Une démocratie des ressources plutôt qu’une démocratie des épreuves !

De quelle démocratie avons-nous besoin pour surmonter les épreuves qui sont devant nous ? La proposition d’une « démocratie des épreuves » voulue comme une réponse au populisme ne répond en rien à l’urgence principale, la transformation de nos modes de vie. Pour réussir il faut plutôt miser sur une démocratie des ressources…

En première lecture, Pierre Rosanvallon est toujours stimulant : il met des mots sur les réalités sociologiques qui permettent de les voir sous un jour nouveau. Dans les 3 pages que Le Monde vient de consacrer à son nouveau livre, l’intérêt tient aussi au commentaire argumenté qu’en font quatre acteurs de la vie politique française : Anne Hidalgo, Marine Le Pen, Arnaud Montebourg et Valérie Pécresse. Je n’ai pas encore lu le livre de Rosanvallon mais la thèse expliquée par l’auteur lui-même dans l’extrait du livre repris par le quotidien est claire. Un entretien dans l’Obs confirme bien le ressenti premier. Cet essai entend donc « appréhender le pays de façon plus subjective, en partant de la perception que les Français ont de leur situation personnelle et de l’état de la société. Il se fonde pour cela sur une analyse des épreuves auxquelles ils se trouvent le plus communément confrontés ».

Pierre Rosanvallon retient ainsi trois types d’épreuves :

  • Les épreuves qui déshumanisent les femmes et les hommes (harcèlement, violences sexuelles, emprise, manipulation, …).
  • Les épreuves du lien social en distinguant mépris, injustice et discrimination.
  • Les épreuves de l’incertitude liées aux bouleversements économiques, au dérèglement climatique ou aux pandémies, autant qu’aux incertitudes géopolitiques.

Face à l’impuissance qu’ils ressentent devant les grands problèmes socio-économiques, les Français porteraient leur attention sur « l’affrontement à ces épreuves dont l’effet paraît plus immédiat et plus directement sensible ».

Jusqu’ici les politiques n’ont pas su trouver de voie efficace, pris entre deux approches possibles, les réponses technocratiques et les élans populistes. « Ceux qui gouvernent, s’ils ne se fient qu’aux statistiques et aux analyses « objectives » d’une société-système, s’avèrent incapables de transformer la réalité et d’avoir l’intelligence de leurs échecs » mais « en devenant le ressort d’une politique, le ressentiment se détache de l’impuissance qui l’accompagnait lorsqu’il était rapporté à la psychologie de l’individu. S’inscrivant dans un processus d’affirmation de soi, il devient alors de la « dynamite ».

Rosanvallon propose alors un « nouvel art de gouvernement », avec des politiques qui sortent de ce qui est ressenti comme du mépris par une attention aux réalités sensiblement vécues. Cette « démocratie des épreuves » serait la « seule alternative aux impasses et aux dangers liés d’un côté au populisme et de l’autre à ce qui relève à la fois d’un technolibéralisme et d’un républicanisme du repli sur soi. »

Prendre en compte l’expérience vécue doit-il conduire à se focaliser sur les épreuves ? Comment construire une politique sur cette base ? Les responsables politiques interrogés (sauf Anne Hidalgo) acceptent l’analyse sociologique mais réfutent la solution d’une « démocratie des épreuves ». C’est Montebourg qui dénonce le plus nettement les limites d’une telle approche : « En privilégiant la compréhension des émotions sur l’analyse des rapports de force sociaux, il acte le caractère indépassable des injustices léguées par quarante années de domination néolibérale. Cela est faux ». Mais Pécresse, Le Pen le rejoignent pour dire qu’il faut une ambition politique propre. Autour « de l’ordre, de la liberté et de la dignité » pour Pécresse, autour d’un « grand projet collectif porteur d’espérance et d’enthousiasme optimiste » pour Marine Le Pen ou bien encore, pour Montebourg, « d’un imaginaire qui permette de se représenter un avenir collectif conforme aux principes républicains ».

