Pouvoir : changeons de représentation pour changer de pratique !

J’ai reçu à l’issue de la publication de mon papier sur DSK plusieurs réactions qui me poussent à poursuivre le questionnement sur le type de pouvoir dont nous avons besoin. Il y avait un accord large sur « la vanité de la posture de toute puissance des politiques » comme le reformulait Philippe Merlant.

Dominique Boullier, au-delà de la thèse du suicide politique qu’il développait sur son blog, insistait lui aussi sur la nature particulière du pouvoir exercé au FMI. C’était plus subtil et plus vrai que mon approche un peu « à la hache » mais nous aboutissions au même constat : le « métier » de président de la République est plus dur et plus ingrat que celui de directeur du FMI. J’avais déjà noté à propos de Sarkozy, lorsque la presse s’extasiait sur son bilan à la présidence de l’Union européenne, que c’était sans doute beaucoup plus facile de convaincre 26 collègues que de modifier les comportements de 60 millions de Français.

Guy Vandebrouck questionne lui aussi notre approche du pouvoir

  • Nos débats ne sont absolument pas assez techniques, bien trop idéalisés. La politique n’a d’attirant que l’exercice du pouvoir, sinon, c’est un domaine terriblement exigeant, technique, complexe, de fourmi, pas de lion.
  • Bien évidemment, ce problème est exacerbé en France par l’absence de réelle démocratie impliquante, la sur médiatisation des débats « nationaux » sur lesquels nous ne pesons quasiment pas. La décentralisation et l’implication des citoyens à la base de la vie de la société restent un immense champ de progrès : la décentralisation et la démocratisation prendront probablement deux ou trois générations, si nous nous décidons à nous y mettre réellement. Mais y-a-t-il une majorité qui le souhaite réellement en France ? Je n’en suis pas si sûr,

 

Hier je faisais passer des oraux d’entraînement aux concours d’écoles de commerce à des jeunes de 20 ans. J’étais frappé de la représentation qu’ils avaient du « pouvoir ». C’était uniquement une question de commandement. Lorsqu’on leur demandait ce qu’ils feraient de quelques millions gagnés au loto, la plupart n’imaginaient pas que ça pouvait leur donner du pouvoir d’agir. Ils ne raisonnaient que cadeaux aux proches, dons humanitaires et placements sûrs.  Comme le dit souvent Patrick Viveret, il est urgent de s’intéresser au pouvoir DE plutôt qu’au seul pouvoir SUR.

Résumons : le pouvoir de faire est moins attractif et beaucoup plus exigeant que le pouvoir sur les gens. Il ne peut s’exercer seul et demande du temps. Pas vendeur ! Pourquoi alors certains, sans être des saints, comprennent l’intérêt de cette forme de pouvoir et l’exercent avec des satisfactions intenses ? Comment faire découvrir plus largement les bénéfices personnels qu’on retire de cet exercice du pouvoir ?

Une piste : ne faudrait-il pas que dans le parcours éducatif de chaque enfant, des occasions soient données d’exercer ce pouvoir de faire ? Au primaire, au collège et au lycée, à ces trois étapes de la scolarité, tous les élèves devraient disposer d’un budget en temps personnel, en « droits de tirage » sur des temps d’adultes (qu’ils soient enseignants ou membres d’une communauté éducative élargie), en argent et moyens matériels pour monter un projet au service d’un groupe dont l’enfant fait partie (il ne s’agit pas de faire pour les autres mais de faire avec d’autres avec qui on est en relation).

Quel que soit le moyen retenu, il me semble essentiel de développer une culture du « pouvoir de faire ».

« Community policing » après « care » : les ténors socialistes passent à l’anglais !

Après le care de Martine Aubry, voici le community policing d’Arnaud Montebourg. Intéressant que les socialistes français aillent regarder au-delà de leurs sources d’inspiration habituelles pour transformer en profondeur leurs approches doctrinales… même si ça suscite incompréhensions et questionnements.

Que dit Montebourg dans un article du Monde du 3 septembre passé trop inaperçu ? « La sécurité doit devenir l’affaire de tous. Chacun a son rôle à jouer dans le recul de la violence. Parents, professeurs, éducateurs, psychologues, travailleurs sociaux sont autant de veilleurs qui voient ce qui se passe et doivent pouvoir alerter. » Jusqu’ici, le rôle dévolu aux citoyens reste modeste, celui de veilleur, mais le principe de la sécurité – affaire de tous est posé. Mais Montebourg ne s’arrête pas là, il introduit – avec quelques précautions oratoires – la notion de community policing : «  Je fais également la proposition que nous progressions dans une direction plus radicale encore, qui me paraît à ce jour seule susceptible de répondre aux attentes de la population. Nous devons redonner du pouvoir aux habitants, qui doivent être associés à la lutte contre la délinquance. Non pas une rapide enquête de satisfaction, ou une réunion de veille d’élection, mais un dispositif qui s’inscrira dans le temps et la confiance. Prenons les expériences de type community policing, telle que celle qui est menée depuis de nombreuses années à Chicago. La population participe à l’identification des problèmes. Des réunions régulières ont lieu avec la police, qui prend en compte et rend compte. La sécurité devient réellement l’affaire de tous ».

