Rétablir l’ordre

« L’ordre, l’ordre, l’ordre ! » disait déjà Emmanuel Macron. Le ministre de l’Intérieur surenchérit. Il est frappant qu’on ne parle plus de lutte contre l’insécurité mais de rétablissement de l’ordre. Qu’est-ce qu’il faut comprendre ? Et si l’ordre recherché était une illusion, le souvenir d’un monde qui n’existe plus, comme ce jardin à la française aussi ordonné que mort ?!

Rétablir l’ordre
parterre de buis attaqué par la pyrale

Pourquoi cette insistance à remettre de l’ordre ? Qu’est-ce qui est à ce point dérangé pour que le ministre de l’Intérieur à peine nommé affirme chaque jour dans un média différent que sa priorité est l’ordre ? Pas la sécurité, l’ordre. Y a-t-il de tels désordres dans la rue, y a-t-il tant de désordres aux frontières ? Sommes-nous réellement menacés par une « barbarie devenue presque quotidienne » ? Les migrants déferlent-ils sur la France ? Que voit-il que je ne vois pas ?

Cela me trouble d’autant plus que j’ai connu Bruno Retailleau il y a plus de trente ans. Nous l’appelions à l’époque « le petit Bruno » avec plus d’affection que de dérision. Il dirigeait l’école de communication créée à Nantes par Philippe de Villiers, un lieu étonnant de liberté et de modernité où les étudiants étaient incités à prendre l’initiative avec un accès 24h sur 24 aux locaux qui étaient, le soir venu, notre refuge commun, avec vidéo et canapés confortables. J’étais étudiant, il était directeur mais nous avions le même âge, le même goût pour la politique et l’entrepreneuriat et ça nous rapprochait. Même s’il était nettement plus conservateur que moi, nous étions l’un et l’autre libéraux. Comment avons-nous pu diverger à ce point ? Continuer la lecture de « Rétablir l’ordre »

Concorder

Un pas de côté par rapport à l’actualité. Une invitation à rejoindre un instant les grands courants sous-marins qui emportent l’humanité au-delà du fracas du temps. Une invitation à se laisser prendre dans les liens tissés entre fiction et réalité. Une invitation à un rêve d’applaudissements planétaires.

Concorder
applaudissements de 20h

Une première version de ce texte a été écrite avant le grand chambardement de la dissolution, inspirée par la  relecture d’un passage de la trilogie des Falsificateurs consacré aux Chupacs ce peuple maya dissident fictif qui aurait renoncé à la violence des cités de Palenque ou de Chichen Itza. Ces Chupacs, issus d’une des civilisations que notre imaginaire associe à la violence des sacrifices humains, pratiquaient la concorde à l’inverse des autres mayas. Le roman présentait la concorde comme une ressource à même de changer le destin de l’humanité. On était dans les Falsificateurs, fiction où les héros construisent des fictions pour changer la réalité. Mais cette ode à la concorde m’avait suffisamment marquée pour que je prenne contact avec l’auteur, Antoine Bello, pour lui demander si je pouvais à mon tour m’emparer de cette fable. Malgré son accord, je n’avais pas donné suite…  jusqu’à un échange récent avec un autre fan de fiction et de transformation du monde.

Si j’insiste sur la généalogie de ce texte, c’est pour dire qu’il vient de loin et par des chemins tortueux, mêlant fiction et réalité, longueur de temps et circonstances fortuites, lectures et échanges autour de ces lectures.

L’actualité politique m’avait contraint à le mettre de côté jusqu’à presque l’oublier. Il n’était clairement plus à l’ordre du jour. En écoutant – là encore fortuitement puisque je ne m’intéressais pas à l’humoriste et que j’avais failli zapper en route vers un évènement familial – je tombe donc sur cette citation de Victor Hugo lue par Camille Chamoux. Elle cherchait à dire que face à l’actualité désespérante, le mal finissait toujours par s’effondrer mais pour ne pas avoir l’air naïve elle s’abritait derrière les mots du grand poète national.

« Si étrange que semble le moment présent, quelque mauvaise apparence qu’il ait, aucune âme sérieuse ne doit désespérer. Les surfaces sont ce qu’elles sont, mais il y a une loi morale dans la destinée, et les courants sous-marins existent. Pendant que le flot s’agite, eux, ils travaillent. On ne les voit pas, mais ce qu’ils font finit toujours par sortir tout à coup de l’ombre, l’inaperçu construit l’imprévu. »

Entendre ces mots hier matin m’a remis en tête le texte sur le verbe « concorder » qui me semble tenir de ces « courants sous-marins qui travaillent » dont parle Hugo. Ce qui me paraissait sorti totalement du contexte et donc proprement irrecevable me semble, avec cet éclairage nouveau, pas totalement inutile pour contrer la « guerre civile » que l’on agite comme une perspective possible.

