Ecouter

Un mot qui m’importe particulièrement ! Je pense que, plus encore que la parole, il est indispensable dans nos démocraties. Malheureusement, si l’on se préoccupe des « sans-voix » on ne prête pas suffisamment attention aux « sans-écoute » !

Ecouter
@ trung-thanh / Unsplash

Ecouter ce n’est pas seulement entendre. Quand on parle d’écoute, on n’évoque pas seulement le sens de l’ouïe. L’écoute est plus qu’une aptitude physique, c’est une disposition, une attitude qui engage toute la personne. Ecouter vient d’auscultare, cette pratique médicale qui donne à comprendre ce que dit le corps au-delà de ce que peuvent exprimer les mots. L’écoute c’est une attention à l’autre, une disponibilité consentie. Cette nuance du consentement est importante, on ne l’avait pas dans l’auscultation. Un consentement qui peut aller jusqu’à l’obéissance : « Écouter sa conscience », « n’écouter que son courage ». A l’interjection « Ecoute ta mère ! », l’enfant sait qu’il ne lui suffira pas d’entendre et qu’il devra s’exécuter même s’il lâchera un « J’ai entendu ! » exaspéré.  Pourtant entendre a eu d’abord pratiquement la même signification qu’écouter (in tendere tendre vers, prêter attention) mais en remplaçant le malcommode ouïr, il est progressivement passé de l’attention à l’audition.

Entre attention et obéissance, écouter n’est pas franchement à la mode. Le sens de l’écoute n’est pas la vertu la plus mise en avant. Savoir s’exprimer, prendre la parole, donner de la voix : voilà les mots d’ordre du jour ! L’apprentissage de la rhétorique revient en force et les concours d’éloquence fleurissent. On oublie que, sans écoute, la parole est vaine. Parler dans le vide n’est sans doute pas très grave sur les réseaux sociaux puisqu’on n’y cherche pas l’échange mais l’affirmation de soi au mépris de l’autre (au sens fort du terme). Mais en revanche ces soliloques hostiles, haineux trop souvent, rendent sourds ! Si je suis un adepte de la conversation ce n’est pas seulement par goût des échanges policés, c’est parce que la conversation se nourrit de l’écoute. Ecouter c’est avoir confiance dans le fait que, dans la parole de l’autre – même si elle est maladroite, peu assurée, redondante – il y aura un moment inattendu où tu seras touché. Dans les Conversations que j’anime depuis quelques mois, ça ne manque jamais, comme cette fois où une vieille dame digne et simple nous a raconté comment, chaque matin, elle faisait le tour de son quartier à pied attentive aux voisins et aux fleurs. C’était là sa source d’énergie et de bonheur. Chacun dans le cercle que nous formions a ressenti intensément cette évocation vraie d’une vie attentive aux petits riens de l’existence. L’écoute c’est l’intelligence sensible. Elle est l’indispensable socle d’une société démocratique.

Redémarrer

Les jours rallongent et nous imaginons déjà le printemps. L’hiver a été rude pour beaucoup et je n’ai pas été épargné. Nous avons plus que jamais besoin d’être convaincus de nos capacités à maitriser notre destin. Je relance Persopolitique très égoïstement pour lutter contre la facilité du « à quoi bon » qui me guette… en espérant que ça n’aidera pas que moi !