On dirait du Jacques Donzelot ! Le sociologue  montrait dès 2001 dans « Faire société », l’intérêt de ce type de démarche par rapport à la politique de la Ville à la française. Espérons que l’idée ne mettra pas autant de temps à passer d’une tribune du Monde à la réalité qu’elle en a mis à passer du discours intellectuel au propos politique. On peut cependant être inquiet quand on voit le peu de reprise que ces propositions ont eu.

de plain-pied

C’est souvent par le contre-exemple qu’on éclaire le mieux le sens d’un mot. Nous en avons eu un bel exemple au cours d’une rencontre des INITIALES qui m’a donnée la nostalgie des Ateliers de la Citoyenneté. Nous l’avons dit souvent, la caractéristique majeure des réunions organisées par les Ateliers était le fait qu’elles se déroulaient de plain-pied, sans « sachant ». Or mercredi dernier, nous nous réunissions pour parler de la violence dans l’entreprise. La réunion avait commencé comme nous en avions l’habitude : en cercle, chacun apportait son point de vue, la première intervenante sollicitée, psychologue du travail à la CRAM jouait parfaitement le jeu d’un apport  ancré dans une pratique, sans prétention mais avec des convictions fortes : l’échange se poursuivait entre tous et elle contribuait naturellement mais sans se prévaloir d’une expertise. Le deuxième intervenant restait silencieux, en retrait mais attentif. Au bout d’une heure et demi je faisais signe à l’animatrice pour qu’elle pense à lui donner la parole. Et, là catastrophe ! Il se lève, va chercher un paper board, des stylos de toutes les couleurs, il se campe au milieu du cercle, va et vient en faisant claquer ses talonnettes, pérorant sans trop savoir comment entrer dans le cours qu’il nous avait préparé. Il se lance enfin, nous annonçant 5 clés pour un management évitant la violence (la première étant « savoir donner du sens », vous voyez ce que pouvaient être les 4 autres). Très vite, on sent que le cercle des participants, une petite vingtaine d’hommes et de femmes, s’étonne de ce cours incongru. Une première participante conteste les propos tenus, ne les trouvant pas fondés et bien trop généraux, l’autre intervenante réagit aussi, rejetant ces artifices managériaux pouvant mettre en porte-à-faux les cadres intermédiaires auxquels ce discours habituellement s’adresse. Au bout d’un moment avec Pascale Puéchavy (mon ancienne complice dans l’animation des Ateliers) à côté de qui je suis assis, nous décidons de rappeler l’intervenant à la règle implicite de notre échange : nous ne sommes pas venus pour un cours de management mais pour partager des expériences et des savoirs sur un sujet pour lequel  la parole de chacun est aussi légitime. Cette parole est pourtant pour le moment confisquée par l’introduction d’une verticalité dans le plain-pied qui n’a jamais aussi bien porté son nom issu du latin planus (plan). L’intervenant dit qu’il comprend mais continue néanmoins en accéléré son exposé puis s’assoit d’une fesse sur une table un peu en arrière du cercle… qui immédiatement se referme et dont il s’exclue jusqu’à la fin de la discussion. L’animatrice conclue et remercie. Chacun commence à se lever lorsque l’intervenant tente sans conviction d’avoir le dernier moyen exposant les 4 principes de la communication non violente dans l’indifférence polie des participants qui commencent à échanger par petits groupes. Plus tard autour d’un verre nous expliquons à quelques-uns au pauvre formateur (c’était évidemment son métier) les raisons de notre attitude et nous espérions que la séance avait été formatrice… pour lui !

Au cours du diner qui suivit Philippe Villeval, de la fédération des Centres sociaux du Rhône, revenant sur l’incident, notait à quel point le mode d’animation de plain-pied restait peu pratiqué, même au sein de son réseau. Nous en venions à dire qu’une formation à l’animation « à la mode des Ateliers » serait la bienvenue, les formations existantes étant trop centrées sur la production et la mise en place de règles formelles.

Mais comment former à ce qui apparait à tous comme une évidence lorsqu’ils y ont pris goût mais dont ils constatent en même temps la rareté au quotidien tant nous sommes formatés par les relations verticales ? Puisque c’est  plus un « art » qu’un savoir, la transmission passe sans doute par la pratique.