Aujourd’hui pourtant le mot concorder a perdu beaucoup de sa force. On ne l’emploie plus ni pour la musique ni pour les personnes : on parle de s’accorder dans un orchestre, de se mettre d’accord entre voisins. Il fut un temps où l’on disait concorder. Il ne reste plus guère que le pauvre « ça concorde ! », pour indiquer que les témoignages sont bien cohérents. Et pourtant le mot est bien plus riche de sens que cette simple logique d’ajustement ! L’étymologie est transparente : cum, avec et cors-cordis, le cœur. Concorder c’est « unir les cœurs », rien de moins ! « D’un même cœur » est une expression employée pour décrire l’attitude au sein des premières communautés chrétiennes dans les Actes des apôtres. Ce registre religieux voire communautaire ne rend évidemment pas facile une utilisation civile du mot, et pourtant !

Que pourrait apporter un nouvel usage de concorder dans le contexte politique ? Il permettrait de nommer ce qui est aujourd’hui assez indicible : ce moment où l’on n’est pas engagé mais où l’on découvre qu’on pourrait faire ensemble. Ce moment où l’on sort de l’indifférence ou même de l’hostilité les uns à l’égard des autres lors de la rencontre, lors d’une activité dans laquelle on s’est laissé embarqué « à son corps défendant ». Ce moment que l’on se remémore ensuite en se disant qu’on aurait été trop bête de ne pas le vivre alors qu’on avait traîné les pieds pour répondre à l’invitation.

Cette union des cœurs, cette « concordance » qui est bien plus que la paix sans affect qu’évoque aujourd’hui le mot de concorde, reste le plus souvent fugace et sans suite mais elle peut aussi produire des effets majeurs quand elle est manifestée. J’entendais JR présenter son expérience vécue (dont il a fait un film) dans un quarter de haute- sécurité d’une prison américaine. Comme j’ai compris son témoignage, il y a bien eu cette phase d’alignement où chacun est sorti de son rôle, où le condamné se retrouvait pour la première fois à la même table que le gardien dans une aventure qui les sortait un temps de leur enfermement.

Concorder, c’est aussi ce moment que nous avons tous en mémoire : les applaudissements de 20h pendant le confinement. Concorder montre alors sa force spécifique : parce qu’il n’est pas encore un engagement, mais déjà un instant qui fait du bien, il peut réunir très largement dans des moments où le besoin de manifester sa « commune humanité » prend le pas sur ses frilosités, son aquabonisme.

Je rêve d’un événement mondial qui se déroulerait simultanément sur toute la surface de la Terre, une séance d’applaudissements synchronisée qui ferait entendre le battement du cœur du Monde pour signifier notre communauté de destin face aux bouleversements écologiques. Oui, le battement du cœur du monde, pas moins ! Des humains du monde entier, sur tous les continents, réunis dans une même urgence manifestée par des applaudissements, sans mots, sans cris, sans pancartes, juste la confiance dans les capacités d’une humanité éveillée.

Fiction et réalité s’imbriquent toujours, Bello a su le rendre visible dans le roman que j’évoquais au début de ce papier. Le roman pourrait devenir réalité. Il l’est déjà puisqu’il m’incite à écrire et à partager une intuition encore fragile mais, qui sait, des applaudissements mondiaux viendront peut-être électriser l’équinoxe de printemps 2025.

La réalité de demain ne sera pas celle-ci, quel que soit le résultat de cette élection inopportune. Mais « les courants sous-marins travaillent » nous dit Victor Hugo, nous redit Camille Chamoux et je vous redis aujourd’hui.

« Le vent se lève, il faut tenter de vivre », disait aussi Paul Valéry, redisait Hayao Miyazaki, je vous redis aujourd’hui.

 

PS/ si je relisais le passage du troisième tome des Falsificateurs largement consacré aux Chupacs, c’est après avoir lu sur LinkedIn Thomas Gauthier dire son enthousiasme pour le roman et avoir échangé avec lui d’une possible relance de l’atelier que j’avais imaginé créer dans le cadre d’Imaginarium-s pour donner une suite au roman. Depuis cet échange, j’ai rejoint le cours que pilote Thomas sur les « Futurs durables » à EM Lyon ! Merci Thomas pour ça et pour ton post sur LinkedIn qui est le véritable début de ce papier !

Faire front

Nous sommes beaucoup à avoir remarqué que le Front revenait à gauche quand il avait disparu à l’autre bout du spectre politique où le Rassemblement avait paru plus consensuel. Que peut signifier « faire front » dans notre météo politique troublée ? Essai de réponse.

Faire front
front-froid-front-chaud

Il va falloir faire front. Pour moi, cela a trois sens bien différents et deux seulement sont intéressants. Le sens le plus commun, c’est faire front face à l’ennemi, la politique vue comme une guerre avec des adversaires tellement dangereux qu’on cherche à les éliminer du jeu. C’est le no pasaran dont j’estime qu’il est une impasse. Comme toute digue, la submersion est toujours possible et quand elle se produit, elle  est destructrice. J’ai toujours pensé qu’il valait mieux transformer ses ennemis en adversaires pour éviter qu’ils ne renversent la table.

