Lettre ouverte à ceux qui ne croient plus au développement durable

Pour une fois, un texte directement inspiré de mon métier de consultant en développement durable… mais on y parle aussi d’empowerment ! J’essaie d’avoir un peu de cohérence entre les deux faces de mon activité !

Chère consœur,

Cher Dominique,

Chers amis sceptiques ou déçus,

J’étais il y a quelques semaines au débat du Monde Festival consacré à l’écologie et à la mobilisation citoyenne. Autour des trois intervenants, Dominique Bourg, vice-président de la Fondation Nicolas Hulot, Pascal Canfin, directeur général du WWF et Cyril Dion, réalisateur du film « Demain », on sentait pour une fois une salle à l’unisson pour partager un désir d’action. Quand Pascal Canfin annonçait la création d’une plateforme de crowdacting pur rassembler les initiatives de chacun… « après les élections », une personne dans la salle l’a apostrophé en disant « pourquoi attendre ? » et toute la salle a applaudi amenant Canfin à promettre qu’il allait essayer d’accélérer.

Devant cette envie d’agir largement exprimée et partagée, une dissonance m’incite à réagir car elle concerne les entreprises et leur place dans cet effort de transformation collectif. Une consultante en développement durable présente dans la salle a en effet pris la parole (sans que je parvienne à l’identifier dans la foule nombreuse qui se pressait dans le foyer du Palais Garnier) pour dire à quel point son métier avait perdu du sens au cours des dernières années. On n’était plus dans l’époque des pionniers qui inventaient des démarches innovantes mais dans une période où les entreprises poussées par la normalisation se mettaient à faire du reporting sans aucune créativité, gaspillant leur énergie dans des procédures qui ne changeaient rien sur le fond. Dominique Bourg, philosophe, très engagé sur les enjeux de démocratie écologique rebondissait sur son intervention pour dire que lui aussi bannissait ce terme de développement durable de ses propos tant les résultats étaient loin des promesses puisque le découplage attendu entre croissance et consommation des ressources ne s’était pas produit mais qu’au contraire chaque point de croissance était obtenu avec plus de consommation de ressources qu’avant.

Dominique Bourg n’est pas un idéologue, c’est un pragmatique qui cherche des solutions. Il est un des premiers à avoir promu le terme d’économie de la fonctionnalité. Nous avons travaillé ensemble au départ de l’expérimentation conduite avec Seb pour proposer une alternative à l’achat des appareils de cuisson via un service de location. Son propos ne me laisse donc pas indifférent, à la fois comme consultant et comme citoyen. Faut-il comme il le suggère renoncer au combat du développement durable ?

Oui, si le développement durable est le moyen de d’obtenir le droit de continuer à produire comme avant moyennant des gages donnés sur quelques sujets sociaux ou environnementaux soigneusement sélectionnés pour ne pas avoir d’incidence directe sur le métier même de l’entreprise (ou le projet du territoire).

Mais évidemment ces pratiques ne sont pas du développement durable ! Rappelons-le, le développement durable consiste, selon la définition de Brundtland, à répondre à nos besoins en préservant la possibilité des générations futures, y compris les plus pauvres, de pourvoir à leurs propres besoins. Cette prise en compte du temps long et des plus faibles rend nécessaire une plus grande créativité !

La transformation des modèles économiques (pour les entreprises) et des projets de territoire (pour les institutions), qu’exige le « vrai » développement durable, suppose d’agir à la fois par l’innovation, la gouvernance et la communication. Ensemble.

L’économiste Michèle Debonneuil a bien montré que les approches thématiques du DD conduisaient à chercher à faire la même chose en intégrant des contraintes alors qu’il est plus pertinent, plus désirable et donc au final plus simple de « chercher à répondre aux besoins tout autrement ». D’où les enjeux capitaux de l’économie circulaire, de l’économie de fonctionnalité, de l’économie collaborative,…

L’innovation est donc essentielle mais elle ne peut plus être pensée seule. Elle doit elle-même s’appuyer sur les ressources des salariés, des clients, des citoyens. Elle nécessite pour cela une gouvernance qui laisse de la place au bottom-up, au développement du pouvoir d’agir (empowerment). Elle suppose en conséquence une communication radicalement renouvelée qui mobilise chacun dans ce jeu collectif.

Le développement durable ainsi conçu est une aventure humaine extrêmement riche nécessitant vision et pragmatisme, stratégie et expérimentation. Les analyses de matérialité et le reporting prennent alors un sens très différent : ce ne sont plus des pratiques normatives et bureaucratiques mais des outils de pilotage. En amont de la stratégie pour bien percevoir les enjeux pour « agir tout autrement » et les partager avec les parties prenantes internes et externes ; en continu ensuite pour accompagner les acteurs de la transformation pour que celle-ci soit vécue comme un projet où chacun a sa part.