Redémarrer
@ Noah Fetz / Unsplash

Quel mot choisir pour traduire la relance de persopolitique ? Recommencer me venait le plus spontanément à l’esprit mais on recommence à zéro le plus souvent. Redémarrer est plus juste puisqu’on s’imagine au volant en train d’enclencher la première après un arrêt de courte durée. Mais le démarrage semble bien plus prosaïque que le commencement. « Au commencement était le Verbe… » est quand même plus évocateur que le « démarrage (en côte) » ! En recherchant les différentes étymologies des mots qui désignent l’origine de l’action (commencement, début, démarrage), on découvre des univers très disparates et assez éloignés de cette idée d’origine, de point de départ. Commencer vient de cum initiare. Même si on s’est habitué à utiliser « initier » au sens de prendre l’initiative, commencer veut d’abord dire introduire aux mystères dans l’Antiquité latine ! Le commencement est une initiation. Avec débuter, le registre est radicalement différent : le « but » de « débuter » est la cible que l’on vise dans un jeu. Débuter signifie d’abord déplacer cette cible. Ce n’est que plus tard que le début est devenu le premier coup du jeu. Rien à voir entre les mystères auxquels on est initié et le jeu de quille dont on déplace la cible ! Et démarrer ? Là encore la surprise est grande quand on comprend la parenté avec amarrer ! Démarrer, c’est larguer les amarres ! Logique en fait, et bien plus évident que les deux mots précédents mais le lien avec la navigation s’est totalement perdu. Le prosaïque démarrer retrouve de l’élan et de l’allure quand on voit le navire quitter le port et hisser la grand-voile !

Persopolitique a donc fait escale. L’embarcation numérique a pris le temps de repeindre sa coque avec une nouvelle apparence visuelle (merci à Thierry P. pour la création et à Michel S. pour la transposition sur WordPress) ; elle a aussi mis de l’ordre dans la soute bien chargée en créant quatre grandes catégories de textes pour des modes de lecture différents.

  • mots – Les mots sont souvent maniés comme des armes. Ici des mots, courants ou plus rares, deviennent matière à réflexion par leur étymologie et l’évolution de leur usage. Ainsi dépliés ils aident à voir autrement nos réalités quotidiennes.
  • émotions – L’actualité souvent nous sidère et nous anéantit. Ici une prise de recul pour montrer qu’on peut avoir prise sur ce qui nous arrive et transformer nos émotions en réflexion politique. Des textes rapides à lire, écrits dans l’urgence du moment.
  • imagination – L’avenir est souvent vu comme apocalyptique et sans alternative crédible. Ici des récits d’anticipation laissent imaginer d’autres avenirs possibles, grâce aux ressources de créativité présentes dans la société. Des ET SI… porteurs d’espoir.
  • composition – Pas le temps de se poser pour prendre en compte la complexité. Ici, des fils sont tirés pour ne pas en rester à l’événement et croiser les points de vue. Des textes plus longs, désormais découpés en chapitres pour une lecture facilitée

Progressivement je vais tenter d’accueillir à bord des invités qui partageront leurs explorations des futurs désirés. Déjà trois auteurs/trices ont donné leur accord pour écrire dans persopolitique. J’en suis heureux et j’espère que leur participation donnera l’envie à d’autres de les rejoindre. Avis aux amateurs, vous pouvez participer à ce redémarrage ! N’hésitez pas à prendre contact.

Désoublier

Les crises qui s’accumulent nous poussent à l’oubli. Simplement pour ne pas nous effondrer. Mais l’oubli, on le sait bien, ne résout rien, au contraire. il nous faut parvenir à en sortir. Et si nous apprenions à désoublier ?

Replongé dans les débuts de la guerre en Ukraine avec le documentaire de Guy Lagache, je me rendais compte avec stupéfaction à quel point ma mémoire était défaillante : l’Irpin découvert au début de la  guerre comme point limite de l’avancée des Russes aux portes de Kiev était la ville où plus tard les cadavres jonchaient les rues… et je n’avais pas fait le lien ; le sommet de Versailles m’était complètement sorti de la tête, etc. Il y a quinze jours, je partageais l’émotion et la colère d’Abdennour Bidar face à l’oubli dans lequel on rangeait rapidement le Covid comme s’il était temps de passer à autre chose sans faire l’indispensable retour sur ce qui s’est passé depuis deux ans.

