. Tous ceux qui se sont essayé à dépasser ce clivage pourtant archaïque s’y sont cassés les dents (Chevènement, Bayrou, Cohn-Bendit,…)

 

Le projet que nous pourrions bâtir

Un autre combat me paraît jouable. Il s’appuie sur le raisonnement suivant :

1- Le personnel politique est très difficile à remplacer par la voie électorale classique : il est très homogène, au-delà des étiquettes politiques, et les partis sont de redoutables machines à conserver les situations acquises.

2- Les politiques publiques sont de moins en moins efficaces et les marges de manœuvre sont de plus en plus réduites sur le plan budgétaire ce qui fait que les politiques (au moins au plan national) sont remis en cause à chaque élection

3- Pour se maintenir au pouvoir ils peuvent être prêts à modifier leurs modes de faire A CONDITION que ça ne se traduise pas par une perte de pouvoir.

L’enjeu est donc de FAIRE ALLIANCE avec les plus ouverts d’entre eux (au plan national comme au plan local) en leur apportant une capacité de mobilisation de la société civile sur les politiques publiques dont ils sont en charge.

Jusqu’ici les politiques ont toujours perçu la société civile comme des empêcheurs d’agir (les ONG environnementales, les associations de consommateurs,…), des défenseurs d’intérêts catégoriels (le patronat, les syndicats,…), des supplétifs palliant les déficiences de l’Etat (les associations du secteur social…). Il est donc nécessaire de construire une autre relation, qui passe par plusieurs axes de travail simultanés :

1- mettre au point la « boîte à outils » pour reprendre l’expression de Fr Hollande avec

– de véritables plans de soutien à l’initiative sociétale

– des instruments juridiques neufs comme par exemple un « droit de tirage sur l’expertise publique » ou le « droit de saisine du Parlement » pour mettre à l’ordre du jour du Parlement des propositions de loi d’initiative citoyenne (de préférence au référendum qui nie l’utilité de la délibération démocratique)

– l’obligation de jurys citoyens préalables à la législation sur des sujets de société

– le déploiement d’incubateurs civiques,

2- trouver des alliés chez les politiques qui s’engagent dans le mouvement et lancer des expérimentations avec des collectivités partenaires

3- donner à voir médiatiquement ce que produit l’alliance politique/société civile là où elle marche (un peu en France et beaucoup à l’étranger) en trouvant des alliés dans le monde médiatique et en utilisant les réseaux sociaux

Construire une nouvelle « boîte à outils du politique », l’expérimenter avec des alliés, faire évoluer les représentations grâce à des médias en pointe et à la force des réseaux sociaux me semble un combat qui vaut la peine d’être mené.

La société civile a longtemps été méfiante à l’égard de tous les pouvoirs, sans doute trop marquée par la génération 68, pour chercher à construire cette alliance. Le risque est aujourd’hui inverse : la génération Internet tend à croire que les réseaux se suffisent à eux-mêmes et que les institutions sont de vieilles choses qu’il vaut mieux contourner.  Mais j’ai l’impression que les choses évoluent. En regardant des extraits des débats du Forum Changer d’ère qui avait lieu à la Villette le week-end dernier, j’ai vu des passerelles nouvelles s’établir. Il y a dans les trentenaires des personnalités intéressantes : Anne-Sophie Novel, Thanh Nghiem… qui savent envisager le genre d’alliances auquel j’appelle. Patrick Viveret ne s’y est pas trompé lui qui a su à cette occasion tendre la main à la nouvelle génération… tout en l’incitant à ne pas oublier les combats nécessaires contre la démesure et la financiarisation (en présence du patron de Publicis !).

 

Rupture et continuité

Je reviens sur les réactions suscitées par mon dernier article. Merci à tous ceux qui ont réagi, en commentaire ou par mail. Les inquiétudes mais aussi les enthousiasmes suscités m’incitent à préciser ma pensée… pas à l’atténuer !

Je reviens sur les réactions suscitées par mon dernier article. Merci à tous ceux qui ont réagi, en commentaire ou par mail. Les inquiétudes mais aussi les enthousiasmes suscités m’incitent à préciser ma pensée… pas à l’atténuer !

René Rémond, dont j’ai été – comme tant d’élèves de Sciences Po – un étudiant enthousiaste avait l’habitude de proposer l’inaltérable balancement « Rupture et Continuité ». Déjà il y a 30 ans, j’étais plus fasciné par le côté « rupture » que par le côté « continuité » ! Ce que j’aime dans l’idée de rupture, c’est son potentiel polémique. J’aime penser « contre », c’est stimulant intellectuellement même si ça entraîne parfois à quelques facilités, vite jugées par mes lecteurs comme des raccourcis abusifs. Comme le sujet de l’évolution de la démocratie mérite qu’on le traite avec autant de rigueur que de créativité, je veux m’expliquer plus précisément.