Lorsque le développement durable est vécu comme ça par les entreprises, c’est aussi motivant et enthousiasmant que le « crowdacting » proposé par Pascal Canfin ! Pourquoi alors cette impression de décalage entre ce qui se fait en entreprise et ce qui se fait dans l’univers associatif ? Sans doute parce que les entreprises les plus engagées dans des transformations profondes le font peu savoir tant qu’elles n’ont pas de résultats tangibles. Sans doute aussi parce que les premiers résultats sont encore peu repris dans les médias et les cercles dirigeants. Qui sait par exemple comme le rappelait Pascal Canfin (encore lui !) dans une tribune parue dans Le Monde économie le 2 septembre dernier que la part des énergies renouvelables a représenté, en 2015, 90% des nouvelles capacités de production d’électricité installées dans le monde contre 50% en 2014.

De ce fait, conclut-il, « les émissions globales de CO2 provenant du secteur de l’énergie ont stagné pour la seconde année consécutive en 2015 malgré une croissance économique mondiale de 3 %. Nous sommes donc sans doute en train de vivre les premiers éléments du découplage entre production de richesses économiques et émissions de CO2. Même si ce n’est que le tout début du chemin, nous sommes enfin sur la bonne voie. »

Chers amis sceptiques ou déçus, ce n’est pas au moment où l’urgence de la transition est enfin reconnue (y compris en Chine et aux Etats-Unis, car n’oublions qu’avec le fédéralisme américain, beaucoup d’engagements se prennent Etat par Etat), au moment où les premières actions commencent à avoir des résultats qu’il faut changer de cheval ! La notion de développement durable a bien sûr des ambiguïtés ; elle a parfois couvert des opérations de pure communication mais il est essentiel que nous soyons toujours plus nombreux à concevoir et mettre en pratique un développement durable ambitieux et créatif.

Cette approche du DD doit pouvoir réconcilier le consultant et le philosophe !

En finir avec le referendum !

Ces derniers temps en France, à droite mais aussi à gauche, beaucoup voulaient voir dans le référendum un moyen de retrouver le lien avec les électeurs. Pas sûr que les deux expériences des derniers jours en Grande-Bretagne et en France les aient totalement dessillés. Et pourtant !

Une réponse en apparence simple (Leave) et l’on se retrouve avec des centaines de questions sans réponses ! Des exemples.

Comment peut-on traiter depuis une semaine la majorité des Anglais de nationalistes aigris et insulaires alors que le Leave rassemble nécessairement des gens qui auraient eu des positions très différentes si on ne les avait pas forcé à un choix aussi binaire que IN or OUT ? Comment pouvait-on, par exemple, se dire européen mais avec une autre Europe quand on avait le choix entre un bulletin Remain et un bulletin Leave ?

Comment, plus largement, a-t-on pu demander de décider de manière définitive d’une option dont on ne connaît aucune conséquence ? Quelle entreprise, quelle famille, quelle organisation prend ses décisions de cette manière ? La démocratie a-t-elle le droit d’être inconséquente ? N’est-elle pas aussi un régime qui doit permettre que les minorités soient respectées ?

Comment désormais les parlementaires britanniques vont-ils pouvoir mettre en œuvre une mesure qu’ils n’auraient pas eux-mêmes voté si on le leur avait demandé ? On se trouve dans la situation la plus invraisemblable qui soit : des électeurs tranchent mais ne décident pas (ce sont les parlementaires qui doivent engager la procédure de sortie) ; des élus vont devoir traduire en décision un référendum dont ils ne partagent pas les conclusions et pour la mise en œuvre duquel il n’existe pas de majorité cohérente.

Les questions et les paradoxes sont si nombreux qu’on est pris de tournis face à cette incurie démocratique !!

Incurie, oui ! parce que ce referendum absurde, décidé pour des raison absurdes aura des enchainements d’effets pendant des années avant qu’un nouvel équilibre ne voit le jour. Une seconde de toute-puissance dans un isoloir pour des années de galère à régler des problèmes qu’on a soi-même créés : voilà le deal plus démoniaque que démocratique qui a été proposé aux britanniques.

Quand on perd la signification de l’engagement démocratique, on s’expose à des réponses qui relèvent plus du jeu de bonneteau que de la délibération. Un jeu vécu comme anodin puisqu’on vit dans une démocratie tellement désincarnée, où les votes ont si peu d’effets tangibles. Quand les gens ont le sentiment de n’avoir que le pouvoir de dire non, il n’est pas étonnant qu’ils en usent, d’autant que ça ne change habituellement pas grand-chose : des dirigeants sont changés mais les politiques restent largement les mêmes. Un vote habituellement sans conséquence se révèle cette fois avoir des retombées aussi lourdes qu’insoupçonnées la veille (insoupçonnées parce que négligées).