Oubli personnel, oubli collectif. Nous oublions de plus en plus vite, assommés par une actualité qui ne nous laisse aucun répit : catastrophes climatiques en série, épidémie, guerre, crise économique… Face à l’oubli, le pire, le tragique même, Jacques Brel l’a très bien résumé : On n’oublie rien de rien / On n’oublie rien du tout / On n’oublie rien de rien / On s’habitue c’est tout… C’est un peu ce qui m’est arrivé avec Irpin. Avec l’habitude, on ne traite plus l’information : on la reçoit, elle vous ébranle mais elle n’est plus intégrée, reliée. En quelque sorte, elle reste à l’extérieur, on « refuse » de l’assimiler. Cette habitude n’est pas de l’indifférence, c’est une protection, un réflexe de survie face à l’agression de trop. On a tous vécu cette bulle de protection qui nous offre de rire avec nos proches alors qu’on est en train d’enterrer un membre aimé de la famille. Cet oubli ou plutôt cette mise à distance du chagrin contribue aussi à notre sauvegarde. Oui, nous avons besoin de l’oubli et les vacances qui approchent, on le sait, vont nous couper utilement de cette actualité tellement anxiogène. Le vide, la vacance, que nous offrent les vacances sont des ressources précieuses.

Mais on ne peut pas en rester là, naturellement. L’oubli est un moment mais il ne doit être qu’un moment. Il faut sortir de l’oubli. Se rappeler ? se souvenir ? Aucun de ces deux mots ne dit vraiment le travail que nous avons à faire. J’oublie / je me rappelle. Comme s’il y avait une inversion naturelle de l’oubli. On/Off. J’oublie  / je me souviens. C’est un autre registre, le passé revient à la mémoire et reste un souvenir, il ne fait que colorer le présent de nostalgie. Plaisant et triste, le souvenir n’est qu’une carte postale jaunie, la consultation de ses archives personnelles. Le travail contre l’oubli dont nous avons besoin est d’un autre ordre. Il nous faut… « désoublier ». Et ce n’est pas ce qu’on appelle le « devoir de mémoire » un mot qui m’a toujours agacé par son caractère injonctif, moralisateur (le bien et le mal sont connus et figés dans l’éternité). Il ne s’agit pas ici d’un « plus jamais ça » mais plutôt d’un effort pour examiner à nouveaux frais ce qu’on a trop vite choisi d’oublier. Abdennour Bidar le dit très justement à propos du Covid dans la tribune publiée par Le Monde que j’évoquais plus haut :

Il nous faut un très large débat démocratique « pour prendre soin et nous soigner collectivement de tous les traumatismes qui nous ont été imposés, pour retisser les liens déchirés, pour réparer les injustices subies, pour être particulièrement attentifs aussi aux risques futurs de la suspension certes provisoire mais inquiétante de nos libertés pendant la crise ».

Plus que le terme de débat, toujours chez nous indissociable de la confrontation des opinions, j’utiliserais volontiers le terme de conversation. Une grande conversation à travers tout le pays au cours de laquelle on peut se dire les choses franchement mais dont on attend surtout la capacité à imaginer un avenir où la santé devient véritablement notre affaire à tous.  Et là nous saurons inventer d’autres manières de vieillir que dans des Ehpad, d’autres manières de rester en bonne santé qu’en ingurgitant toujours plus d’antidouleurs, d’autres manières d’interagir avec les soignants que de les applaudir à 20h et de les injurier aux urgences.

Désoublier, nous devons le faire tout autant à propos de la guerre en trouvant des manières d’être solidaires des Ukrainiens, peut-être, par exemple, en acceptant collectivement de rouler seulement à 100 km/heure sur la route de nos vacances (pour consommer moins d’énergie et réduire ainsi très sûrement les ressources de Poutine).

Désoublier est bien sûr encore plus indispensable par rapport à la crise du Vivant et la crise climatique pour avancer vraiment vers la frugalité qui nous rendra enfin possiblement heureux hors des addictions multiples qui sont celles de la société de consommation. Multiplions les conversations, les échanges pour que naissent des envies d’agir à la hauteur de l’enjeu qui est le nôtre pour maintenir l’habitabilité de notre monde. L’oubli nous aide à survivre mais il est urgent que nous comprenions que le désoubli, seul, nous aidera à vivre.

Au fait, pour les Québécois, désoublier, c’est sortir de l’état d’ivresse, c’est désaouler ! Mais en réalité notre oubli est bien une forme d’ivresse, de refus de la réalité ! Sachons donc oublier ET désoublier. Mais surtout, n’oublions pas de désoublier à la rentrée.