Anne Hidalgo voit à l’inverse dans la proposition de Rosanvallon une voie pour éviter les écueils technocratiques d’un côté et populistes de l’autre en construisant une société des égaux « où émancipation collective et pleine émancipation de l’individu vont de pair, où la dignité, dans toutes ses formes, mais aussi le rôle et l’utilité de chacun au sein de la collectivité seraient enfin reconnus à leur juste valeur ».

Reconstruire la politique à partir des personnes, j’y souscris pleinement et c’est même la raison d’être de ce blog. Mais je trouve la proposition de Rosanvallon dangereuse moins par le fait qu’elle s’accommoderait des injustices structurelles comme le dit Montebourg mais plutôt parce que les épreuves ne sont pas en elles-mêmes des points d’appui pour repolitiser la société. La recette de Rosanvallon est risquée parce qu’elle ne s’éloigne pas suffisamment de la réponse populiste. Il imagine que la prise en compte de leurs épreuves peut permettre aux citoyens de « reprendre le contrôle sur leurs existences et rompre avec le sentiment contemporain d’impuissance ». Je suis (paradoxalement) sur la même ligne que Marine Le Pen quand elle dit que « Pierre Rosanvallon a entendu un pays qui geint. Cette plainte souvent légitime est la marque d’un pays en souffrance, mais pas forcément d’un sursaut ».  Pour autant, les contrepropositions des leaders politiques interrogés sont à mon sens tout aussi inopérantes. Plus grave, les responsables politiques qui les énoncent ne semblent pas se rendre compte de la contradiction dans laquelle ils se retrouvent en proposant de prendre en compte les gens dans leur singularité tout en imaginant qu’un « grand projet » pourra répondre à ce besoin de personnalisation de la vie politique.

N’y a-t-il rien d’autre à proposer que le sursaut républicain ou l’écoute des épreuves ? Le peuple devrait être écouté ou guidé mais on n’imagine pas qu’il ait une capacité d’action propre. Non pas « en tant que peuple » qui s’exprimerait d’une seule voix mais plutôt comme une multitude d’individus, de collectifs, de réseaux de toutes sortes, emportés dans des dynamiques qui ne s’institutionnalisent plus comme avant mais qui n’en relèvent pas moins d’un « fait associatif » massif comme le rappelle souvent Roger Sue. Une conjonction d’initiatives qui ne se fédèrent pas mais n’en constitue pas moins le début d’alignements significatifs autour des transformations de nos modes de vie : alimentation déplacements, habitat…  Les responsables politiques n’ont pas encore compris que c’était là, autour de la question cruciale des modes de vie, que l’horizon politique, l’espoir de progrès devaient se réinventer… et que les citoyens commençaient à se mobiliser, à bas bruit. Ce n’est ni le pacte républicain, ni la loi et l’ordre qui peuvent servir de boussole, d’imaginaire pour un avenir désirable.

On a souvent caricaturé les écologistes en les réduisant à la promotion du vélo ou du bio à la cantine. Il n’est toujours pas possible dans un débat politique de parler de transition des pratiques alimentaires. On est immédiatement enfermé dans une polémique stérile comme celle des menus végétariens des cantines de Lyon. Et pourtant on sait que le sujet est crucial et qu’il a des incidences sur les pratiques agricoles, sur l’emploi et l’attractivité des métiers, sur l’aménagement du territoire et la mise en question de la métropolisation… Un vrai sujet politique qui questionne l’avenir de millions de personnes … mais ce n’est pas considéré comme politique ou, plus exactement, ce n’est pas traduisible dans les termes du débat médiatique entièrement dominé par les questions de sécurité. Il est incroyable que l’on ne comprenne toujours pas que notre sécurité collective est considérablement plus menacée par le réchauffement climatique et la perte de biodiversité que par les caïds de banlieue.  L’abus de produits carnés sera incomparablement plus meurtrier que tous les règlements de compte marseillais !

