Particulier

Les mots n’apparaissent jamais par hasard, même s’ils ne sont pas choisis à dessein. Ils donnent parfois le ton, la coloration d’un moment. Néanmoins cette tentative de mise en perspective ne révèle peut-être rien d’autre que ma manière de voir. A vous de dire…

En ce moment si particulier… combien de fois l’avons-nous entendue ou lue cette expression depuis qu’un coronavirus a envahi nos vies ?! Particulier, pas extraordinaire, pas incroyable ou fou ou déstabilisant. Pas dramatique ni malheureux ni affligeant. Non, particulier. Est-ce une référence inconsciente à cette infime particule de vie qu’est un virus, dont on apprend progressivement la place essentielle dans le vivant, y compris dans l’indispensable microbiote humain… ?
Particulier fait d’abord penser à « à part », hors du commun. Une forme d’écart dans la marche du monde. Mais en réalité particulier s’oppose à universel. Ce qui est particulier c’est ce qui me concerne personnellement et non nous tous. On parle d’intérêt particulier. Etonnant que la plus universelle des pandémies soit si souvent évoquée comme un moment particulier. Encore une fois, on ne manquait pas d’épithètes possibles pour la qualifier. Je risque une hypothèse. Cette épidémie est bien sûr mondiale, gagnant au passage le rang de pandémie, mais elle est aussi éminemment personnelle puisque, même quand nous sommes des milliards à ne pas être infectés, nous sommes chacune et chacun affectés, d’une manière ou d’une autre. Nos vies personnelles ont changé brutalement et radicalement. Au XVIème siècle l’expression « dans son particulier » signifiait dans son intimité. Ce moment si particulier tient sa particularité du fait d’être dans le même temps universel et intime. C’est en cela qu’il nous marque si profondément et qu’il partage nos vies, en un avant et un après.

Nous saurons tous ce que nous avons vécu au printemps 2020, même au soir de nos vies. Le 11 septembre, dont on n’a pas besoin de dire le millésime pour savoir de quelle journée on parle, nous a tous cueilli dans nos vies, introduisant dans notre imaginaire – durablement, hélas – une propension à être terrorisés. Le 11 septembre, avec ses images diffusées en boucle nous a percé, vrillé le cerveau : un avion dans un ciel bleu qui percute la deuxième tour, les tours qui s’effondrent sur elles-mêmes, la poussière qui recouvre tout…  Le 11 septembre, c’est l’obsession d’une effraction, d’un viol. La pandémie c’est, au-delà des souffrances et des morts, – j’ose le mot même si je crains qu’il me soit reproché – une épiphanie, une manifestation d’une vérité qui chamboule à jamais nos représentations. Pas étonnant que l’image du Pape seul face à une place Saint-Pierre désertée aient marqué tant d’entre nous au-delà de nos croyances. Le 11 septembre a amené l’effroi et le repli, le covid-19 pourrait bien évidemment renforcer ces dérives. Pourtant ce terme de « particulier » qui n’a l’air de rien, me fait espérer que nous ne sommes pas dans l’état d’esprit de 2001. Particulier, parce qu’il crée le lien entre l’universel inouï et l’intime vécu, nous met plutôt sur le chemin du care, de la solidarité, de l’attention au monde et à soi. Désormais nous savons que nous sommes (à nouveau) fragiles. Pas simplement mortels, comme disait Valéry à propos des civilisations, mais fragiles, tout au long de nos vies. Nous savons que nous avons à prendre soin de la vie dans toute sa durée, dans toutes ses composantes, dans toutes ses interactions.

Je ne doute pas d’être incompris ou moqué pour une forme de foi naïve dans l’humanité. Je n’ignore ni les profiteurs, ni les cogneurs qui récidivent en profitant du trouble. Je suis simplement convaincu du caractère autoréalisateur d’une croyance collective qui se partage et s’étend. Je préfère donc plutôt que de ressasser des craintes lucides mais stériles, repérer le signe, même le plus frêle, d’une forme de concorde imaginable … dans un moment si particulier.

Inexorable

J’écris beaucoup. Peut-être trop. Mais j’en ai besoin pour ne pas rester dans la sidération. Ce billet est ma contribution au refus de l’inexorable. Cette démission de ce qui nous fait humains.

Depuis des jours et des jours, l’avancée inexorable de l’épidémie nous est répétée chaque matin et chaque soir. Les courbes superposées du nombre de morts en Italie et en France prédisent notre destin huit jours à l’avance, comme une fatalité, la chronique de centaines de mots annoncée. La composition du mot directement issue du latin, in-ex-orare sonne comme une sentence :

  • orare : prier
  • exorare : fléchir par les prières
  • inexorare : ne pas pouvoir fléchir par les prières.