Même si l’ampleur de la catastrophe est moindre en France, le referendum de Loire-Atlantique est tout de même aussi terrible pour la démocratie. Là aussi on a brandi le recours ultime au peuple souverain ! Que le peuple tranche une bonne fois pour toutes ! Le peuple ? Quel peuple ? Celui de Loire-Atlantique vous dis-je ! Cécile Duflot sur France Inter a demandé à Patrick Cohen qui cherchait visiblement à montrer que les écolos n’étaient pas des démocrates, s’il savait le nom donné par ses promoteurs au futur aéroport de ND des Landes. Devant son ignorance, elle lui a dévoilé : « aéroport du Grand-Ouest », révélant l’absurdité d’interroger les électeurs d’un seul département quand le projet lui-même évoque l’idée d’une desserte pour les habitants d’au moins 2 ou 3 régions de l’Ouest de la France. Le referendum n’est plus ici qu’un jouet manipulable à loisir si l’on choisit sciemment de n’interroger qu’une toute petite partie des personnes concernées. Plus grave, dans une situation bloquée, le référendum n’est évidemment pas le moyen de trouver une solution. A l’inverse on cristallise les oppositions.

Le pire, encore une fois, est que l’on prétend que c’est la démocratie qui s’est manifestée au travers ces deux référendums. Le peuple s’exprime, la messe est dite (vox populi, vox dei). On est bien dans la croyance, mais de la pire espèce. Celle qui fait fi de la raison. La croyance qui, d’égalité en égalité, réduit la démocratie à un « oui ou non » aussi binaire que bête : démocratie = expression populaire = vote = choix entre oui et non. CQFD.

Réduire la démocratie au vote et au vote le plus limité qui soit (oui/non) c’est vraiment ne pas avoir beaucoup de considération pour nos capacités de citoyens ! Ce ne sont pas les Anglais ou les habitants de Loire-Atlantique qui prennent de « mauvaises décisions », ce sont les responsables politiques qui osent jouer avec la démocratie.

Je disais dans mon dernier papier qu’il fallait se doter de nouveaux mots pour renouveler la démocratie (délibérer et entreprendre), ne faudrait-il pas aussi en rayer quelques-uns de notre pratique : le mot référendum par exemple ? C’est en effet tout sauf un outil démocratique quand il est laissé à l’initiative des gouvernants. Préférons-lui le terme plus modeste de « votation » des Suisses et surtout leur pratique, bien différente de la nôtre !

J’organise le 7 juillet à 18h une rencontre[1] pour débattre de ce que peut être une démocratie radicalement différente, en m’appuyant sur les pistes que j’ouvre dans « Citoyen pour quoi faire ? construire une démocratie sociétale » publié chez Chronique Sociale. J’espère que les Lyonnais qui lisent ce blog seront présents nombreux !

[1] De 18h à 20h au théâtre de l’Elysée, 11 rue Basse Combalot métro et tram Guillotière. Une rencontre animée par Denis Bernadet.

Convergence

Un texte, sur le chemin (aérien) des vacances… avant de laisser Nuit debout de côté pour profiter pleinement de la Sicile où je passe la semaine !

J’étais hier midi avec mes amis du collectif ArchipelS. Nous ne nous étions pas tous réunis depuis longtemps. Naturellement le premier sujet que nous avons abordé a été Nuit debout. Après un premier décorticage de ce qui se passe par celles et ceux qui sont allés sur place, on voit vite qu’un éclaircissement de nos positions est nécessaire. « Tu veux dire que le mouvement devrait se structurer ? moi, je pense que c’est bien qu’il reste dans l’incertitude. Vouloir un débouché rapide est le plus sûr moyen que ce soit un échec », « Non, je ne veux pas une structuration, plutôt une clarification pour éviter la déception si ça se prolonge sans résultat « classique » du type retrait de la loi ou naissance d’un mouvement politique ». Nous sommes en fait largement d’accord pour dire que l’apport essentiel de Nuit debout est sa dimension « éducation populaire ». Chacun reconnaît la qualité de l’organisation des prises de parole qui oblige à s’exprimer brièvement et donc à entendre une multiplicité de points de vue. On réinvente parfois l’eau tiède ? Oui, mais ça permet à des personnes peu averties des sujets (les biens communs, le revenu d’existence, les débats constitutionnels…) de se les approprier plutôt que de les découvrir tout-pensés… par d’autres ! L’idéal serait que l’on ne fasse que passer par les places de la République et d’ailleurs puis qu’on aille rejoindre tel ou tel projet ou combat avec d’autres déjà investis sur ces sujets.
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