Pendant qu’on regarde obstinément ailleurs, les modes de vie sont en train de se réinventer sans qu’on en prenne conscience et donc sans qu’on en tire de conséquences en termes d’action publique. On en reste aux mesures sectorielles toujours sous-dimensionnées comme l’a prouvé la loi adoptée à la suite de la convention citoyenne pour le climat. Il y a un travail immense à faire pour politiser les enjeux de mode de vie, pour en débattre, expérimenter, populariser les initiatives des pionniers…

Ce ne sont pas les épreuves sur lesquelles on peut construire le pacte politique nouveau, c’est sur les ressources, les capacités que portent les personnes pour peu qu’elles se relient les unes aux autres. Travailler à la mise en cohérence des initiatives, aux alignements et aux coopérations nécessaires voilà le rôle nouveau du politique. Dépasser l’impuissance sans se complaire dans l’écoute d’une France qui geint, ni dans un appel mythique au grand projet rassembleur, c’est s’intéresser aux énergies que révèlent en creux les épreuves.

Oui, il est souhaitable de prendre en compte les épreuves mais c’est pour les dépasser à la fois en ouvrant des perspectives et en montrant que ces perspectives supposent l’action en commun et non la « simple » protection face à l’adversité. Et l’action la plus vitale consiste à imaginer de nouveaux modes de vie compatibles avec l’urgence climatique. Le point commun de ces nouveaux modes de vie, tels que les dessinent les avant-gardes, c’est la redécouverte des communs : autopartage et covoiturage, jardins et repas partagés, tiers-lieux… Il faut évidemment aller beaucoup plus loin que ces initiatives marginales. Comment nos déplacements, notre santé, notre alimentation, notre sécurité même peuvent-elles être réappropriées par les gens eux-mêmes ?  L’ingrédient nécessaire pour aller dans ce sens, c’est la sortie de l’individualisme pensé comme une souveraineté absolue de chacun, c’est reconnaitre notre incomplétude et son corollaire, le besoin de l’autre et donc de la confiance qui permet cette relation à l’autre. C’est ce que dit de manière éclairante Marc Hunyadi dans son dernier livre Au début est la confiance, éd Le bord de l’eau 2020. Il y revient dans un entretien publié en août par le quotidien La Croix :

Il faut partir de notre rapport au monde, car toute relation au monde implique une forme de confiance. Toute action implique à chaque fois de pouvoir compter sur la manière dont se comporteront les choses, les autres ou les institutions. Ce « compter sur », force de liaison élémentaire, implique un pari où la volonté se découvre délogée de sa souveraineté, parce qu’elle doit parier sur quelque chose qui ne dépend pas d’elle. La confiance est le nom de ce pari.

Je trouve qu’il n’y a pas de plus bel enjeu politique que de créer les conditions de cette confiance indispensable aux modes de vie à inventer. Ce n’est pas un grand projet au sens programmatique du terme, c’est plutôt une boussole pour l’action, un discours de la méthode. Si tous les projets politiques sont restés largement inachevés ces dernières décennies, ce n’est pas seulement à cause des crises traversées, c’est aussi parce qu’ils étaient conçus avec l’idée qu’il ne fallait surtout pas demander quoi que ce soit aux citoyens de peur qu’ils se braquent.

Et si nous faisions le pari inverse ? Et si nous disions aux gens que les modes de vie c’est à eux de les inventer et que l’Etat est là pour les aider à établir la confiance entre eux ? Et si l’on découvrait en allant dans ce sens que c’est non seulement possible mais plus encore source de joie, de bonheur de redécouvrir que l’Autre n’est pas l’ennemi mais la condition même de son propre épanouissement ? J’avais écrit dans Citoyen pour quoi faire que la promesse démocratique de notre temps devait être « le bonheur de se relier ». Rien ne me parait plus nécessaire aujourd’hui. La promesse précédente, « l’autonomie par les droits » qui résultait de la Révolution a produit deux siècles d’émancipation de l’individu mais on voit qu’elle se retourne aujourd’hui contre elle-même en produisant du ressentiment.

Nous avons à faire un changement de cap vertigineux, aux antipodes du précipice de l’identité et du repli sur soir vers lequel la campagne semble vouloir nous conduire. Pour cela nous avons moins besoin de courage et d’effort – comme on nous le rabâche sans fin – que de créativité et d’élan vital. C’est quand même plus désirable, non ?! Pour ne pas rester dans un enthousiasme qui pourrait ressembler à un utopisme béat, je voudrais simplement terminer sur un fait basique. En science participative, plus on demande aux gens de s’investir fortement, plus ils le font. Quand on ne leur demande qu’une observation simple et sans engagement véritable, ils participent beaucoup moins. Demandons beaucoup aux citoyens mais ne nous trompons pas : il faut qu’ils se sentent réellement concernés. Quoi de plus « concernant » que la manière dont nous organisons nos vies ?