Faire front face à l’adversité est d’une toute autre nature. Il est ici question de tenir une position non contre un hypothétique ennemi mais face à des circonstances adverses. C’est puiser en soi l’énergie de résister et c’est le faire avec les autres, épaule contre épaule. Détermination et solidarité. Fortitude, pour reprendre ce mot que j’aime bien. Quelle est cette adversité : c’est tout ce qui rend plus difficile le maintien de l’habitabilité de la Terre, destruction de notre environnement et de nos liens. Nous ne pouvons pas laisser disparaître ces questions de notre horizon politique. L’essentiel est là. Et l’urgence. Elle n’est ni dans la défense du pouvoir d’achat ni dans le maintien de la croissance. Elle n’est pas non plus dans la recherche de boucs émissaires, ni dans la dénonciation des extrémismes puisque l’extrémisme est potentiellement présent y compris dans le centrisme. (cf. l’excellent L’extrême centre ou le poison français de Pierre Serna )

Faire front c’est enfin un processus. Le verbe faire est un verbe d’action. Le Front n’existe pas en soi, ce n’est pas un barrage, c’est un mouvement, un rassemblement. L’alliance est un pacte entre partis politiques, elle est électorale au mieux gouvernementale. Elle se scelle par un programme et une répartition de postes (circonscriptions d’abord, ministères ensuite). Avec l’idée de Front, on dépasse l’alliance politique. Le Front est censé embarquer les acteurs de la société (syndicats, associations,…) mais aussi des citoyens qui vont se regrouper dans des collectifs de toutes natures autour de causes et d’initiatives qui « vont dans le même sens » au-delà de leurs différences.

Il est intéressant de faire le lien avec la météo qui utilise aussi le terme de « front ». Les fronts froids ou chauds se déplacent au gré des courants qui entraînent les masses d’air, avec des « perturbations » à la clé ! Un front en météo ou en politique ce n’est pas un temps calme, c’est une recomposition. Le Front ce n’est pas seulement la rencontre d’idéologies et de conditions sociales, c’est avant tout une énergie qui nait dans l’expérience vécue. Etienne Balibar écrivait dans AOC, « il faut renverser la position idéologique défensive en une position offensive, faite non seulement de réflexes républicains ou de réponses au danger, mais de véritables projets libérant une « puissance d’agir » qui soit la puissance même du commun, réorganisant de fond en comble le régime des craintes et des espérances de la multitude ».

Je me permets de reprendre ses mots, ils sont aussi les miens :

Le populisme a pour principe l’institution de la passivité des citoyens, même et surtout cette passivité bruyante, violente, qui imprègne la participation à des manifestations nationalistes ou à des rassemblements de campagne, puisque leur principe est la répétition du discours et des slogans proposés par les dirigeants. Le populisme ne surmonte pas l’impuissance collective qui est à son origine, au contraire il la redouble et l’enferme dans un cercle infranchissable, en masquant la peur sous la haine et la brutalité.

Mais l’efficacité et l’authenticité de la lutte résident dans l’invention d’une autre façon de pratiquer la politique de masse : celle qui augmente la puissance des « gens ordinaires » et leur offre la possibilité de se libérer de la peur par l’activité, la solidarité, l’autonomie (et donc la capacité de discuter les objectifs mêmes de la lutte et les modalités de leur poursuite).

Un dernier mot sur un Front disparu ou presque, le « Front républicain ». Celui-ci ne fait plus recette dans le bloc libéral dès lors qu’il ne semble plus pouvoir être celui qui profitera des ralliements du  « barrage face au RN ». On voit ainsi l’absence de sincérité de la démarche de Front républicain puisqu’elle était à sens unique. Le ni-ni qu’on lui préfère aujourd’hui dans le camp présidentiel conduit de fait à reconnaitre la légitimité de l’ex-FN dans l’espace républicain. Personnellement je pense que c’est plus clair d’identifier les trois pôles politiques pour ce qu’ils sont mais, si l’anathème n’est plus de mise, le choix reste bien évidemment nécessaire … et crucial surtout si le seul pôle capable d’avoir une majorité absolue est le Rassemblement national.

Le refus d’engagement AVANT l’élection conduira les députés d’une Assemblée sans majorité claire, à faire le choix APRES l’élection ! La notion d’attraction que j’avais évoquée ici prend alors tout son sens. De qui se rapproche-t-on, avec qui garde-t-on ses distances ? Sans partager leurs idées, qui va-t-on combattre prioritairement, qui va-t-on laisser gouverner ? Mieux vaut faire ce choix AVANT, dès l’élection, moins dans une logique guerrière de Front républicain que dans  une logique de développement d’une « démocratie sociétale », terme que j’utilisais dans mon livre, en soutenant l’expérimentation d’un « front populaire » imparfait mais capable de s’appuyer sur les passions joyeuses plutôt que sur les passions tristes.

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