Je suis d’accord pour dire que le vote nous renseigne utilement sur l’état de l’opinion, sur son refus des dérives inégalitaires actuelles. Mais ce faisant, il ne donne pas de majorité claire et montre bien qu’il n’est pas un outil obligatoirement pertinent pour gouverner dans la tempête. La référence aux années 30 et à la montée des fascismes va plutôt dans mon sens. Le vote peut être un très bon indicateur des inquiétudes du peuple et en même temps amener à des impasses. Je ne dis pas pour autant qu’il faut supprimer le vote mais simplement qu’on ne peut pas considérer que c’est l’instrument ultime et sacré de la démocratie. Ce qui est plus important à mes yeux, c’est l’intensité de la vie démocratique, sous toutes ses formes : démocratie sociale, démocratie locale, démocratie participative, contre-démocratie (selon l’expression de Rosanvallon),… Pour moi toutes ces formes participent d’une manière ou d’une autre à ce que j’appelle la démocratie sociétale mais le terme de démocratie complexe évoqué par Michel Weill me va aussi (Rosanvallon, toujours lui, l’utilise également : « plus que d’une séparation ou d’une balance de ceux-ci, c’est en termes de complication, de démultiplication et de distinction des fonctions et des formes démocratiques qu’il faut raisonner » Le Monde juin 2011).

Michel Weill lance alors : « peut-on imaginer un empowerment social qui prospèrerait à l’ombre du totalitarisme, même sous des formes dégradées tel que celui de Berlusconi ? » La réponse est bien évidemment non. Mais en parlant de Berlusconi, il montre bien que ce totalitarisme édulcoré est déjà là, AVEC le vote. Il n’y a pas besoin de la disparition du vote pour passer de la démocratie à l’oligarchie actuelle (je préfère ce terme à celui de totalitarisme car en utilisant totalitarisme on garde le sentiment du tout autre – nazisme ou stalinisme – alors que la sortie de la démocratie se fait actuellement plus insidieusement). On vit déjà dans un régime dont la plupart des choix cruciaux se font indépendamment du point de vue des électeurs : le référendum européen de 2005 n’a pas permis de réorienter la politique européenne de la France, l’élection de François Hollande n’a pas remis en cause la priorité accordée à la réduction des déficits et de la dette, remettant à plus tard bien des engagements électoraux… Est-on réellement capable de lutter contre la financiarisation de l’économie par la démocratie représentative ? Je crains que non. Je n’en tire pas les conséquences des populistes qui crient « tous pourris » ou « tous incapables ». Je dis au contraire qu’il faut faire avec les élus tels qu’ils sont sans croire qu’ils aient de réelles marges de manœuvre A EUX SEULS. Il est essentiel de créer de nouvelles alliances, pas pour faire un peu de démocratie participative A COTE de la démocratie représentative (comme le suggère Philippe Bernoux) mais pour mener des politiques publiques très différentes faisant confiance à la capacité de la société à se prendre en charge. J’ai cité 3 sujets-clés au plan national qui peuvent être portés dans une dynamique de démocratie sociétale : l’école, la transition énergétique, l’emploi. J’aurais pu citer la santé comme y invite Claude Costechareyre ou la cohésion sociale (comme tente de le promouvoir le collectif Pouvoir d’agir).

La démocratie est moins un régime qu’un processus. Nous devrions  parler de démocratisation plus que de démocratie. Comme Claude, je ne crois pas que les seuls « outils » (vote ou tirage au sort) font la démocratie. La démocratisation est donc un cheminement sans cesse à réinventer. Quand un passage est obstrué et ne permet pas d’avancer, on a le choix de supprimer l’obstacle ou d’élargir le sentier qui le contourne. Compte tenu des forces en présence, il me semble plus efficace et plus sûr de démocratiser nos pratiques sociales (et pas seulement locales)  que de renforcer la démocratie représentative. C’est une stratégie de contournement. Je ne dis donc pas qu’il faut immédiatement remplacer le système représentatif, je dis que l’effort prioritaire doit être porté ailleurs en faisant avec le système politique en place. Pour moi, cette démocratie sociétale ne se réduit pas à la démocratie locale puisqu’elle est avant tout une nouvelle manière de conduire les politiques publiques… mais en s’appuyant sur l’énergie des citoyens et de tous les acteurs de la société civile. Si l’on veut réformer l’éducation avec les parents, les associations et les entreprises, si l’on veut impliquer les habitants dans la transition écologique, on voit bien qu’il y a un effort immense à faire pour développer l’envie et le pouvoir d’agir ! Oui, investir dans ces dynamiques me semble l’action la plus urgente pour renouveler la démocratie. J’ai trop vu d’hommes et de femmes se lancer dans la politique en espérant la changer et devenir à leur tour des notables à peine élus que je crois très difficile de revenir sur la professionnalisation de la politique en conservant la logique représentative. La voie de la rénovation de la démocratie représentative est pour moi bouchée pour longtemps (même avec la réforme réduisant le cumul des mandats). Faisons avec !

D’accord enfin avec Pierre Calame (Cf. Le texte auquel il renvoie dans son commentaire), sur l’importance de développer « des méthodes nouvelles, en rupture avec le jeu politique classique, [qui développeront] au sein de la société française de nouveaux apprentissages, [la dotant] du capital immatériel, de cet art du «faire ensemble» qui lui manque aujourd’hui pour aborder sereinement les défis du XXIe siècle ».

Je reviendrais bientôt sur la question du tirage au sort qui suscite à la fois l’intérêt et le scepticisme de Guy Emerard sur sa faisabilité puisque à ce jour il faudrait passer par les élus pour qu’ils le décident. Quoi qu’il en soit l’évocation trop rapide que j’en ai faite était maladroite. Je sais à quel point cette réflexion heurte nos représentations. Mais il n’y a pas pour moi de naïveté, cher Michel Weill, à penser qu’il peut avoir sa place dans l’animation d’une démocratie complexe. J’avais écrit il y a quelques mois que cette question devrait être reprise, je le crois toujours. Ça nous prépare sans doute d’autres débats tout aussi passionnants.