Et s’il y avait une autre abstention, pernicieuse parce que non dite ?

Une abstention peut en cacher une autre ! Si nous voulons éviter de vivre dans une démocratie censitaire de fait, où seuls votent les plus riches (et les plus vieux, ça va ensemble), faisons preuve de lucidité…

Ah, on en a eu des explications sur l’abstention historique de ces deux tours de scrutin ! Sauf une, celle qui me parait pourtant la plus évidente : les médias audiovisuels n’ont tout simplement pas parlé de ces élections. Ils n’en ont strictement rien dit. Avez-vous entendu le moindre débat sur les choix de développement économique d’une région de gauche et d’une région de droite ? Ou sur leurs choix en matière de transports express régionaux (les TER) ? A moins que votre attention n’ait été focalisée sur les trop nombreux débats sur les politiques sociales des départements ! Il faut dire qu’après la crise du Covid, il était normal qu’on s’intéresse aussi fortement aux différentes solutions que proposent les départements pour les alternatives au placement en Ehpad des personnes âgées vulnérables. Il y avait là une vraie actualité à laquelle on ne pouvait pas échapper. Un sujet qui intéresse les gens, en plus : qui n’a pas dans son entourage immédiat une ou plusieurs personnes pour qui la question se pose ? Ces débats n’ont pas eu lieu ? On n’y a pas pensé ? c’est ballot ! Allez, assez de sarcasmes, mais cette incapacité des médias à nourrir le débat public est plus que problématique.

Pourquoi vouloir que les citoyens se déplacent pour des élections que les médias eux-mêmes considèrent insignifiantes ? Puisque les médias sont si sensibles aux risques de l’abstention pour la démocratie, la seule justification possible de leur silence complet sur les enjeux du scrutin ne peut en effet être que l’insignifiance du scrutin et en conséquence l’inutilité d’informer les citoyens. Ou alors serait-il possible qu’ils estiment à la fois que l’abstention met la démocratie en danger et qu’il faut aller voter sans rien savoir des enjeux locaux à départager par son vote ? Les médias audiovisuels ne sont-ils pas en train de nous dire : votez, mais votez sans débat, votez en ne vous souciant que des derniers résultats des sondages ?  Ne ressentez-vous pas comme une injonction paradoxale ? Sommes-nous à ce point accoutumés à ce qu’on ne prononce même pas le nom de l’élection à laquelle on est appelé (combien de journalistes ont pris la peine de dire « élections régionales et départementales » ? trop long, inutile. Les électeurs verront bien sur place qu’ils ont droit à deux élections pour le prix d’une ; inutile de les prévenir…). Si ces élections ont si peu d’importance qu’on n’éprouve pas le besoin d’en parler, pourquoi aller voter ? Même les politiques ne prennent même plus la peine de laisser croire à l’existence pour eux d’un enjeu local. Ils font exactement la même campagne que s’il s’agissait de l’élection suivante, la présidentielle. On ne parle que d’insécurité même dans le camp dit de la « droite républicaine », sans rapport aucun avec les compétences régionales ou départementales (ah, si l’opportune police des trains !). L’Etat lui-même fait le service strictement minimum en termes de campagnes d’information sur les enjeux du scrutin.

En réalité nous nous contentons fort bien d’une élection sans électeurs. Tous les sortants sont réélus. Le socialiste d’Aquitaine (ancienne et Nouvelle) aura à la fin de son mandat 30 ans de présidence sans discontinuer. Quel besoin a-t-on d’un grand nombre d’électeurs, tout cela tourne avec quelques vieux, attachés de façon pavlovienne au rituel électoral. Ce sont les vieux riches qui votent encore. Les jeunes et les pauvres ont déserté, presque totalement. En réalité nous avons rétabli le suffrage censitaire pratiqué jusqu’à la révolution de 1848. Le suffrage censitaire volontaire, et non imposé comme sous la Restauration ou la monarchie de Juillet. Quel progrès !