Il est frappant que l’exorable comme l’éluctable aient disparu de notre vocabulaire ! Restent l’inexorable et l’inéluctable. Comme si nous n’étions plus capables de croire à la moindre possibilité de salut dans nos sociétés sécularisées et dominées par la seule foi en la science. Le cours des choses est réglé par la connaissance et les protocoles scientifiques. Tout écart sur ce chemin tracé est immédiatement condamné comme un retour à l’obscurantisme ou au charlatanisme, comme le professeur Raoult en fait aujourd’hui les frais. Sans me prononcer sur le fond, je suis frappé de cet anathème à son encontre (j’emploie à dessein ce terme religieux). Pourtant Raoult a agi comme Pasteur en son temps, en utilisant tous les moyens de communication à sa disposition pour se faire entendre, en sortant du cadre balisé de la science. Auréolé du brevet de grand scientifique, Pasteur était autant politique que chercheur. Bruno Latour l’avait bien vu quand il dépeignait Pasteur comme un sociologue et un habile politique dans le livre qui l’a rendu célèbre « Pasteur : guerre et paix des microbes ». Il y démontrait comment le futur prix Nobel avait forcé l’entrée d’un nouvel acteur, le microbe, dans le monde social.

Je ne veux pas conclure, ce n’est pas mon rôle. Le ministre l’a fait, sans doute au mieux de ce qui était acceptable par la science d’aujourd’hui. Pourtant devant ce qui semble inexorable à notre monde rationnel et méthodique, je me dis que l’exorable ne devrait pas être à ce point négligé. Cela ne tient pas seulement à la religion et à la spiritualité, mais bien aussi à la politique parce que l’incertain et l’inconnu qui constituent la trame de nos vies nécessitent d’être parlés. Oris, c’est la bouche, d’où sortent des paroles, ces paroles peuvent être des prières (religion) et des plaidoyers (politique). Orare vaut pour les deux registres. Parler aux autres, parler au tout Autre. Dans tous les cas, sortir de la sidération de la peur et de la croyance dans l’inexorable.

19

Il est relativement passé inaperçu, ce 19. D’autant plus que nous étions déjà en 2020 quand on l’a choisi, et 19 nous semblait déjà de l’histoire ancienne. Et pourtant, ce 19 anodin, il veut dire beaucoup !

Nous lui avons accolé un nombre : 19. Et ce simple nombre me fait frémir. Covid-19. Vous voyez bien ce que ça signifie en creux. Nous en parlons depuis plusieurs jours, même si beaucoup refusent encore de l’entendre : nous sommes au début d’une série. Jusqu’ici c’était un peu le brouillon, l’esquisse de ce qui nous attendait, on ne faisait pas trop attention à la manière de dire : Ebola, Zika, dengue, grippe H5N1,… Mais là, ça y est, nous avons été explicites : 19 ! Covid-19. Dans H5N1, H2N2,H3N2, les chiffres du code nous apparaissent mystérieux mais on n’y prête pas attention. Là avec Covid, c’est 19 qui a été choisi par l’OMS. Et là c’est subitement clair : nous avons la version 2019 du Covid ce qui suppose derrière peut-être un Covid-23, un Covid-28… Jean Viard disait l’autre jour que nos sociétés inventent toujours des rituels pour faire face à ce qui leur arrive. Il disait que les religions avaient inventé le Ramadan ou le Carême, pourquoi pas demain un mois du confinement à caler dans nos calendriers ?! Il disait cela un peu à la blague – du Jean Viard de plateau télé confiné tout craché – mais ça faisait quand même réfléchir. Nous allons sûrement apprendre à vivre avec des épidémies récurrentes. Un épidémiologiste disait que nous allions sans doute bientôt découvrir sous nos latitudes des épidémies récurrentes de dengue. Les moustiques seront bientôt là. Nous n’avons pas suffisamment prêté attention aux anthropologues et aux historiens des épidémies. Nous n’avons pas suffisamment compris le lien extrêmement étroit entre nos choix économiques, les dégradations des écosystèmes et les épidémies qui se multiplient. On s’étranglait ce matin encore quand sur France Inter Dominique Seux proférait cette énormité : « On ne voit pas trop en quoi le coronavirus est lié au libéralisme, à la mondialisation. Il n’est pas dans l’économie comme il y a douze ans, il lui est extérieur ». Pourtant sur la même antenne, je le mentionnais dans mon précédent billet, Matthieu Vidard, intervenant dans la même tranche horaire que Seux, évoquait l’écologie des virus et ses liens avec nos choix économiques. Il est sourd Dominique ? Je pense qu’on entendra, un jour pas si lointain, sur les ondes de France Inter, Léa Salamé annoncer : « Après le Covid-21, la COP 28 consacre l’essentiel de ses travaux à la régulation des épidémies comme moyen d’atteindre la neutralité carbone en 2050 ». Même si leur manière de compter les années sont différentes, COP et Covid risquent de se retrouver un moment dans la même actualité, au chevet d’une économie à reconstruire sur des bases nouvelles, n’en déplaise aux éditorialistes économiques !

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