On comprend bien que ce suffrage censitaire n’incommode pas tant que ça ceux qui font l’opinion quand on voit l’indigence des remèdes qu’ils proposent : un peu plus de vote électronique, un vote étalé dans le temps, une simplification des procurations, … La liste des bonnes idées est longue ! Mais bien sûr rien sur la transformation de nos pratiques démocratiques, de notre expérience démocratique ! Rien sur la manière de réactiver le dialogue et le discernement politique, rien sur la manière d’accueillir l’initiative citoyenne au cœur de l’action publique, rien sur les pratiques alternatives au vote comme le tirage au sort… Quand on parle de « fatigue démocratique », on suppose toujours que ce sont les citoyens qui sont fatigués et qu’il faut les réveiller (en les engueulant le cas échéant comme Marine Le Pen l’a fait, avec le succès qu’on a vu dimanche). Et si c’était la démocratie elle-même qui était fatiguée, usée comme un vieux pouf effondré parce qu’on s’est assis dessus un peu trop lourdement ? Vous le visualisez, le pouf démocratique aux ressorts si fatigués que chacun s’en détourne et va s’asseoir ailleurs ? J’aimerais bien que nous ayons collectivement envie d’autre chose que d’un pouf regonflé ! j’aimerais bien que la question démocratique soit traitée avec toute l’attention et toute la créativité qu’elle mérite.

L’abstention électorale a été vertueusement dénoncée dans touts les débats, chez tous les éditorialistes mais on s’est bien gardé de dénoncer avec les mêmes trémolos une abstention tout aussi grave pour la vie démocratique : l’abstention des médias audiovisuels à organiser le débat.

PS / Et si, avant toute réforme de fond de nos pratiques démocratiques, nous commencions déjà par dé-nationaliser les élections territoriales ? Par exemple en regroupant toutes les élections locales, municipales départementales et régionales (en misant sur l’intérêt des citoyens pour l’élection municipale), et surtout en votant à des dates différentes selon les régions (en Allemagne les élections dans les Länder ne sont pas simultanées) ?

Présidentielles 2022 : hasard et modestie

Mon propos ne vise pas à soutenir un camp politique mais à rouvrir le jeu pour sortir de l’impasse dans laquelle risque de nous mener un duel Macron Le Pen dont on ne peut pas assurer que l’actuel président sortirait à nouveau vainqueur. Nos imaginaires politiques ne se limitent pas au libéralisme et à l’identitarisme.

Nous avons besoin d’élire un président modeste. Un président qui sait qu’il ne peut rien tout seul et qui l’assume vraiment. Pas un président normal pour autant, on a vu ce que ça a donné en 2012. Il faut un président exceptionnel par la conscience qu’il aura du moment. Un peu comme est en train de le montrer Jo Biden. Le seul moyen d’avoir un président modeste en France, compte tenu de notre régime politique, est qu’il soit élu… avec une forte dose de hasard. Il ne doit pas croire que c’est par son seul mérite, on a aussi vu ce que ça a donné en 2017. La seule élection improbable aujourd’hui est l’élection d’un président de gauche. Heureusement les prétendant.e.s ont compris – tou.te.s – qu’il fallait allier écologie, justice et démocratie. C’est clairement ce dont nous avons besoin. Quand on étudie les imaginaires dominants des Français, l’utopie écologique arrive en tête, devant l’utopie sécuritaire et l’utopie techno-libérale. Or seules ces deux dernières seraient représentées au deuxième tour si rien ne venait changer le cours des choses. Une telle situation discrédite gravement notre système de sélection du personnel politique. Nous ne pouvons pas nous résoudre à ce que pour la troisième fois en vingt ans, le choix démocratique soit réduit au simple rejet du pire. La politique en pâtit gravement.

Beaucoup d’initiatives citoyennes tentent de peser sur les programmes sans doute en pure perte. D’abord parce que c’est le plus sûr moyen de mettre en avant les divisions et de ne pas parvenir à avoir un candidat commun (à quoi sert un programme si on est désunis ?). Ensuite parce que les programmes n’ont pas de sens en période de forte incertitude. Les priorités, on demandera au successeur du Covid-19 et à la très pressante Transition de nous les dicter au fur et à mesure. Le président, le Parlement et les conventions citoyennes s’adapteront pour garder le cap. Seule la tempête est sûre, nous avons donc davantage besoin de navigateurs que de programmateurs. Seul le cap compte et la détermination à avancer avec et contre le vent.

Ce qu’il faut donc avant tout à ce stade, c’est de rendre possible cette élection improbable sans que ce soit par le seul mérite de l’un ou de l’autre. Voilà l’enjeu pour avoir le président modeste et exceptionnel exigé par les circonstances. Rappelons-le, nous avons la décennie pour réussir une transition d’une ampleur jamais vue et, en 2022, Il ne restera que 8 ans. Le temps presse.

Comment déjouer le sort et les sondages déjà bloqués sur le duel Macron-Le Pen ? Comment élire un président adapté aux circonstances quand les prétendants sont enchaînés par le dilemme du prisonnier[1].  Comme les prisonniers de la fable, les forces progressistes doivent toutes coopérer pour atteindre l’une des deux premières places indispensables pour être au second tour mais aucun candidat n’a intérêt à se sacrifier pour les autres. Si nous laissons faire, ils n’ont aucune chance de victoire. Il faut un deus ex machina et en démocratie le peuple seul est ce deus, comme dit Rousseau. Nous devons être des millions à exiger qu’il n’y ait qu’un candidat. Si nous sommes des millions, chacun sera obligé d’en tenir compte sans avoir pour cela à se déjuger ou à perdre la face. Le peuple aura parlé. C’est l’œuf de Colomb.

Contrairement aux tentatives laborieuses et chronophages de candidatures citoyennes des élections de 2017 qui n’eurent aucun succès malgré l’intérêt de la démarche, il est beaucoup plus « simple » de se battre sur un objectif volontairement limité à la désignation du candidat. Pas de programme à élaborer, pas d’inconnu à mettre sur la scène, pas de primaires qui aboutissent à faire désigner par les plus militants le candidat le plus identitaire mais le moins rassembleur (Fillon à droite Hamon à gauche). Si l’appel à une candidature unique est massivement soutenu, la désignation peut alors s’opérer par la voie démocratique la plus appropriée, le tirage au sort ayant ma préférence, toujours dans le but d’avoir un président modeste qui ne pourra pas se prévaloir de ses mérites pour son élection. On peut aussi bien recourir au vote préférentiel qui permet le classement des candidats plutôt que leur sélection. Concentrons-nous pour le moment sur l’essentiel : obtenir des millions de signatures à un appel citoyen exigeant une candidature unique correspondant à l’imaginaire écologique dans lequel se reconnaissent, chacun à leur manière, tous les prétendants à la gauche de Macron. C’est simple et, ça tombe bien, cet appel existe. Il peut être signé ici.

D’autres initiatives existent, certaines beaucoup plus médiatiques, mais elles ne parviennent pas à se concentrer sur la seule chose qui compte à ce stade : avoir un autre choix que le duel Macron Le Pen qui ne correspond pas au moment que nous vivons. Nous aurons tout le temps ensuite de faire de la politique, d’exprimer des préférences, des nuances, des exigences mais si nous commençons par ça nous serons sûrs d’une chose : rien ne changera et les électeurs devront se résigner une fois de plus à ne voter que par défaut. Je crains que cette fois-ci le Rassemblement national fasse figure d’alternative au statu quo. Vous avez forcément entendu la petite musique : « il ne reste que cette solution qu’on n’a pas essayée… ». Il nous appartient de rouvrir le jeu. C’est assez urgent…

L’appel

 

[1] Chaque prisonnier est incapable de coopérer avec les autres prisonniers parce qu’il a plus à perdre s’il est trahi par ses rivaux-partenaires que s’il coopère alors même que la coopération est pourtant la seule possibilité de libération. Face à l’incertitude sur l’attitude des rivaux, le choix est sous-optimal.